Chapitre 37
Quelques minutes plus tôt, à l'entrée sud-est de Davar, Camila s'ennuyait.
Elle était passée voir sa sœur tôt dans la matinée, la serrant dans ses bras pour se donner du courage à l'une comme à l'autre et était partie rejoindre son poste. Elle était déterminée à empêcher les Isakis de se matérialiser. Aujourd'hui et les jours suivants.
Elle ne laisserait pas un nouvel incident lui enlever le dernier membre de sa famille. Elle ne laisserait pas Davar lui prendre sa sœur une nouvelle fois. Elle l'avait suivie dans ce but, et sa mission n'était pas terminée. Tant qu'elles ne seraient pas de retour chez elles, à Samem, elle ne baisserait pas sa garde. Pour elle, Davar était synonyme de danger. Il y avait deux façons de faire face à un danger : la fuite ou l'affront. La fuite avait été exclue, ne lui restait donc qu'une seule option.
Pour ça, elle devait mener à bien la mission confiée à tous les soldats en poste au niveau des murailles de la capitale. Identifier les porteurs et récupérer les pierres pourpres. Seulement cela pouvait être n'importe qui, n'importe quand.
Après deux heures à être tendue et en alerte, elle avait commencé à soupirer. Pit le lui avait signalé : c'était toujours le premier signe avant qu'elle ne devienne exécrable. C'était lui qui risquait d'en faire les frais, il s'était donc gentiment éloigné pour lui laisser de l'intimité.
Camila s'était alors mise à observer les soldats. Certains commençaient à bailler, certains jouaient entre eux pour passer le temps, ferraillaient ou entreprenaient des conversations qui n'avaient pas vraiment leur place dans une situation comme la leur. Les gradés en rappelaient certains à l'ordre. Après un court instant de farouche vigilance retrouvée, l'ennui les rattrapait et l'attention de chacun déviait inexorablement.
Les messagers étaient finalement les plus actifs à courir aux quatre coins de la cité pour répéter à tout le monde le même message : rien à signaler.
Camila soupira encore, pour ce qui lui sembla être la millième fois depuis ce matin, la millionième fois depuis des jours. Elle aurait aimé que Arya soit là. Elles auraient pu discuter de ce qu'elles feraient quand tout serait terminé. Ce qu'Arya déciderait. Elle n'était pas aveugle. Sa sœur aimait l'empereur et il l'aimait en retour. Elle voudrait forcément rester à ses côtés. Dans cette ville qui la terrifiait.
Camila avait également passé la matinée à observer les passants et les habitants. La déchéance humaine n'arrangeait en rien son humeur. Une femme à peine adulte s'élança sur un père de famille, faisant mine de trébucher. Tandis qu'il la rattrapait par réflexe, elle lui vola la bourse qu'il avait attaché à sa ceinture, ainsi que les bracelets qu'il avait à son poignet. La voleuse complimenta ensuite les enfants, leur tapant la tête comme pour les féliciter d'être si mignon et elle alla même jusqu'à s'emparer du jouet de l'un d'eux. Camila envoya immédiatement un soldat – l'un de ceux qui avaient rendu les armes et s'était laissé aller à roupiller. Il l'écouta sans broncher, bien qu'elle n'ait aucun grade ici. Sans doute car tout ce qu'ils attendaient, c'était un peu d'action.
Plus tard, c'était un enfant de bas âge qui l'attrista. A peine âgé d'une dizaine d'années, il cherchait autour de lui, tournant sur lui-même encore et encore en appelant son papa. Il commençait à pleurer. Une bonne femme s'arrêta à ses côtés et s'accroupit pour écouter ses propos. L'enfant continuait à pleurer, perdu, seul. Son père l'avait-il abandonné ? La femme d'un âge assez avancé lui prit la main et regarda autour d'elle. Elle arrêta plusieurs personnes, leur demandant des renseignements. Soudain, après plusieurs essais infructueux, un homme accourut en hurlant et plongea dans les bras du petit garçon. Après des retrouvailles qui arrachèrent un sourire à Camila, l'homme s'avança vers la bonne femme et lui serra la main, la remerciant allègrement. Ils discutèrent quelques minutes et Camila allait détourner les yeux quand, n'en revenant pas, elle se rendit compte que le père arrachait le sac des mains de la femme qui essayait tant bien que mal de le retenir. L'enfant s'empara de ce qui se trouvait dans ses poches, la déstabilisant suffisamment pour qu'elle lâche son sac et père et fils s'enfuirent en courant, poursuivis par la bonne femme impuissante.
