Chapitre 1 - Nina
Nina
— Tu prends une pause ? m'interpelle Annelise alors que je sors de ma chambre.
— Juste cinq minutes, j'ai un creux.
— Timing parfait, s'enthousiasme-t-elle. J'en suis à la meilleure scène du film !
J'attrape du pain et une barquette de houmous dans le frigo et m'installe à ses côtés sur le canapé. Comme moi, elle porte encore son pyjama.
— Tu connais Crazy Stupid Love ? demande-t-elle en désignant l'ordinateur posé sur ses genoux.
— Ça ne me dit rien...
— Je me demande ce qu'ils vous apprennent d'utile dans ta prépa, me nargue-t-elle. Y a pas que les maths et la physique dans la vie !
Je me contente d'arquer un sourcil tout en dévorant une tartine.
Annelise m'explique le contexte : une héroïne un peu naïve, une rupture, quelques verres de trop pour digérer l'humiliation, suivi de l'envie de se taper le beau gosse qui passait par là pour se venger de son ex.
— Prépare-toi à baver, m'annonce-t-elle en relançant le film.
À l'écran, Ryan Gosling enlève sa chemise et révèle un torse atrocement sexy avec des abdos empilés comme des briques de Lego. Je lâche un soupir d'envie.
— Même si je connais le film par cœur, je craque à chaque fois, murmure Annelise en écho à mes pensées.
Face à lui, l'héroïne lâche Fuck! Seriously? It's like you're Photoshopped! qui me fait exploser de rire. Ils rejouent ensuite le porté de Dirty Dancing et finissent par s'échanger un regard évocateur, qui pourrait se traduire par «Oh merde, je crois que je suis déjà raide dingue de toi».
Je m'étire, les bras en croix.
— Merci pour cette pause «beau gosse», mais je dois m'y remettre.
— Tu ne veux pas connaître la fin ?
— Je sens que le scénario est plein de surprises, vont-ils finir ensemble ou vont-ils se faire trucider par des aliens zombies ?
— Arrête tes sarcasmes, Nina, tu salis le 7e art, s'exclame-t-elle avec un ton pompeux qui me fait rire.
— Ok, pardon, raconte-moi tout !
— Pas de zombie ni d'alien : ils discutent toute la nuit et tombent amoureux.
— Tomber amoureux en une nuit ? C'est presque aussi crédible qu'une attaque martienne.
— C'est la magie du cinéma, déclare Annelise avec conviction.
Je secoue la tête et me dirige vers ma chambre.
— J'ai proposé à quelques potes de la fac de passer tout à l'heure, m'annonce-t-elle au moment où je quitte la pièce. Ça ne te dérange pas ?
— Pas de soucis.
— Matthieu sera là, ajoute-t-elle d'un air entendu.
— Je te l'ai déjà dit, je ne suis pas intéressée. Ni par lui ni par un autre.
— C'est noté, cheffe, priorité aux concours ! s'exclame-t-elle en imitant un salut militaire.
J'ignore sa tirade moqueuse et retourne travailler.
***
Après quelques heures à étudier, je lâche mon stylo et un soupir agacé. Mes yeux brûlent sous l'effet de la fatigue. Devant moi, les mots se brouillent, mais je dois continuer si je veux réussir les concours d'admission aux Grandes écoles d'ingénieurs la semaine prochaine.
Les éclats de voix qui s'échappent du salon m'empêchent de me concentrer. Un des étudiants en Licence Cinéma a lancé la question «Faut-il différencier l'œuvre de l'artiste ?» et le débat s'est envenimé.
Je fouille dans les tiroirs de mon bureau. Entre les feuilles de brouillon, les trombones et les Post-its, ma main se ferme sur une petite boîte plastique : mes bouchons d'oreille. Je l'ouvre. Vide.
Merde !
