Chapitre 25
Arrivés à Kattega, ils purent laisser la calèche sans encombre et Arya se vit enfin octroyer son propre cheval, ce qui faciliterait grandement leur avancée.
Aucune trace des dissidents de Tirnaba. Les amythes semblaient toujours en place, et ils prenaient garde de laisser le compartiment loin de toutes formes de chaleur. Ce n'était pas Neven qui le gardait, bien qu'Arya ne sache pas qui de Justin, Kolm ou Laura en avait la responsabilité. Elle pensait tout naturellement à Justin en premier lieu mais sans certitudes.
Leur méfiance envers elle s'était enfin évaporée ou du moins était revenue à son niveau d'origine.
Quand Neven et elle avaient rejoints les autres la veille, la tension s'était tout de suite évanouie après un bref échange qui avait fait comprendre la situation à chacun.
- Arya, tu as les yeux gonflés, avait soulevé Laura, mettant les deux pieds dans le plat.
Arya en avait profité, allant s'assoir à côté de son amie.
- Neven m'a brisé le cœur, il ne cesse de me rejeter.
- Les empereurs sont inaccessibles, avait commenté Laura compréhensive.
- Je ne sais pas, c'était plutôt grossier, même venant de lui.
Neven l'avait regardé en fronçant les sourcils.
- Soi-disant que j'étais alliée aux rebelles de Tirnaba. Je veux dire, c'était déjà bien assez épuisant de trahir l'empire une fois, je n'allais pas tout recommencer. J'ai donc dû défendre mon amour sincère, en révélant tous mes plans machiavéliques dont les arceaux que j'avais caché sous la calèche pour m'enfuir.
- Tu ne m'as pas parlé de ça, était intervenu Neven, menaçant.
- Vraiment ? Un oubli, perdue que j'étais dans le tumulte de mes émotions.
- Des arceaux ? s'était interrogé Laura. Qu'est-ce que tu comptais en faire ?
- J'avais prévu de rester cacher là-dessous aussi longtemps qu'il l'aurait fallu, espérant que vous vous seriez lancé à la poursuite d'un fantôme à travers la forêt, en abandonnant une calèche vide.
- C'est ridicule, avait commenté Justin.
- J'ai fait ce que j'ai pu avec ce que j'avais, avait rétorqué Arya.
Kolm s'était contenté d'un « tss » condescendant.
Le lendemain, le trajet s'était donc passé sans encombre et Neven avait pris grand soin de retirer les arceaux avant leur départ. Arya avait ri. Elle n'avait plus l'intention de fuir. Les mots de Neven la veille lui avait confirmé qu'il ne ferait rien contre elle. Le jugement qu'elle recevrait, si elle en recevait un - elle commençait à en douter - serait tempéré par Neven. Il parlerait en sa faveur, elle en était certaine. Cela lui épargnait donc bien des efforts.
Ses compagnons de routes étaient toujours autant sur le qui-vive, à l'affût du moindre signe qui aurait pu leur indiquer une embuscade.
Aussi, la pause à Kattega fut bien plus rapide que ce qu'ils avaient à l'origine prévu.
Ils dormirent dans une auberge, se lavèrent, firent le plein en nourriture et énergie et repartirent aussitôt que le soleil se fut levé.
Ils maintinrent ce rythme pendant les cinq jours qui suivirent et finirent par atteindre la forêt Epsilon.
Arya ne put empêcher son regard de se promener par-delà les arbres. A une journée à cheval environ, s'ils allaient vers l'ouest, ils atteindraient Mistrala.
Et s'ils remontaient légèrement...
Arya secoua la tête. La paix. Elle devait la paix à cette oiseau légendaire.
C'était donc après deux bonnes semaines de voyage, sous le couvert d'Epsilon, alors qu'ils n'étaient plus qu'à trois journées de Davar, que Tirnaba se décida finalement.
Ils étaient en train de faire boire les chevaux, et de les nourrir près d'un petit ruisseau, quand Kolm, alors en charge de la surveillance, lança l'alerte.
- Ils arrivent droit sur nous. J'estime qu'on a dix minutes. Deux éclaireurs nous observent à neuf heures, à environ trente mètres.
Neven hocha la tête.
- Donne une de tes épées à Arya. Il faut qu'elle puisse se défendre si on en vient aux armes. On garde une formation en triangle, Arya tu restes au centre. Le ruisseau protégera nos arrières.
Chacun rangea rapidement ses affaires sur les animaux, afin d'être prêts si la fuite devenait leur meilleure option. Concentré, Kolm donna une de ses épées à Arya, sans un mot, sans grimace. Efficace.
