« Il est plus dangereux de tomber amoureux que de tomber du haut d'une falaise. »

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Les âme-sœurs sont un système complexe de notre monde. Elles sont liées sans vraiment l'être, plus comme une simple attirance, mais tellement forte et irrésistible qu'aucun être humain n'a encore eu le courage d'y résister. C'est une tentation aussi interdite que dévorante. Les âme-sœurs vous donnent l'impression que vous pourriez mourir pour la personne à laquelle votre âme appartient.

Certains disent que les âme-sœurs viennent des Enfers, que Hadès aurait privé deux âmes amoureuses de se retrouver, et que celles-ci se seraient enfuies sur Terre pour se retrouver. Que le fait de vivre sans l'autre les auraient empêché de voir le monde en couleur, jusqu'à ce qu'elles se retrouvent, et que les autres âmes en auraient fait de même, trouvant l'acte poétique. D'autres prétendent que le système des âme-sœurs n'est qu'une conspiration du gouvernement. Une expérience scientifique pour donner un but à la population, qui les apaiserait une fois que le désir irrépressible de retrouver sa moitié serait assouvit.

On raconte que lorsque deux âme-sœurs se retrouvent, une passion déchirante les envahit, et qu'ils ressentent un besoin intense, brûlant, passionnant, de s'unir physiquement, en pensant qu'elles pourraient fusionner pour ne faire qu'un. Ma mère dit que c'est faux. Ma mère s'est mariée sans connaître la couleur des yeux de son mari. Ma mère refuse de se mêler à la population pour participer à ce système qu'elle qualifie de « calomnieux ». Mon père n'est pas l'âme-sœur de ma mère.

De ce que je sais, rencontrer sa moitié ressemble à plonger dans un arc-en-ciel. C'est du moins ce que raconte ma tante Tracy. Vous avez eu une vision en noir et blanc durant toute votre vie, quand soudainement les couleurs se révèlent à vous. Le rouge, le bleu, le jaune, toutes ces nuances que je ne connais pas. J'ai du mal à me représenter les couleurs, certainement parce que je ne sais pas ce que cela signifie. Dans le dictionnaire, couleur est décrite comme étant une caractéristique visuelle de la lumière. Je ne comprends pas trop ce que cela signifie, mais ça doit être joli.

« Méfie-toi de tout ce qui est joli Angie. » dit souvent ma mère.

J'écoute rarement ma mère.

- Angie, tu peux me passer le sel ?

Je tends l'objet à mon oncle sans même le regarder. Les repas de famille ont toujours été mon pire cauchemar, car entre les plaisanteries douteuses de mon grand-père, les crises de nerfs de ma mère, les coups d'un soir de ma cousine Sarah qui se ramènent en milieu de soirée pour boire de l'alcool, les remarques désagréables de ma grand-mère à propos de tout ce qui concerne ma personne, et les cris perçants du bébé de ma tante Tracy, c'est toujours un moment mouvementé. D'autant plus que c'est l'un des rares jours où ma génitrice prend le temps de faire la cuisine, ce qui donne rarement un repas acceptable car elle n'arrive pas à différencier le poivre et le paprika à cause du fait qu'elle ne parvient pas à voir les couleurs. Quelques fois je me demande ce qu'il se serait passé si elle avait attendu de rencontrer son âme-sœur avant de fonder une famille.

- Alors Angie, comment se déroulent tes études ?

Première question piège de ma grand-mère. Ne surtout pas répondre que je ne sais pas où j'en suis.

- J'ai de bonnes notes. dis-je simplement, me réservant au passage de pommes de terre. Tout va bien.

- Oh, très bien. Et tu es en quelle année déjà ?

- En deuxième année en fac de sociologie.

C'est entièrement faux, je n'ai toujours pas choisi quelle option je veux suivre à l'Université, alors je me contente de travailler dans un supermarché en centre-ville. Je porte un affreux uniforme jaune canari ainsi qu'un badge avec mon nom mal orthographié dessus, mais je suis plutôt bien payée alors je ne m'en plains pas. Mon père toussote doucement, et propose aux autres de leur resservir un peu de vin. Heureusement qu'il est là pour détourner l'attention, ce n'est pas ma mère qui va s'en charger.

- Et tu as un petit ami ? me sourit Sarah.

Je la fusille du regard. Je n'ai jamais eu d'amoureux, tout simplement parce que je ne voyais pas l'intérêt de me mettre en couple avec une personne tout en sachant qu'elle ne serait pas mon âme-sœur. Elle n'est visiblement pas de mon avis puisqu'elle enchaîne les relations sans lendemain. Peut-être croit-elle que cela l'aidera à trouver plus rapidement la personne qui lui fera voir les couleurs.

- Non, toujours pas.

- Et tu as bien raison. s'exclame ma tante en buvant cul sec son verre. Tant que tu n'as pas trouvé l'homme qui te convient, ça ne sert à rien de se précipiter.

- Ou la femme, peu importe qui tu aimeras. me sourit tendrement mon grand-père.

Je lui souris doucement. Même si il a un humour peu recommandable, mon grand-père est de loin le plus ouvert de ma famille en ce qui concerne mon orientation sexuelle future. Personnellement, je me sens hétéro, mais je ne sais pas qui sera mon âme-sœur future, alors autant ne pas lancer les pronostics trop tôt. Alors que ma grand-mère s'apprête à me lancer une énième remarque, nous sommes interrompus dans la discussion par un flash info qui passe à la télévision :

- Chers téléspectateurs, nous interrompont votre programme dans le but de vous informer d'une nouvelle importante. Un criminel du nom de Vinnie Hacker – condamné pour de nombreux homicides volontaires, vols à main armée et attaques au gouvernement – s'est échappé de la prison dans laquelle il était détenu. Les forces de l'ordre font tout pour le retrouver, mais nous vous conseillons de faire preuve d'une grande prudence, et de ne surtout par vous balader seul le soir ou dans les endroits sombres de la ville. Merci de votre écoute.

S'ensuit alors une liste de numéros d'urgence à appeler en cas de mauvaise rencontre, tandis que ma mère commente ce court passage d'information par un « Il y a vraiment des malades dans ce monde ». Mais je reste figée sur la chaise, les yeux fixés sur l'écran devant moi.

Une photo du criminel est affiché sur la télévision.

Et il me semble que les nuances de gris que je vois se sont transformées en couleurs délavées...

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