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Deuxième mouvement

Février 2022, Pékin (Chine)

24e Jeux Olympiques d'Hiver

Je suis accueilli à l'aéroport par les photographes. Mes lunettes de soleil et ma casquette n'ont servi à rien et je crois qu'il était naïf de ma part d'imaginer atterrir en toute discrétion. J'étais attendu de pied ferme depuis plusieurs heures et je dois maintenant donner le change. Au milieu des crépitements des flashs, je suis submergé.

Un sourire vissé sur les lèvres, je m'arrête quelques instants pour poser face aux appareils photos. Je dois avoir un teint abominable après ces 10 heures de vol, mais il est trop tard pour me refaire une beauté. On n'a signalé à l'atterrissage la présence de quelques photographes, cependant j'ignorais qu'ils seraient si nombreux. J'imaginais qu'au milieu de toutes les arrivées, je pourrais passer entre les mailles du filet. J'ai bien fait de conseiller à Min-Jae de rester avec les autres membres de la fédération. Nous nous retrouverons plus tard.

Je salue de la main les quelques fans que je reconnais à leurs téléphones portables, à côté du lourd matériel des professionnels. Sur les conseils du manager, je poursuis mon chemin jusqu'à la voiture salutaire, à quelques mètres de là. Mon garde du corps me dégage le passage, repoussant un paparazzi un peu trop téméraire.

Très vite, je me retrouve à l'abri derrière les vitres teintées. Je respire.

J'ai beau être habitué, je préfère lorsque les événements sont prévus à l'avance et que tout est parfaitement organisé. Millimétré. Je tiens à contrôler mon image, puisque c'est devenu mon fond de commerce.

Je n'avais pas prévu de faire du mannequinat, et encore moins d'y gagner une notoriété internationale. Lorsqu'on est venu me chercher avec un contrat pour une marque sportive après ma victoire aux championnats du monde, j'ai accepté sous les conseils de mon agent. Avait-il pressenti l'immense réussite de cette campagne de communication ? Si j'avais su ce que cela impliquait, notamment pour ma vie privée, j'aurais refusé.

Les contrats se sont enchaînés à toute vitesse et aujourd'hui, on me retrouve dans les pages des magazines de mode, sur les affiches dans le métro et dans les rues du monde entier. Mes cheveux blonds, mes yeux bleus, mes airs vaguement androgynes et ma musculature de sportif, tout cela est particulièrement vendeur. Vêtements, parfums, baskets, montres... Je vends le luxe à la française. Je suis sûr que la plupart des personnes qui connaissent mon visage ignorent totalement que je suis sportif de haut niveau.

Il y a des pays où je suis plus populaire que d'autres. Heureusement, ce n'est pas en France que j'ai le plus de succès. Par contre, je fais fureur en Europe de l'Est, surtout en Russie et – comme nous passions un an à l'université de Séoul à l'époque où j'ai commencé – en Corée du Sud. Ma pratique du coréen s'est d'ailleurs beaucoup améliorée, même s'il paraît que mon accent reste « adorable ». Je crois que c'est une manière polie de me signifier qu'il est abominable.

Je tente de rester détaché face à l'agitation autour de moi. Je sais pertinemment qu'elle ne durera pas. Encore un ou deux ans, tout au plus. Nous verrons. Peut-être que je me trompe ? Peut-être qu'au contraire, ma popularité va grimper en flèche après les Jeux. Ou peut-être vais-je échouer dès les premières épreuves ? Je n'aurais alors plus qu'à prendre un billet de retour pour la France et tirer un trait sur mes projets.

Mon taxi me mène droit vers l'hôtel de la délégation française. Les yeux dans le vague, j'imagine déjà la suite. Tout est méticuleusement préparé. Ou presque. Tout ce qui me reste à faire, c'est remporter l'or. En espérant que cette fois, je ne me défile pas.

***

Je suis sorti de l'avion bien après Galahad. En voyant les photographes, je comprends que j'ai fait le bon choix. Je l'imagine ébloui par les flashs, tentant de se frayer un chemin jusqu'à sa voiture. Il devait avoir un grand sourire scotché sur les lèvres, malgré la surprise et le malaise. Il est doué pour ça. La prestation publique, la représentation, les photos.

Au milieu des autres sportifs français et du staff, je passe totalement inaperçu. Quelques flashs fusent, mais ils ne sont pas pour moi. Ils sont pour les collègues de Galahad. Je suppose que les photographes préfèrent avoir quelques clichés en réserve, au cas où l'un d'entre eux se démarquerait pendant les Jeux. Galahad fait partie des favoris, mais un rien peut bousculer l'intégralité du classement. Une erreur, une chute, une blessure. Dans le sport, rien n'est jamais joué d'avance. Il n'y a que la prestation sur la glace qui compte. Pas le nombre de journalistes qu'on a aux trousses. Enfin, c'est ce qu'on dit. J'ai arrêté de croire en l'impartialité des compétitions quand on m'a fait comprendre que le coming-out de Galahad briserait sa carrière naissante.

C'est la raison pour laquelle je ne suis pas avec lui. Je monte dans une autre voiture, avec d'autres sportifs. Au milieu d'eux, je peux être n'importe qui : un assistant, un ami, un manager. Alors que je suis un conjoint. L'un de ceux qu'on ne veut pas voir sur les photos. Il y a suffisamment de rumeurs. Et pour cause, Galahad a toujours refusé de s'afficher avec une femme. Ce n'est pas dans son contrat, on ne pouvait pas l'y obliger. Il ne m'en a pas parlé directement, mais j'ai surpris des conversations. Je ne l'ai pas confronté sur ce sujet. Après tout, il a refusé. Que puis-je lui reprocher ? Sinon sa brillante carrière et sa collection de médailles.

Je plaisante avec ses collègues patineurs. On se connaît bien, à force. J'aime beaucoup Emilie, la championne de France. Elle a 18 ans et transpire de grâce. Elle est forte, elle travaille beaucoup. Elle a aussi un humour piquant et sévère. Je pense qu'elle ira loin, même si ces JO ne seront vraisemblablement pas les siens. Elle a encore de longues années de carrière devant elle.

Je ne peux m'empêcher de penser à Galahad. Où est-il ? Que fait-il ? Avec qui ? M'attend-il à l'hôtel ? Est-il en conférence de presse ou donne-t-il je-ne-sais-quelle interview ? Encore une fois, je me surprends à en vouloir à sa célébrité. Alors que c'est moi qui lui ai appris à poser. C'est pour moi qu'il a accepté l'appareil photo. C'est avec moi qu'il s'est entraîné, qu'il a pris ses premières poses. C'est moi qui l'ai poussé à relever les yeux, ses yeux si clairs qui captent instantanément l'objectif et font le bonheur de tous les photographes. Quand il était pris de panique avant les shooting, c'est moi qui l'ai rassuré, qui lui ai redonné confiance. Je l'ai soutenu, comme je devais le faire. Avec tout mon amour, toute ma sincérité. Je voulais qu'il réussisse, parce que ça le rendait heureux.

En même temps, j'adore le voir dans les magazines. J'aime l'accompagner sur ses shootings, je peux y rencontrer des photographes que j'admire, apprendre de nouvelles techniques. Et surtout, j'adore le voir poser pour moi. Je dois avoir des milliers de photos de lui, sous tous les angles, dans toutes les poses. J'ai immortalisé le moindre de ses grains de beauté, la plus petite de ses cicatrices.

Un jour, je ferai une exposition avec ces images.

***

Je tourne en rond dans ma chambre d'hôtel. Je regarde mon téléphone toutes les trente secondes, mais je ne capte pas de réseau ici. J'ai commandé une carte SIM chinoise, mais je ne l'aurai pas avant demain. De toute manière, Min-Jae n'en a pas non plus. Il est hors ligne sur Messenger, peut-être n'a-t-il pas encore trouvé de clé Wi-Fi ? Je suis un peu inquiet.

