Un cauchemar.

Arya était en train de vivre un cauchemar.

Camila se vidait de son sang sous ses yeux, transpercée de part en part par une épée.

Elle devait retirer celle-ci mais l'enlever allait entraîner un afflux de sang encore plus important. Elle devait trouver quelque chose pour faire pression sur les plaies.

Camila était atteinte dans la partie supérieure de son hypocondre droit, l'épée ayant glissé entre deux côtes. La lame remontait par derrière et semblait endommager le poumon, ou en tout cas le diaphragme, aux râles douloureux que Camila émettait. Arya ne savait pas si le foie était atteint ou pas. Elle espérait que non.

Elle s'empressa d'aller arracher les vêtements de la femme qui avait osé blesser sa sœur. Elle s'empara de tout le tissu possible, de sa ceinture et revint vers Camila.

- Ça va faire mal, serre-les dents, Cam.

Elle essaya de redresser délicatement Camila qui se repliait sur elle-même pour diminuer sa douleur, puis entreprit de retirer l'épée d'une main ferme, évitant les mouvements superflus. Tremblante comme elle l'était, c'était difficile d'être certaine qu'elle y soit parvenue mais elle y alla d'un coup, pour ne pas prolonger le moment. Elle s'empressa d'appuyer sur les plaies, se focalisant sur le dos. Camila pressa sur sa plaie en grimaçant. Arya enserra le tout avec la ceinture, serrant au maximum.

Que faire ? Que faire ?

Arya savait la situation impossible. Camila était grièvement blessée. Se déplacer dans son état serait difficile. Mais elle ne pouvait pas lui apporter les soins nécessaires ici, elle n'avait pas le matériel adéquat.

Camila risquait de mourir.

L'angoisse foudroya Arya et la paralysa un instant, lui coupant le souffle et lui faisant tourner la tête. Elle se rendit alors compte qu'elle saignait abondamment de sa main, qui elle-même avait été transpercée quelques instants plus tôt. Elle avait déjà bien saigné au bras et ses multiples blessures commençaient à se faire ressentir.

Attrapant une épée au sol, elle coupa la chemise d'un autre cadavre et se l'enroula autour de sa main blessée. C'était le plus urgent.

Puis elle se tourna vers Camila.

- Nous devons trouver un cheval, déclara-t-elle. Nous devons rejoindre le village le plus proche, trouver un guérisseur. Ils pourront nous aider.

Camila grimaça.

- Arya...

- Camila. Tu es tellement, tellement stupide. Je t'avais dit de rester à Samem.

Elle soupira, le cœur brisé.

- Pourquoi faut-il toujours que tu te mettes en danger ?

- Venant de toi... C'est ironique...

- Lève-toi, ordonna Arya sévèrement, brutalement. Appuie-toi sur moi autant qu'il le faut. Mais lève-toi. Nous allons aller jusqu'à ce cheval.

Elles devaient retourner vers Neven et les autres.

Cam réussit à se relever. Son visage transpirait à grosses gouttes, commençait à perdre ses couleurs. Serrant les dents, Arya fit passer autant de poids que possible sur elle-même.

Sans un mot, leurs forces entièrement concentrées sur chaque pas les rapprochant de leur destination, elles entreprirent de rejoindre le petit ruisseau. Il n'était pas bien loin en vérité, Arya n'ayant pas parcouru une longue distance avant de tomber sur le second groupe de Tirnaba. Pourtant, les quelques centaines de mètres qu'elles parcoururent les brisèrent l'une comme l'autre. C'était étrange, se dit Arya, quand l'une d'elle était blessée, l'autre avait l'impression d'en souffrir également physiquement. C'était peut-être ça, être sœur. Elle préférait souffrir elle-même que voir l'autre souffrir.

Le corps de Camila finit par lâcher.

Tremblante, elle s'effondra, entraînant Arya dans sa chute.

Elles tombèrent à genoux.

Le souffle de Camila était erratique. Elle souffrait. Atrocement. Ses brûlures tiraient. Son flanc la tiraillait. Son sang la quittait... Qu'elle soit encore consciente relevait du miracle.