La mâchoire de Camila lui en tomba. Furieuse, elle ordonna à un homme à terre – tandis qu'elle était sur le rempart – de se lancer à la poursuite du voleur à quinze heures. Elle ne connaissait pas l'histoire de cet homme et de ce garçon mais voler une gentille femme qui apportait son aide à autrui c'était tout bonnement inacceptable. Comme quoi il fallait même se méfier des enfants et des personnes trop innocentes. Cela arracha un autre soupir à Camila.
Enfin, une autre fois, un homme avait réussi à dégouter Camila. Les regards lubriques qu'il lançait et les attouchements qu'il faisait à chaque femme et homme qu'il trouvait à son goût étaient à vomir. Camila n'y tint pas longtemps et envoya les trois personnes les plus menaçantes qu'elle repéra autour d'elle afin de lui donner la peur de sa vie.
Peu de temps avant deux heures de l'après-midi, elle finit par descendre, en ayant assez d'observer de loin. Pit était allé donner un coup de main à l'entrée, fouillant chaque personne entrant et sortant de la cité.
Camila s'engouffra dans les rues, défiant presque quiconque d'essayer de s'en prendre à elle. Son air légèrement irrité ne devait pas inspirer confiance puisque beaucoup s'écartèrent de son chemin. Ou alors était-ce les deux épées rutilantes qui ceignaient sa taille.
Une scène l'interpella.
Elle était encore loin, difficile de se faire une idée mais un groupe d'adolescents, certainement âgés de plus de quinze ans, était en train de jouer avec des billes. Plusieurs pierres étaient éparpillées au sol, et chacun en avait une autre en main. Ils essayaient de viser celles au sol. Le taux de réussite ne semblait pas bien élevé et Camila faillit ne pas y porter plus d'attention.
Mais alors un flash de lumière la stoppa et le souvenir de la lumière aveuglante pourpre qui avait envahi le ciel à Samem il n'y avait pas si longtemps lui revint en mémoire.
Après tout, ils devaient se méfier des pierres pourpres et sa récente observation lui avait démontré que même les plus innocents pouvaient paraître suspect.
Pas vraiment inquiète mais plutôt prudente, Camila s'approcha sans s'affoler, désireuse de voir la scène de plus près.
Une jeune fille aux cheveux noirs tressés en deux nattes autour de sa tête lui rappelait terriblement sa défunte petite sœur. Camila eut du mal à détourner les yeux d'elle. Elle avait entre les mains une bille jaune or. Auraient-ils été plus près du palais que Camila se serait demandé s'il ne s'agissait pas de vrai or. La jeune fille rata en beauté son lancer. Ses amis autour d'elle ricanèrent. Elle rit à son tour en tapant du pied. Elle s'élança ensuite pour récupérer sa pierre. Les autres adolescents se préparèrent pour leur lancer, à tour de rôle. L'un d'eux alla même jusqu'à chambrer ses amis. Ils commencèrent à miser, la mise augmentant selon la pierre qui serait atteinte.
Camila posa alors les yeux sur une pierre pourpre au sol. Celle-ci était perdue parmi les autres mais semblait plus brillante, plus... immatérielle. Irréelle. Camila n'avait jamais vu de ses propres yeux les amythes aussi son alarme interne ne s'alluma-t-elle pas immédiatement. Elle avait juste... une intuition. Elle sentait qu'elle devait investiguer. Pour être sure.
Camila s'approcha des deux jeunes les plus proches d'elle, tout en gardant un œil sur cette pierre au sol.
— Bonjour, les interrompit-elle.
Quand ils virent l'armure de Camila, ils s'immobilisèrent et l'un d'eux fit même un mouvement de recul comme s'il s'apprêtait à fuir. Le soldat leva aussitôt les mains en signe d'apaisement.