Quelqu'un frappe à la porte. Je tente de retrouver un visage neutre avant d'ouvrir.

C'est lui. Je soupire de soulagement, me retiens de me jeter à son cou. Min-Jae entre en soupirant, traînant sa valise derrière lui. Il dépose un baiser rapide sur mes lèvres avant de commencer à s'installer.

— Ça a été la descente de l'avion ? me demande-t-il en défaisant sommairement sa valise.

— Beaucoup de photographes, mais on est vite partis.

— Il en restait encore pas mal quand on est passé avec les autres.

— Désolé.

Je déteste être épié de cette manière, encore plus quand ça a un impact direct sur Min-Jae et notre vie de couple. Et je m'en veux encore plus de ne pas assumer publiquement être avec lui. Cette dernière année a été particulièrement difficile, avec notre retour en France et surtout l'explosion de ma notoriété. J'ai hâte que ce soit terminé. Voilà des mois que je m'imagine mille et un scénarios de coming-out, pour en finir avec ce secret. Je pense avoir trouvé l'occasion idéale, l'avenir me dira si j'ai eu raison.

Mon compagnon s'approche doucement, pose sa main sur mon épaule.

— Galahad... Regarde-toi, tu es tout tendu. Je t'ai pas vu aussi stressé depuis des années.

Il m'attire contre lui. Ses bras se referment autour de moi, je soupire de soulagement. Je ferme les yeux, me laisse envelopper par son odeur et sa tendresse. Il me rassure.

— Faut que tu te détendes, sinon tu passeras pas le court.

Les Jeux. Je dois absolument les gagner. Je veux gagner, je suis venu pour ça. C'est la première étape de mon scénario.

— Dis-toi que c'est comme n'importe quelle compétition. Tu as gagné le championnat du monde l'an dernier, faut que tu te dises que c'est la même chose. Avec un peu plus de caméras.

Il n'a pas tort, mais il se trompe sur une chose : ce ne sont pas les Jeux Olympiques qui me font perdre mes moyens. Mais plutôt ce que j'ai prévu de faire à la fin. Personne n'est au courant, ni André, ni mon agent. Je crois que Min-Jae s'en doute, je ne suis pas très doué pour lui cacher des choses. Mais a priori, ce sera la surprise pour le monde entier. En commençant par moi. Je suis à la fois terrorisé et excité.

Je vais gagner les JO. Et dans la foulée, je ferai le coming-out le plus mémorable de l'année.

***

Je ne pensais pas que j'apprécierais autant les Jeux Olympiques. Je n'ai jamais été du genre à suivre les JO à la télé et si je n'avais pas été invité, je n'aurais clairement pas dépensé de l'argent pour venir ici. Pourtant, je me surprends à suivre la compétition avec plaisir, et pas seulement les qualifications de Galahad. Avec Justine, la compagne d'un autre sportif, on se retrouve tous les jours pour assister à différentes épreuves. Snowboard, patinage de vitesse et même curling, c'est l'occasion ou jamais !

De son côté, Galahad est complètement monopolisé par les entraînements et lorsqu'il a droit à du repos, il en profite pour recharger ses batteries. C'est mieux si je ne traîne pas dans ses pattes. En plus, il est tellement stressé que je préfère prendre un peu de distance.

Aujourd'hui, c'est hockey sur glace pour les équipes féminines. On se pose dans les gradins avec Justine, tout en haut avec nos mugs de café en carton. Il fait froid dans le gymnase, je me suis emmitouflé dans mon écharpe de supporter bleu-blanc-rouge.

— Tu connais les règles ? me demande ma nouvelle amie.

— Absolument pas, j'admets en haussant les épaules.

C'est la Suède contre les Etats-Unis. Demie-finale.

— Je suis pour la Suède, déclare Justine.

— Comme toi.

Le match commence, on se concentre pour essayer de capter les règles de base. Justine a sorti son téléphone pour nous aider. Comme on peut s'en douter, il faut marquer avec le palet entre deux poteaux. 6 joueuses par équipe.

Le temps passe, la Suède domine le jeu. On a choisi le bon camp. Au bout d'un moment, on se lasse du match. Trop de règles, c'est difficile de suivre.

— Ça a été hier soir avec Galahad ? Ça semblait tendu entre vous.

— Un peu, on a pas vraiment parlé. On s'est couchés tôt, vu qu'il avait son dernier entraînement ce matin avec l'équipe.

Le programme court a lieu demain.

— J'ai hâte que ce soit terminé. Il est vraiment super stressé et comme d'habitude il refuse d'en parler.

— Il est toujours comme ça avant un championnat ? me demande Justine avec compassion.

— Oui, il est pas du genre chill comme ton mec. Mais c'est quand même pire que d'habitude.

— C'est les JO, c'est normal qu'il y ait plus de pression. En plus, tout le monde s'attend à ce qu'il finisse sur le podium, ça doit pas aider à garder son calme.

— Je sais bien.

C'est bien pour ça que je ne lui en tiens pas rigueur. J'espère simplement qu'une fois le court passé, il relâchera un peu la pression.

— Et David, ça va ?

— Il est calme. Toujours très concentré. Pareil, il ne communique pas beaucoup.

— Ça ne t'énerve pas, toi ?

— Ça dépend des moments, admet Justine. Je sais que la situation est exceptionnelle. Normalement, ce sont ses derniers Jeux. Garde-le pour toi, mais il pense prendre sa retraite. Pas forcément cette année, mais d'ici deux ou trois ans.

J'acquiesce en silence. David est passé pro à 18 ans et il va sur ses 29 ans, je peux comprendre qu'il commence à fatiguer.

— Je me demandais... commence Justine d'une voix hésitante. Dis-moi si c'est trop personnel, mais ça te fait pas un peu bizarre de... enfin de rester caché comme ça ?

Je détourne le regard, faisant mine de regarder le match.

— Plus que « bizarre », je dirai que c'est usant. Surtout maintenant que, tu sais, il est mannequin, on le suit partout, tout ça. Depuis qu'on le reconnaît dans la rue, il veut plus qu'on se tienne la main, ce genre de choses.

— Avant, c'était pas comme ça ?

— Non, il y a eu une longue période où, même s'il gagnait des compétitions, il n'était pas connu du grand public et n'intéressait pas les journalistes. On pouvait vivre tranquillement et il n'y avait que pendant les compétitions qu'on devait agir comme des amis.

— Je suis désolée.

— T'as pas à l'être, c'est pas de ta faute. C'est comme ça. Il paraît que c'est mieux pour sa carrière.

Les souvenirs de « l'avant » affluent. J'aime Galahad de tout mon cœur et je le soutiens dans sa carrière de patineur, mais notre vie d'avant me manque. Même si Galahad n'a jamais été très démonstratif en public, j'ai le sentiment d'être retourné au placard à cause de sa notoriété.

— Tu étais en école d'ingénieur avec lui, c'est ça ? Vous vous êtes rencontrés là-bas ? me relance Justine.

— Oui, à Centrale. Mais on s'est rencontrés en prépa. C'était un petit con bourgeois à l'époque.

— Parce qu'il ne l'est plus ? plaisante la jeune femme.

Je ris avec elle.

— Bourgeois, toujours. Par contre il est un peu moins con, sinon je serai pas resté avec lui.

— Il était con, genre comment ?

— Genre homophobe et raciste, majoritairement, expliqué-je en grimaçant. Il était pas aidé par ses parents, à sa décharge. Je l'ai pas mal aidé à grandir dans sa tête.

— Tu me fais marcher !