Arya serra les dents. Encore.

- Monte sur mon dos.

- Liv...

Arya hurla. De frustration. De rage. Un hurlement de désespoir. D'agonie.

Elle tapa violemment du poing sur le sol.

Elle ne laisserait pas sa sœur mourir.

- Monte sur mon dos !

Camila faisait la même taille que sa sœur mais elle était tout en muscles et pesait bien dix kilos de plus qu'elle. D'ordinaire, Arya n'aurait jamais même envisagé de la porter, s'en sachant bien incapable. Pourtant...

Elle cala Camila comme elle put. Elle tint fermement ses jambes, sachant que Camila n'avait pas la force nécessaire pour se maintenir. Elle n'avait même pas la force de se débattre, d'argumenter contre Arya. C'est ce qui l'alerta le plus. Et renforça sa détermination.

Non, non, non. Sa sœur ne mourrait pas aujourd'hui. Pas après l'avoir sauvée.

Une nouvelle fois.

Arya, Camila sur son dos, avança. D'une lenteur accablante mais elle avança. Malgré sa main, ses propres muscles déjà à l'agonie, son propre corps au bord de l'épuisement, elle avança. Son esprit était clair, son but précis.

Elle avança.

Se concentrant sur chacun de ses pas, occultant autant que possible ses muscles déchirés, incapable de soutenir tout ce poids sans la force de sa volonté, elle ne se rendit pas compte tout de suite : la respiration de Camila s'était considérablement ralentie.

Elle avait perdu connaissance.

Arya jura. Elle répéta « tiens bon, tiens bon » comme un mantra, destiné à la fois à sa sœur et à elle-même.

Alors qu'il ne devait lui rester que quelques dizaines de mètres, elle entendit qu'on appelait son nom.

Elle releva la tête.

Neven, Laura et Pit accouraient vers elles. Pit devait avoir accompagné sa sœur, comprit Arya.

Il hurla le nom de Camila quand il reconnut le fardeau sur les épaules d'Arya. Son visage se décomposa. Il accéléra l'allure.

Arya hurla, la voix cassée :

- Neven ! Il me faut un cheval ! Elle a besoin d'être opérée de toute urgence !

La jambe d'Arya céda. Elle tomba à genoux, supportant tout leur poids avec celui-ci. Elle lâcha un sifflement de douleur. Mais hors de question de s'étaler par terre et d'alourdir les blessures de sa sœur.

Pit l'atteignit le premier. Il s'élança pour attraper Camila avant de s'arrêter aussitôt, redoutant de la blesser davantage. Arya lui expliqua rapidement l'état de sa sœur, toujours à genoux.

- Elle a été transpercée. Je crois que le poumon est atteint... Et elle perd beaucoup de sang, il faut la recoudre...

Neven et Laura s'arrêtèrent à quelques pas, leur laissant de l'espace. Ils étaient tous les deux couverts de sang. Le bras de Laura saignait et Arya était certaine qu'il s'agissait du sien. Neven avait encore les yeux fiévreux du combat, le Dragon étant tout proche. Quelques écailles étaient encore visibles sur son cou et ses mains. Son armure et ses vêtements étaient dans un sale état. L'armure avait été performé, sans doute par des griffes et plusieurs fragments étaient manquants. Il semblait aller plutôt bien pour quelqu'un qui sortait d'un combat contre une générale bénie de Tirnaba.

Quand Arya posa ses yeux sur lui, elle crut qu'elle allait fondre en sanglot.

Mais elle n'avait pas le temps.

Neven la devança.

- Retournons au ruisseau. La zone est sécurisée. Madame Jupiter pourra peut-être faire quelque chose !

- Madame Jupiter ? s'exclama Arya, et son cœur loupa un battement, regagnant espoir.

- Elle nous a suivi, expliqua Pit. Et elle a amené du matériel.

Pit, déterminé, s'empara délicatement de Camila. Arya faillit s'effondrer. Elle ne s'était pas rendu compte à quel point elle s'était rattachée à sa sœur. Elle la soutenait certes mais elle avait été son moteur. Maintenant, toute force semblait l'avoir quittée.

