Arya, allongée à même le sol sur un lit de cendres et de poussières, avait le visage tourné vers l'homme qu'elle aimait, dans la même position qu'elle à ses côtés. Quelques centimètres à peine les séparaient.

Elle lui sourit et tenta une plaisanterie.

— Tu ne vas pas mettre fin à mes jours cette fois-ci rassure moi ?

— J'en serais bien incapable... lui répondit une faible voix rauque, des cendres ayant élu domicile dans ses cordes vocales fondues.

L'intensité dans ses yeux troubla un instant Arya. Cette dernière déglutit et son sourire s'effaça. Pourquoi semblait-il la regarder comme si c'était la dernière fois qu'il la voyait ?

Le côté droit du visage de Neven était grièvement brûlé, elle n'était pas certaine qu'il voie encore de son œil atteint. Tout le reste de son corps présentait des rougeurs, des cloques. Son bras en miettes suivait un angle anormal et l'étrange couleur noir violacé qui le recouvrait entièrement n'augurait rien de bon. La fracture ouverte laissait transparaître un bout d'os et malgré le bandage qui avait tenté de le maintenir et qui était partie en fumée, il avait perdu une grande quantité de sang. Son torse était recouvert d'écorchures, de marbrures et d'ecchymoses. Quelques-unes de ses côtes devaient être brisées. Sa respiration était sifflante, difficile. Le poids de ses propres poumons à chaque inspiration était trop lourd. Ses bronches brûlées lui quémandaient de stopper l'afflux d'air lacérant.

L'empereur n'était qu'agonie.

La jeune femme eut un pincement au cœur à cette vue. Elle ne supportait pas de le voir dans cet état. Elle ne voulait pas le voir souffrir. Elle ne voulait pas le voir... mourir.

Une pensée jaillit dans son esprit. Était-ce ce qu'il avait ressenti ce jour-là ?

Elle se figea. Elle n'était pas aussi forte que lui.

— Tu as intérêt à te remettre car il est hors de question que je mette fin à tes souffrances.

L'ébauche d'un sourire traversa son visage agonisant. Il ferma les yeux, grimaça, expira lentement.

— Je ne te ferai pas porter ce fardeau, ne t'inquiète pas.

Le sang quitta le visage d'Arya. Ses mots étaient terribles, douloureux. L'urgence la saisit, réhaussée par sa propre douleur.

— Reste à mes côtés, Neven. Tu voulais qu'on soit ensemble, du même côté. C'est le cas. Je me suis battue avec toi, pour toi. Ne me laisse pas.... J'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu sois à mes côtés.

Neven lui renvoya un regard rempli d'amour.

— Ces genres de déclaration sont pour les mourants sur leur lit de mort... Ne m'enterre pas si vite, je ne compte pas rendre les armes.

Elle ne tenta même pas d'essuyer ses larmes. Elle avait si mal, elle pleurait aussi bien pour sa propre douleur que la sienne.

— J'ai l'air si mal en point ? Je me sens terriblement mal en point...

— Tu aimes trop jouer les victimes voilà tout, répliqua-t-elle, ne supportant pas l'intensité du moment.

Il ricana et son rire se transforma en toux.

— C'est un peu vrai, c'est un de mes plus gros défauts... Tu vois ? Il en existe donc.

Ce rappel à leur discussion insignifiante du début de la journée déclencha un sanglot chez la jeune femme. Ils restèrent silencieux un moment. Finalement, ni l'un ni l'autre ne pouvait lutter plus longtemps. Ils avaient tous donner pour combattre les légendes, aujourd'hui plus que jamais.

Neven succomba en premier.

— Neven ?

La peur envahit le cœur d'Arya.

— Neven ? Rouvre les yeux. Rouvre les yeux ! Pour moi. Pour Ronan. Si tu ne te bats pas pour toi, bats-toi pour nous... Neven ! Tu vas rouvrir les yeux n'est-ce pas ?

Attendant une réponse qui ne vint jamais, déchirée et brisée, elle sombra à son tour dans l'inconscience.

***

Le bilan de la journée était lourd.

Aucun quartier de Davar n'avait été épargné. Les reconstructions allaient prendre des mois, des années. Les dégâts matériels étaient innombrables. Les dégâts humains... Plus de vingt mille personnes avaient succombé aux légendes.

Sans compter les autres cités.

Estaros, l'ancienne capitale de Pejin, avait essuyé l'attaque du loup nordique mythique, Fenrir. L'Isaki n'avait pas pu être maîtrisé et avait disparu dans la nature non sans avoir bien rempli son estomac avant.

A Mistrala, la cité Everlens avait dû lutter contre le chien des Enfers, Cerbère. Les soldats étaient parvenus à l'endormir, après moultes efforts. Incapable de le tuer à la suite d'une erreur de jugement des personnes en charge, l'Isaki avait été déplacé loin de la cité où, hélas, il s'était libéré, lâché dans la nature, semant peur et chaos dans son sillage. Une chasse à la bête avait été ouverte. Des réserves en jeonite avaient spécialement été envoyées, en faisant une des priorités.

