Chapitre 3
Je regardais cette feuille, l'air bien perplexe.
Ben m'avait proposé quelques thèmes pour réfléchir à ce que nous devions envisager dans notre fausse relation. Il y avait des domaines assez simples comme le fait de réellement sortir ensemble que ce soit pour un ciné ou un restaurant, mais d'autres me donnaient un peu de fil à retordre, comme toute interaction un peu trop tactile. Ceci comprenait notamment les câlins — qui même avec des amis n'était pas mon point fort —, les baisers — ce qui était d'autant plus compliqué —, jusqu'au fameux sujet du sexe.
Mes poils se hérissèrent en voyant ça. Parce que, innocemment, j'avais pensé qu'on se contenterait de se tenir la main et de sourire en présence de nos amis. Mais j'avais oublié la curiosité malsaine de mes proches qui était devenue de plus en plus pesante et m'avait finalement poussé à envisager ce couple fictif.
Pour de nombreux domaines, j'étais capable de faire des concessions. Certes, les câlins me déstabilisaient toujours, mais ils seraient probablement occasionnels et seraient suffisants. Et puis, j'étais persuadée qu'aucune personne proche de moi ne douterait du sérieux de cette relation. Personne ne me pensait être capable de mentir à ce sujet. Après tout, j'avais toujours été une fille bien trop pure et gentille pour envisager ce genre de conneries.
Par défaut, je refusai tout ce qui pouvait aller au-delà d'un baiser. Mais je me surpris à réellement envisager l'idée, au moins pour tester. Peut-être que si c'était assez plaisant, je pourrais accepter ce contact quand bien même je n'avais aucun sentiment pour lui.
Mes pensées furent interrompues par Finn qui m'appelait pour me proposer de jouer avec lui. D'habitude, j'acceptai aussitôt, mais cette fois-ci, j'avais besoin d'un peu de temps avec moi-même. Alors, j'avais refusé, mais en le regrettant en partie.
Malheureusement, je ne m'attendais pas à ce qu'il me demande si j'étais actuellement avec mon "copain".
« J'ai juste pris du retard sur mon repas du soir. »
Mon mensonge était complètement stupide à mes yeux. Je n'avais jamais été très douée pour jouer un double jeu et n'importe qui le verrait aussitôt. Il était évident que je ne tiendrais pas longtemps ainsi...
*
Le lendemain, dès ma fin de journée au travail, j'avais annoncé à Ben avoir fait mes choix sur chacun des thèmes. Il m'invita plus ou moins chaleureusement chez lui. Enfin, d'une manière un peu trop accueillante venant de lui. Il avait un grand sourire quand il m'ouvrit et me proposa à manger et à boire — ce que je refusai aussitôt.
Nous nous installâmes dans son salon, l'un à côté de l'autre. Il n'était qu'à quelques centimètres de moi et c'était assez perturbant. Peut-être que j'aurais bien voulu qu'il soit un peu plus éloigné de moi pour commencer, mais j'allais m'y faire.
Je sortis immédiatement la feuille de ma poche et la déballai, l'air fébrile. Je pris une longue inspiration que j'essayai de garder le plus silencieux possible, mais il sembla remarquer mon angoisse et posa sa main sur mon poignet en espérant me calmer. Mais, au final, ce contact me perturba d'autant plus et me laissa échapper un frisson.
— Alors, jusqu'où t'es allée ?
Son regard se posa sur ma feuille qu'il prit quelque temps à examiner tandis que mes yeux se posèrent sur son visage, et en particulier ses lèvres. J'envisageai vraiment davantage l'idée de plaquer mes lèvres contre les siennes, au moins pour tester. Et pourtant, je ne connaissais rien de lui, mis à part son arrogance naissante qui ne me donnait pas vraiment envie de l'apprécier.
Puis son regard se posa vers moi, un sourire en coin, et j'eus un bref réflexe de recul.
— Je vois que tu t'es arrêté aux baisers, j'aurais dû m'en douter.
— Et alors ? rétorquai-je assez fermement.
— Ce n'est pas grave. Je m'en fiche totalement.
— Tant mieux alors...
Franchement, j'aurais mieux fait de tout abandonner et trouver quelqu'un d'autre, quitte à perdre toute crédibilité auprès de Finn notamment. J'aurais pu enchaîner les mensonges sur mensonges et m'y enfoncer. J'aurais pu tout simplement fuir. Mais au lieu de ça, je restais en face de lui et son sourire un peu trop sûr de lui.