Neven s'accroupit devant elle, lui sourit tristement et la souleva, la remettant sur pied. Elle s'appuya sur lui et, grâce à son aide, s'élança clopin-clopant à la suite de Pit et Camila. Elle échangea un bref regard avec Laura au passage. Elles hochèrent la tête tour à tour : elles allaient bien l'une et l'autre.

Avançant à une allure déplorable par sa faute, Neven en profita pour lui résumer la situation.

Tous les mercenaires de Tirnaba ont été tués, y compris la générale. Ils n'ont pas pu faire de prisonniers, les deux mercenaires que Laura avait réussi à maîtriser ayant mis fin à leur jour quand le combat se fut achevé. Justin s'en était tiré avec seulement quelques égratignures et hématomes. Kolm avait sans doute une commotion cérébrale et une grave blessure à la cuisse. Fallon lui avait sauvé la mise, au moment où il était en mauvaise posture. Neven avait été obligé d'utiliser ses flammes pour vaincre la générale. Son seul talent d'épéiste n'avait pas suffi, démontrant comme la générale était redoutable. Il avait voulu a tout prix éviter cette situation, les sources de chaleur étant à éviter au contact des amythes et d'autant plus en pleine forêt. Malheureusement celles-ci les avaient atteints. Madame Jupiter, accompagnée de Juliette, s'était empressée de les refroidir en les enfouissant dans de la mousse et sous terre. Finalement, la situation avait pu être maîtrisée.

Arya n'en revenait pas que Juliette les ait suivi. Cette adolescente était décidemment bien trop courageuse. Mais Arya n'avait jamais été si soulagée de savoir que son mentor n'était pas loin. Dans sa tête, si Madame Jupiter s'en occupait, Camila était déjà sauvée.

Malheureusement, quand le génie de l'empire d'Obsidian secoua la tête, Arya se décomposa.

- Le foie est atteint. Le poumon aussi. Elle a perdu déjà pas mal de sang et l'hémorragie semble continuer malgré la compression. J'ai de quoi recoudre, mais les plaies sont profondes, il faudrait que je l'ouvre davantage, cela augmenterait le risque d'infection et dans son état, son corps subirait un trop gros choc, elle ne le supportera pas. Et si par miracle elle y survivait, après ça, elle ne pourra pas être déplacée, elle serait trop fragile.

Arya regarda Madame Jupiter et son visage devint livide.

Madame Jupiter, la Madame Jupiter, pouvait tout guérir dans les situations les plus improbables. Dans d'autres circonstances, pour sauver Camila, elle aurait tenté l'opération en pleine nature. Ou elle aurait fait en sorte de trouver de quoi la stabiliser quelques jours le temps d'atteindre la ville la plus proche. C'était soit cela soit la mort. Si Madame Jupiter ne l'envisageait pas, c'est qu'elle savait l'issue inévitable. Madame Jupiter parlait de Camila en répétant qu'elle était trop faible, qu'elle avait perdu beaucoup de sang. Pourtant cela ne faisait pas si longtemps qu'elle avait été touchée et Arya avait immédiatement comprimé les plaies. Le flux sanguin ne lui avait alors pas paru si abondant. Pas au point que la vie de Camila soit en danger immédiat. Alors Arya comprit. Elle devina ce que Madame Jupiter voulait dire avant qu'elle ne termine son diagnostic. L'esprit d'Arya devint blanc pendant un instant et elle ne réalisa pas tout de suite les implications de ce qu'elle venait de comprendre.

- Et si on ferme les plaies quand même ? Combien de temps avant de la déplacer ? Demanda Pit. Je resterai avec elle, le temps qu'elle se stabilise. On doit tenter le coup ! On doit...

- Elle ne se stabilisera pas, intervint Arya. La lame était empoisonnée.

Madame Jupiter hocha la tête.

- Elle ne tiendra pas plus d'une journée. Avec ou sans opération. Nous n'avons aucun moyen d'identifier le poison et encore moins d'en trouver l'antidote. Je suis désolée.