Comme à chaque fois que je parle de Galahad à l'époque de la prépa, on a du mal à me croire. Je préfère le prendre de façon positive. Ça veut dire qu'il a suffisamment changé pour qu'il soit difficile d'imaginer l'adolescent qu'il était.

— C'était vraiment un connard, il m'en a fait voir de toutes les couleurs. Mais comme il était riche et mignon, je lui pardonnais.

— Tu devais surtout être très amoureux.

Je rougis. Oui, j'étais très amoureux de Galahad. Trop pour mon propre bien. Je lui pardonnais tout à cette époque.

— C'est quand ses parents ont découvert notre relation que tout a changé. À ce moment-là, il a vécu l'homophobie et le rejet. Pour la première fois de sa vie, il a perdu son petit statut de privilégié. Ça a été une belle tarte dans sa gueule. Après ça, il a vraiment commencé à changer.

— Et toi ? m'interroge Justine en me poussant le coude.

— Quoi, moi ?

— Je t'ai raconté toute ma vie et quand je te pose des questions sur toi, tu fais que parler de Galahad. Tu fais quoi dans la vie, par exemple ? Quand tu n'es ni au taff, ni sur les bancs des patinoires ?

Je suis un peu gêné. Je n'ai pas l'impression d'être très intéressant.

— Contrairement à Galahad, je milite beaucoup. Je fais partie de plusieurs associations LGBT. J'organise des ateliers de sensibilisation aux LGBTphobies dans les lycées et dans les facs. En ce moment, je travaille aussi sur une campagne de prévention pour l'Éducation Nationale, avec plusieurs assos.

— C'est super ça, c'est important. J'imagine que du fond de son placard, Galahad ne te vole pas la vedette, plaisante Justine.

— Il me soutient de loin. Et il fait des chèques quand je lui demande, ajouté-je avec un petit rire.

Justine ouvre la bouche, l'air outrée. Je hausse les épaules.

— Il sait même plus quoi faire de sa thune, je te jure.

— Je veux bien te croire. J'ai l'impression de voir sa tête partout en ce moment. Je ne peux qu'imaginer le fric que ça rapporte.

Tellement que c'est indécent. Je décide de changer de sujet.

— Tu sais que c'est moi qui lui ai appris à poser ?

— Non, sérieux ?

— Je fais pas mal de photo. Forcément, c'est mon premier modèle.

— Super, faudra que tu me montres à l'occasion. Tu exposes de temps en temps ?

Je secoue la tête négativement.

— Je dépanne surtout des proches ou des assos. J'ai jamais vraiment pris le temps de me concentrer sur des projets perso. Des projets autres que « mon mec à poil sous tous les angles », avoué-je en ricanant.

— Tu devrais t'autoriser à avoir tes propres projets, tu sais. Sans Galahad. Ça te ferait du bien.

J'acquiesce en silence. Peut-être un jour. Si j'ai le temps. Après mes études.

***

Min-Jae FaceTime avec son père, il s'est isolé dans la salle de bain pour être tranquille. De mon côté dans la chambre, je tourne en rond comme un lion en cage. Je passe la première épreuve demain et je me questionne encore sur mon programme. Est-ce que je le maîtrise réellement ? Est-ce qu'il sera apprécié par les jurés ? Est-ce qu'il est pertinent de le modifier la veille ? André m'a interdit d'y toucher, mais je ne peux m'empêcher d'envisager des changements. J'aurais peut-être dû rester réviser encore un peu au lieu de rentrer.

Je tente de regarder la télé, mais les émissions chinoises ne me paraissent guère attractives, outre le fait qu'elles soient en mandarin. Il n'y a pas Netflix ici, mais je crois que Min-Jae a pensé à télécharger quelques films avant de partir. Alors que je m'installe dans le lit avec l'ordinateur, Min-Jae réapparaît et ne se fait pas prier pour me rejoindre sous la couette.

Comme souvent, sa présence me rassure et je pose ma tête sur son épaule. Il masse doucement le haut de mon crâne, ça me détend. J'ai de la chance d'avoir un homme comme lui, aussi tendre et attentionné. J'ignore si je suis réellement à la hauteur. J'essaye de le croire quand il m'assure que je suis la personne idéale pour lui. Je profite du générique pour l'embrasser. Ses lèvres sont douces. Cependant le film commence, je m'installe plus confortablement dans les coussins et me détourne de Min-Jae.

Nous ne sommes même pas arrivés à la vingtième minute que je sens déjà Min-Jae m'embrasser dans le cou. Il remonte sur mon oreille, son souffle me fait frissonner. Je le repousse doucement et m'avance vers l'ordinateur pour mettre la vidéo en pause.

— Tu trouves le film si naze que ça ?

— Je sais pas. T'es trop beau, ça me déconcentre.

Je laisse échapper un petit rire, il a cet air adorable qui donne envie de lui faire des câlins. Je retourne dans ses bras avec un soupir de contentement. Après tout, peut-être que ça me détendra ? Il m'embrasse longuement, ses mains se faufilent sous mon t-shirt. Est-ce réellement une bonne idée ? J'ai une épreuve importante demain. J'essaye de penser à autre chose, de me laisser aller, mais ses baisers me chatouillent, comme à chaque fois que je suis trop stressé. Il s'arrête presque immédiatement.

— Ça va pas ? J'ai fait quelque chose qu'il fallait pas ?

— Si, t'inquiètes pas. C'est pas toi, c'est juste que... trop de pression, je crois.

— Ok, tu préfères que je te laisse tranquille ? Je peux aller faire un tour et revenir plus tard, propose-t-il spontanément.

Je souris, il est si prévenant.

— Non, reste avec moi. Enfin, si tu veux bien d'une boule de nerfs.

— Ma p'tite boule de nerfs chérie... minaude-t-il en chatouillant mes joues.

Je fais mine d'être vexé, mais me blottis malgré tout contre lui. Le silence est apaisant, bien plus que le navet que nous regardions. J'essaye de me concentrer pour caler ma respiration sur celle de Min-Jae, calme et profonde. Ses caresses dans mes cheveux me donneraient presque envie de ronronner.

— J'ai eu mon père tout à l'heure, finit-il par déclarer sans cesser ses caresses.

— J'ai entendu de loin. Il va bien ?

— Oui, on est invités à l'anniversaire de ma grand-mère.

J'ai un doute sur l'identité de la grand-mère.

— Celle en France ?

— Oui, c'est fin mars. Je te redirai.

Je hoche la tête. J'aime bien sa grand-mère maternelle, elle est toute petite et très expansive. Elle m'adore.

— Ton père va bien ?

— Il a l'air. Il était sur un gros projet au taff et apparemment ça s'est bien terminé. Il espère une promotion, on verra ce que ça donne.

— J'espère qu'il l'aura.

Je l'écoute me donner des nouvelles de sa famille. Même s'il ne rend pas visite à son père très souvent, il l'appelle au moins une fois par semaine. Ils n'ont jamais des discussions très profondes selon Min-Jae, mais ça lui fait toujours plaisir de parler travail avec son père. Il lui raconte aussi en détail ses activités militantes.

De mon côté, j'entretiens une relation polie avec mon beau-père. Nous n'avons pas beaucoup de points communs, mais je crois qu'il m'aime bien. Moi aussi, je l'apprécie pour son calme et son ouverture d'esprit. Il m'a accueilli dans sa famille avec respect et dépasse donc largement mes propres parents.

— Tu m'écoutes pas ? s'indigne mon compagnon en remarquant mon regard lointain.

— Bien sûr que si, je peux faire deux choses à la fois. T'écouter et réfléchir.

Il a l'air un peu sceptique, mais plus amusé que vexé.

— Tu parlais de ta petite cousine qui est bien partie pour rater son bac.

Mais je n'ai pas droit à la suite, puisque Min-Jae se penche sur moi pour me donner un long baiser qui me fait totalement oublier les histoires de ma belle-famille.

— Je t'aime, me répète-t-il en me regardant droit dans les yeux.

Moi aussi, je l'aime.

Nos membres s'emmêlent, il rabat la couette sur nous. Son corps est chaud contre moi, je me sens comme dans un cocon. En sécurité.

***

C'était la première fois qu'ils se revoyaient depuis la fin de leur première année de prépa. Depuis ce jour où ils étaient sortis du lycée sans se dire au revoir, sans même oser se regarder dans les yeux. Min-Jae se souvenait encore précisément de ce moment où il avait regardé Galahad s'éloigner et disparaître derrière le Panthéon. Galahad se souvenait surtout des larmes qu'il avait versé alors qu'il descendait la rue de Soufflot. À ce moment-là, ils n'imaginaient pas avoir l'occasion de se revoir un jour.

Min-Jae avait supprimé Galahad de ses amis Facebook, effacé son numéro, supprimé les mails et les archives de conversation SMS. La seule chose qu'il avait gardé, c'était l'écharpe rose que Galahad lui avait offert à Noël, quelques jours avant leur premier baiser. De son côté, Galahad avait conservé jusqu'au plus petit post-it échangé, avait tout rassemblé dans une boîte de puzzle et l'avait cachée en haut de son placard, sous les vêtements de ski.

Le jour de cette fameuse rentrée, à Centrale Paris, ils se sont immédiatement repérés. Min-Jae avait les cheveux verts à cette époque. Galahad s'est rappelé du jour où Min-Jae avait débarqué avec les cheveux teints en rose, le même jour où Harry s'était rasé la tête. La prépa. Un coup de poing dans le ventre. Et tous les souvenirs qui remontaient par pack de douze. Les émotions aussi. Galahad pensait être passé à autre chose, mais il a vite compris qu'il se trompait. C'était comme si c'était hier.

Min-Jae était surpris de retrouver Galahad. En première année, Galahad annonçait à qui voulait l'entendre qu'il ferait soit l'X, soit l'ENS. Visiblement, il n'avait pas réussi ses oraux. Et quelque chose l'avait empêché de redoubler pour obtenir un meilleur classement. C'était étrange de le revoir, après tout ce temps. Un an déjà. Un peu plus d'un an. Quatorze mois. Il se retrouvait face à ce garçon qu'il avait aimé et pour lequel il se surprenait à éprouver une tendresse vaguement triste. La colère s'était éteinte avec ses sentiments amoureux.

Il s'est passé un mois avant qu'il y ait de véritable interaction entre eux. Un mois durant lequel ils se sont observés. Sans savoir s'ils devaient se parler ou s'ignorer. C'est Galahad qui a fait le premier pas.

C'était après un cours en amphi, tous les élèves ramassaient leurs affaires dans un brouhaha ambiant. Min-Jae était assis avec les amis qu'il s'était fait sur le campus, certains étaient d'anciens camarades de prépa, d'autres venaient de lycées différents. Galahad s'est avancé vers eux, avec la boule au ventre. Il réfléchissait à ce qu'il allait dire depuis une semaine, les phrases étaient toutes prêtes dans sa tête.

Min-Jae était surpris, il ne s'attendait pas à ce que Galahad vienne vers lui, surtout pas en public. Pendant un instant, il a eu peur. Peur que l'histoire se répète. Mais la question de Galahad lui a coupé le souffle.

— Je sais que ça fait longtemps et tu as le droit de refuser, je ne t'en voudrais pas si tu le faisais. Mais je me demandais si ça te dirait d'aller prendre un verre un soir, après les cours ?

Le garçon assis à côté de Min-Jae a sifflé, commentant qu'à peine arrivé, Min-Jae avait déjà du succès. Ceux dans le groupe qui connaissaient le passif entre les deux anciens amants l'ont fait taire, mais à leur surprise, Galahad a simplement souri, sans détacher son regard de Min-Jae.

Min-Jae n'a pas réagi tout de suite. C'était trop soudain, trop imprévu. Le Galahad qu'il avait connu ne lui aurait jamais adressé la parole en public, surtout pas pour l'inviter à sortir. Pourquoi faire d'ailleurs ? Sans doute pour parler. Il n'avait rien à lui dire. Mais il était beaucoup trop intrigué pour refuser.

— Ok. Ce soir à 18h ? Devant l'entrée principale ?

Intérieurement, Galahad était au bord de l'implosion. Il gardait tant bien que mal une façade détachée, mais ses mains étaient moites et il se sentait rougir. Ce soir. Il n'imaginait pas que cela puisse être si rapide. Il a hoché la tête et a tourné les talons.

— Galahad !

À l'entente de son prénom, Galahad s'est retourné. Min-Jae s'était levé à son tour.

— C'est moi ou tu viens réellement de m'inviter à un date ?

Il y avait des gens qui les regardaient. Galahad était terrorisé, mais il savait ce qu'il devait faire. Min-Jae le testait, c'était évident. La question n'était pas de savoir si c'était ou non un rencard, mais de savoir si Galahad était capable de l'assumer. C'était aussi une condition implicite.

— Seulement si toi aussi, tu veux que ça le soit.

Et seulement après cette réponse, Galahad s'est enfin autorisé à s'enfuir, sous les sifflements et les rires gras.

***

J'ai compris pourquoi Galahad est aussi stressé. J'ai encore du mal à y croire. J'ai peur de me tromper, de me faire des films pour rien. Pourtant la preuve est là, dans sa trousse de toilette. Pourquoi l'aurait-il emmenée, si ce n'est pas pour me la donner ?

Il a fait un bon score au programme court. Ensuite, il a donné des interviews, comme d'habitude. C'est son message pour la télévision française qui m'a mis la puce à l'oreille. On lui a demandé pourquoi il avait choisi cette chanson d'amour et il a hésité. D'habitude, il n'hésite jamais. Je sais qu'il prépare ses réponses à l'avance et il est impossible qu'il n'ait pas pensé à une réponse parfaite à propos de sa musique. Il a hésité parce qu'il a pensé dire la vérité.

Je ne l'ai pas attendu et je suis retourné à l'hôtel. Il fallait que je sache. J'ai fouillé sa valise et c'est finalement dans la salle de bain que je l'ai trouvée. Ma bague de fiançailles.

Il l'a achetée en novembre dernier. Je le sais parce qu'il avait trouvé un prétexte complètement bidon pour avoir ma taille de bague. En même temps, il a commencé à me faire remarquer qu'autour de nous, certains couples s'étaient mariés. Et bien sûr, j'ai fini par tomber sur l'écrin, un jour où je cherchais un foutu rouleau de scotch dans le tiroir de son bureau.

J'étais tellement heureux que j'en ai pleuré. Je ne pensais pas que Galahad accepterait un jour de se marier, surtout pas avec moi. Il croyait encore à toutes ces conneries de complémentarité homme/femme et au sacrement du mariage. Visiblement, il a revu sa position.

Galahad a insisté pour que nous passions Noël à Séoul. Il avait tout préparé. Sept ans après, nous avons revisité le même musée, mangé dans le même restaurant, admiré la même vue. La nuit tombée, il m'a emmené dans cette ruelle, derrière ce temple, devant cette statue. Là où on s'est embrassés pour la première fois. Il neigeait, exactement comme dans mes souvenirs. J'avais le cœur qui battait la chamade.

Mais il n'a pas sorti la bague qui était dans sa poche. Pourquoi ? Je n'ai pas compris. Est-ce qu'il a pris peur ? Est-ce qu'il a réalisé qu'il ne voulait plus m'épouser ? Il a intérêt à avoir une très bonne raison. Moi, j'ai fait comme si de rien n'était, comme si je n'étais pas au courant, comme si j'étais simplement heureux de retourner sur les traces de notre histoire.

