Chapitre 1
« When night fell and torches flamed along line of gorgeous tents », can anyone explain this sentence meaning ? »
Jisung avait beau y être habitué, c'était toujours décevant d'avoir à faire à un silence mortel. Il était pourtant professeur depuis quelques années maintenant, mais observer les mines déconfites de ses étudiants le dépitait. Il faisait chaud dans la salle de classe, les fenêtres avaient beau être ouvertes, il n'y avait aucun air frais qui passait par l'ouverture. Jisung mourait de chaud : habillé de son habituelle chemise blanche et de son pantalon noir, il essayait de garder une posture sérieuse devant le tableau. Même les patins de ses lunettes restaient désespérément collés sur l'arête de son nez et ses doigts étaient désagréablement attachés au livre qu'il tenait entre ses mains.
Il se sentait mal à l'aise dans ses vêtements, d'après l'heure indiquée par sa montre il lui restait quelques minutes à peine pour ce cours et pourtant, le temps semblait s'étirer à l'infini. Alors qu'il sentait une goutte perler le long de sa tempe à cause de la chaleur, Jisung prit le temps de désigner un élève au hasard parmi la vingtaine devant lui.
« Hwang, can you explain please ? » demanda t-il d'une voix ferme avec un accent britannique parfait.
Pour devenir professeur, Jisung avait travaillé dur. Il était parti en voyage en Angleterre dans sa jeunesse, avait énormément apprit la langue de Shakespeare à travers des livres complexes et complets. Ses efforts avaient payé : il avait réussi sa vie professionnelle, était engagé dans une excellente université de Séoul et participait activement à la vie du campus. Parfois un peu trop et au détriment de sa vie personnelle...
Le dénommé Hwang semblait à moitié endormi sur son bureau. Plutôt beau garçon, l'éphèbe d'une vingtaine d'années était appuyé sur son camarade à côté de lui. Même s'ils n'étaient jamais très attentif l'un contre l'autre, ils ne faisaient jamais spécialement de bruit. C'était simplement embarrassant pour lui. Il voulait que ses étudiants réussissent, il voulait le meilleur pour eux. L'anglais était une langue obligatoire pour partir à l'étranger et indispensable dans la vie culturelle. Il avait déjà échangé avec son prédécesseur, mais force était de constater que la matière n'attirait pas les élèves les plus studieux. Trop de règles, trop de nouvelles lettres... c'était dur pour la plupart des élèves, mais Jisung voulait le meilleur pour eux.
Tout en sentant une goutte de sueur dégouliner le long de son visage, il observa l'ami de Hwang ouvrir péniblement les yeux. Lee était un étudiant hélas inexistant. Peu attentif, il semblait davantage concentré à dessiner sur sa feuille plutôt que prendre des notes. Cela lui tenait à cœur pour son métier de professeur, surtout pendant les cours magistraux. Mais,il n'avait pas spécialement à donner d'ordres aux élèves. En travaux dirigés, l'élève Lee s'était révélé être un cancre d'une infinie fainéantise.
Le garçon avait tout pour plaire : un visage fin et sculpté, des yeux félins, un air presque rêveur et inaccessible. Avec un peu de recul, Jisung se disait qu'il devait faire tourner la tête à la moitié du campus universitaire. Mais il n'était pas que ça. Tout comme son ami Hwang, ils avaient tous les deux un potentiel caché. Le souci était leur énorme flemmardise et leur non-volonté de faire des efforts. C'était vraiment dommage, mais à son niveau il n'y pouvait rien. Il aurait aimé faire plus pour ces deux étudiants. Il prenait déjà assez de son temps après les cours pour reprendre les élèves en difficulté mais ces deux là faisaient de la résistance.
Abandonnant sa question pour Hwang, il se concentra sur un autre de ses élèves qui levait la main. Le cours fut rapidement fini, aussi souhaita-t-il une bonne journée à ses étudiants avant de plier également bagage. Il rangea son livre et ses notes dans sa sacoche de cuir tout en réajustant ses lunettes et de fila vers le local des professeurs.
Enseigner à l'université de Séoul avait toujours été un but dans la vie de Jisung. Au début, il était partagé entre l'idée d'enseigner le coréen à l'étranger et d'enseigner l'anglais dans son propre pays. Au final, ce fut la rencontre avec sa future femme qui le décida à rester en Corée du Sud. Jeehee était une étudiante comme lui, dans une filière annexe où elle apprenait l'italien. Ils s'étaient connus sur les bancs d'un cours commun concernant le latin, et ils avaient appris à se connaître. Jeehee était jolie, drôle, parfois colérique et demandait toujours à prendre une double dose de pépites de chocolat sur ses glaces lorsqu'ils sortaient au parc après les cours. Leur premier baiser avait été magique, après un deuxième rendez-vous au cinéma où elle avait voulu le gaver de pop-corn au caramel. Les promenades étaient agréables, Jisung aimait la chaleur de la main de sa petite amie dans la sienne. Lorsqu'ils s'étaient dit « oui » pour la vie, le jeune homme n'avait pas pu s'empêcher de pleurer, laissant sa compagne essuyer ses larmes en lui disant qu'il était bête de pleurer parce qu'il la trouvait bien trop belle pour lui. Il avait rit, l'avait embrassé, et l'avait fait danser toute la nuit pour graver ces instants précieux dans sa mémoire.
Lorsque Jeehee disparu, il eu la sensation qu'elle l'avait abandonné sans vergogne pour quelque chose à laquelle il n'était pas prêt.
« Ah Jisung, tu vas bien ? »
La voix grave d'un de ses amis fit sortir Jisung de ses esprits. Inconsciemment, ses pas l'avaient guidé jusqu'au local des professeurs où il se retrouvait habituellement avec Changbin. Ce dernier était professeur de littérature et était très apprécié par ses étudiants. Il avait tout du professeur jeune, qui allait à la salle de sport et qui rabâchait à ses élèves ses principes et son guide de vie pour devenir un homme meilleur. Habillé d'un tee-shirt noir qui était près du corps et d'un jean, Changbin avait aussi une allure beaucoup plus décontracté auprès de ses étudiants que Jisung.
« Oui désolé. » lança l'homme en esquissant un sourire pour se faire pardonner. Il fit signe à son ami d'entrer dans le local, ce que ce dernier fit avant de reprendre : « J'étais perdu dans mes pensées, ça m'arrive régulièrement tu me connais. »
« Mhm c'est sûr. » répondit Changbin en hochant la tête d'un air entendu. « Tu as le temps pour un café ce soir ? »
La relation qu'il entretenait avec Changbin était celle du frère qu'il n'avait jamais eu. Oh bien sûr, il avait un frère, un jumeau même. Mais ce n'était clairement pas la même chose qu'avec le professeur de littérature. Ce dernier était légèrement plus âgé que lui, très à l'écoute et toujours disponible pour l'aider. Il appréciait beaucoup son collègue et désormais ami. Jisung laissa son regard naviguer dans la pièce vide de tout occupant, il n'y avait que des bureaux semblables les uns par rapport aux autres, débordant de dossiers colorés, de mugs de café sales et de papiers en pagaille. Le professeur d'anglais s'approcha de son propre bureau, tout aussi mal rangé que celui de ses collègues pour y poser sa sacoche. Sa journée était finie, mais il avait encore un cours pour le lendemain à préparer et il n'était pas certain d'y arriver en temps et en heure.
« ça aurait été avec plaisir, mais j'ai plein de dossiers à boucler pour ce soir. J'ai un examen pour mes deuxièmes années demain et j'ai encore le texte à choisir pour faire le commentaire. » lança t-il en soupirant, abattu devant tant de choses à faire.
« Ce serait quand même une bonne occasion qu'on fasse une sortie tous les quatre avec ton frère et son copain. A l'occasion bien entendu ! » répondit Changbin en prenant place au bureau en face de celui du professeur d'anglais.
Esquissant un sourire plus joyeux, Jisung hocha la tête pour marquer son accord. Il savait qu'il devait sortir de temps en temps, ça ne pouvait pas lui faire de mal. Mais c'était difficile de jongler entre sa vie privée, sa vie de professeur et sa potentielle vie sociale. Tout entrait en conflit bien trop rapidement et il n'avait pas assez d'énergie pour sortir le soir entre amis ou collègues. Heureusement pour lui, son frère Yongbok gérait le café présent sur le campus d'une main de maître et lui permettait d'avoir un semblant d'échanges avec quelqu'un de son âge. En plus de Changbin, Jisung s'entendait bien avec le compagnon de son frère, un dénommé Chan, avec qui il gérait son établissement en plus de quelques employés.
Au lieu de se laisser aller à la morosité, Jisung préféra se plonger dans sa préparation des cours pour le lendemain. Après avoir proposé une boisson chaude à son collègue, il se mit au travail pour choisir un texte pour ses deuxièmes années. Il ne voulait pas un sujet trop banal ni trop difficile, la plupart de ses étudiants avait encore des problèmes de compréhension sur les subtilités de la langue anglaise.
Dans le local des professeurs, la chaleur aussi se faisait oppressante. Il y avait bien une climatisation, mais le doyen de l'université essayait de faire des économies partout où il pouvait. Jisung avait du mal à endurer ces températures. Il sentait sa chemise blanche coller désagréablement dans son dos. En plus, une mouche avait décidé de venir voleter autour de lui, brisant le relatif silence de la salle entre deux mots échangés avec Changbin et quelques collègues de passage venant leur souhaiter une bonne soirée ou récupérer quelques copies pour les corriger chez eux.
Ce ne fut qu'au bout d'une longue heure de travail que Changbin se mit à toussoter pour attirer l'attention de son collègue. Curieux, Jisung s'apprêtait à aller imprimer ses sujets d'examen lorsque son ami désigna sa montre en haussant les sourcils. Le professeur d'anglais jeta alors un coup d'œil au bijou accroché à son poignet gauche pour y lire l'heure de 17h40.
Le sang se figea aussitôt dans les veines de Jisung. Il étouffa un juron avant de balancer en vrac ses feuilles volantes sur son bureau : tant pis, ça pouvait attendre le lendemain.
« Désolé Changbin je file, je suis en retard !! » s'exclama t-il en attrapant sa sacoche et en y enfournant quelques copies prises au hasard. « On se voit demain !! »
« A demain, et sois prudent ! » répondit Changbin avant que le professeur d'anglais ne sorte comme une violente tornade du local des professeurs.
Jisung s'en voulait. Malgré ses trente ans passées depuis plusieurs années déjà, il avait gardé comme habitude cette sale manie d'arriver en retard partout où il allait. Jeehee était exaspérée : elle avait toujours été d'une ponctualité exemplaire. Même lors de leurs rendez-vous, il lui arrivait régulièrement d'arriver trop tard ou d'acheter des fleurs pour présenter ses excuses à sa dulcinée. Heureusement pour lui, elle ne lui en avait jamais spécialement tenu rigueur.
Le professeur d'anglais dévala les escaliers de son bâtiment et se rua sur l'extérieur. Il faisait chaud, mais l'air commençait à se lever et à balayer la lourdeur de l'après-midi. Malgré tout, Jisung enfila un masque sur son visage avant de prendre le chemin du métro le plus proche. Le beau temps était au rendez-vous, et encore les différents bâtiments de l'université, de nombreux étudiants s'étaient installés dans les carrés d'herbe pour réviser ou parler entre eux. La plupart était des groupes de quelques individus calmes, même si Jisung fut certain de reconnaître le duo Lee et Hwang en compagnie d'un troisième garçon, il ne s'attarda pas et continua son chemin pour ne pas aggraver son retard.
Ce ne fut qu'une fois dans la rame climatisée du métro qu'il se permit de respirer un peu. Son wagon était bondé, comme tous les soirs, et Jisung jeta un nouveau coup d'œil à sa montre. Il ne pouvait pas aller plus vite, il était terriblement en retard et il s'en voulait. A chaque fois c'était la même chose, il se laissait emporter par son travail et il ne voyait pas l'heure passer. Il songea l'espace d'un instant à ce qu'ils avaient à manger à la maison le soir : les courses étaient faites de la veille et même si Jisung n'était pas le meilleur cuisinier de tous les temps, il voulait s'appliquer à faire le meilleur repas possible. Nerveusement, il ajusta ses cheveux châtains sur son front et essuya la sueur qui coulait le long de ses tempes le temps de son trajet. Il espérait sincèrement pouvoir se faire pardonner.