Autour d'elle, un silence de mort s'abattit. Laura et Fallon étaient assises à même le sol, Fallon appuyée contre un arbre, l'air grave. Juliette était avec elles, en train de leur tendre des torchons humides qu'elle avait trempée dans un bol d'eau, enfin de les aider à se nettoyer. Kolm s'était immobilisé, tel une statue et suivait leur échange, sa main sur sa jambe que Madame Jupiter avait traité avant qu'ils n'arrivent. Neven et Justin étaient un peu plus loin, avec les amythes, mais ils entendirent tout et ils marquèrent un temps d'arrêt, guettant la réaction d'Arya. Ils s'approchèrent doucement. Pit se laissa tomber au sol. Il jura et passa plusieurs fois sa main valide dans ses cheveux puis sur son visage, comme s'il essayait de se réveiller d'un cauchemar.

Arya réfléchit. Non, pitié. Pas Camila. Elle réfléchit, analysa, devina. « Elle ne tiendra pas plus d'une journée... »

- Quel type de matériel avez-vous avec vous ? Demanda Arya.

Madame Jupiter lui indiqua la sacoche étendue aux pieds de Kolm. Arya s'avança et regarda à l'intérieur.

S'ils avaient été n'importe où ailleurs, Arya se serait effondrée. Mais ils n'étaient pas n'importe où. Elle voyait encore une option. Ce n'était donc pas terminé. Il y avait encore un espoir.

Elle trouva des aiguilles, des fils, des pansements, de fins tubes en métal, des chiffons, des gazes et pleins d'autres matériels médicales utiles. Madame Jupiter était venue bien équipée. Elle commençait à reconnaître aisément les casse-cous et la guérisseuse ne se déplaçait jamais non préparée.

- Est-ce que vous pensez qu'il serait possible de la transfuser ? Avec mon sang ?

- Ary chérie...

- Vous avez dit une journée, interrompit Arya. J'ai besoin qu'elle tienne une journée.

Madame Jupiter fronça les sourcils. Le regard d'Arya était flamboyant, rendue fiévreux par le plan qu'elle avait en tête et qu'elle comptait mener à bout coute que coute. Elle leva une main et fit descendre son index de ses yeux en descendant sur sa joue.

Comme une larme.

La guérisseuse compris aussitôt.

- Près d'ici ??? s'exclama Madame Jupiter en se redressant.

Arya hocha la tête.

- Est-ce que mon sang pourrait suffire ?

Madame Jupiter reprit également espoir, réfléchissant à toute vitesse. Il n'était plus question de sauver. Elle devait seulement s'assurer que la condamnée tienne suffisamment longtemps pour réaliser un miracle.

- Peut-être bien, déclara-t-elle en hocha la tête. Le trajet va empirer son état, mais elle pourrait tenir. Je vais fermer les plaies autant que je le peux, pour limiter la perte de sang. Si on lui transfuse une partie de ton sang, cela pourra compenser celui qu'elle a perdu. En cas de pneumothorax, tu devras évacuer l'air de sa cage thoracique. Mais le trajet... Cela va rester difficile. Il faudra vérifier les plaies et qu'elle n'entre pas en état de choc. Combien de temps faut-il exactement ?

- Une bonne journée, pas moins.

Madame Jupiter grimaça.

- Il faut tenter, supplia Arya.

- De quoi vous parlez ? Intervint Pit, ayant flairé la carte de la dernière chance. Tenter quoi ?

- Je dois me rendre quelque part, déclara Arya. Je connais quelqu'un qui peut peut-être l'aider. Tu vas venir avec moi pour transporter Camila. Je ne peux amener personne d'autre. Désolée, Madame Jupiter, je sais que c'est un de vos souhaits...

- Pas de paroles inutiles, ma chérie, l'interrompit son mentor. Chaque seconde compte. Nous devons sauver la vie de ta sœur, c'est tout ce qui importe. Viens m'aider pour suturer les plaies.

Arya hocha la tête et amorça un pas vers elle. Puis une pensée lui traversa l'esprit et elle se tourna vers Neven. Derrière elle, elle entendit Pit demandait ce qu'il se passait.