— Pardon, ne vous inquiétez pas, je n'ai pas l'intention de vous déranger longtemps.
Le jeune homme brun aux yeux marrons s'avança d'un pas, s'interposant entre elle et son ami, aucunement détendu.
— J'aimerais juste me renseigner sur votre jeu, c'est tout. Simple curiosité.
— C'est assez intuitif en fait.
C'était une jeune fille qui avait parlé. Camila porta son regard sur sa droite. La fille aux nattes noires arrivait vers eux. Son tour étant passé, la curiosité avait dû l'attirer dans cette direction.
— Nous avons chacun une bille. Les billes éparpillées au sol correspondent chacune à un lot, une de nos possessions, que l'on met en jeu. Toucher la bille au sol revient à gagner le lot.
C'était en effet assez intuitif et Camila avait compris en les regardant et les écoutant.
— C'est quel genre de lot ? demanda-t-elle.
— Cela peut être tout et n'importe quoi, intervint l'homme qui s'était interposé, plus détendu. Des bijoux, de la nourriture, des vêtements, des armes...
— Ou même des choses immatérielles, compléta la jeune fille. Par exemple, un rendez-vous, un baiser. Ce genre de chose.
Camila rit.
— Ça a en effet l'air amusant, commenta-t-elle.
Son œil se focalisa à nouveau sur la pierre pourpre, qu'heureusement personne n'avait encore visée. Elle était en plein milieu des autres billes, peut-être plus difficile à atteindre.
— Où les avez-vous trouvées ? demanda Camila après un petit moment de réflexion.
Elle ajouta, craignant de paraître trop suspecte :
— Elles sont très belles, vous n'avez pas peur de les perdre avec la foule ? Ou de vous les faire voler ?
— Oh non, en réalité elles ne sont pas à nous donc ce ne serait pas vraiment très grave, répondit le deuxième homme qui était resté silencieux jusqu'à présent. Un homme me les a données ce matin pendant que je faisais la livraison des journaux. D'ailleurs quelle heure est-il ?
— Il te les a données ? Sans paiement c'est dommage, elles sont si belles.
Camila leva la tête vers la grosse horloge qui trônait sur la place principale du quartier et qu'elle pouvait apercevoir de là où elle se trouvait et ajouta :
— Et il est pratiquement deux heures de l'après-midi.
Le jeune homme hocha la tête.
— Merci. L'homme qui me les a données était en deuil. Son jeune fils venait de décéder des suites d'une maladie qu'il avait attrapé en restant tard la nuit dehors dans le but de récupérer ces billes. Peut-être qu'elles ont une valeur que l'on ignore mais j'ai demandé à plusieurs personnes autour de moi et tous ont confirmé que ce ne sont que des billes de verre. L'homme tenait tant à s'en débarrasser et avait l'air si désespéré que je les ai prises. Figurez-vous que c'est même lui qui m'a payé pour les prendre : en échange, il voulait seulement qu'on écrase certaines des pierres pour s'en débarrasser définitivement.
Camila tiqua.
— Ecraser ?
— Oui, écraser, confirma le jeune homme en hochant la tête. Je suppose que c'est une superstition ou quelque chose de ce genre-là.
Les cloches sonnèrent deux heures.
— Oh ! C'est le signal ! ajouta-t-il, le visage rieur.
Derrière les jeunes avec qui Camila était, les adolescents qui avaient continué à jouer se stoppèrent. Puis, comme si le signal de départ qu'ils attendaient pour leur dernier défi avait été lancé, ils s'élancèrent en riant vers les pierres, se bousculant pour les atteindre, se défiant d'en écraser un maximum. Le premier qui y arriva en écrasa une de tout son poids. La jeune fille aux nattes se retourna en souriant.
— Tricheurs !
Camila fixa la pierre pourpre. L'un d'eux s'en rapprochait dangereusement. Ils étaient trop près. Elle était trop loin. Encore une fois, comme dans les situations les plus périlleuses, Camila vit la scène avant qu'elle n'ait lieu dans son esprit.
L'effroi envahit Camila. Elle réagit en un instant, l'instinct prenant le dessus. Elle écarquilla les yeux et retint les deux jeunes hommes les plus près d'elle au moment où ils s'apprêtaient à rejoindre les autres.