- Il y a de fortes chances qu'ils aient plusieurs bénis, continua Neven. On ne connaît pas leurs dons mais ils connaissent certainement le mien, ce qui leur donne un avantage. Ils ont également le nombre pour eux. Laissez-moi parler d'abord : si on peut régler ça avec diplomatie, tout le monde sera gagnant. Ils savent qu'ils n'atteindront pas la capitale s'ils nous attaquent, ce n'est pas non plus à leur avantage. Mais leur meneur est réputé impulsif, il est difficile de prévoir ses mouvements. Au moindre signe suspect, on attaque : on est chez nous, on ne se laisse pas faire.
Neven alla se positionner tout devant. Il planta la pointe de son épée au sol et posa ses deux mains sur le pommeau.
Laura alla sur leur flanc droit. A côté d'elle, les chevaux étaient attachés au tronc d'un arbre. Sa mission à elle était de protéger leur moyen de transport. Elle les caressait et tenait des pommes qu'elle leur donnait occasionnellement.
Kolm était sur le flanc gauche, bien plus prêt d'Arya. Il était assis sur un rocher, mais il ne trompait personne : il serait debout et armé en un battement de cil.
Justin n'était pas en vue et était allé accueillir leurs invités. Si la situation dégénérait, il devrait venir fermer le triangle entre Laura et Arya.
Chacun était en place.
Ils attendirent.
Les bruissements de la forêt, le vent dansant entre les branches, les chants des oiseaux et insectes étaient les seuls sons qu'ils distinguaient.
Pas de cris ou claquements d'épées.
Pour le moment.
Ils attendirent.
Justin émergea des bois. Il était accompagné de quatre personnes. Deux femmes et deux hommes. L'un d'eux était rasé et portait une boucle d'oreille. Il ne semblait pas avoir d'armes, autre que l'épée rangée dans le fourreau à sa hanche. L'autre était très grand et fin, le corps dessiné pour être aussi agile qu'un funambule. Deux dagues étaient visibles sur ses hanches. Une des deux femmes avaient les cheveux courts, presque rasés. Elle avait la peau noire et était plutôt petite. Deux épées étaient croisées dans son dos. La dernière femme était masquée et seuls ses yeux bleus glaces et plissés étaient dévoilés. Aucune arme n'était visible sur elle non plus. Mais c'était peut-être celle qui en possédait le plus.
Neven prit la parole en premier, arborant un sourire chaleureux.
- Vous avez finalement décidé de nous rattraper ? Je vous aurais bien envoyé une escorte depuis Jaling, mais vous sembliez si bien connaître le chemin.
- Votre Majesté.
C'est le rasé qui prit la parole et Arya supposa que c'était le meneur du groupe.
Ils s'inclinèrent tous poliment, témoignant leur respect. Justin s'installa délibérément entre eux et Neven.
- C'est un honneur. Pardonnez notre curiosité mal avisée mais, comment aurions-nous pu nous douter que nous tomberions sur l'empereur d'Obsidian en personne ? Nous tenions à en être sûr, c'est une sacrée histoire à raconter, vous en conviendrez.
- Votre Majesté, intervint Justin. Il semblerait que ces mercenaires et leurs seize compagnons de Tirnaba qui attendent un peu plus loin au sud soient en règles, les contrôles à la frontière ont vérifiés et validés leur identité ainsi que leur licence d'exercice. Ils souhaitent se rendre à la capitale, dans le but d'étudier les ravages du Basilic. Ils espèrent trouver des restes de son venin, de ses écailles ou de ses crocs afin d'en faire le commerce plus tard.
- C'est bien présomptueux de leur part. Ne pensent-ils pas que, quelques trésors que le Basilic ait laissés derrière lui, ils devraient revenir aux Davariens, qui ont dû en subir le courroux ?
- Si Votre Majesté me le permet, dit le rasé, un mercenaire se veut d'aller où les opportunités le guident.
- Le trajet est bien long pour quelque chose qui aura sans doute été pris bien avant votre arrivée à la capitale.
- Comme je vous disais, il faut saisir les opportunités qui se présentent à nous.
Le rasé avança d'un pas et un lent et long sourire fendit son visage. Il posa la main sur son épée.
Arya se dit qu'il était un imbécile. Qu'ils l'étaient tous. Ils allaient finir par attaquer, elle en était à présent certaine.
Neven était calme, presque ennuyé par la conversation.
- D'autant plus que, nous autres mercenaires, traquons avec beaucoup d'avidité tout ce qui touchent aux Isakis. Ces derniers temps, il semblerait qu'Obsidian soit leur terrain de jeu favori. Comment donc pourrions-nous rater le rendez-vous ?