Abandonnant la rame de métro caniculaire, il se précipita à la sortie de la station en essayant de se montrer assez courtois avec les passants en évitant de les bousculer. La crainte crépitait le long de son échine, il détestait décevoir ses proches, surtout l'être qu'il aimait plus que tout au monde. C'était pourtant hélas récurrent. Jongler entre sa conscience professionnelle et son cœur n'était pas un exercice dans lequel Jisung excellait.
Son cœur se serra dans sa poitrine lorsqu'il arriva enfin au coin de la rue qui l'intéressait. Le bâtiment avait de belles baies vitrées donnant sur une salle de jeux entièrement vide à cette heure-ci. Les dalles multicolores étaient vives, propres et bien agencées, alors que les murs étaient décorés de dizaines de dessins en tout genre, bariolés et enfantins. La lumière était éteinte dans la pièce, mais Jisung voyait sans peine les coffres de jouet alignés dans le fond de la salle, sagement empilés pour le lendemain. Jisung continua son chemin pour arriver devant la porte de l'établissement où les noms de l'école et de la garderie étaient alignés l'un à la suite de l'autre.
En poussant la porte de verre dépoli, Jisung tomba sur un spectacle qui lui fendait le cœur tous les jours où il le contemplait.
Les murs de l'entrée du bâtiment étaient peint d'un joli jaune coquille d'œuf, le long desquels des portes manteaux à taille d'enfant étaient accrochés avec les noms des locataires écrits au dessus. Ils étaient tous vides bien évidemment à cette heure-ci. Au fond du couloir donnant sur deux portes, l'un menant à l'école primaire et l'autre donnant sur la garderie, une petite fille était assise par terre, les genoux repliés contre elle. Ses longs cheveux étaient attachés en couette de part et d'autre de sa tête et sa robe mauve était légèrement froissée au niveau des volants. Ses lèvres en forme de cœur étaient tordues en une légère moue et ses yeux semblaient être perdus dans le vide, mais lorsqu'elle releva la tête pour voir Jisung, une joie indescriptible envahit son visage. Un sourire fendit ses lèvres alors qu'elle se levait précipitamment, laissant sur place son sac à dos.
« Papa !! T'es enfin là !! » s'exclama t-elle en se mettant à courir droit sur Jisung.
Ce dernier abandonna sa sacoche de cuir sur le sol pour attraper sa fille dans ses bras. Il faillit perdre l'équilibre mais son cœur explosa de joie en retrouvant enfin son enfant. Elle sentait encore un peu le lait pour bébé qu'il utilisait pour nettoyer son visage et le shampooing à la noix de coco qu'elle adorait tant. Incapable de s'en empêcher, Jisung oublia un instant son retard monstrueux pour soulever la petite fille et la faire voleter dans ses bras en riant. Sa journée de travail à la faculté lui semblait bien loin, alors qu'elle ne datait que de quelques poignées de minutes.
« Ma chérie je suis désolé. » lança t-il en embrassant le front de sa fille tendrement. « Papa n'a pas vu le temps passer et il était déjà tard quand il a vu qu'il devait aller chercher sa princesse... »
« Je te pardonne si je peux regarder deux épisodes de Molang après avoir mangé. » s'exclama la fillette en faisant mine de tirer la langue à son père. Avant même qu'il ne puisse répondre, la voix de l'instituteur qu'il ne connaissait que trop bien, hélas, se fit entendre au bout du couloir.
« Ah Jisung, vous êtes là. » constata t-il en s'approchant du duo père-fille.
L'instituteur était un homme d'une trentaine d'années, les cheveux décolorés et un air constamment aimable peint sur le visage. Son sourire était très communicatif et il portait ce soir là ses vêtements de civils : sans le tablier jaune distinct qu'il portait dans l'école et la garderie, il semblait prêt lui aussi à rentrer chez lui. La culpabilité se mit à ronger la gorge de Jisung, non seulement il avait oublié de venir chercher sa fille à temps, mais en plus il avait empêché l'instituteur de retourner chez lui. A force d'être le parent retardataire par excellence, il avait finit par presque sympathiser avec le professeur de sa petite.