La province de Glacilonne avait subi de lourds dégâts et continuait d'en subir. Charybde avait été libéré dans l'immense lac trônant au cœur de la cité d'Armilen et s'y trouvait encore.

Mais la perte la plus conséquente restait pour Jaling. Sur toute la population de Marsont, sur l'ensemble des soixante mille habitants, pas un seul n'en avait réchappé. La cité entière avait été rendue muette, immobile, statufiée par le regard pétrifiant de Méduse. Tout le monde était prisonnier de la pierre. Et l'Isaki, en liberté, avait disparu.

Le bilan s'élevait à plus de cent mille victimes et il ne cessait de s'alourdir.

Des mesures avaient été mises en place par le gouvernement. Aussi bien pour la réparation, la prise en charge des blessés mais aussi la protection. Car personne n'était à l'abri d'une nouvelle attaque.

Les amythes qui avaient été volées avaient certes toutes été utilisées mais les rebelles établis à Tirnaba possédaient à présent un tisseur.

D'autres attaques pourraient avoir lieu, d'autres Isakis ravageurs pourraient être libérés et lâchés sur Obsidian désormais.

Beaucoup avait pensé que la guerre serait déclarée. Pourtant, le gouvernement de Tirnaba continuait de nier en bloc ces attaques, remettant la totalité de la faute sur ce groupe dissidents. Des rebelles immigrés et réchappés des provinces annexées cherchant vengeance.

Les espions d'Alvin ayant disparu, plus personne ne pouvait vérifier la véracité des informations. Le gouvernement était corrompu mais jusqu'à quel point ? La guerre serait-elle vraiment la solution pour ce royaume qui semblait divisé ? Il était évident que Tirnaba ne pourrait pas le supporter.

Cette lourde décision ne pouvait être prise en l'absence de l'empereur, encore en convalescence. Cependant, tout le monde savait qu'il n'engagerait pas le combat. Neven, comme l'empire, avait eu sa dose de batailles.

Ronan avait assuré ses fonctions, en tant qu'empereur intérimaire. Alvin et la générale Rosaline étaient d'une aide précieuse.

Plus de la moitié des soldats avaient dû recevoir des soins.

Parmi les gardes d'élites de l'empereur, tous s'en étaient sortis. Hélas, tous n'étaient pas indemnes. Justin, après suffisamment de repos, avait pu reprendre ses fonctions en un rien de temps. Mael était un peu plus atteint mais avait repris tout aussi vite, refusant de rester immobile en cette période difficile.

Cependant, pour Kolm, Fallon et Laura, il en était autrement.

Kolm était dans un sale état. Les dégâts physiques qu'il avait reçus ne lui permettraient jamais de récupérer complétement et il devrait apprendre à vivre avec ce handicap. La sévérité de celui-ci dépendrait grandement de sa capacité de récupération et des efforts qu'il fournirait durant sa rééducation.

Fallon avait été la plus touchée. Sévèrement blessée, sa colonne vertébrale broyée, elle avait perdu définitivement l'usage de ses jambes. Elle ne pourrait plus servir la couronne en tant que garde d'élite. Elle s'était murée dans un mutisme duquel personne ne semblait pouvoir la tirer.

Laura, sa jambe en miette, entrait dans une longue période de convalescence. L'ensemble de ses ligaments, de ses muscles, de ses os étaient atteints. Elle devrait subir de nombreuses opérations avant de pouvoir estimer avec exactitude l'ampleur de sa perte.

Et puis il y avait Hinata.

Complétement démembrée, vidée de son sang, la tisseuse n'avait pas réouvert les yeux. Elle avait donné sa vie pour protéger la cité, se battant jusqu'au bout pour pouvoir renfermer Gashadokuro. Elle avait servi le royaume qu'elle avait tant aimé jusqu'à la fin, lui donnant tout ce qu'elle avait.

Sans elle à Obsidian, les amythes devenaient à présent un mythe inatteignable.

Concernant les Roses, elles avaient également été remises sur pied.

Camila avait surtout eu besoin de repos et elle avait dormi presque trois jours d'affilés, ne se réveillant que pour manger et faire ses besoins. Elle ne garderait aucune séquelle. Sans doute que les larmes du Phoenix avaient joué un rôle dans cette résistance et cette récupération notables.

Pit lui avait tenu compagnie, il n'avait pas été sévèrement touché et s'était attelé à donner des coups de main quand il le pouvait.