- Pour des amateurs d'Isakis comme vous, quel dommage d'être passés à côté de Samem. Une attaque du Kraken - rien que ça ! - y a eu lieu il y a quelques semaines. Vous auriez dû y faire un détour plutôt que de nous suivre. Vous passez à côté de nombreux trésors.
- La sollicitude de Votre Majesté nous touche. Nous essaierons de nous rattraper avec les prochains. D'ailleurs...
Il fit mine de réfléchir, mais la tension s'empara de tout le monde.
C'était le moment.
- Mon petit doigt m'a dit que vous en aviez en votre possession. Ce serait stupide de passer à côté de cette opportunité, vous ne croyez pas ?
Une aura meurtrière emplie soudain l'air et les environs. L'image d'un Dragon rugissant dans les cieux paralysa Arya sur place. L'instinct de survie d'Arya prit le dessus : elle ne pensait plus qu'à fuir mais son corps tremblant n'eut pas le temps de réagir suffisamment vite, que déjà les choses dégénéraient.
Le rasé lâcha un cri et du sang s'échappa de ses lèvres.
Devant lui, Neven retira son épée de son corps et sa victime s'effondra au sol.
- Je crois que c'est toi qui es stupide de menacer de me voler.
Alors que tous étaient prêts à dégainer quelques instants plus tôt, personne n'avait bougé, cloué sur place. Neven avait été trop rapide et sa bénédiction lui avait fait gagner le temps dont il avait besoin pour asséner le premier coup.
Etant devenu sensible aux variations de température depuis qu'il avait acquis sa bénédiction, Neven leva machinalement le bras pour se protéger lorsqu'il sentit une chute de celle-ci sur sa droite.
Un souffle glacial l'atteignit et son bras gela rapidement, le forçant à augmenter sa température en réaction s'il ne voulait pas finir en glaçon. Des écailles noires apparaissaient de ce de là sur son corps et ses yeux jaunes et affutés voyaient tout avec une acuité démesurée. Tandis que son souffle brulant contrastait avec la fraicheur ambiante, de la buée s'échappa de ses lèvres et un nuage de condensation commença à se former autour de lui.
- Il semblerait que nous soyons des ennemis naturels, Ta Majesté, ricana la femme masquée.
C'était elle. La véritable meneuse de cette bande de mercenaire. La générale de Tirnaba.
Autour d'eux, le tumulte éclata. Les deux personnes qui les accompagnaient se jetèrent sur Neven. Justin intercepta le funambule et la femme aux épées croisées fut stoppée par la main levée de la femme masquée.
- Je m'en occupe.
Elle rejoignit donc la mêlée qui s'était déclenchée derrière Neven. Les seize autres mercenaires qui étaient censés attendre plus loin étaient venus les encercler. Ils attaquèrent également au signal de leur meneuse. Six sortirent sur le flanc droit, six autres sur le flanc gauche. Arya ne repéra pas les autres mais ils ne devaient pas être loin derrière.
Neven se concentra sur le danger en face de lui. La générale de Tirnaba ôta son masque révélant son visage beaucoup trop pâle, marbré de taches bleutées.
La générale possédait la bénédiction de Mahaha.
Ce démon maniaque, à la peau bleue glace et froide au toucher, était réputée pour être particulièrement résistant au froid. Sa peau était si froide que sa bénédiction permettait de geler tout ce que son propriétaire touchait. Mais ce n'était pas tout. Si elle n'avait aucune arme, c'est parce que ses ongles acérés et ses long doigts osseux et incassables étaient largement suffisant pour éventrer ses victimes. Dans la légende, Mahaha était une créature tordue et diabolique qui prenait plaisir à chatouiller ses victimes à mort. Une manière jolie de dire qu'il les éventrait. Il était aussi réputé pour être incroyablement dupe, c'était d'ailleurs pourquoi on recensait de nombreuses personnes possédant sa bénédiction. Malheureusement, Neven craignait que ce soit loin d'être le cas de son adversaire.
Il en était donc ainsi : le chaud contre le froid.
Neven l'attaqua. Le duel s'établit entre les deux combattants. Epée contre griffes.
Arya observait, fascinée, ce balai virevoltant, ponctués de pluie de glace et de tornade de feu, quand un premier assaillant arriva sur elle, la forçant à bouger. L'épée en main, elle para avant de faire glisser sa lame pour se déplacer et mettre son premier assaillant entre elle et un autre qui arrivait sur eux. Deux contre un.