— Attendez ! Non ! N'écrasez pas les pierres !
Mais ils n'écoutèrent pas. Seuls deux d'entre eux se retournèrent à son ordre, interloqués. Les deux jeunes qu'elle avait retenu s'immobilisèrent, saisissant que quelque chose de grave se produisait à la tension qui s'était emparée du soldat. Deux jeunes hommes se bagarraient, la pierre pourpre entre leurs pieds.
Ils allaient l'écraser. La pierre pourpre allait se briser. L'enfer allait se déchaîner. Davar allait subir un carnage.
Au moment où le pied de l'un d'eux allait s'abattre sur la pierre, inconscient du danger qui allait s'en libérer, une épée se planta juste devant la pierre, en coupant l'accès. Effrayé, le jeune homme, déséquilibré, s'écroula en arrière en poussant un cri et tomba au sol, écrasant la jambe de son ami.
Le silence les envahit. Plus personne ne bougeait.
Camila n'en revenait pas d'avoir fait ça. Elle venait vraiment de lancer son épée comme s'il s'était agi d'un simple poignard. Elle avait toujours bien visé mais lancer une épée et des couteux n'était pas la même chose. Elle aurait pu démembrer ce jeune homme, ou pire le transpercer.
Elle avait réagi à l'instinct.
Mais ce n'était pas encore fini. Elle sortit son autre épée et la brandit avant que les jeunes gens ne paniquent.
— Que personne ne bouge, ordonna-t-elle de sa voix de meneuse d'armée. L'une de ses pierres est dangereuse et peut nous tuer en un instant. Nous tous. Je vais m'avancer et la récupérer. Une fois qu'elle sera dans ma main, vous pourrez continuer votre jeu. On s'est compris ?
Aucun d'eux ne broncha.
— On s'est compris ? répéta-t-elle.
Ils hochèrent la tête à s'en briser les cervicales, le jeune homme étant passé à deux doigts du démembrement déglutit bruyamment.
Camila s'élança et récupéra la pierre pourpre, intacte. Elle semblait renfermée de la brume mouvante. Peut-être n'était-ce rien qu'une pierre avec un effet d'optique. Mais peut-être était-ce bien une amythe. Prudence était mère de sureté.
Camila la fourra dans sa poche et s'excusa auprès du jeune homme qu'elle avait effrayé. Elle récupéra son épée et tendit la main pour l'aider à se relever. Il l'accepta d'une main tremblante.
Après une excuse supplémentaire, elle allait s'éloigner croyant que le pire avait été évité. Elle se laissa même aller à souffler de soulagement, légèrement détendue.
Quand des cris et un énorme vacarme venant des remparts se firent entendre, Camila refusa d'assimiler la situation dans un premier temps. Elle leva ensuite la tête et l'effroi la saisit. Sa gorge se noua. Elle s'était réjouie trop vite.
A quelques dizaines de mètres d'elle, plus à l'est, un squelette immense, terrifiant, dépassait des maisons et bâtiments. Il leva la tête au ciel, comme s'il poussait un cri. Camila put attendre les cliquetis des os jusqu'à sa position. Un frisson d'horreur la parcourut, et parcourut tous les habitants de Davar. Le souvenir du Basilic était encore si frais dans leurs esprits.
La sirène d'alarme retentit, écho des cris de terreur.
Camila avait peut-être trouvé une amythe. Mais une autre s'était brisée, libérant Gashadokuro.
**--- Note de l'auteur ---**
Pauvre Camilla ! Elle qui pensait avoir réussi à éviter le pire...
Hélas !
Une première légende apparaît !
Certain d'entre vous la connaissent ? Une brève explication du mythe sera fournie dans le chapitre suivant !
Comment pensez-vous qu'un squelette géant puisse être mis hors d'état de nuire ?
Camila parviendra-t-elle à gérer une légende ?
PS : dans le prochain chapitre, il y aura quelques scènes assez... gores. Enfin, tout est relatif mais ceux qui n'aiment pas spécialement la violence, le sang, etc, soyez prévenus. Passez votre chemin.
Merci pour votre lecture, vos votes et commentaires !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro