Le bonheur des uns fait le malheur des autres (II)
Mian-Meh jaugea rapidement la situation. Il était encerclé par les archers qui avaient tous une flèche encochée. La femme à cheval se trouvait juste à côté.
Grossière erreur, songea Mian-Meh.
Ne se rendaient-ils pas compte qu'il portait une yatsiwahi ? Avec cette arme, il pouvait d'un seul mouvement circulaire tuer les cinq hommes et jeter le cheval à terre. Il avait fort envie de faire ce geste, ne serait-ce que pour leur montrer la supériorité de son peuple sur le leur. Encore une fois, la mission l'en dissuada.
« Allez, allez, s'impatienta la femme. L'arme à terre et les mains sur la tête, plus vite que ça ! »
Mais un cri terrible retentit au même moment, soudain et prolongé, accompagné d'une brusque cavalcade. Les soldats sozyès, qui s'étaient approchés sans faire de bruit, déboulèrent sur le chemin en hurlant, sabres au clair. Ils se ruèrent sur les Farles, les blessant aux bras pour faire choir les arcs. D'un coup bien placé, l'un d'eux jeta la femme à terre et maîtrisa le cheval. En quelques secondes, ce fut réglé. L'effet de surprise avait été total et décisif.
Les Farles n'avaient pas eu le temps de réagir. Peinant à se remettre de leur surprise, ils se rapprochèrent les uns des autres en pressant leurs bras blessés. Un air catastrophé se peignait sur leur visage, tandis qu'ils réalisaient le retournement de situation.
Quelques sozyès sautèrent à terre avec de lourdes chaînes, et entreprirent d'attacher les prisonniers.
« Qu'allez-vous faire de nous ? » s'exclama la femme qui avait perdu sa belle assurance.
Les soldats ne lui répondirent qu'en tirant brutalement ses poignets pour y faire claquer les anneaux de fer.
Un autre kidnappeur se mit à marmonner en farle. Mian-Meh, qui avait trouvé le temps d'apprendre parfaitement la langue des adversaires, lui lança ironiquement:
« Inutile d'appeler les farfadets à ton secours, ils ne viendront pas. Ce sont en réalité les mauvais esprits que tu invoques, et en tant que moine j'ai le pouvoir de les repousser. »
Il fit claquer la yatsiwahi et la renoua autour de sa taille. Ses hommes se remirent en selle en encadrant les prisonniers.
« Allons, rentrons à Salasala », ordonna Mian-Meh.
Il laissa la troupe passer devant lui, les Farles tirés par leurs chaînes et les chevaux marchant queue haute. Avant de les suivre, il se retourna une dernière fois. L'embuscade avait été un succès. Il n'en restait pour traces que quelques taches de sang bientôt absorbées par la poussière. Satisfait, il s'enveloppa dans les plis de son châle et se mit en route à son tour.
Pourtant, il n'était pas à cet instant l'homme le plus intelligent de la scène. Un autre individu, tapi silencieusement dans les buissons, les regardait s'éloigner.
□□□
Une pluie tropicale crépitait sur les toits rouges de Sucodis. Pour imposante qu'elle fût, la ville disparaissait presque sous les trombes. Les dômes sombres et les colonnades du palais ruisselaient sans interruption. L'eau semblait diluer toute chose, tant les couleurs du ciel qui apparaissait comme un mélange clair de gris et de bleu, que les jardins d'arbres verts entre les bâtiments. Accoudée à la balustrade d'une galerie couverte, Valériane regardait la pluie se déverser sur les dalles, et savourait l'air tière et humide. Une réunion de près de vingt-quatre heures venait de s'achever, aussi éprouvait-elle le besoin de se rafraîchir les idées. Derrière elle, les gradés et les nobles sortaient de la salle peu à peu, par petits groupes, certains discutant et la plupart bâillant.
Valériane songeait à la caserne, à son lit qui l'attendait, anticipant avec délectation le moment où elle s'y écroulerait, quand un serviteur vint s'incliner près d'elle.
