Ayma était stupéfaite... Elle avait échafaudé mille hypothèses, de la plus banale à la plus folle, mais elle n'aurait jamais pu imaginer ce qui l'attendait derrière la porte scellée de la bibliothèque. Le Prince avait ouvert cette porte mystérieuse pour elle et il se trouvait à ses côtés alors qu'elle venait de pénétrer dans cette pièce qui n'en était pas vraiment une...

Devant elle se trouvait un lieu singulier... Elle avait tout d'abord pensé entrer dans une cour intérieure. Tsuki brillait avec intensité cette nuit-là, masquant presque le scintillement des étoiles. De hautes murailles ceignaient cet endroit le rendant ainsi inaccessible aux regards indiscrets. Mais ce qui laissait la jeune fille bouche bée se trouvait à ses pieds : un petit escalier en pierre descendait jusqu'à l'eau.

Cette porte mystérieuse ouvrait sur l'eau du lac !

- Viens, dit Istvan en descendant jusqu'à la dernière marche.

Sur celle-ci se dressait une stèle comportant des inscriptions mais Ayma ne lui prêta qu'une courte attention car son regard avait été attiré par l'eau qui clapotait à ses pieds... ou plutôt par ce qui se trouvait sous l'eau.

- On dirait qu'il y a des ruines sous l'eau, murmura-t-elle.

- Ce ne sont pas exactement des ruines.

Elle jeta un coup d'œil étonné à Istvan qui poursuivit :

- Tu es devant le Labyrinthe.

- Un labyrinthe ? Mais il a été englouti par les eaux du lac ?

- C'est un labyrinthe aquatique... Quand j'étais plus jeune, mon père m'a mené ici et m'a expliqué que nous, les Princes d'Ajix, étions les gardiens du Labyrinthe. Il n'a pas été submergé par les eaux : il a été construit dans le lac.

- Mais comment est-ce possible ?

- Comment ? Par qui ? Je n'en sais rien... Mais ce jour-là mon père m'a appris un poème et m'a fait jurer de le retenir et de le transmettre à mon futur fils...

Le Prince prit une profonde inspiration et, laissant flotter son regard sur les eaux, il récita dans un murmure :

- Pour aider la descendante

A trouver son chemin...

Nul ne peut entrer à sa place

Devant les dieux, elle fera face

Ou périra sans réaliser son destin

Rêve, entends cette musique lancinante

Et attends devant le Labyrinthe où prend vie la légende.

Il resta silencieux, se contentant de l'observer. Ayma laissait les mots du poème résonner dans son esprit, s'ancrer dans sa chair.

- Pourquoi avez-vous accepté de m'ouvrir la porte ? Pourquoi m'avez-vous récité ce poème ? Lui demanda-t-elle d'une voix calme.

- Ne l'as-tu pas deviné ?

La jeune fille comprit alors ce que le Prince croyait... Mais cela lui semblait tellement saugrenu qu'elle ne put s'empêcher d'en rire.

- Vous pensez que je suis une descendante de P. !

Comme le Prince acquiesçait, elle rit de nouveau.

- Mais c'est impossible...

Ayma venait d'effleurer la stèle et, au contact de sa main, les inscriptions de la pierre étaient devenues lumineuses.

- J'ai touché cette stèle de nombreuses fois. Jamais elle ne s'est mise à briller comme elle l'a fait sous ta main, affirma-t-il en souriant.

Ayma ne répondit rien...

Elle n'avait pas écouté les paroles d'Istvan car elle avait l'impression que des murmures s'échappaient de la pierre. Ces voix lui susurraient des mots dans cette langue ancienne qu'elle avait la sensation de connaitre sans l'avoir jamais apprise.

Ces chuchotements lui disaient d'entrer dans le Labyrinthe.

Elle tourna la tête et essaya de sonder les profondeurs du lac. Elle pouvait distinguer l'entrée, arche engloutie qui brillait sous les rayons de l'astre...

C'est alors qu'elle l'entendit. Les voix de la pierre s'étaient tues... Un chant montait du Labyrinthe.

- Entendez-vous cela ? demanda-t-elle au Prince.

