Chapitre 23
Plus les jours passent et plus je commence à aller mieux, je ne vais pas dire que j'ai totalement oublié mon bébé, mais je me faisais à l'idée de ne jamais le rencontrer. Mes côtes se réparent doucement, mais sûrement, c'est une bonne nouvelle. Je ne peux pas bosser dans mon état, j'ai vraiment l'impression de ne servir à rien dans cette banque. Du coup pour combler mon ennui, j'étudie le japonais et mon permis.
Jô m'aide au maximum pour tout, mais je ne peux pas toujours le solliciter ; alors ce jour-là, j'ai demandé à Nil s'il ne pouvait pas me donner un cours de conduite. Le dernier j'espère, avant de passer l'examen.
Il est allé chez Jô pour prendre ma voiture et la ramener à l'appartement. On frappe à la porte et je vais ouvrir directement.
— Bonjour, toi !
Je fais la bise à mon ami et le laisse entrer.
— Tu veux boire quelque chose ?
Il me suit dans la cuisine.
— De l'eau, ça vaut mieux pour la conduite.
Je lui apporte son verre et lui souris.
— Comment vont les amours, Anna ?
Mon sourire s'efface automatiquement.
— Je ne sais pas trop. Jô est très distant, en ce moment.
Nil confirme mes dires.
— Oui, j'ai cru voir qu'il passait beaucoup de temps avec son assistante.
Je déglutis difficilement tout en répondant :
— Elle doit être de meilleure compagnie que moi...
Il pose son verre et me prend dans ses bras.
— Tu es la femme la plus courageuse et adorable que je connaisse. Moi, j'apprécie de passer du temps avec toi.
Je lui souris.
— Je passe quand même après Mariko, non ?
Il semble embarrassé de répondre à cette question.
— Je ne savais pas qu'elle en avait parlé à quelqu'un.
Je lui donne une petite tape à l'épaule pour le rassurer.
— Ne t'en fais pas, je garde votre secret !
Alors que je me dirige vers le plan de travail de la cuisine pour récupérer mon portable, celui-ci me retient par le poignet.
— Je suis fou amoureux d'elle, Anna... C'est mal de faire ça à Shôji, tu crois ?
Son regard se tort de douleur.
— C'est le genre de chose qu'on ne contrôle pas Nil, je sais de quoi je parle...
Il lâche mon poignet et me regarde.
— Je vois Mariko, je la touche et l'embrasse tous les jours, mais je ne sais pas si nous sommes ensemble. Je crois qu'elle ne veut pas faire subir une rupture à Shôji là où il est.
J'acquiesce.
— Je crois que ça doit être ça...
Je récupère mon portable que je plonge dans mon sac et nous terminons nos verres.
— Est-ce que tu connais la route jusqu'à la prison ?
Nil me dévisage, perplexe.
— Tu veux rouler, jusqu'à là-bas ? Tu tiens vraiment à voir Shôji ?
Je lui murmure :
— J'aimerais beaucoup oui.
Shôji avait été mis au courant de ma demande à venir lui rendre visite et il avait immédiatement inscrit mon nom sur sa liste, seulement avec les démarches, il fallait attendre quelques jours et nous y étions ! J'allais enfin le revoir après presque deux semaines.
— C'est parti alors !
Nil est surpris de ma conduite ; d'après lui, si je conduis comme ça le jour de l'examen, je l'aurais du premier coup. Je n'ai plus besoin qu'on m'aide pour les panneaux, pour les priorités ou pour me donner la direction, je sais me servir du GPS.
Une heure de route me sépare de Shôji, mais je suis prête à tout pour le voir. J'ai tellement hâte que je suis tout excitée. Il m'a énormément manqué. Seulement, je ne sais pas comment aborder le sujet du bébé avec lui.
— Tu peux tourner ici, Anna, il y a un parking derrière.
Je m'exécute et me gare.
— Je vais t'accompagner jusqu'à l'entrée, ton japonais n'est pas encore parfait.
Il se met à rire et je boude.
— Je fais des progrès !
Il rigole.
— Oui, tu progresses très bien, même !
On sort de la voiture tous les deux et je le suis, apparemment il est déjà venu ici, mais je ne sais pas si c'est pour rendre visite à Shôji ou à quelqu'un d'autre.
Les grands grillages à l'entrée m'impressionnent plus que je ne le souhaite. Le bâtiment principal a l'air très moderne. Nous traversons la zone jusqu'à une bâtisse où se trouve l'accueil. Nil m'accompagne à l'intérieur. Les murs de verre laissent pénétrer énormément de lumière. Je pourrais facilement croire que je ne suis pas dans un bâtiment carcéral.
Je me dirige vers la réception et essaye tant bien que mal de me faire comprendre et apparemment ça fonctionne, on me demande de remplir un formulaire. Je m'approche de Nil et il m'aide à le compléter. Je le rends au bout de dix minutes, plus qu'impatiente.
On me demande d'attendre quelques minutes et au bout de ces minutes, un gardien vient me chercher, il me conduit jusqu'à une porte en métal fermée à clé. Il l'ouvre pour me faire entrer et la referme derrière nous. On traverse de nombreux couloirs avant d'arriver dans le parloir. Il m'indique sur quel tabouret je dois m'asseoir et attendre que le prisonnier me rejoigne derrière cette vitre.
L'endroit n'est pas très bien entretenu, je ne me sens pas à ma place ici. Certains discutent calmement, d'autres pleurent et d'autres crient, puis il y a ceux qui me dévisagent comme une pestiférée. Je serai séparée de Shôji par une vitre, je suis tellement déçue ! On va devoir communiquer par un téléphone.
La porte derrière le carreau s'ouvre enfin. Je pose mes yeux sur Shôji. Il est habillé dans une tenue beige ou un kaki complètement délavé, je ne sais pas trop. Il semble avoir froid dans son t-shirt, mais porte un débardeur blanc en dessous. Il est menotté et marche lourdement. Je n'ai pas encore croisé son regard. On lui enlève les menottes et il s'assoit en face de moi.
Je plonge enfin mes yeux dans les siens, torturés de douleurs. Il passe tant bien que mal une main dans ses cheveux pour me révéler entièrement son visage. Il semble fatigué et mal nourri.
— Anna...
Je pose une main sur la vitre et il m'imite. J'aimerais tellement pouvoir le toucher et le réconforter.
J'attrape le téléphone et le porte à mon oreille.
— Shôji...
Il soupire.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'aurais pas dû venir, ce n'est pas un endroit pour toi.
Son regard me fait vraiment de la peine.
— Et toi, tu ne devrais pas être là.
Il sourit.
— Je suis heureux de te voir.
Je lui rends son sourire.
— Moi aussi, j'ai attendu ça pendant des jours...
Son sourire s'étend de plus en plus.
— Raconte-moi tout, c'est comment ici ? Tu manges bien ? Les autres ne te font pas chier ? Et ton jugement ?
Mon cœur bat tellement vite en sa présence.
— C'est l'enfer, Anna... Tu bosses dans des ateliers toute la journée pour te faire de la tune, enfin je n'ai jamais gagné aussi peu. La bouffe est dégueulasse et j'ai la chance d'être tombé dans la prison où il n'y a que des chambres particulières. J'ai un bureau, mon lit et l'évier et les chiottes au bout de ma chambre.
J'ai mal au cœur pour lui, je m'en veux tellement !
— Même si tu ne cherches pas les ennuis, ici, tu les trouves quand même. J'ai bien dû me faire tabasser au moins trois fois depuis mon arrivée...
Ce que je redoutais est réel.
— Quand ça t'arrive, tu fermes ta gueule et tu encaisses. Pour l'instant on me fiche la paix, je traîne avec un gars qui les impressionnent un peu.
Ça me rassure légèrement de savoir qu'il n'est pas seul.
— Pour mon jugement, c'est dans deux jours et je vais plaider coupable du meurtre, avec la légitime défense.
J'entrouvre la bouche, anéantie.
— Combien de temps tu vas devoir faire ?
Il hausse les épaules.
— Je n'en sais rien, mon avocat va essayer de me faire faire un minimum, ça peut aller de six mois à dix ans...
Je suis estomaquée. Est-ce qu'il tiendra le coup dix ans ici ? Et moi, comment je vais tenir sans pouvoir le toucher autant d'années ?
— Pardon... Je m'en veux Shôji... C'est de ma faute.
Ma voix se perd dans mes sanglots.
— Ne pleure pas, Anna... S'il te plaît. C'est déjà assez dur d'être séparé de toi par cette vitre, si en plus je ne peux pas te consoler...
J'acquiesce et essuie mes larmes.
— Tu me manques.
Il semble apprécier mon aveu.
— Tu me manques aussi, princesse. Je pense à toi tous les jours.
Mon cœur se brise, je me sens mal de l'avoir conduit là.
— Et Mariko ? Elle va bientôt venir me voir ?
Je secoue la tête.
— Je ne sais pas...
Il semble intrigué.
— Qu'est-ce qu'il se passe avec Mariko ? Elle va bien ?
Je ne peux pas lui dire.
— Oui, elle se porte bien... Elle tient le coup.
Il me sonde et puis lâche un rire nerveux.
— Elle ne me rendra pas visite, pas vrai ?
Mon cœur s'affole.
— Mais moi, je viendrai, je ne te laisserai pas tomber !
Il me sourit.
— Je pensais que tu me laisserais pourrir ici sans venir me voir. Que Jô te suffirait largement, une fois le sale travail effectué et le tueur évincé.
Je ferme les yeux et encaisse ses paroles.
— Tu me connais mal. Mariko te téléphonera sûrement, elle doit te parler.
Il hausse un sourcil et puis hoche la tête.
— Ah ouais, c'est sérieux, donc... Elle veut me larguer, c'est ça ?
Je ne réponds rien, je ne sais de toute façon pas quoi répondre.
— J'en ai aucune idée.
Mes paroles le sidèrent.
— Bref, comment tu vas, Anna ?
Comment lui annoncer ?
— Pas très bien.
Il plisse le front et s'inquiète soudainement.
— À cause de l'agression ?
J'acquiesce.
— Il y a eu beaucoup de complications...
Il approche son visage de la vitre.
— Du genre ?
Je souffle.
— J'ai des côtes cassées, j'ai eu des difficultés à marcher pendant des jours.
Il plonge son regard dans le mien et me supplie.
— Anna, ne fais pas ça... Dis-moi comment va le bébé ?
Je reçois comme un coup au cœur.
— J'ai reçu trop de coups...
Il écarquille les yeux, terrifié.
— Lève-toi, s'il te plaît...
Je m'exécute, je sais ce qu'il veut vérifier. Mon ventre arrondi n'est plus là. Quand il s'en aperçoit, il devient rouge de colère.
— Alors, j'ai fait tout ça pour rien ?! J'ai quand même perdu mon gosse ?!
Sa douleur me rappelle la mienne quand Jô me l'a annoncé.
— C'est pour ça que tu es ici ?! Tu ne voulais pas forcément me voir, tu pensais être obligée de m'avertir...
Je le toise à présent. Je lui interdis de penser et dire n'importe quoi.
— On a perdu le bébé oui... Je sais ce que tu ressens, mais je ne te laisserai pas croire que je suis ici simplement pour t'annoncer ça. Je suis là parce que...
Il murmure :
— Je ne veux pas te perdre également, Anna. Tu es tout ce qu'il me reste...
J'aimerais tant pouvoir le prendre dans mes bras.
— Ça n'arrivera pas, j'ai besoin de toi.
Il soupire.
— Je sais que je n'ai pas toujours été correct avec toi, pardonne-moi...
J'ai l'impression qu'on se fait nos adieux.
— Ne t'excuse pas. Je suis fautive également.
J'ai tellement envie de lui avouer ce que j'ai sur le cœur, mais les mots ne sortent pas.
— Tu reviendras me voir ?
Je me perds dans son regard.
— Aussi longtemps que tu seras ici.
Il appuie sa main sur la vitre et je pose la mienne sur la sienne.
— Je viendrai à ton jugement, je te soutiendrai.
Le gardien s'approche de Shôji pour l'éloigner de moi et le ramener à sa cellule.
— Je t'aime, Anna !
Je me lève rapidement et le regarde se faire entraîner. Je lui lance un dernier regard rempli d'amour.
