Chapitre 13 - Adam
Adam
La flotte gelée m'empêche de craquer. Nina me rend taré et je me piège tout seul à l'allumer. Malgré l'air frais, l'eau s'évapore au contact de ma peau brûlante. Je chasse les dernières gouttes d'un revers de main et renfile mon polo et mon cuir.
On se rassoit sur le banc en silence. Je bascule la tête en arrière pour regarder le ciel. Entre la lumière artificielle et la pollution, on ne voit jamais une étoile dans cette ville. Presque jamais.
— Et maintenant ? demande-t-elle d'une voix pleine de doute, terriblement craquante.
— Je sais pas.
Nina frotte ses cuisses dans un geste fébrile.
— On pourrait aller chez toi ?
Je secoue la tête.
— Je squatte le canapé d'un pote en ce moment...
— Ah, répond-elle déçue.
Le silence s'installe, j'attends qu'elle propose qu'on retourne dans son appartement mais elle ne le fait pas. Je n'insiste pas, il y a trop de monde chez elle.
— Polytechnique, c'est la meilleure école d'ingénieur ? je lui demande autant par intérêt que pour changer de sujet.
Nina le capte tout de suite et m'adresse un sourire soulagé.
— Je dirais que c'est la deuxième, la première c'est Normale Sup. Enfin si on peut vraiment comparer...
— Pourquoi ne pas tenter celle-là ?
— Parce que je n'ai pas le niveau, et puis c'est surtout pour les génies qui se destinent à la recherche.
— Pas le niveau ? je ne peux m'empêcher de relever avec une pointe de doute.
— Surtout en maths. Je peux résoudre un problème même très compliqué, mais je ne perçois pas la réalité qu'il y a derrière les théorèmes que j'utilise.
— Je pige pas.
— Je ne sais pas comment l'expliquer, mais il y a une dimension complexe qui m'échappe.
Elle déglutit, frustrée par ses limites. Les miennes me font mal.
— Et ça ressemble à quoi un étudiant de Normale Sup ? Le genre qui bosse à peine mais qui se tape des 18 ?
Nina rit, le regard perdu dans ses souvenirs.
— Pas du tout. Tout le monde travaille. C'est vrai que certains sont bizarres et beaucoup plus brillants que les autres. Il y en a un dans ma classe à Louis-le-Grand qui a réussi le concours l'année dernière. Il était en tongs été comme hiver, et mettait deux fois moins de temps que moi pour arriver au même résultat.
— Ça apprend l'humilité.
— C'est clair, me confirme-t-elle.
— Donc pour toi, qui n'es finalement pas si brillante que je l'imaginais, ce sera une école de deuxième catégorie. Un truc assez peu connu, qu'on appelle Polytechnique, c'est ça ?
Elle acquiesce, pinçant les lèvres pour contenir son rire.
— Vraiment désolée de ne pas être à la hauteur de tes attentes, répond-elle faussement contrite.
— J'essaierais de dépasser ma déception. Et ça te permet de faire quel métier après ?
— Tout dépend de la spécialité que tu choisis, mon père est devenu architecte en suivant un double cursus. Mon grand-père lui a fait carrière comme Haut Fonctionnaire dans plusieurs ministères.
Putain, c'est pire que ce que j'imaginais. On vit sur deux planètes différentes.
— Moi j'en sais rien, poursuit-elle, j'ai encore le temps de me décider. Le cursus dure quatre ans et beaucoup d'options sont possibles.
Le silence s'installe de nouveau. Nina masse ses phalanges d'un pouce nerveux, puis lâche :
— Après les écrits, j'aurais des oraux et une épreuve sportive. Je serai libérée en juin, on pourra peut-être se voir à ce moment-là. Enfin, si...
Sa voix se brise sous l'effet de l'émotion, je sens l'effort que lui a demandé cette proposition. Mais je suis réaliste. Malgré une évidente attirance physique, on n'a rien en commun. On évolue sur deux trajectoires parallèles qui n'auraient jamais dû se croiser.
— On a dit qu'une nuit, tu te souviens ?
J'aimerais me lancer dans une grande tirade pour me justifier, mais ça serait pathétique de lui expliquer que je suis le pire des minables et qu'elle mérite mieux.
Nina déglutit, puis hoche la tête le temps d'assimiler ma réponse.
— Une nuit, répète-t-elle.
Je regrette déjà et fais le vœux que la Terre s'arrête de tourner pour que la nuit s'éternise.
Nina se relève et pousse un profond soupir. Terrifié à l'idée qu'elle préfère mettre un terme tout de suite à notre aventure sans avenir, je lui prends la main et l'entraîne vers République.
— Allez, on va boire un verre !
— Pas d'alcool pour moi mais OK, répond-elle avec un enthousiasme qui me rassure.
— Pour rester sobre ? Tu as peur de perdre ton self control si je te montre que je peux faire des pompes avec une seule main ?
Nina me lance un regard entendu, et entrecroise ses doigts avec les miens.
— En réalité, j'ai un programme de révision que je vais devoir gérer malgré le manque de sommeil, je veux éviter la gueule de bois.
Demain, à l'heure où elle commencera à résoudre des équations, moi j'embaucherai à l'agence. La première partie de la journée, je réceptionne les colis et prépare les salles de réunion. Peu de mes collègues maîtrisent l'équipement de visio. Tant que c'est le cas, j'ai un job. Ça me va.
Vers 10 heures, quand tout sera en place, j'irai finir ma nuit aux toilettes comme trop souvent. C'est moins confortable que le canapé pourri de Seb, mais je n'y croise pas ses plans cul.
— Ça va ? m'interroge Nina, sensible à mon changement d'humeur.
Je devrais lui répondre quoi ?
Quand elle m'a demandé qu'on se revoie dans un mois, j'aurais pu lui raconter tout ça. Mais je préfère passer pour un connard que pour un con.
Je déglutis.
— Oui, t'inquiète. Je crois que ma migraine se pointe à nouveau.
Je sors de mon sac mon étui à lunettes.
— Sérieusement ? m'interroge Nina, en s'arrêtant en pleine rue.
Je reste interdit sans comprendre sa stupéfaction.
Nina encadre mon visage avec ses mains et réajuste les lunettes sur mon nez.
— Tellement craquant...
Je souris comme un idiot, oubliant presque qu'elle va disparaître de ma vie dans quelques heures.
Je m'apprête à l'embrasser quand elle s'écrit :
— Oh regarde dans ce bar, y a un baby-foot !
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