Fût un temps cela n'aurait été rien pour elle. Les choses avaient changé. Premièrement, elle n'avait plus ses bénédictions, et deuxièmement, elle n'avait pas manié d'épée depuis presque cinq ans. Son cœur battit plus vite, l'adrénaline la rendant plus alerte.
Où était la fameuse formation en triangle ?
Elle observa rapidement autour d'elle, en se mordant les lèvres. Elle était le point faible du groupe, elle le savait et cela la frustrait au plus haut point, mais elle était forcée de reconnaître qu'elle aurait besoin d'aide. Elle n'y arriverait pas seule. Bon sang.
Laura arrivait à tirer profit de son environnement. Le fait qu'elle soit plus libre de ses mouvements que les autres lui permettaient de s'enfoncer dans les bois avant de surgir devant ses adversaires. Ils en faisaient de même, mais étant seule, elle arrivait à disparaître et réapparaître de manière à déstabiliser ses quatre opposants. Son amie était trop loin d'Arya, impossible d'espérer recevoir son aide.
Justin avait réussi à faire descendre le funambule et s'était rapproché d'Arya. Il semblait posséder une bénédiction également : son corps était comme élastique. Justin n'arrivait pas à l'atteindre, à lui porter le moindre coup. Ce duel allait être rude. Elle ne pourrait pas compter sur lui non plus.
Kolm combattait six personnes, dont la femme aux épées croisées dans son dos. C'était un épéiste hors pair mais ses adversaires semblaient l'être tout autant. La femme aux deux épées lui donnait tout particulièrement du fil à retordre. Il protégeait ses organes vitaux mais Arya repéra du sang sur lui, s'écoulant de plusieurs entailles.
Arya jura. Elle contra, encore et encore. Elle tenta une feinte, puis attaqua. La lenteur de son attaque la mortifia. Son corps se souvenait des mouvements, son jeu de jambes, ses muscles les dansaient machinalement. Mais sa silhouette était loin de pouvoir suivre ce qu'elle essayait de reproduire. Elle était lente, maladroite. L'épée était trop lourde dans ses mains. Déjà le poids faisait trembler ses bras, et à peine quelques minutes s'étaient écoulées. Elle respira fort, le souffle commença à lui manquer. Une ligne écarlate s'étira sur sa taille, suivant une lame qu'elle n'avait pas déviée avec suffisamment de force. Elle n'arrivait même plus à suffisamment se décaler.
Elle fut violemment repoussée et trébucha. Ses adversaires éclatèrent de rire.
- Je crois qu'on est tombé sur le petit agneau du groupe.
Si la situation n'était pas si critique, Arya en aurait crié de frustration. Bats-toi, bon sang, bats-toi ! Qu'est-ce qu'elle aurait aimé effacer le sourire arrogant de leur visage !
Elle se releva rapidement, gardant son épée entre elle et eux et recula dans le ruisseau. Ses pieds entrèrent dans l'eau. Peut-être qu'en y attirant ses adversaires cela les ralentirait ? Elle rit. Quelle idée naïve et désespérée.
Elle qui avait passé sa vie à chercher l'eau, étant à l'affût de la moindre source. Quelle ironie. Elle était à court d'option. La seule raison pour laquelle elle n'était pas déjà morte était parce qu'ils s'amusaient avec elle.
Elle se souvint des dernières paroles de la Sirène.
« Penses-tu qu'il soit possible de perdre sa voix ? »
Si l'on nous brisait les cordes vocales oui, mais Arya était certaine que la signification de ses mots étaient plus profondes.
La réponse était non. On ne pouvait pas perdre sa voix.
Mais comment la retrouver ? D'une façon ou d'une autre, s'imposait-elle elle-même le silence ?
Arya se concentra sur sa bénédiction, ou en tout cas sur cet endroit au fond de son cœur, de son esprit et de son âme où elle se trouvait autrefois. Elle chercha, chercha encore.
La seule chose qu'elle trouva fut du vide. Et de la douleur. Une douleur écrasante, qui la mit presque à genou.
Alors qu'elle parait une nouvelle attaque, elle rattrapa in extremis son épée. Elle avait failli être désarmée. Désespérée, elle entonna une comptine pour enfants et se mit à chanter. Renvoyant au loin son tortionnaire le plus proche, elle força un peu plus sur les notes.
Et ses adversaires se figèrent.
**--- Note de l'auteur ---**
Début des hostilités et d'un combat qui s'annonce rude pour nos héros !
Qu'en pensez-vous ?
N'hésitez pas à me laisser vos avis et commentaires ! Mille mercis par avance !
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