Ça fait trois mois que j'attends. Je savais qu'il avait gardé la bague. Quand on est parti à la mer, pour la Saint-Valentin et son anniversaire, il l'avait dans sa valise. Mais cette fois encore, il ne me l'a pas donnée.

Je n'imaginais même pas qu'il puisse la prendre pour les JO.

Je retourne dans la chambre, m'allonge sur le lit. Qu'est-ce qu'il a prévu ? Il va enfin me demander en mariage ou est-ce qu'il va se défiler pour la troisième fois ? Je réfléchis. Le connaissant, il s'est forcément donné un échappatoire. Sans doute s'est-il dit : si je gagne, je le fais.

Je repense aux journalistes, ça fait une connexion dans ma tête. Son coming-out. Il va faire son coming-out. C'est évident, maintenant que j'y pense. Si on se marie, ça veut dire qu'on ne se cachera plus. Le mariage est bien trop sacré à ses yeux pour qu'il envisage de le garder secret. Quand j'y pense, c'est peut-être ça qui l'a fait hésiter à Noël...

Son coming-out. La bague. Les fiançailles.

Il va faire son coming-out après avoir gagné la médaille d'or. À tous les coups, il va vouloir m'embrasser devant tout le monde. Il y aura des caméras et des photographes. Ça sera l'enfer, mais ça sera mémorable. Et après, une fois rentrés à l'hôtel, il me demandera en mariage ?

God, on va faire exploser internet.

Je suis aux anges. J'enlace un coussin pour extérioriser ma joie. Je vais me marier !

Enfin, s'il gagne. Bordel, il a intérêt à gagner. S'il perd... je pense qu'il faudra que j'envisage de prendre les choses en main. Il faut que je trouve quelle est sa taille de bague.

***

De retour dans ma chambre d'hôtel avec Min-Jae, je m'enferme presque aussitôt dans la salle de bain. J'ai besoin d'être seul pour décompresser. La pression de la compétition est en partie retombée, pour le mieux. Je ne me suis pas ridiculisé, je ne suis pas tombé, je ne me suis pas blessé. Il reste encore le libre demain midi, mais cette première réussite renforce ma confiance. Je ne suis qu'à une dizaine de points du premier du classement, il est encore possible de le dépasser.

Et si je gagne... Je sors l'écrin caché au fond de ma trousse de toilettes. Je l'ouvre par automatisme, comme pour vérifier que la bague est toujours là. Bien sûr, elle n'a pas bougée. Elle me nargue, soigneusement nichée dans la soie noire. C'est un anneau simple en platine, sertie d'un petit diamant. J'ai longtemps hésité sur le modèle, je n'avais aucune idée de ses goûts. J'espère qu'elle lui plaira un peu.

Ça fait des mois que j'hésite. Au début, je voulais faire ma demande à Noël, mais je me suis défilé au dernier moment. Je n'ai jamais été très courageux. J'ai fini par me promettre de le faire si je gagnais les JO. Perdre n'est pas une option. Cependant, je crois que je me jetterai à l'eau dans tous les cas. J'ai assez attendu, et je pense que Min-Jae aussi.

Cet anneau signifie tellement. Pour moi, pour lui, pour nous. C'est plus qu'un engagement. C'est la promesse d'une nouvelle vie. Devenir une famille, tous les deux.

Avec cette demande, je choisis d'abandonner le mariage tel que je le concevais, comme l'union complémentaire d'un homme et d'une femme devant Dieu. Je renonce à ce sacrement pour m'engager avec un homme pour la vie. Je me contenterai d'un mariage civil, en essayant de lui accorder toute la valeur qu'aurait eu un vrai mariage à l'Eglise.

Avec cette demande, je brise les derniers liens avec mes parents. Je sais déjà qu'ils ne l'accepteront pas. Ça sera le coup de grâce. Je me suis fait à cette idée depuis longtemps. Je crois que je n'aurai pas de regrets.

Avec cette demande, je sors du placard. Pour de bon. On peut cacher un concubin, impossible de cacher un mari. Quitte à faire un coming-out, autant qu'il soit mémorable. Y a-t-il plus vendeur qu'un mariage ? Nous serons dans tous les journaux.

Qu'est-ce qui se passera à ce moment-là ? Je n'en ai aucune idée. Est-ce que je vais être bien accueilli ? Ou est-ce qu'au contraire, ça sera le début de la fin ? Mes sponsors suivront-ils ? Et le public ? La seule chose dont je peux être sûr, ce que je n'irai pas m'entraîner en Russie la saison prochaine.

Je referme l'écrin brusquement. L'angoisse me tord le ventre. Je suffoque. Ne fais-je pas une erreur en prévoyant un coming-out en direct ? Est-ce que je ne devrais pas attendre d'être en privé avec Min-Jae pour faire ma demande ? Et s'il refuse ? J'ai toujours trouvé extrêmement gênantes les fiançailles en public. C'est imposer aux autres sa vie privée, et contraindre son partenaire à accepter en prenant le reste du monde à témoin. Pourtant, je prévois de m'agenouiller devant les télévisions du monde entier. Ai-je perdu la tête ? Qu'en penserait Min-Jae ?

Je me passe de l'eau froide sur le visage, ramène mes cheveux en arrière. J'ai encore le temps. Je peux aviser sur le moment. En plus, ma victoire n'est pas assurée. Si je perds, qu'est-ce que je fais ?

Min-Jae frappe à la porte. Je remets précipitamment la bague dans sa cachette avant que mon amant n'entre dans la salle de bain.

— Ça ne va pas ? s'inquiète-t-il en s'approchant.

— Si, si. Je... Je stresse juste pour demain.

Ses bras se referment autour de moi, je me laisse aller contre lui. Les mots me brûlent les lèvres, j'aimerais pouvoir tout lui raconter. Sortir la bague tout de suite, lui demander de m'épouser et tant pis pour la mise en scène. Il pourrait m'aider à trouver la meilleure façon de faire mon coming-out.

Néanmoins je reste silencieux, profitant de sa tendresse.

— Ça va aller. Tu as fait un super score. Tu vas tout déchirer demain.

— On verra.

Je le contemple dans le miroir. Il me regarde, en caressant mon torse à travers mon t-shirt. Il est beau, mon homme.

***

Maintenant que je sais tout, c'est difficile de rester silencieux. J'aimerais pouvoir lui demander si c'est réellement l'épreuve qui l'angoisse, ou si c'est plutôt l'idée de faire son coming-out. Est-ce qu'il m'en voudrait s'il découvrait que je suis au courant ? En même temps, s'il voudrait vraiment garder le secret, il aurait été plus discret.

Je l'invite à se retourner, à me regarder droit dans les yeux. Ma main trouve le chemin de ses cheveux pendant que l'autre se presse sur le bas de son dos. Son regard clair est toujours aussi beau, comme le grain de sa peau, la finesse de ses sourcils, la pulpe de ses lèvres.

Je choisis de lui tendre une perche, au cas où il aurait envie d'en parler.

— Tu sais que tu peux tout me dire, Galahad.

Il me regarde fixement, avec un air inquiet.

— Je ne vois pas ce que tu veux dire.

Cette fois, je hausse un sourcil dubitatif. Il ment tellement mal, c'est ridicule. Le pire, c'est qu'il poursuit dans cette défense inutile.

— Je n'ai rien à cacher. Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Voyant qu'il commence clairement à paniquer, je suis pris de pitié. Je pose mes doigts sur ses lèvres pour l'inviter à se taire.

— Je sais que tu veux faire ton coming-out demain. J'ai deviné.

Il ouvre grand la bouche et écarquille les yeux avant de bafouiller :

— C'est parce que... enfin... j'étais pas sûr de... d'y arriver.

Il est beaucoup trop mignon. Je vois dans son regard qu'il est perturbé. Sans doute qu'il se demande si je n'ai pas aussi deviné pour sa demande.

— Je ne t'en veux pas de me l'avoir caché, ne t'inquiètes pas.

Je l'embrasse en souriant.

— Comment tu veux faire ça ? je lui demande avec intérêt.

— Je pense que je pourrais... peut-être... Enfin si tu veux... aller vers toi. Pour montrer, plutôt que parler.

C'est bien ce qui me semblait. Ça m'aurait étonné qu'il se décide à prendre un micro pour annoncer au monde entier qu'il aime les mecs.

— D'accord. Je veux bien participer à ça.

Le voilà qui rougit.

— Désolé de... comme je voulais te faire la surprise, je comptais... le faire sans te demander avant. Ça aurait pas été correct de ma part.

C'est bien qu'il s'en rende compte maintenant, mais je ne compte pas lui en vouloir. Je suis bien trop heureux à l'idée qu'exposer notre relation au grand jour. Galahad me sourit enfin. Je me blottis dans ses bras.

— Donc tu m'autorises à faire un grand coup médiatique ? Tu es d'accord pour que ta photo soit dans tous les journaux demain soir ?

C'est sûr que dit comme ça, ça fait un peu peur. Mais je suis sûr de moi. Hors de question de rester plus longtemps dans l'ombre. Les conséquences, on verra après.

— Oui, tu peux y aller, je lui confirme avec un petit rire. Je t'aime.

— Moi aussi je t'aime, tu sais ?

— Je sais.

On s'embrasse longuement. Le goût de sa bouche et l'odeur de sa peau m'électrisent. Ses mains se frayent un chemin sous mon t-shirt, elles sont fraîches et douces. J'embrasse sa bouche, ses joues, son cou. Je l'aime tellement. J'ai l'impression qu'il m'a manqué. On s'est à peine touchés ces derniers jours.

On se déshabille rapidement, pour coller nos corps nus, déjà brûlants. Ses épaules, son dos, ses fesses, ses cuisses. J'aimerais avoir plus que deux mains, plus qu'une seule bouche. Il gémit lorsque j'agrippe ses fesses avec fermeté. Sa voix résonne dans la salle de bain. Ça m'excite, il le sent et caresse déjà mon sexe. Je soupire, c'est bon. Je l'embrasse encore.

On serait mieux dans la chambre, sur le lit, mais je n'ai pas envie de bouger, de me décoller de Galahad. Il se retrouve acculé au meuble-vasque. Il est si beau. Je peux voir son dos dans le miroir, ses muscles saillants, ses longs cheveux blonds et mes mains sur sa peau blanche.

Il me donne envie de le sucer. Je commence à descendre ma bouche sur son torse, pose ma main sur son sexe humide.

— Tu veux ?

Il hoche la tête, soupire, ferme les yeux. Ses mains s'enfoncent dans mes cheveux alors que je m'agenouille face à son bas-ventre. J'embrasse son aine, le haut de ses cuisses. Je le regarde s'appuyer franchement contre le lavabo, je sens son corps se détendre sous mes caresses. Respirer son odeur, sentir ses poils bouclés chatouiller mon nez. Il est beau, mon amour.

J'embrasse enfin son sexe avec délicatesse. Je le caresse avec ma langue, sur toute la longueur, pour finir sur son gland. Il frissonne, gémit, m'encourage. Je l'accueille dans ma bouche alors que ma main se faufile entre ses cuisses. Je commence des va-et-viens appuyés, avec ma bouche, avec mes doigts. J'aime quand il prend du plaisir, encore plus quand c'est moi qui le lui procure. Je l'aime tout entier. La chaleur de sa peau, le goût de son sexe, l'odeur de son corps, le son de sa voix.

Le carrelage me fait mal aux genoux, mais pour rien au monde je ne bougerais avant de l'avoir amené jusqu'à l'orgasme. Je sens qu'il n'est plus très loin, je le devine à ses gémissements, à la façon qu'il a d'agripper mes cheveux. Je le prends le plus profondément possible dans ma bouche, m'aide de ma main pour le caresser en entier.

— Attends, je vais..., murmure-t-il dans un souffle.

Je comprends, mais ne bouge pas pour autant. Il éjacule dans ma bouche, je garde son sexe quelques secondes avant le relâcher. Les lèvres serrées, j'embrasse une dernière fois son aine et caresse ses cuisses avant de me redresser. Galahad fait un geste pour m'enlacer, je le repousse un instant pour cracher dans le lavabo.

Je l'embrasse enfin. Il se laisse aller dans mes bras, je le sens tout câlin. Il me sourit, ses yeux bleu clair me fixent avec tendresse.

— Et toi ?

— Après peut-être. Tu voudrais pas prendre une douche ?

Il me sourit, se colle à moi. Je profite encore un peu de sa chaleur, il me rend heureux.

J'ai hâte d'être demain. Je suis confiant.

***

Étrangement, leur premier rendez-vous s'est bien passé. Ils avaient tous les deux beaucoup de choses à se raconter, après un an de séparation. Ils se sont retrouvés comme les amis qu'ils n'avaient jamais véritablement été, en évitant les sujets qui fâchent. Ils sont sortis très tard de ce bar passablement naze, qui avait l'avantage d'être à deux pas de l'école. Ils sont allés chez Galahad et il n'y avait aucune ambiguïté entre eux. Le sexe avait toujours été l'une des rares activités sur laquelle ils s'entendaient, cette nuit-là n'a pas fait exception.

Ce n'est que le lendemain au petit-déjeuner, avant d'aller en cours, que Min-Jae a posé la question à Galahad : qu'est-ce que tu veux ? Galahad ne savait pas vraiment. Min-Jae non plus. Ils ont simplement décidé de « remettre ça à l'occasion ».

Il y a eu de nombreux rendez-vous. Certains pour baiser, d'autres pour parler. Parfois les deux. Ils ont eu de longues conversations, souvent jusque tard dans la nuit. Galahad s'est beaucoup excusé, Min-Jae a beaucoup pardonné.

C'est Min-Jae qui parlait le plus. De la vie, de la société, de l'avenir. Il a partagé ses peurs et ses espoirs. Galahad écoutait avec attention. C'est peut-être ce qui a fait la différence. L'écoute, l'attention, la tendresse aussi.

C'est un sentiment étrange que celui de retomber amoureux.

Il n'a pas fallu longtemps à Galahad pour s'en rendre compte. Peut-être n'avait-il jamais cessé de l'aimer. A l'époque de la prépa, il n'était pas capable de le comprendre et encore moins de le formuler. Ce deuxième round a été pour lui beaucoup plus rapide et passionné. Très vite, il s'est retrouvé le cœur battant et les mains moites à l'idée de le revoir. Les lèvres brûlantes de se déclarer, la boule dans le ventre de crainte d'être rejeté.

Min-Jae est longtemps resté en proie à des sentiments contradictoires. La peur, l'envie, l'angoisse, la colère, la nostalgie. Il craignait d'être déçu, de souffrir à nouveau, de se laisser embobiner. Et en même temps, il voulait lui aussi cette deuxième chance. Est-ce que Galahad avait réellement changé ? Il avait plutôt l'impression qu'il avait grandi. C'est arrivé sans crier garde, plus discrètement que la passion adolescente qu'il avait connue, mais un jour, Min-Jae n'avait plus envie de le quitter.