« Excusez-moi, madame... Un message urgent et important vient d'arriver par pigeon voyageur. »
Il lui tendait un parchemin roulé très serré, maintenu par un cordon rouge. Valériane eut l'impression qu'un gros caillou lui tombait sur les épaules, éloignant désagréablement ses espoirs de sommeil réparateur. Elle le lui arracha presque des mains et le déroula fébrilement. Cette fois ce fut toute une avalanche de rochers qui lui ébranla la tête. Sous le coup de la stupeur et de la consternation, elle faillit se donner une claque dans la figure.
Oh non mais ce n'est pas vrai ! C'est quoi cette catastrophe ? On n'a pas besoin de ça, surtout en ce moment ! Ce n'est pas possible !
Elle chiffonna le feuillet et en donna un coup rageur sur la rambarde en stuc. Puis elle se retourna vivement et arrêta un des nobles attardés.
« Dis-moi, Rémus est sorti ou il est encore à l'intérieur ? demanda-t-elle.
- Rémus lequel ? s'enquit l'homme visiblement épuisé.
- Théléos Rémus, le chef des kidnappeurs !
- Ah, oui... Oui, il vient de sortir, il est parti par là. "
Valériane s'éloigna en courant, quitta la galerie pour s'engager sur un chemin à découvert. La pluie se déversa sur elle, imbibant ses cheveux et mouillant sa combinaison. Ses bottes projetaient des éclaboussures en passant dans les flaques, et elle fut bientôt complètement trempée. Elle contourna un imposant massif de balisiers et aperçut enfin, plus loin dans l'allée, un soldat qui s'éloignait. Sa cape beige était tellement imprégnée d'eau qu'elle tombait comme un poids mort dans son dos. Valériane reconnut sans peine les larges épaules de l'homme, d'autant plus que les épaulettes en métal de l'uniforme accentuaient cette caractéristique. Elle le héla d'une voix forte, pour couvrir le clapotement des gouttes:
« Rémus, attends ! »
Elle vint se placer devant lui pour l'empêcher d'avancer. Il la fixa avec étonnement.
« Mon général ? Vous voulez me parler ? (Il fit mine de la prendre par le bras puis retint son geste:) Attendez, venez vous abriter...»
Elle le coupa sans ménagement:
« C'est bon, Rémus. On a des problèmes plus graves que quelques gouttes d'eau. Je viens de recevoir un message: six kidnappeurs se sont fait arrêter par les Sozyès.
- Quoi ?! » glapit-t-il.
Elle lui tendit le parchemin. Il s'abrita de son bras épais pour le lire, son visage se décomposant un peu plus à chaque phrase. Il termina sa lecture par une série de jurons mais encore une fois, Valériane l'interrompit, allant droit au but:
« Il s'agit de l'unité basée à Oxyana, tu sais où est-ce que ça se trouve ?
- Oui, c'est un village non loin de Salasala, la capitale de la région Nord.
- Bon, Rémus, vas-y tout de suite et occupe-toi de cette affaire. Nos unités se composent de huit hommes, il y a donc deux rescapés. Trouve-les, vois ce qui s'est passé et agis en conséquence. Nous ne pouvons pas tolérer pareille situation, surtout avec ce général de l'Empire qui doit arriver bientôt... ! Raerus va être en fureur quand il saura ça. Prends quelques soldats avec toi si tu veux, mais il faut que tu sois parti dans l'heure. »
Elle distingua nettement sur son visage l'effort que lui coûtait cet ordre.
« Tout de suite, madame ?
- Oui, on ne peut pas se permettre d'attendre. Je sais que tu es fatigué; tu dormiras en selle, ou sur le bateau si tu choisis la voie fluviale. »
Elle le fixa sans ciller, s'amusant presque de la violence intérieure qu'il déployait pour ne rien laisser paraître de son désagrément; et il s'inclina:
« A vos ordres, mon général. »
□□□
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro