Du haut de son mètre cinquante, la peur transparaissant par tous ces pores, une jeune fille apeurée lançait de son bras tremblant des projectiles sur le monstre qui lui faisait face.

— Juliette...

Son prénom était à peine un murmure. Neven lui-même n'entendit pas ses propres mots.

Comment l'adolescente était-elle arrivée en bas ? Comment était-elle même ici ?

L'empereur tourna rapidement son regard vers l'Isaki. Il ne lui prêtait aucune attention.

— Neven !

Les larmes ruisselaient le long des joues de la jeune fille.

— Tu dois survivre !

L'émotion terrassa Neven.

Une jeune fille, une adolescente de quatorze ans, à peine sortie de l'enfance, se tenait face à la créature légendaire qu'était le Dragon. Pourtant, à cet instant, ce n'était pas la puissance de la légende qui impressionnait le plus. C'était cette démonstration pure de courage. Le courage dont faisait preuve cette jeune fille terrifiée.

Juliette porta son regard sur Neven. Elle espérait que sa conviction, sa confiance en lui transparaissaient dans ses yeux. Elle aurait aimé dire plus. Dire à Neven tout ce qu'elle avait sur le cœur. Mais elle avait si peur... Elle alourdit les cailloux dans sa main, les transformant en balles de jeonite, avant de les lancer. Une tentative pour détourner l'attention de l'Isaki. Est-ce que cela suffirait à payer sa dette ? En vérité, dette ou pas dette, elle aurait agi de toute façon.

Juliette était terrifiée. Elle aurait dû être tétanisée par la peur. Mais cette vision, cette scène qui se déroulait sous ses yeux lui avait retourné l'estomac. Son cœur, sa poitrine avaient été atrocement compressés. Sa respiration difficile aurait pu laisser croire que c'était elle qui avait mené le combat.

Pourtant, c'était bien son héros qui luttait.

Alors qu'il était couvert de blessures, que le sang ruisselait sur tout son corps, que ses membres tremblaient de l'effort qu'il fournissait, l'empereur dragon était resté debout.

Un bouclier d'obsidienne inébranlable qui protégeait la ville du désastre qui lui faisait face. Qui les protéger. Qui la protéger. Encore.

Elle n'avait pas pu rester immobile, à observer. Son corps avait bougé de lui-même.

Nombre de soldats avaient entrepris de descendre. Nombre d'entre eux avaient été tués.

Mais pas Juliette. Elle avait réussi, car elle avait son propre secret.

La jeune fille était arrivée en bas, échappant à Madame Jupiter qui tentait de la retenir. Elle avait supplié la guérisseuse de la laisser faire.

L'adolescente ne pouvait pas ne pas aider. Elle le devait. C'était aussi simple que cela.

Les cailloux transformés en projectiles de jeonite atteignirent leur cible.

Le lourd et intense regard jaune du Dragon se tourna vers elle. Son bras, qui s'apprêtait à jeter une nouvelle fournée de cailloux, se figea en plein vol quand elle s'en rendit compte. Cette pression... Juliette fit un pas en arrière et se figea. Elle déglutit.

La seconde patte avant du Dragon fonça droit sur elle.

— Juliette !

La jeune fille retint son souffle. Elle voulut partir en courant mais ses jambes tremblantes ne réagirent pas immédiatement, tétanisée qu'elle était, et l'adolescente comprit qu'elle ne serait pas assez rapide. Ses yeux s'écarquillèrent.

La patte, trop rapide, s'écrasa sur le sol. Le lourd fracas de l'impact résonna dans toute la zone souterraine. Un nuage de poussière s'éleva.

De larges fissures s'échappaient du point d'impact. Du sang s'échappait de sous la paume de l'Isaki...

La poussière retomba peu à peu.

La tache de sang s'agrandit.

Juliette avait les yeux fixés sur cette tâche rouge, imaginant que cela aurait pu être... elle. Elle déglutit bruyamment.

— Tu vas bien ? Tu n'as rien ?

Dans les bras de Neven, elle leva la tête vers lui. Il était couvert de sang et de poussière. A moitié nu, son torse presque entièrement exposé, couvert de lambeaux de vêtements carbonisés. Son visage inquiet la détaillait intensément, à la recherche de la moindre blessure. Juliette hocha la tête.

Qu'est-ce qu'il venait de se passer ? se demanda-t-elle. Qui avait été écrasé ?

— Est-ce que...

— C'est son propre sang ne t'inquiète pas. Le ciment a été mélangé à de la jeonite. C'est ce qui l'a blessé. L'impact était... violent.

— Comment tu...

L'adolescente n'arrivait pas à formuler ce qu'elle souhaitait exprimer. Cette expérience de mort imminente avait eu plus d'impact que Neven ne l'aurait imaginé. Il lui sourit tendrement, reconnaissant.

— C'est grâce à toi. Grâce à ta diversion, la pression qu'il exerçait sur moi s'est suffisamment relâchée pour que je m'extirpe.

Juliette serra ses lèvres tremblantes et les larmes lui montèrent à nouveau aux yeux. Elle lui sourit timidement.