Juliette avait eu bien besoin du soldat d'Arrosa. Voir son visage familier et rassurant avait été d'un grand secours. Il avait été plus que surpris de l'immense implication de la jeune fille dans le combat contre le Dragon. Pit l'avait félicitée bien sûr mais ne pouvait s'empêcher de se sentir gêné qu'elle ait eu à vivre tout ceci à son jeune âge. Cela lui rappelait sa petite sœur. C'était souvent ce qui allait de pair avec les bénis à un trop jeune âge hélas. En tout cas, il était content de voir qu'elle n'avait rien de sérieux mise en part une fatigue qui l'avait clouée au lit pendant plus de quatorze heures.

Pour Madame Jupiter, c'était toujours après les batailles que ses plus gros combats débutaient.

Il fallait dire qu'elle n'avait pas pu chômer avec les deux cas qu'elle avait eus à traiter. La guérisseuse était restée en salle de soin nuit et jour, ne s'arrêtant que pour se nourrir rapidement. Elle était restée près de vingt-quatre heures auprès de Neven avant de finalement pouvoir déclarer que sa vie n'était plus en danger.

Arya avait été un cas plus simple. Aussi, quand elle reprit connaissance deux jours plus tard, son état était des plus prometteurs. Son pied brisé reposait à présent dans un plâtre qu'elle devrait garder pendant un mois. Son pied en miettes avait nécessité la mise en place de tiges en métal. La guérisseuse l'avait prévenue qu'elle garderait des séquelles et qu'une claudication permanente était attendue. La jeune femme aurait de rigoureuses séances de rééducation à suivre. Quelle ne fut pas sa joie quand elle apprit qu'elle pourrait se joindre aux mêmes séances que Kolm.

Finalement, il fallut une semaine avant qu'Arya puisse revoir Neven.

La jeune femme avait laissé ses larmes couler. Le voir en vie, respirer et la regarder intensément comme il en avait l'habitude lui enleva le poids douloureux qui encombrait sa poitrine. La certitude, la preuve sous ses yeux qu'ils avaient réchappé à tout ça, qu'ils étaient en vie, ensemble, côte à côte, entourés des gens qu'ils aimaient, était la plus belle des récompenses.

Arya entreprit donc sa rééducation trois jours après son réveil. Les séances se transformèrent rapidement en duel incessants. La rivalité entre Arya et Kolm les poussaient l'un et l'autre à se surpasser. A trop se surpasser. Si bien que le rééducateur dut leur préconiser de se calmer. Les plaies n'étaient pas encore suffisamment cicatrisées pour forcer autant. Les massages et le drainage étaient la clé en ce début de traitement.

— Merci, marmonna Kolm, après une défaite.

Du moins du point de vue de Arya.

— Merci ? Tu as perdu, j'ai...

— Pour l'autre fois.

Oh. Arya se détendit aussitôt. Etonnée, elle ne sut pas immédiatement quoi répondre. Son visage était caché mais il se fendit d'un petit sourire.

— Ne va pas t'imaginer que c'était pour toi, répondit-elle finalement.

— Je ne t'avais rien demandée. Je ne te dois rien.

— A part ta vie...

— Je t'ai rendue ta bénédiction, c'est toi qui devrais me remercier.

— Ta capacité à retourner les situations à ton avantage est assez embarrassante.

— Venant de toi, c'est assez ironique.

— N'en parlons plus.

— Plus jamais.

Ils n'en parlèrent plus. Seulement pendant un temps. Plus tard, Arya ne manquerait jamais une occasion de le lui rappeler.

Arya, sa sœur l'accompagnant, rendit également visite à Laura et Fallon. Malheureusement, l'état de cette dernière était des plus inquiétants. Madame Jupiter avait fait son possible mais le diagnostic était sans appel. Arya était allée lui amener des pommades et autres onguents qu'elle s'était amusée à préparer dans sa chambre alors qu'elle s'ennuyait. La discussion avait été un monologue sourd, au grand dam des deux sœurs. Son cœur se serrait de voir leur amie dans cet état catatonique et dépressif. Mais Fallon était la seule à pouvoir décider quand en sortir. Il lui fallait du temps. Toujours du temps.

Durant cette période étrange d'après drame, le jugement pour l'acte de trahison d'Arya eut également lieu, alors qu'il lui semblait avoir vécu une vie depuis — ce qui était le cas. Convalescente, deux jours après qu'elle ait eu repris connaissance, la Rose avait dû s'y rendre.

Au moins, s'était-elle dit, son apparence pitoyable lui ferait gagner quelques points de sympathie. Nul doute que ses prouesses des derniers jours joueraient en sa faveur.

Du moins, elle l'espérait.

**--- Note de l'auteur ---**

Chapitre bien plus calme ! Fini l'action, ici nous avons les conséquences de cette attaque !

Les séquelles sont nombreuses et tous ne sont pas indemnes hélas...

Grosse pensée pour Hinata ❤️

N'hésitez pas à voter/commenter si ça vous a plu (ou pas) !

The End -2 chapitres 🥲

À trés vite !