Même en étant amoureux, leur histoire était loin d'être facile. Ils devaient apprendre à communiquer, à se comprendre et à se faire confiance. Construire des bases solides sur les sables mouvants de leur passé commun. Essayer de détruire la dynamique de domination qui menaçait leur équilibre.

Entre deux discussions sérieuses, ils vivaient sur leur petit nuage. S'embrasser toute la journée et passer la journée au lit. Vivre d'amour et d'eau fraîche. Partir en vacances à la mer. Rire, aller danser, manger des pizzas devant un anime, réviser ses examens. Tout était si naturel. Ils avaient l'impression de rattraper le temps perdu à se cacher dans un placard, de remplacer tous les souvenirs tristes par des moments de bonheur.

Ils étaient vraiment très amoureux.

***

Lorsque je m'avance au centre de la patinoire, je réalise que je n'ai jamais aussi prêt. Prêt pour patiner, prêt pour gagner, prêt pour vivre. Les caméras et les regards se posent sur moi, je lève le menton. Je me sens fier, à ma place. Je vais vous éblouir, vous séduire, vous faire tomber en amour. Par le sport, l'art et la danse. Il paraît que les performances artistiques ne sont pas à la mode, qu'il vaut mieux donner dans la force sportive. Je vais vous donner les deux.

Les premières notes de ma chanson retentissent, je m'élance. Mes muscles sont chauds, je déploie mes bras comme des ailes. Mon corps s'étire vers le ciel. Le vent de la vitesse me caresse le visage, familier et rassurant. Je cours, glisse, saute sur la glace qui se raye sous le passage de mes patins. Je connais cette chorégraphie par cœur. Chaque mouvement est presque instinctif. Je termine chaque figure en me projetant déjà dans la suivante. Je sens travailler chacun de mes muscles, les uns après les autres. Je sollicite tout mon corps, le pousse dans ses moindres retranchements.

Je veux me surpasser, pulvériser tous mes records, prouver au monde entier que je mérite ma place. J'ai travaillé dur pour arriver sur cette patinoire, à l'autre bout du monde. Avec acharnement. J'ai fait des sacrifices. Aujourd'hui, je donne le meilleur. Que cette journée soit une consécration. Le plus beau jour de ma vie.

Soudain, le manque d'équilibre se fait sentir. Je n'ai pas pris assez d'élan. Je serre les dents. Je ne peux éviter de poser une main. Merde. Adieu au sans-faute. Pas le temps de réfléchir, je continue sur ma lancée. Je soigne ma transition, reprend mes esprits avant d'amorcer l'élément suivant de mon programme.

Je pense à Min-Jae, assis dans les gradins. Même si je n'atteins pas la première marche du podium, je dois finir pour lui. Je mets toute mon énergie dans la dernière partie de ma performance. J'y intègre toutes les émotions qui me transpercent. Peur, angoisse, déception, joie, amour.

La fin de cette prestation est comme une délivrance. Je suis vidé. Je quitte la piste dans le brouillard, m'effondre sur le premier banc pour retirer mes patins. André est obligé de me traîner jusqu'à l'endroit où je suis supposé attendre mon score, face au mur des sponsors, bien en face des caméras. Encore essoufflé, je lève la tête vers le tableau des résultats. Chaque seconde est interminable.

Enfin, ma note s'affiche. 203,73. Je ne pensais pas que je dépasserai la barre des 200. Tant mieux. Je suis en tête du classement, mais mes meilleurs adversaires ne sont pas encore passés. Je vois la victoire m'échapper. Si seulement je n'avais pas posé cette main, j'aurais pu aller chercher un 205. Trop tard. Je dégage ma croix sous ma veste. Je cherche naturellement le visage de Min-Jae, mais il y a beaucoup trop de monde.

— Galahad ! Une réaction à chaud après votre passage ? m'interpelle le reporter de France Télévision.

— Je... je pense que j'ai tout donné. Une petite erreur, on verra si ça passe. Il a de très bons sportifs qui peuvent faire mieux que moi.

— Moi, je pense que vous avez encore vos chances pour l'or ! Dans tous les cas, votre place sur le podium est assurée !

Je hoche la tête. C'est vrai. La médaille de bronze, c'est déjà énorme. Tout le monde n'a pas la chance d'être médaillé aux Jeux Olympiques. David, par exemple, est arrivé en bas du classement. Je souris pour la caméra.

— Excusez-moi, je vais aller m'asseoir pour attendre les derniers résultats.

Le journaliste me libère, je rejoins mon équipe. On me félicite chaleureusement. Je fais bonne figure, j'ai honte d'espérer mieux que la troisième place. La France n'a pas eu de médaille en patinage depuis 1998 avec Candeloro. Je devrais m'en réjouir.

Le résultat du japonais est tombé. 202,25. Je grimpe immédiatement d'une place dans le classement définitif. Mon cœur bat la chamade. Je recommence à croire.

Où est ma veste ?

***

Les cris explosent autour de moi. Tous les drapeaux français s'agitent autour de moi, comme une vague bleu-blanc-rouge. Je n'en crois pas mes yeux. Lorsque j'ai vu l'américain rater son dernier saut, évidemment que j'ai pensé que c'était une chance pour Galahad. Maintenant que le classement est affiché sur tous les écrans, avec le chiffre 1 à côté du nom de Galahad, c'est presque irréel.

En quelques secondes, il se retrouve englouti dans une marée humaine. André, bien sûr, lui ébouriffe les cheveux, ses coéquipiers se sont jetés sur lui. Les journalistes affluent déjà et le grand écran retransmet son visage émerveillé. J'aimerais courir vers lui, mais je reste assis sur le banc. Je n'ose pas prendre les devants, au cas où il aurait encore changé d'avis. J'agite le petit drapeau vers le ciel, en m'imaginant qu'il me voit.

Je le vois écarter les gens sur son passage. Il repousse les micros, s'excuse pour fendre la foule. Je retiens mon souffle. Est-il réellement en train de le faire ? Justine me frappe l'épaule, pointant la direction de la patinoire. Je baisse les yeux de l'écran pour le découvrir à quelques mètres. Nos regards s'accrochent, ne se quittent plus. Il tend la main vers moi. Mon cœur s'arrête. J'avais beau savoir ce qu'il avait en tête, je n'arrive pas réaliser que c'est pour de vrai.

— Grouille-toi pour le rejoindre, imbécile ! me crie Justine au milieu des cris des supporters.

Je bouge enfin, j'enjambe la barrière, sans quitter des yeux l'homme de ma vie. On s'écarte sur mon passage. Un coup d'œil à l'écran géant me permet de constater que je suis filmé. Je me suis imaginé cette scène des dizaines de fois, je pensais que je serai digne et fier. Au lieu de ça, je me sens ridicule, je crois que je pleure. Ma vue se brouille dans les larmes alors que les bras de Galahad se referment autour de moi.

Trop d'émotions. La fierté de le voir gagner, cette euphorie autour de nous et tout cet amour qui déborde de moi. Je ne vois plus la foule qui nous entoure. Ses mains enserrent mon visage, essuyant mes larmes. Je n'arrive même pas à lui dire à quel point je l'aime, j'ai du mal à respirer. Il me parle, mais je ne comprends pas. Je n'entends rien, il y a trop de bruit. Je recouvre un peu la vue, il est si beau quand il est heureux. Il rayonne de bonheur et de fierté.

Galahad pose un genou à terre. Il a vraiment osé. J'éclate de rire. Il sort un écrin de sa poche, l'ouvre d'une main tremblante. Ses lèvres bougent et même s'il m'est impossible d'entendre le son de sa voix, je devine la question qu'il me pose.

Je ris et je pleure en même temps. Le voilà qui pleure aussi. On doit avoir l'air fins tous les deux. Je refuse de le quitter des yeux. Pas besoin de regarder la bague, je la connais déjà. Je me noie dans son regard plus bleu et plus étincelant que jamais.

Je dois être resté trop longtemps sans réponse car il se répète, plus fort. Cette fois, je l'entends clairement.

— Alors, Min-Jae ? Tu veux m'épouser ?

Oui, bien sûr que oui ! Toujours muet, je hoche la tête. J'imagine très bien le sourire niais qui illumine mon visage et je réalise que j'aurais tout le temps d'observer ma tête lorsque cette demande aura fait le tour d'Internet.

Je sens le métal froid sur mon annulaire. Autour de nous, il y a des cris, des applaudissements. Des exclamations de joie, j'espère, même si j'imagine que d'autres réactions moins enthousiastes ne tarderont pas à se faire entendre.

Je l'aide à se relever. Il est enfin face à moi, les joues mouillées et les yeux rouges. Je ne l'ai jamais trouvé aussi beau. Je caresse l'ovale de son visage avec émerveillement. Mes bras retrouvent leur place autour de sa taille. Mon front contre le sien, j'oublie l'agitation autour de nous. Il n'y a plus que lui qui compte. Pourtant, je n'ose pas l'embrasser. J'ai trop peur que ce rêve se brise en mille morceaux.

Sa voix grave me rassure.

— Je t'aime, je veux passer ma vie avec toi et je veux que le monde entier le sache. Au-cas-où tu n'aurais pas encore compris.

Il passe ses bras autour de mon cou, je le serre un peu plus fort contre moi.

— Moi aussi je t'aime. Et je suis fier de nous.

Il me sourit et enfin, m'embrasse avec force et détermination. Les flashs crépitent. Ses lèvres sont les plus douces du monde. Les lèvres de mon futur mari. On s'embrasse longuement, peut-être un peu trop. Quand il se recule, ses joues sont rouges et son souffle court. J'aimerais l'embrasser encore, mais je pense qu'on s'est suffisamment donnés en spectacle. Je joue le jeu, montre ma main à la caméra, pour que le monde entier puisse voir cette bague. J'échange un regard complice avec Galahad, dont le sourire éclatant doit faire chavirer tous les spectateurs.

— On se retrouve tout de suite après ? Je dois y aller, me glisse-t-il à l'oreille.

Je comprends. Évidemment, on ne peut pas partir en courant. Il doit encore répondre à des interviews et surtout recevoir sa médaille. Je relâche Galahad, à regrets. Il salue le public avec une grâce éblouissante et se retrouve poussé vers les journalistes.

Je l'aime tellement. Et maintenant, tout le monde est au courant.

***

C'était si facile que je m'en veux presque d'avoir attendu si longtemps. Dès que je l'ai vu sur le banc, ça a été une évidence. Le toucher, l'enlacer, l'embrasser. Sortir cette bague que j'emporte partout avec moi depuis des mois. Il est l'homme de ma vie, j'en suis certain. Le jour où je l'ai rencontré, j'avais à peine 18 ans et je me détestais. Il était tout ce que je n'étais pas, représentait tout ce que je refusais d'être.

Aujourd'hui, à 24 ans, je sais qui je suis. Je suis un homme, un patineur professionnel, un champion olympique. Et j'aime cet homme plus que tout. Au point de vouloir passer le reste de ma vie à ses côtés. Il était grand temps de sortir du placard.

À partir d'aujourd'hui, je peux reprendre la main de Min-Jae dans la rue. Je peux dire que je vais me marier, embrasser mon fiancé après une victoire et le soutenir ouvertement dans ses activités associatives. Je n'ai plus d'excuse, je compte sur lui pour me traîner partout.

Ce coming-out, je le fais pour pour notre futur sous le soleil et plus jamais au fond du placard. Il est aussi pour le monde entier. Pour le patinage, pour le sport, pour la jeunesse. Je veux leur montrer qu'il est possible d'aimer un homme, de se marier et d'être heureux. Demain, ils sauront. Certains nous féliciteront, d'autres nous insulteront. Ça m'est égal, car je vais me marier et rien ne pourra entacher mon bonheur.

— Galahad, un mot sur cette surprenante demande en mariage ?

— J'y pensais depuis longtemps. C'était l'occasion rêvée alors je me suis lancé.

Je ne dirai rien de plus aujourd'hui. Plus tard, peut-être, je parlerai. Je préciserai que je ne suis pas gay, mais bisexuel. Je défendrai mon existence dans les médias. Je m'exprimerai sur le mariage homosexuel par l'Eglise catholique, la GPA et les persécutions. Je dénoncerai les agressions, les arrestations, les meurtres. On ne me laissera pas le choix. Ne pas prendre parti, c'est être un peu complice.

Lorsque viendra l'heure, je raconterai sans doute mon histoire. Je raconterai la honte, le dégoût de soi, la peur. Je raconterai la haine, les insultes et le rejet. Je raconterai les médecins, les psychiatres et les prêtres. Et lorsque j'aurai terminé, je n'aurai plus qu'à crier mon bonheur et ma fierté.

Vient le moment de recevoir ma médaille. Bien droit sur la plus haute marche du podium, ma médaille dans la main, je fredonne la Marseillaise. J'ai le sentiment profond d'avoir réellement réussi quelque chose. Professionnellement et personnellement. Aujourd'hui, j'ai tout gagné. L'or, la reconnaissance, l'amour.

Sur ma veste, côté cœur, Min-Jae a accroché un badge arc-en-ciel, juste avant qu'on m'appelle. J'ignore si c'est autorisé, mais je m'en fiche. Je pense à toutes les personnes qui vont le voir, partout dans le monde. Mes amis, en premier lieu. Mes parents, bien sûr. Tous les sportifs encore dans le placard. Les ados qui, comme moi à leur âge, se haïssent et prient tous les soirs pour changer. Toutes ces personnes qui comme moi, ont connu la honte, la peur et le rejet.

Je me demande dans combien de pays ce badge sera censuré. Cela commencera peut-être par le pays qui nous accueille pour ces Jeux. Quels seront les journaux qui publieront une photo de moi et Min-Jae ? Avec quel titre ? Combien m'accuseront de propagande homosexuelle ? Quelles marques vont rompre leur contrat avec moi ? Quelles seront celles qui, au contraire, me contacteront pour profiter d'une aura gay-friendly ? Combien de retweets pour la vidéo de ma demande en mariage ? Combien de likes sur Instagram ? Combien de mails d'insultes ? Combien de menaces de mort ? Je verrai demain.

À quelques mètres du podium, Min-Jae applaudit et me fait de grands gestes. Je remarque qu'une caméra est braquée sur lui et pour la première fois, ça m'est complètement égal. Je n'ai plus rien à cacher. Surtout pas ce sourire qui m'emplit d'amour. J'ai hâte de le retrouver. Lui chuchoter à l'oreille tout ce que je n'ai pas pu lui dire en public. L'embrasser encore, le serrer contre moi.

Mon regard s'égare sur le public. En haut des gradins, un inconnu agite un drapeau arc-en-ciel.

Je me rappelle de ma tentative de coming-out, il n'y a pas si longtemps. Je pense sincèrement que ça valait la peine d'attendre. Pour maximiser l'impact, fabriquer patiemment une bombe dont le souffle, j'en suis sûr, traversera les frontières.

Un sentiment très égoïste de toute puissance m'envahit.

Je suis libéré.

******
Merci de m'avoir lu !

Si vous voulez un exemplaire papier de cette histoire (pour votre bibliothèque perso, pour offrir à un ami), n'hésitez pas à me contacter a [email protected] ! Je vous ferai un paquet avec une dédicace dans le livre ^^ pour info le livre est à 7 euros plus les frais de port (3,5 en France)

Bonne journée et joyeux noël en avance !

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