— Je te remercie Juliette, ajouta-t-il en lui serrant l'épaule. Tu m'as sauvé.

L'étau dans le corps de la jeune fille disparut à ces mots. Juliette se sentit soudain si légère qu'elle en expira bruyamment et sourit de toutes ses dents. La dette qui la liait à Neven était payée.

Une vie pour une vie.

— Alors, on est quittes, murmura-t-elle.

Neven lui sourit. Cette jeune fille était décidemment beaucoup trop courageuse. Elle ne se rendait pas compte de l'importance qu'avait eu son apparition sur Neven. Mais il lui était infiniment reconnaissant. Elle l'avait vraiment sauvé. Le poids de sa culpabilité avait toujours été trop lourd pour lui.

L'empereur s'était souvent renfermé sur lui-même. Ronan était le seul qui connaissait réellement la profondeur de ses tourments. Car il les partageait. Arya avait également réussi à briser sa carapace et à les apercevoir.

Neven n'était pas seul. Il n'avait pas le loisir d'être égoïste. Encore moins maintenant. Il ne pouvait pas se laisser aller à ses sombres pensées. Il pensait les avoir battus, à la mort de son père. Mais les doutes, le manque de confiance en soi, le dégout de soi... il s'agissait d'émotions tenaces. Parfois, dans les moments les plus difficiles, elles ressurgissaient, empoisonnant son esprit.

Mais des personnes comptaient sur lui. Ronan, Arya, les habitants de Davar. Des innocents comme Juliette. Il ne devait pas les décevoir. Il devait se battre pour leur offrir un avenir où ils ne perdront plus les personnes qu'ils aimaient.

Ayant repris ses esprits, son objectif de nouveau clair en tête, Neven s'empressa d'analyser la situation autour de lui.

— Il faut que l'on t'éloigne de là, déclara Neven. C'est dangereux.

Juliette regarda autour d'elle.

Les soldats qui étaient descendus tentaient de détruire l'Isaki. Le temps allait leur manquer. Juliette aperçut ce qui avait généré cet excès de zèle chez les guerriers charbonneux.

— Neven...

— J'ai vu. Il faut se dépêcher.

Le ciment autour des pattes arrière de l'Isaki se fissurait.

Le Dragon n'allait pas tarder à se libérer.

— Attends. Ton bras.

Juliette sortit sa veste et, tirant sur une couture, en détacha les manches. Elle chercha autour d'elle et repéra des bouts en acier qui pourraient lui servir. Neven l'observa et se laissa faire tandis qu'elle préparait une attelle de fortune pour son bras. Il regarda autour de lui et son regard fut attiré sur deux soldats, qui arrivaient vers lui et qui le fixaient. L'empereur leur fit signe. L'un d'eux exhorta immédiatement son seigneur à se mettre en lieu sûr, à remonter en hauteur mais Neven l'ignora. Il réfléchit au plan qu'ils avaient mis en place.

Ils pouvaient libérer une grande quantité de ciment pour immobiliser l'Isaki. Les tuyaux étaient en position. Cependant, un autre problème se présentait à eux. Les tuyaux avaient été bouchés par les dégâts, les éboulements qu'avaient causés le Dragon.

— Je vais le retenir. S'il se concentre sur moi, vous aurez le champ libre pour déblayer la zone. Je peux vous la confier ? Remontez-là à la surface, s'il vous plaît. Et prenez soin d'elle.

Le soldat sourit et inclina la tête.

— Bien sûr, votre Majesté.

Neven s'accroupit près de Juliette.

— Sois courageuse encore un peu, Juliette. Tout sera bientôt terminé.

Juliette hocha la tête, convaincue par ses paroles.

Neven remercia le soldat près d'elle et s'éloigna vers le Dragon.

Le jeune homme s'élança sur lui, manipulant des flammes pour attirer son attention. Il les projeta, visant ses yeux, son visage. D'après sa propre expérience, les muqueuses étaient plus sensibles aux flammes. Peut-être que pour l'Isaki c'était la même chose. Le Dragon rugit. Neven ordonna aux soldats de s'éloigner. Cela avait au moins eu le mérite de l'agacer. Son attention était de nouveau focalisée sur l'empereur.

Un échange de coups s'ensuivit. Le Dragon avait nettement l'avantage. Neven commençait à fatiguer, d'autant plus qu'il était blessé. Même si le nombre de soldats avait bien diminué pendant leurs échanges, il en restait une demi-douzaine, et un tuyau était encore inapte à l'utilisation. Trois soldats s'échinaient à le désencombrer mais leur faible nombre rendait la tâche bien plus délicate.

Le Dragon ouvrit sa gueule. Un rond incandescent s'alluma au fond de sa gorge. Une nouvelle langue de feu s'apprêtait à être relâchée. Neven s'élança, bien plus rapidement qu'un humain ordinaire ne l'aurait pu. Il repoussa trois personnes de leur trajectoire quand les flammes se déployèrent.