« Je suis sincèrement désolé Jeongin. » répondit Jisung en arrêtant de balader sa fille dans ses bras. Il reprit lorsqu'il vit l'instituteur attraper le sac à dos de la fillette pour le lui apporter. « ça ne se... »
« Reproduira plus. Je sais, vous me le dites à chaque fois. » l'interrompit le dénommé Jeongin en tendant le sac à dos de la demoiselle à celle-ci, fermement attachée à son père chéri. « Je ne dis pas ça pour vous blâmer, j'ai conscience que c'est difficile de devoir gérer tout ça. »
« Je sais, merci pour votre compréhension. » soupira le professeur d'anglais en détournant les yeux. Il avait honte de ne pas réussir à tout gérer, mais il faisait de son mieux. « Je vous retiens toujours le soir à cause de mes retards... »
« Soyez content que je sois de bonne disposition dans ce cas là. » répondit l'instituteur avec un sourire malicieux. « Allez, rentrez chez vous. Bonne soirée Soonyeon, à demain ! »
A l'entente de son prénom, Soonyeon eut un grand sourire et accepta le sac à dos de son instituteur. Remise sur pied, elle souhaitant une bonne soirée à « Professeur Yang » avant que son père et elle ne quittent l'établissement main dans la main. La température était étouffante, l'école et la garderie étaient climatisées et entrer dans la rue fut comme entrer dans un four. Devant eux, les gens essayaient de longer les murs pour rester à l'ombre ou faisaient la queue devant des marchands ambulants de glace ou de granité.
« Papa, je peux avoir une glace ? » demanda Soonyeon en tirant sur la main de son père pour attirer son attention.
« Il est déjà tard ma chérie, le temps de rentrer, de faire tes devoirs et ton bain il sera l'heure de manger. » répondit Jisung en esquissant un sourire. « Alors sois sage d'accord ? Tu auras deux épisodes de Molang. »
La petite ne fit pas sa difficile et Jisung remercia le ciel une énième fois qu'elle ai hérité autant du caractère de sa mère. Sans se lâcher, le père et la fille prirent de nouveau le métro ensemble pour prendre la ligne que le professeur avait emprunté quelques instants plus tôt. Il avait trouvé un appartement pile entre la faculté et l'école qu'il avait repéré avec Jeehee à la naissance de leur fille. A l'époque déjà, l'établissement avait une excellente réputation et ils voulaient tous les deux le meilleur pour le trésor de leur existence.
Les transports étaient toujours aussi bondés, mais le trajet fut rapide pour rejoindre leur petit foyer. Après le déplacement en métro, ils retrouvèrent la lourde chaleur de fin de journée en sortant de la station. Leur immeuble n'était pas le plus reluisant ni le plus moderne, mais il était propre et le concierge tenait un point d'honneur à récurer les parties communes à longueur de journée pour les occupants de la propriété. Après avoir ouvert la porte de l'immeuble avec un pass magnétique, Jisung apprécia l'odeur de propre qu'il y régnait avant de prendre l'ascenseur pour monter au second étage. Il laissa Soonyeon taper le code de leur appartement et ils poussèrent la porte afin de savourer la douceur du cocon familial.
L'entrée donnait d'un côté sur la salle de bain et la cuisine, et de l'autre aux deux chambres. Tout au fond, l'accès à la pièce à vivre donnait vue sur la cour intérieure du parc immobilier dans lequel ils habitaient. Le silence était presque cotonneux, brisé que par le bruit du père et de la fille enlevant leurs chaussures pour les ranger proprement dans le meuble de l'entrée. Après qu'ils se soient lavés les mains dans la salle de bain, Soonyeon prit son sac à dos sagement et annonça qu'elle allait faire ses devoirs dans sa chambre. Jisung la laissa s'éclipser donc avant de filer à son tour dans sa propre chambre.
La pièce sentait un peu le renfermé, aussi il prit le temps d'ouvrir la fenêtre avant toute chose. Il déposa sa sacoche de travail sur son bureau, à côté de son ordinateur portable et de sa guitare, avant de se tourner vers son lit. Comme d'habitude, un seul côté était défait. Celui loin de la porte. Jeehee détestait être du côté de la fenêtre, elle craignait toujours d'attraper froid lorsqu'il la laissait ouverte l'été.