Neven avait suivi l'échange sans un mot, sa mine toujours aussi indéchiffrable.

Est-ce qu'il allait la laisser partir ? Après tous les efforts qu'il avait fournis pour l'amener avec lui et l'empêcher de s'enfuir ? Il commençait tout juste à lui faire confiance. S'ils se séparaient là, comment pouvait-il être certain qu'elle le rejoindrait à Davar ? Lui faisait-il suffisamment confiance ? Et puis, allait-il l'autoriser à rejoindre le Phoenix pour sauver un membre de sa famille ? Allait-il lui laisser cette chance ?  Peut-être en profiterait-il pour se venger ?

Après tout, elle avait elle-même enlever cette chance à son père des années plus tôt.

Arya faillit pleurer à cette pensée et la résolution l'envahit. Elle s'avança vers lui. Si elle devait supplier, elle le ferait.

- Neven... commença Arya à voix basse, suppliante, avant de durcir son regard, déterminée. Il faut que tu me laisse tenter le coup. Je peux y arriver. On peut y arriver. Camila tiendra, je le sais.

Il savait ce qu'elle avait en tête. Il l'avait compris à l'échange qu'elle avait eu avec Madame Jupiter. Ils n'étaient pas loin de l'Isaki. Cet Isaki miracle qu'il avait cherché pendant tant d'années et qui avait renfermé tous ses propres espoirs quelques années auparavant. Cela faisait sens : après tout, Davar était en amont. Les cendres s'étaient répandues dans le fleuve qui passaient par les montagnes Oméga et longeait la forêt côté Mistrala. Il ne savait que trop bien ce qu'elle ressentait.

Neven regarda Arya et il revit Livie pendant un instant. Déterminée, sûre de réussir, allant même jusqu'à défier la mort. Une nouvelle fois. Mais cette fois, pour sa sœur. La personne la plus importante pour elle. Le dernier membre de sa famille. Il imagina comment il aurait réagi si cela avait été son frère. Il se fit alors la réflexion que c'était inimaginable et Arya lui sembla encore plus forte.

De toute façon, il ne pourrait jamais l'empêcher d'y aller. Premièrement car elle lui en aurait voulu toute sa vie s'il lui enlevait ce dernier espoir, ce dernier miracle. Deuxièmement car elle n'avait même pas besoin de lui demander la permission et qu'elle prenne cette peine le toucha énormément. N'était-ce pas une preuve de loyauté ? La jeune femme était tiraillée entre sa promesse envers lui et son amour envers sa sœur. C'était tellement ridicule à l'heure actuelle qu'il ne l'en aima que d'avantage.

- Nous en avons pour une journée de chevauchée tout au plus, continuait Arya. Madame Jupiter pourra surveiller les amythes le temps que vous atteigniez Hinata. Je vous rejoindrai à Davar le...

Arya fut interrompu lorsque Neven posa ses lèvres sur les siennes, sa main attrapa sa joue. Elle écarquilla les yeux, surprise.

Ce fut un baiser bref, volé, qui ne cherchait qu'à apporter du soutien. Neven s'écarta très rapidement, avant même qu'elle ne réalise complètement ce qu'il venait de faire.

- Sauve-là, lui ordonna Neven.

Arya l'observa. Il semblait persuader qu'elle réussirait.

Il ne lui ordonna pas de rester avec lui et de laisser tomber. Non, c'était une évidence pour lui qu'elle irait. Mais ce qui toucha le plus Arya, c'est qu'il ne lui ordonna pas de revenir auprès de lui : il lui demandait de sauver sa sœur. Parce que c'était ce qui était le plus important pour elle. Sa poitrine se serra et sa gorge se noua, envahies par l'émotion. Elle hocha la tête, lui rendant son regard déterminé.

Elle allait la sauver.

Arya rejoignit Madame Jupiter qui s'était déjà mise en action. Madame Jupiter fit le gros du travail, Arya assistant dès qu'elle le lui demandait. Ce n'était certainement pas le moment d'apprendre quoi que ce soit, la vie de Camila était en jeu et comme Madame Jupiter l'avait si bien fait remarquer : chaque seconde comptait.