Neven tourna la tête. Il était séparé des trois soldats autour du tuyau par la colonne incandescente. Il n'allait pas les atteindre à temps. Il pouvait bien sûr traverser les flammes mais il n'y aurait plus d'endroits pour les abriter. Ils étaient pris en tenaille entre les flammes et le mur. Neven s'en sortirait mais les soldats...

L'empereur déploya ses propres flammes. S'il agaçait suffisamment l'Isaki, il interromprait peut-être à temps son souffle pour les porter sur lui ?

Mais les flammes ne faiblirent pas. Les soldats commencèrent à paniquer. Ils s'agitèrent et se mirent à courir le long du mur. Leur idée était sans doute d'arriver à atteindre une distance suffisamment éloignée pour échapper à la portée de la langue enflammée. Hélas, celle-ci était bien trop importante pour qu'ils y parviennent durant les quelques secondes qui leur restaient à vivre...

— Je m'en occupe Neven ! Continue de détourner son attention !

Neven cligna des yeux plusieurs fois. La fatigue ne devait vraiment pas l'aider mais... Ce que ses yeux lui renvoyaient...

Devenait-il fou ? Avait-il des hallucinations ?

Arya descendait à toute vitesse sur les soldats. Elle semblait courir le long du mur, supportée par neuf longues queues albâtres ayant trainé dans les flammes. Elle exhorta aux soldats de ne pas se débattre, de s'arrêter. Deux d'entre eux l'écoutèrent. Cette vision ahurissante les stoppa net. Un autre, déterminé à sauver sa vie, à ne pas abandonner, continua sa course.

Arya arriva sur les deux soldats en un bond, les saisit à l'aide de ses queues, une entourant chacun d'eux, puis jura dans sa barbe, les exhortant de bien s'accrocher.

La jeune femme se servit de deux de ses queues pour se propulser, à l'image d'un lace caillou. Elle atteignit le dernier soldat en plein vol et, sans même prendre le temps de toucher le sol, sentant déjà la chaleur faire fondre sa peau et ses vêtements, elle s'éleva dans les airs.

Leur cœur battant la chamade, n'en revenant pas de cette drôle d'expérience, les trois soldats explosèrent de rire. Lequel d'entre eux aurait pu imaginer qu'ils finiraient balloter dans les airs, prisonniers des queues de renard d'une femme ?

Quand la colonne de flammes atteignit le mur, ils étaient tous les quatre loin au-dessus.

Spectateur, tout le corps de Neven se réchauffa. De soulagement, de joie, de surprise.

Arya était là, en vie et avec sa bénédiction. Les Queues du Kitsune. Elle l'avait récupérée.

La jeune femme fut à ses côtés un instant plus tard, bondissant comme un singe, se servant de ses queues comme de lianes. Elle relâcha les trois soldats en les félicitant, leur indiquant qu'ils avaient « été au top ». Puis elle se tourna vers Neven. Elle pinça ses lèvres.

— Salut, finit-elle par dire, presque timidement.

Neven l'attira à lui et lui vola un baiser.

— Il faut toujours que tu en fasses des caisses, commenta-t-il.

Elle lui sourit. Puis, le détaillant de haut en bas, la jeune femme fronça les sourcils.

— Qu'est-il arrivé à ton bras ?

— Qu'est-il arrivé à ton pied ? répliqua-t-il.

Arya fit la moue. Elle fit mine de se couvrir les joues, mal à l'aise.

— Tu observes de trop près mon corps, ça devient gênant, Majesté... Et pour information, c'est loin d'être le « détail » le plus flagrant chez moi.

Preuve à l'image, elle mobilisa ses neuf « détails » et les agita derrière elle.

— Je n'ai rien dit sur le « détail » le plus flagrant car nous n'avons pas le temps d'entendre tes vantardises.

Arya ricana, ravie.

— Oui, tu as raison, plus tard. On a une légende à abattre.

— Je suis content de te voir.

Elle lui caressa la joue.

— Moi aussi.

Neven était concentré sur elle et la présence du Dragon, qui semblait s'être légèrement calmé. Arya, elle, n'avait d'yeux que pour lui. Mais, alors qu'elle dévorait son visage couvert de sang et de poussière du regard, s'émerveillant des écailles qui le recouvraient, elle fronça les sourcils.

Saisie d'une impulsion, elle l'entoura de ses queues, comme pour l'isoler du reste du monde. A l'image de ce que le Kitsune avait fait pour ses enfants.

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

Cela ne le dérangeait pas mais cet élan de tendresse, de possessivité semblait si incongru et déplacé en l'instant, qu'il ne put masquer son étonnement.

Derrière Neven, Arya avait cru distinguer un des soldats brandir une arbalète vers eux. A l'impact qu'elle sentit sur l'une des queues, ce n'était pas que son imagination.

Une flèche avait été décochée.

— Je crois qu'un de tes soldats vient de tenter de t'abattre.

**--- Note de l'auteur ---**

Arya entre dans la danse finale ! 🎉

Parviendront-ils à se débarrasser du Dragon ? Réussiront-ils l'exploit de le battre ?

Quel est cet étrange pouvoir que Juliette semble posséder ? Des idées ?

Tous nos héros s'en sortiront-ils vivants ?

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A très vite !