Sans porter attention aux tableaux peints par Jeehee accrochés aux murs, Jisung ramassa ses affaires sales qui traînaient un peu partout dans sa chambre. Il en profita pour enlever sa tenue du jour pour la laver elle aussi, enfilant un tee-shirt et un pantalon de jogging pour être plus à l'aise en attendant de faire sa douche. Sans plus attendre, il se permit de faire un tour dans la chambre de sa fille pour vider sa bannette de linge sale afin de faire une tournée de lessive.
Lorsqu'il poussa sa porte de la chambre de Soonyeon, celle-ci était sagement penchée sur son bureau, les pieds touchant à peine le sol, concentrée sur ses exercices du jour. Elle aussi avait décidé de troqué sa robe que Jisung lui avait préparé le matin même pour enfiler un débardeur à bretelles avec un short, pour être plus à l'aise. Sans un bruit, il contourna le petit lit dont la parure était à l'effigie de Pororo pour entrouvrir la fenêtre ici aussi. Les murs étaient recouverts de dessins d'enfant en tout genre, et d'innombrables photos d'elle et de son père arrangées dans un cœur géant au dessus du lit, à côté de ses étoiles en plastique fluorescentes pour qu'elle s'endorme la nuit. Sans plus s'attarder, Jisung fila hors de la chambre pour laisser sa petite travailler.
Dans la salle de bain, il mit le linge sale dans la machine à laver, dosa sa lessive et lança l'appareil avant de filer dans le salon. Ouvert sur un balcon minuscule, il jeta un coup d'œil au bazar qu'il avait laissé s'accumuler sur la table de la petite salle à manger. Il rangea la boite de crayons de couleurs de Soonyeon, les feuilles volantes ainsi que les ciseaux à bout rond dans les casiers qu'il avait installé exprès pour elle dans la pièce à vivre. Après avoir allumé la télévision, il replia le seul tapis de la pièce et passa un coup de balai pour enlever les poussières accumulées ces derniers jours. Courageux, mais pas téméraire, il abandonna l'idée de pousser le canapé d'angle pour nettoyer en dessous et jeta son dévolu sur le yucca en fin de vie pour se décider à l'arroser en priant que la plante survive.
Il continua de ranger l'appartement avant de déclarer forfait et de se consacrer à la confection du repas du soir. La cuisine était petite, mais largement suffisante pour eux. Jisung ignora le grincement de la porte du réfrigérateur lorsqu'il en sortit deux blancs de poulet ainsi que ses condiments. Écoutant les informations d'une oreille distraite, il prépara son dîner du mieux qu'il pu. Il fit dégeler des légumes tout prêt en guise d'accompagnement et fit cuire sa viande au four en papillote.
« Papa, j'ai fini !! » lança la voix claire de Soonyeon depuis sa chambre. Habitué, Jisung abandonna un temps sa cuisine pour aller dans la salle de bain, alors que la petite sortait elle de sa chambre avec son pyjama dans les bras.
« Tu n'as pas eu de mal avec tes devoirs ? » demanda alors le professeur d'anglais, suivi par sa petite jusque dans la salle d'eau. Cette dernière posa ses affaires pendant que Jisung commençait à faire couler de l'eau dans la petite baignoire qu'ils avaient dans l'appartement tout en vérifiant la température.
« Non ça va, Professeur Yang nous a tout bien expliqué avant de finir la classe. » répondit-elle tout en attrapant son marche-pied pour se mettre à hauteur au niveau du lavabo. « Il est gentil mais parfois il fait des gros yeux, j'aimerais prendre des photos à chaque fois pour que tu vois sa tête c'est trop marrant. »
Attendri, Jisung observa Soonyeon attraper le lait nettoyant et un pavé de coton pour se nettoyer le visage. Elle ne demanda pas son aide, malgré le mal évident qu'elle eu à ouvrir le flacon elle même. Mais la fillette était déterminée, et elle réussit à mettre assez de produit sur son coton pour se nettoyer le visage. Pendant ce temps, Jisung se glissa derrière elle et défit avec délicatesse les rubans qu'elle avait dans ses cheveux.
« Et avec Yesung, comment ça se passe ? » demanda t-il en observant sa fille rougir jusqu'aux oreilles à l'évocation du nom de son « amoureux ». A six ans, Soonyeon était une des plus jolies fillettes de sa classe et Jisung avait envie de mettre sa précieuse princesse loin de ces petits garçons trop curieux.