Un fois les plaies nettoyées, suturées et drainées, elles purent observer plus amplement les dégâts. Le pneumothorax était déjà là. Arya perfora la cage thoracique de Cam, déjà en piteux état et planta un bout du tube en plastique pour évacuer l'air, pendant que Madame Jupiter continuait de rafistoler son abdomen.

Le teint de Camila était affreux : entre le bleue, le jaune et le blanc. Le manque d'air, l'atteinte au foie et la perte de sang se battaient la place pour savoir qui l'achèverait. Mais la guérisseuse et l'apprentie ne laisseraient pas l'un d'eux l'emportait.

Elles entreprirent alors la transfusion. Arya se fit un garrot au bras, pendant ce temps Madame Jupiter reliait deux fines aiguilles perforées qu'elle avait faites faire à Anton quelques années plus tôt spécifiquement pour cette manœuvre. Il s'agissait de minuscules tubes métalliques dont l'embout s'épaississait pour accueillir les plus gros tubes associés. Elle n'avait alors plus qu'à remplir le contenant d'un litre en aspirant le sang du donneur. Arya donna autant qu'elle put, jusqu'à ce que Madame Jupiter lui dise que c'était suffisant, d'autant plus qu'elle-même en avait perdu une bonne quantité. La guérisseuse entreprit alors de piquer le bras de Camila avec une autre aiguille, puis injecta le sang à un rythme très lent, à l'aide d'un mécanisme de piston. Elle compta dans sa tête pour ne pas aller trop vite.

Avalant de grandes goulées d'air, Arya leva les yeux au ciel un instant. Un oiseau traversa. Volant dans le ciel, il semblait si élégant, si fier, si... libre.

Elle réalisa alors ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Elle allait rompre la promesse faite au Phoenix.

La reconnaîtrait-il ? Accepterait-il de l'aider ? D'aider sa sœur ?

Une petite part d'elle-même culpabilisait. Les capacités hors du commun du Phoenix était une fois de plus convoitées. Elle compatissait avec cette légende. Ce n'était pas un Isaki dangereux, il était très discret et solitaire, si bien qu'il était difficile de le trouver, de l'apercevoir. Même s'ils l'atteignaient, ils n'avaient aucune certitude que celui-ci ne se montre. Encore moins qu'il accepte de pleurer pour Camila.

Toutes ces angoisses meurtrissaient l'âme d'Arya. Elle s'empressa de masser sa poitrine, où la douleur s'était déclenchée, lui rappelant son inutilité. Elle se mordit les lèves.

Une silhouette apparut à ses côtés et s'accroupit près d'elle. Un peu trop près. Ce qui lui allait très bien.

Neven lui tendit une barre de céréales.

- Tiens. Mange.

Elle leva la tête vers lui, vers ses yeux émeraudes magnifiques. Elle attrapa la barre mais ne la mangea pas, ne le quittant pas des yeux. Elle continua à le fixer un moment. Il sourit, et son beau sourire atteignit ses yeux.

- Par « mange », je ne voulais pas dire : « dévore-moi du regard », plaisanta-t-il. C'était plus au sens propre du terme.

- C'est presque aussi thérapeutique, répondit-elle, machinalement.

Elle croqua dans la barre et reporta son regard inquiet sur Camila et Madame Jupiter qui continuait les soins.

- Merci.

Elle ne savait pas pourquoi elle le remerciait : pour la barre de céréales, pour la laisser partir, pour ne plus la traiter comme une criminelle, pour lui faire confiance, pour croire en elle, pour l'avoir embrassée. Peut-être pour tout ça à la fois.

Neven attrapa délicatement sa main blessée et lui embrassa les doigts.

- Tu vas y arriver Ary, tu vas la sauver.

- Oh oui, je vais y arriver. Camila reverra Samem. Et toi aussi Majesté : répare ces amythes de malheur.

**--- Note de l'auteur ---**

Qu'avez-vous pensé de la détermination d'Arya ?

Du diagnostic de Madame Jupiter ?

Du plan d'Arya ? Aviez-vous deviné ?

Et pensez-vous qu'elles y arriveront ?

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