Avec un peu de chance, il y en a dans la salle de bain. Je me relève un peu trop rapidement et, perdant tout repère, je tente de m'appuyer contre la porte qui cède sous mon poids. Mes pieds s'emmêlent, butant contre une masse au sol. Avant que je comprenne ce qui m'arrive, je tombe à genoux sur le parquet du couloir obscure.
— Tu t'es fait mal ? s'inquiète une voix masculine tout près de moi.
J'étouffe un cri de stupeur tout en cherchant à m'éloigner, et mes mains se crispent sur les cuisses de cet inconnu, dont je perçois la fermeté à travers son jean.
— Même si c'est assez excitant, je préfère qu'on me demande mon avis avant de me peloter dans le noir.
Son souffle mêlant tabac et chewing-gum au parfum fruité réchauffe mes lèvres.
Alors que mon cerveau se remet difficilement en marche, je le vois enfin. Son sourire doux et ses yeux rieurs provoquent en moi un tourbillon d'émotions, alliant sérénité et euphorie. Hypnotisée par les pépites dorées de ses iris noisette, je demeure un moment ahurie, incapable d'initier le moindre mouvement, partagée entre l'envie inavouable de me rapprocher un peu plus de lui et la nécessité de restaurer une distance sociale normale.
Quand il détourne le regard, je ressens une légère mélancolie que je ne m'explique pas.
— Excuse-moi si je t'ai fait peur, je voulais juste m'isoler, j'ai la migraine. Je ne sais pas si c'est l'effet de la cuite d'hier ou de leurs débats d'intellos, plaisante-t-il en massant ses tempes.
Je me relève tout en frottant mon visage, encore désorientée comme si je sortais d'un rêve.
— Et moi désolée, enfin pardon pour t'avoir...
— Pas de soucis, c'était pas désagréable, ironise-t-il. On peut faire connaissance en allant boire un café si tu veux.
Je secoue la tête, cherchant la raison pour laquelle je me retrouve dans cette situation. Quand j'entends Annelise derrière la porte s'exclamer « C'est la société entière qui est problématique, à cause de ce putain de patriarcat ! » (on est d'accord !) et ses potes, enchérir ou la contredire créant un brouhaha d'arguments, je me souviens que j'étais à la recherche de boules Quies.
J'appuie sur l'interrupteur de la salle de bain et le regrette aussitôt quand le néon au-dessus du lavabo éclaire trop vivement la pièce.
— Pitié, pas de lumière, geint-il en cachant son visage entre ses avant-bras. Tu aurais un truc pour mon mal de crâne ?
Je fouille dans un tiroir et lui tends un cachet.
Il se redresse dans un mouvement qui semble ralentir le temps. Il porte un polo avec un motif pied-de-poule délicieusement vintage. La maille fine laisse deviner un corps sec aux muscles dessinés.
— J'aurais dû te laisser aller plus loin, commente-t-il, amusé, avant de prendre le comprimé.
— Pardon ?
— Rien, oublie.
Mon bras est toujours tendu vers lui, sans aucune raison. Je me sermonne intérieurement et pars à la recherche de bouchons d'oreille. Après quelques minutes d'investigation, je suis forcée d'admettre que je n'en trouverai pas ici.
De l'autre côté de la cloison, le niveau sonore augmente encore.
— Tu ne veux pas les rejoindre ? demande-t-il en se relevant.
— Je dois réviser.
Il me fixe avec une intensité déroutante et je me laisse à nouveau capturer par ses yeux rieurs, encadrés de petits plis.
Hé, reprends-toi, Nina !
— J'ai une course à faire, je déclare avec empressement.
— Je croyais que tu devais réviser, me questionne-t-il en fronçant les sourcils, ce qui se révèle être une expression absolument adorable.
— Avant je dois m'acheter des boules Quies.
— Je t'accompagne.
Quand il m'adresse un clin d'œil, mon rythme cardiaque s'élève brusquement et l'oxygène vient à manquer dans la salle de bain.
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