« Papa ! » s'exclama t-elle d'un air outré, la bouche grande ouverte alors que ses longs cheveux tombaient mollement sur ses épaules jusqu'en bas de son dos. « Yesung, et bah il m'a dit vouloir m'offrir des bonbons demain, alors j'attends. »
« Waoh, quel gentleman ! » répondit Jisung en attrapant la brosse à cheveux sur le comptoir pour démêler les cheveux de Soonyeon. « J'espère que tu en feras profiter des copines s'il en rapporte beaucoup. »
« Je voulais plutôt t'en ramener, t'en manges jamais toi. » reprit la fillette avant de se débarbouiller les yeux et les lèvres frénétiquement.
« Si Yesung accepte de m'offrir des bonbons je serais peut être assez curieux pour le rencontrer un jour, qui sait ? »
Une fois le visage nettoyé, Soonyeon tira la langue à son père via le miroir de la salle de bain et ce dernier se mit à rire. Après avoir démêlé les cheveux de sa fille, le professeur s'éclipsa pour laisser sa petite se laver seule, laissant juste la porte entrouverte pour surveiller tout de même au cas où.
C'était un quotidien dont Jisung ne se lassait jamais. Il aimait sa fille plus que tout au monde, elle était sa raison de vivre et d'avancer dans la vie. Privé de la présence de Jeehee depuis presque cinq ans, sa fille l'aidait à tenir le cap et à ne pas flancher. Son cœur était lourd, mais il préférait ignorer cette sensation et laisser sa tête s'emplir de l'air enjoué de son enfant en retournant préparer le repas du soir.
Soonyeon sortit de la salle de bain une demi-heure plus tard, les cheveux encore un peu trop humides et le pyjama boutonné maladroitement. Jisung retourna dans la salle de bain pour finir de sécher les cheveux de sa fille et l'aida à remettre son haut correctement avant de servir le repas dans leur petite salle à manger. Il dégustèrent leur dîner devant une émission musicale, tout en parlant de leurs journées respectives. En réalité, c'était surtout Jisung qui écoutait sa petite. Elle avait toujours des milliers de choses à expliquer et attendri comme il l'était, le professeur ne pouvait qu'écouter la douce enfant tout au long de ses explications.
Alors qu'il s'occupait de sa vaisselle, Soonyeon fila se laver les dents dans la salle de bain. Jisung se sentait fatigué, lorsqu'il n'était pas plongé dans son travail ou accompagné de sa fille, son esprit trouvait toujours le moyen de vagabonder et de ressasser des choses qui l'épuisait. Même s'il faisait de son mieux pour ne pas être emporté par l'envie pressante d'être tranquille, sa situation le remettait constamment en question. Seul, à vivre avec sa fille unique dans un appartement qu'il peinait à tenir pour deux. Il avait à peine dix ans d'expérience dans son travail et devait faire des efforts jour après jour pour se tenir à flots vis à vis de ses élèves. Au milieu de tout ça, Jisung n'avait pas une seul seconde à se consacrer.
Une fois la petite entièrement propre, elle s'installa dans le salon avec une peluche de chat qu'elle affectionnait beaucoup. A défaut d'en avoir un vrai, ce qui représentait trop de tâche aux yeux de Jisung et qui lui préférait les chiens, Soonyeon se contentait de son ami en peluche blanc et roux qui répondait au nom de Soonie. Comme promis, Jisung lui programma deux épisodes de Molang le temps que lui même fasse sa douche. Fatigué et sale, il se permit de rester quelques minutes de plus sous le jet d'eau pour se relaxer. Sans aller jusqu'à dire que sa vie était difficile, elle était bien remplie. Tout passait trop vite, que ça soit les journées du quotidien comme les dates anniversaires, et le professeur espérait trouver un instant de répit dans ce rythme effréné.
Après s'être séché, il prit le temps de s'installer dans le salon avec Soonyeon. Le professeur s'allongea sur le divan du canapé, un bras paresseusement posé au dessus de sa tête. Presque aussitôt, sa fille s'approcha de lui pour s'enrouler contre son flanc, malgré la chaleur ambiante et la peau encore moite de son père après une bonne douche.