Celui-ci prêta l'oreille aux rumeurs nocturnes mais le silence régnait en maître cette nuit-là.

- Non, je n'entends rien... Que perçois-tu ?

- Il chante, murmura-t-elle, le labyrinthe chante pour moi... Il m'appelle.

La jeune fille se déchaussa et caressa la surface de l'eau avec l'un de ses pieds nus. Elle réprima un frisson au contact de l'onde froide.

- En es-tu sûre ? demanda le Prince. On ne sait pas ce que tu vas trouver là-dessous... Ce labyrinthe est sous l'eau, comment vas-tu faire pour y pénétrer ? Retenir ta respiration ? Non, cela me paraît beaucoup trop dangereux...

- Alors pourquoi avez-vous accepté de m'ouvrir la porte ? Vouliez-vous juste satisfaire la curiosité de votre favorite ? ajouta-t-elle, moqueuse. Pourquoi me dire que je suis la descendante de P. ? Souhaitiez-vous me montrer ce labyrinthe puis me reconduire tranquillement jusqu'au palais ?

Le prince la jaugea longuement avant d'ajouter d'un ton résolu :

- Très bien, je t'accompagne alors.

- Non. Vous ne pouvez pas m'accompagner : « Et attends devant le labyrinthe où prend vie la légende ». Vous devez rester là et attendre, c'est ce que dit le poème... C'est votre rôle.

- Le poème dit également « Ou périra sans réaliser son destin » ! Je ne vais pas te laisser affronter cela toute seule ! Je ne veux pas être responsable de ta mort !

- Ne vous inquiétez pas... L'eau ne m'a jamais fait peur. Je ne sais pas si je suis une descendante de P. mais ce qui est sûr c'est que je descends d'une longue lignée de disciples de Pescari. Je savais nager avant de savoir marcher ! En tout cas, c'est ce que mon oncle Ojas a l'habitude de dire... Je ne suis peut-être pas la nageuse la plus rapide de Monas, mais je suis celle qui peut nager le plus longtemps sous l'eau : aucun de mes amis ne m'a jamais battue à ce jeu-là. Alors ayez confiance !

- Mais ceci n'est pas un jeu, Ayma.

- Je sais, ajouta-t-elle avec gravité.

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'elle prit une profonde inspiration et plongea dans le lac, sans laisser le temps à Istvan de formuler une autre objection. Elle passa sous l'arche qui constituait l'entrée du labyrinthe et s'engagea dans le premier couloir qu'elle vit. Alors qu'elle nageait, un sentiment de sérénité l'envahit. Elle avait toujours aimé se déplacer sous l'eau, elle s'y sentait plus en sécurité qu'à l'air libre.

Le calme des profondeurs l'apaisait.

Elle arriva à un croisement et décida de suivre le chant qui semblait provenir du couloir à sa gauche. Elle nageait lentement, avec des mouvements amples afin d'économiser son air... Ayma regardait les murs autour d'elle. Elle n'avait jamais vu un spectacle aussi étrange : les inscriptions et les gravures brillaient avec la même intensité que celles de la stèle qu'elle avait effleurée à la surface.

Cependant plus elle avançait, plus le manque d'oxygène se faisait ressentir... Elle essaya de ne pas céder à la panique mais elle devait trouver un endroit pour respirer au plus vite. Le malaise la gagnait, lacérant sa gorge de ses griffes implacables... Elle pensait qu'elle avait été stupide et téméraire, quand quelque chose attira son attention au fond du couloir dans lequel elle progressait avec difficulté... Elle vit ce qui ressemblait à un petit escalier. Elle le suivit et put enfin regagner la surface.

Elle tomba d'épuisement sur les marches humides... Ses poumons la brûlaient et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine.

Tremblante, elle tâchait de reprendre des forces. Le chant était omniprésent et l'encourageait à poursuivre sa quête. Elle regarda autour d'elle... Elle se trouvait à l'intérieur d'une petite pièce circulaire. Derrière elle, il y avait une ouverture qui permettait d'accéder à la pièce suivante. Deux statues étaient postées de part et d'autre de ce passage.

Des gardiennes de pierre silencieuses et menaçantes.