— Au moins, on sera fixé sur le genre de relations qu'on a d'une certaine manière comme ça.
— Relation ? Ce n'est qu'un accord qui nous arrange mutuellement, le contredis-je immédiatement.
— Ç'aurait pu être un accord avec certains bénéfices...
— Non, parce que ce n'est pas ce qui m'intéresse du tout.
En y réfléchissant bien, ça aussi c'était un mensonge dans le fond. J'avais — à plusieurs reprises — envisagé d'avoir des relations qui ne seraient que purement sexuelles, mais l'idée de chercher quelqu'un et d'espérer trouver une personne qui me corresponde m'avait quelque peu rebuté. Au final, j'avais pu quelques fois contenir ma frustration sexuelle.
— Très bien, on fera sans tout ce qui serait plus ou moins sexuel.
J'avais l'impression que ses yeux fixaient mes lèvres, comme j'avais pu le faire précédemment. Peut-être qu'ils se questionnaient comme moi sur un potentiel baiser. Ou peut-être attendait-il une réponse particulière de ma part. Alors que je commençais à peiner à respirer calmement, il me tendit ma feuille.
— Je te suis totalement. J'accepte totalement tes limites. Mais je pense qu'on devrait traîner un peu ensemble juste pour apprendre à mieux se connaître. On peut se contenter de faire ce que n'importe quels amis feraient comme aller regarder un film ou un truc sur Netflix, manger ensemble... ou une tout autre activité pour avoir un semblant d'alchimie.
— Bien évidemment...
— Si tu veux, tu peux passer la soirée ici et on commande quelque chose à manger, me proposa-t-il chaleureusement.
Un léger sourire se dessina sur son visage. Mais pas ce sourire arrogant et sûr de lui comme d'habitude. Pendant un bref instant, je discernai une légère pointe d'angoisse, comme s'il s'attendait à une réponse extrêmement négative de ma part.
— On peut commencer par faire ça, acceptai-je en haussant les épaules.
Il se leva d'un bond en m'annonçant chercher les menus de tout ce qu'il était possible de commander autour de l'immeuble.
— On peut aussi s'amuser à acheter de quoi manger et cuisiner ensemble, lâchai-je naïvement.
L'avantage de ce genre d'occupations était assez simple pour moi. Si, vraiment, on n'arrivait pas à trouver de sujet de conversations, on aurait quelque chose pour combler quelques vides plus ou moins gênants. Parce que, dans le fond, j'étais persuadée qu'on aurait du mal à nous retrouver sur la même longueur d'onde.
— Ça me va, accepta-t-il simplement. Est-ce que tu sais ce que t'aurais envie de manger ?
— Je pense que je me déciderai une fois en magasin.
*
Dès que nous avions quitté l'immeuble, j'avais l'impression que le visage de Ben s'était durci, comme s'il voulait se fermer aux autres. Même si ce n'était qu'une impression, ça ne me semblait pas tant que ça éloigné de la vérité. Du peu que je connaissais de lui, je n'avais pas l'impression qu'il s'ouvrait réellement et facilement aux autres, mais peut-être qu'il me prouverait bientôt le contraire.
Je m'étais un peu perdu dans les rayons alors que j'avais l'habitude de venir ici. Après tout, une grande partie de mes habitudes venaient d'être bousculées et c'était comme si je redécouvrais ce moment aussi simple et banal que de faire des courses.
Il me suivait silencieusement et avait régulièrement le nez plongé sur son téléphone, comme si quelque chose le tracassait. Je jetai quelques coups d'œil en sa direction sans jamais oser lui demander quoi que ce soit. De toute manière, nous n'étions que deux personnes ayant trouvé un accord qui nous arrangeait mutuellement, rien de plus.
Néanmoins, j'avais l'impression de voir un brin de colère et d'agacement sur son visage. Il y avait vraiment quelque chose qui envahissait tout son espace personnel. J'étais presque prête à parier qu'il s'agissait de son travail.
Puis il soupira un peu trop lourdement et rangea brusquement son téléphone dans sa poche.
— Alors, tu sais ce qui te ferait envie ? me demanda-t-il, le ton un chouïa trop ferme.