« Tu n'es pas fatiguée princesse ? » demanda t-il d'une voix basse en passant sa main dans les cheveux de Soonyeon par réflexe.
« Un peu, mais je veux finir mon épisode. » murmura t-elle en posant sa tête sur son torse pour s'installer.
Ils restèrent ainsi tous les deux devant le dessin animé qu'avait programmé Jisung avant que le générique de fin de se mette à défiler. Alors qu'il allait proposer à Soonyeon de se coucher, il se rendit compte que celle-ci s'était profondément endormie tout contre lui en l'espace d'un instant. Le cœur gonflé d'amour, le père déploya toute la douceur qu'il avait pour réussir à se dégager de l'étreinte de la petite fille avant de la porter dans sa chambre pour la mettre au lit. Sans allumer les lumières, il se débrouilla maladroitement pour ouvrir les couvertures et y glisser Soonyeon. Après avoir fermé les volets, il embrassa le front de sa fille et laissa la porte entrouverte, encore une fois, au cas où.
Le professeur ferma toutes les lumières de l'appartement avant d'aller dans sa chambre. Malgré la fatigue, il prit le temps de corriger plusieurs copies sur son bureau avant de daigner s'accorder un peu de repos en allant sur son ordinateur. Il aurait aimé trouver du temps pour regarder un film ou jouer à un jeu vidéo avec son frère, qui excellait dans la discipline. Mais il ne pouvait décemment pas s'y consacrer. Il avait des responsabilités.
Devoir gérer un appartement demandait du temps, être parent encore plus. Jisung devait travailler pour lui, pour sa fille, pour lui assurer un avenir plaisant. Sa paye de professeur d'université lui permettait de recouvrir le prêt à la banque pour l'achat de ce logement. Vu sa situation, la banque avait accepté tout de même qu'il étende son prêt afin d'acheter tout de même l'appartement même s'il était désormais seul. Il pouvait aussi payer l'école qu'il voulait pour Soonyeon, mais allait devoir probablement faire des concessions dans les années à venir s'il voulait concilier ses dépenses pour eux comme pour elle.
Après s'être rendu compte qu'il fixait l'écran de son ordinateur depuis de longues minutes, Jisung céda et finit par s'enfoncer dans les couvertures de son lit. Malgré la chaleur ambiante, il trouvait que les draps contre sa peau étaient absolument glacés. C'était difficile de tout assumer seul. Bien entendu il en avait déjà parlé à Yongbok, mais c'était dur d'admettre qu'il ne pouvait pas tout faire seul. Son frère lui avait déjà évoqué la possibilité de faire habiter Soonyeon chez leurs parents, le temps de quelques jours de vacances pour que Jisung puisse souffler. Mais le père avait toujours eu la sensation qu'il abandonnait sa fille à ces occasions. Au lieu de déléguer son rôle à ses propres parents, il préférait assumer entièrement la responsabilité de son enfant.
« Tu as le droit au bonheur Jisung, arrête de te brider dans ce rôle de père. Tu es une personne et un homme avant tout, et comme tout à chacun, tu as le droit d'avancer et de vivre autre chose. »
En pensant à la mine inquiète de son frère jumeau le jour où il avait prononcé cette phrase, Jisung sentit sa poitrine s'alourdir. Les yeux légèrement humides, il préféra prendre une grande inspiration pour ne pas céder et sangloter. Ça lui arrivait hélas trop souvent à son goût. Il était un trentenaire responsable et sérieux. Il n'avait pas besoin du reste : Soonyeon suffisait largement à son bonheur.
Dans la pénombre, il tourna la tête et contempla la taie d'oreiller vierge de toute marque depuis des années. Jeehee dormait toujours le dos tourné vers lui pour dormir, mais au petit matin il ouvrait toujours les yeux sur son doux visage. Par réflexe, Jisung tira sur les draps pour s'enrouler dedans et soupira. Ce n'était rien, à ses yeux il n'y avait rien de grave. L'épuisement eu bientôt raison de son esprit et de son corps car le père finit par s'endormir rapidement dans un sommeil profond et sans rêve.
Pour recommencer le lendemain encore. Encore.
Et encore.
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