Chapitre 23 - Adam
Adam
Quand j'arrive à Lariboisière, je me présente à l'agent d'accueil comme le frère de Nina, en prétextant que je n'ai pas pu la contacter directement car mon téléphone est cassé. J'agite mon portable bousillé devant son nez pour confirmer mes propos. Peu scrupuleux, il m'indique l'étage et le numéro de sa chambre après avoir fait une recherche sur son terminal.
J'essaie de suivre ses indications mais je me perds rapidement dans les couloirs tentaculaires qui se ressemblent tous. Putain de sens de l'orientation à deux balles. Je demande mon chemin à plusieurs reprises jusqu'à me retrouver enfin à quelques numéros de sa chambre.
A mesure que j'avance, mon rythme cardiaque s'accélère et ma respiration devient erratique. Je ralentis le pas. Depuis ma sortie de l'hôpital, je tourne des phrases dans ma tête, mais aucune ne sonne bien "Ça va, Nina ? Je viens juste aux nouvelles... Je te dérange pas trop longtemps..."
Ridicule.
En réalité, je devrais m'agenouiller, m'allonger au sol même, pour la supplier de me pardonner d'avoir été incapable de la protéger. J'hésite à faire demi-tour car je ne suis pas certain d'arriver à lui faire face. Si elle a des séquelles, je m'en voudrais toute ma vie.
Au bout du couloir, je reconnais Annelise, qui sort d'une chambre. Elle tient par le bras une femme noire d'une cinquantaine d'année. La mère de Nina ?
Je me retourne et presse le pas pour redescendre d'un étage. Je refuse de les croiser et de devoir me présenter. Expliquer les raisons de ma présence ici d'un ton badin, c'est au-dessus de mes forces.
Je me plante devant l'une des fenêtres du couloir et regarde dehors pour tenter de retrouver mon calme. L'hôpital donne directement sur les voies de chemin fer qui mènent à Gare de l'Est. Ou gare du Nord, peut-être. Les nombreux rails se croisent comme s'ils étaient emmêlés, à l'image de mes pensées. J'ai besoin de savoir comment va Nina, mais je redoute le face à face. J'aimerais qu'elle me laisse une chance, mais je sais bien que je ne le mérite pas. Un mec comme moi n'a rien à lui apporter. Jusqu'à hier, je pouvais me dire qu'à défaut d'avoir deux neurones connectés, j'avais au moins un corps performant. Mais cette nuit m'a prouvé que les biceps ne servent à rien quand on a un cerveau de mauviette.
J'appuie mon front sur la vitre froide.
Que me reste-t-il maintenant ?
Mon téléphone vibre au fond de ma poche.
— Mec, ça va ? me demande Seb à l'autre bout de la ligne. Déso, mon pote, mon portable était sur silencieux. Putain, j'ai écouté tes messages, c'est dingue ton histoire ! T'es toujours à l'hosto ? Je viens te chercher ?
Sa voix souriante mais préoccupée me réconforte un peu et éloigne ma morosité.
— Non, c'est bon je suis sorti.
— Ils t'ont laissé partir tout seul ?
— J'ai menti, j'ai dit que tu étais dans le quartier mais que tu ne trouvais pas où te garer...
— J'adore ton culot, se marre-t-il. T'es où là, tu rentres ? Je sèche les cours de toute façon.
— Je vais pas tarder mais je dois d'abord faire un truc.
— Tu me dis où tu es et je te rejoins, OK ?
— T'inquiète pas, j'en ai pas pour longtemps.
— Bon, je lance des pâtes carbo, je t'en laisse une part. ça te va ?
Je le remercie et raccroche.
Quoique ça me coûte, je dois m'assurer que Nina va bien. D'un pas décidé, je remonte à son étage et avance jusqu'à sa chambre. Juste avant d'arriver devant sa porte, je marque une pause. Le dos plaqué contre le mur, je reprends mon souffle avant de lui faire face. Et là, j'entends une voix d'homme, grave et profonde, qui s'échappe par l'interstice de sa porte entrouverte. Je perçois "cosmologie contemporaine", "satellite Plank", ou encore "loi de gravitation de l'Univers". Il lui lit un bouquin ? Pas difficile de comprendre que c'est son père. Mais c'est donc ça sa référence en matière d'homme ? Un homme capable de lui lire des ouvrages scientifiques à voix haute... Il est Polytechnicien en même temps, j'imaginais quoi ?
Désabusé, je cogne l'arrière de ma tête sur le mur, ce qui réveille la douleur de ma bosse.
Depuis que j'ai quitté le lycée, je me suis bien gardé de me retrouver dans une situation où j'aurais à lire à voix haute. "T'es trop lent.. t'es sûr que tu sais lire ?" Les mots blessants, les ricanements, c'est terminé.
— Martin a signé l'autorisation de sortie de la 308 ? demande une soignante à une autre en désignant la porte de Nina.
— Oui, elle devrait libérer la chambre dans une heure ou deux.
J'ai la confirmation dont j'avais besoin pour être rassuré. Si elle sort, c'est qu'elle va bien. Ses parents et son amie veillent sur elle. Notre histoire éphémère s'arrête ici et maintenant. C'est mieux ainsi. Si je me retrouve face à elle, je vais flancher comme cette nuit, parce qu'il y a ce truc qui m'envoûte chez elle et m'empêche d'être raisonnable quand je suis à moins d'un mètre d'elle.
Sans attendre, je fais demi-tour et sort de l'hôpital. Il me faudra sans doute un peu de temps pour l'oublier, si tant est que ce soit possible. Mais c'est encore ce qu'il y a de mieux pour nous deux.
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