Mon cœur se brise quand je l'imagine retourner dans cet enfer. Que va-t-il se passer pour lui s'il doit rester dix ans ici ? Je ne peux l'accepter. Pourquoi ne m'a-t-on pas demandé de témoigner en sa faveur dans deux jours ?
Je sors du parloir et je rejoins Nil à la voiture. Une fois sur le parking, je téléphone à l'avocat de Shôji pour avoir des explications. Celui-ci me répond que Shôji ne voulait pas que je témoigne se sachant, de toute manière, condamné et refusant de m'impliquer là-dedans. Il est à présent trop tard pour inclure un nouveau témoin dans l'affaire d'après lui. Je hurle de rage au téléphone. L'avocat ne réagit pas et me répond calmement. Je finis par raccrocher au nez de celui-ci, en colère.
— Tu vas bien, Anna ?
Je me retourne vers Nil, furieuse.
— Cet idiot de Shôji a exigé à son avocat de ne pas me demander en tant que témoin pour son jugement. Il va plaider coupable ! Je ne sais même pas qui va témoigner en sa faveur pour confirmer la légitime défense...
Nil s'approche de moi avec précaution.
— Jô... Jô va plaider en sa faveur. C'est pour ça qu'il passe beaucoup de temps avec son assistante, parce qu'il lui donne tout le travail qu'il ne peut pas accomplir quand il bosse sur le dossier de Shôji.
J'en reste bouche bée.
— Depuis quand tu es courant ? Et pourquoi on ne m'a rien dit ?!
Il me touche doucement le bras pour m'apaiser.
— Parce qu'avec la perte de ton bébé, on ne voulait pas te préoccuper davantage.
Je retire violemment sa main de mon bras, en colère.
— C'est une blague ? Jô n'y étais même pas, quand...
Nil force le contact et m'attire à lui pour me prendre dans ses bras.
— On ne voulait pas que tu revives cette soirée...
Je chuchote :
— Mais je suis la seule qui ait tout vu...
Nil resserre son étreinte, mais ne me lâche pas.
— Shôji sait ce qu'il risque, c'est sa décision.
J'éclate en sanglots.
— Je ne supporterai pas de le savoir là pendant des années.
Nil prend une profonde inspiration avant de continuer.
— Anna, il ne veut pas t'impliquer. Je crois que c'est une belle preuve d'amour, non ?
J'essuie mes larmes et regarde mon ami.
— Je m'en fous de ces preuves à partir du moment où je ne pourrais plus le toucher !
Je remonte derrière le volant et essaye de me calmer. Nil prend place à mes côtés.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Je pose mon regard sur Nil et lui réponds :
— Tu demandes à Mariko de rompre avec lui, moi je vais passer mon permis et on revoit Shôji dans deux jours...
Malheureusement, la vie reprend son cours, que Shôji soit enfermé ou non.
Je mets la clé dans le contact et démarre la voiture, je reste concentrée et roule correctement malgré ma rage.
On arrive au bout d'une heure à l'appartement. Nil m'accompagne jusqu'à l'intérieur.
— Merci Nil de m'avoir permis de conduire et de le voir.
Il se pince les lèvres nerveusement.
— Tu as besoin, j'accours !
Je lui fais la bise et il repart à la voiture.
Cette journée a été pénible, je n'ai cessé de ruminer cette histoire dans ma tête. Comment aider Shôji si celui-ci ne me le permet pas ? Je ne peux pas rester assise et le voir se faire condamner pour un meurtre qu'il a commis pour me sauver. Cette balle est partie dans la bagarre, ce n'était qu'un accident ! Comment peuvent-ils avoir envie d'enfermer quelqu'un qui a protégé une autre personne ?
Mon bébé est décédé ce soir-là et pourtant personne ne se fera condamner pour ça ! Je suis furieuse. Je ne sais pas si je dois respecter la décision de Shôji. Je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas penser plus tôt à être témoin pour lui. Je m'en veux tellement !
Mes côtes me font souffrir, mon cœur saigne et l'intérieur de mon ventre est creusé par le vide... Je hais Kyle pour ce qu'il m'a fait ! Il a réussi à me retirer tous les êtres que j'aime, à l'exception de Jô.
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