Il n'avait pas réussi à totalement mettre de côté ce qui l'avait précédemment ennuyé et ça se sentait, même si je voyais bien qu'il voulait faire des efforts pour ne rien laisser transparaître. Mais il ne pouvait pas constamment avoir des masques dont il pouvait facilement échanger.
— Je me disais qu'une pizza faite maison, ça pourrait être assez fun.
— Allons-y pour ça...
— Tu me tues si je veux y mettre de l'ananas ? lançai-je par pure provocation.
— Ouais ! Totalement ! Ou sinon, tu te fais ton coin dans la pizza et j'y toucherai pas.
— Ça marche, rétorquai-je, l'air sûr de moi.
En me voyant prendre un ananas en main, ses sourcils se levèrent aussitôt et sa mâchoire inférieure tomba légèrement. Il ne s'attendait probablement pas à ce que je continue ma provocation à ce point, mais j'appréciais voir que son masque s'était presque fissuré un instant, comme s'il avait laissé place à de la spontanéité, de la naïveté...
— Ok, et je vais faire mon coin de pizza aussi, répliqua-t-il de plus belle. Qu'est-ce que tu n'aimes pas sur une pizza ?
— Si je te le disais, ce serait trop simple.
J'affichai un sourire un peu trop amusé par la situation, ce qui semblait à la fois attendrir et l'agacer. J'avais presque l'impression de retrouver avec lui une complicité que j'avais avec beaucoup de mes proches, c'était assez perturbant...
— Je finirai par savoir ou tu finiras tout simplement par me le dire, affirma-t-il, un peu trop sûr de lui.
— Je résisterai très bien.
— On verra...
*
De retour dans l'appartement de Ben, nous avions commencé silencieusement la préparation de notre pizza. Il n'avait fait aucun commentaire supplémentaire sur les ananas que j'avais disposé dans mon coin, mais j'avais bien remarqué son air exacerbé qu'il peinait à dissimuler.
De son côté, la garniture était assez classique avec un peu de fromage, de jambon et quelques champignons, sauf que la disposition de ces éléments était complètement anarchique, comme s'il avait tout jeté dessus n'importe comment, alors que j'avais eu la preuve du contraire sous mes yeux.
Puis on enfourna la pizza et nous avions une bonne dizaine de minutes à attendre. Mon regard se posa sur lui, dans un long silence qui était un brin gênant, alors je le brisai simplement en plaisantant :
— Par pitié, ne me propose pas un action ou vérité.
— Ça m'arrangerait aussi si on pouvait éviter ce genre de jeu.
Un petit sourire en coin se dessina sur son visage. Et de nouveau, je me surpris à envisager l'idée de réellement l'embrasser. En même temps, il avait presque des airs de prince charmant avec ses cheveux longs.
— Sinon, on peut se contenter de trouver quelque chose sur Netflix, parce que, apparemment, c'est un truc de couple de faire ça.
— Pourquoi pas...
Il se dirigea vers son salon pour allumer son ordinateur et je le suivis. Il exposa le catalogue de Netflix et je me rendis compte que ça faisait un bon bout de temps que je ne l'avais pas ouvert. Pour une grande majorité des programmes, je les connaissais à peine.
— Alors, quelque chose te fait envie ?
— J'en ai aucune idée. Je crois que je fais partie de ces personnes qui vont pas vraiment sur Netflix.
— Rassure-toi, moi non plus.
— On devrait se foutre une comédie romantique toute niaise juste pour rigoler devant et remarquer toutes les incohérences, proposai-je en riant.
— Je sens qu'on va bien s'amuser alors.
Mon idée — aussi stupide soit-elle — semblait le satisfaire et ce n'était pas plus mal ainsi. Même si j'avais trouvé un brin de complicité avec lui dans le magasin, nous avions encore un peu de chemin à parcourir pour le moment. Peut-être que ce chemin ne mènerait à nulle part. Enfin, c'était impossible qu'il mène vraiment à quelque chose dans de telles circonstances.
Après tout, je voulais juste que mon entourage ne me mette plus à ce point la pression dans une potentielle relation amoureuse... Peut-être même que j'avais aussi juste besoin d'une relation qui échoue pour les calmer. Mais pour l'instant, je n'allais pas me concentrer sur la fin de cette imposture.
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