Chapitre 54
Alors que les deux jeunes hommes quittaient la citadelle dans la précipitation, Wihfa, quant à elle, se prélassait dans sa somptueuse demeure lovée au cœur de la capitale. Soudain, elle s'extirpa du moelleux de ses coussins en soie et se posta devant une fenêtre qui donnait sur la rue. Elle observa longuement l'eau du lac lécher les pierres d'un petit pont qui enjambait un canal. Puis, après avoir pris une longue inspiration, elle sonna un de ses domestiques.
Quelques instants plus tard, un homme un peu voûté apparut et se tint d'un air gauche devant elle, attendant ses ordres. La disciple de Loqui le détailla d'un air agacé. Mais comme elle avait une affaire importante à mener, elle se retint de lui faire une remarque et préféra le questionner sur ce qui la préoccupait :
- Comment se porte notre invité ?
L'homme fronça les sourcils se demandant de quel invité sa maîtresse lui parlait... Wihfa sentit son agacement augmenter devant la bêtise de son serviteur. Heureusement pour lui, il comprit soudain de qui elle parlait :
- Ah ! Vous voulez dire cet invité-là !
Wihfa le regarda d'un air consterné.
- Oui, cet invité-là, poursuivit-elle. Combien d'étrangers hébergeons-nous à part celui-ci, imbécile !
Il la regarda d'un air interrogatif. Désirait-elle réellement obtenir une réponse à cette question ? Pourtant, mis à part les domestiques habituels, personne d'autre ne logeait là... Devant son air interdit, Wihfa faillit laisser éclater sa colère. Néanmoins, elle garda son calme au prix d'un immense effort et retourna au sujet qui l'intéressait.
- A-t-il été nourri ?
- Non, répondit le serviteur. Mais, c'est vous qui nous avez demandé de ne pas lui donner à manger, ajouta-t-il d'une voix geignarde.
- Je le sais bien ! rugit-elle. Je m'assurais juste que mes ordres avaient été respectés !
L'homme exprima un profond soulagement. L'espace d'un instant, il avait craint d'avoir commis un impair. Wihfa soupira... Perdant patience, elle le bouscula en sortant de la pièce. Il était grand temps qu'elle rende visite à son « invité ».
Elle descendit avec précaution un escalier sombre et étroit qui menait au sous-sol. Alors qu'elle progressait, l'humidité devenait de plus en plus gênante et inconfortable. En bas de l'escalier, elle s'arrêta devant une porte verrouillée et, avant de l'ouvrir, elle se composa un visage de circonstance.
Elle entra dans la pièce et ses yeux mirent quelques instants à distinguer la forme humaine enchainée au mur du fond.
- Par tous les dieux ! s'exclama-t-elle d'un ton faussement inquiet. Pourquoi vous ont-ils mis des chaînes ?
Le jeune homme, prostré, releva la tête et observa d'un air fatigué la nouvelle arrivante. Des yeux fiévreux luisaient sur son visage livide : l'atmosphère malsaine du cachot l'avait rendu malade. Il grelottait et les chaines rouillées avaient meurtri ses poignets. Wihfa s'agenouilla près de lui. Son domestique, qui l'avait suivie, demeurait hésitant sur le pas de la porte car il ne comprenait pas la colère de sa maîtresse, puisque c'était elle qui avait exigé que le prisonnier soit enchainé. Feignant la compassion, elle se retourna vers son serviteur et lui ordonna d'apporter de l'eau.
- Je suis désolée que vous ayez été traité ainsi, dit-elle d'une voix douce tout en aidant le jeune homme à boire. Mais ne vous inquiétez pas, je vais bien m'occuper de vous désormais.
Alors qu'elle mettait tout son pouvoir de persuasion dans ses paroles afin de gagner sa confiance, un grognement sourd l'interrompit. Un minuscule félin sauta sur les genoux du prisonnier et essaya de griffer la main de Wihfa. Celle-ci recula de surprise. Un deuxième félin rejoignit alors le premier.
- Qu'est-ce que cela ? demanda-t-elle interloquée.
- Ce sont mes t'chamas, répondit Caân. Ils ne sont pas méchants, ajouta-t-il d'une voix faible, juste très protecteurs.
Caân avait pris l'habitude de se fier à l'instinct de ses t'chamas depuis que Siley avait essayé de l'empoisonner. Il comprit qu'il ne devait surtout pas faire confiance à la femme qu'il avait en face de lui.
- Oh ! Ils sont adorables ! dit-elle d'un ton hypocrite alors qu'elle pensait que leur fourrure ferait des gants magnifiques.
Elle remarqua que le jeune homme l'observait avec méfiance. Elle poursuivit sa comédie cependant :
- J'imagine que vous n'êtes pas venu seul à la capitale. Voulez-vous que je vous apporte de quoi écrire pour prévenir quelqu'un que vous vous trouvez ici. Je crains qu'il n'y ait eu un malentendu... Peut-être qu'un proche devrait venir vous chercher : je ne peux absolument pas vous laisser partir seul dans cet état ! Vous semblez tellement faible que vous ne pourriez pas tenir debout !
Caân comprit alors qu'elle en avait après sa cousine. Malgré sa fatigue, il réfléchit vite et décida d'essayer de charmer cette femme. Certes, elle n'était pas un animal mais il avait remarqué que son don lui permettait parfois d'obtenir ce qu'il voulait de ses semblables. Il la regarda droit dans les yeux et, tout en lui souriant, il lui répondit :
- Non, ce n'est pas la peine. Je suis certain que vous allez bien prendre soin de moi et que, grâce à vous, je vais me rétablir rapidement.
Wihfa hésita... Elle sentait une force étrange qui la poussait vers ce jeune homme. Après tout, pourquoi ne pas l'aider à guérir et le garder auprès d'elle ? Sihoq n'avait pas besoin de lui : il n'était intéressé que par la fille ! A la pensée du Grand Maître, le charme que Caân avait tissé autour d'elle s'estompa et Wihfa reprit ses esprits.
- Voyons, cela risque de prendre du temps de vous remettre sur pied ! Je ne veux pas que vos proches s'inquiètent davantage.
- Et moi, je ne veux pas vous attirer d'ennuis... Ma cousine est la favorite du Prince. Si jamais celui-ci apprend que j'ai été retenu prisonnier, des têtes risquent de tomber et, vous êtes si gentille avec moi, je ne voudrais pas qu'il vous arrive malheur.
Wihfa réalisa que le jeune homme n'était pas dupe. Elle l'observa avec attention... Peu de gens pouvaient se vanter de résister à son don de disciple de Loqui.
- Assez joué, dit-elle d'une voix plus dure, tu vas écrire à ta cousine ce que je vais te dicter.
- On se tutoie maintenant ? demanda-t-il avec insolence.
- Je vais te faire passer l'envie de fanfaronner, susurra-t-elle d'une voix qui lui glaça le sang.
- Faites ce que vous voulez de moi ! Mais je ne vous aiderai jamais à faire du mal à Ayma !
Les t'chamas se mirent alors à gronder de plus belle comme s'ils désiraient appuyer les paroles de leur maître. Wihfa approcha sa main de la gorge de Caân et arracha avec violence le pendentif qu'il portait autour du cou.
- Je n'ai peut-être pas besoin que tu lui écrives finalement. Ce bijou va la convaincre d'accourir à ton secours. Merci pour ton aide, ajouta-t-elle avec un sourire mauvais.
Elle quitta aussitôt le cachot et claqua la porte derrière elle, laissant Caân seul avec son angoisse.
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