Chapitre 9
Maintenant
Les mains dans les poches, mon souffle forme un nuage de fumée devant moi à cause du froid. Le Cloud91 a toujours l'air aussi vieux et abandonné, ça ne m'empêche pas de me plonger dans une certaine nostalgie. La journée les lettres ne rayonnent pas aléatoirement comme elles le font la nuit, c'est presque triste. Bon. Je me lance. Je prends une longue inspiration, je termine ma clope et mes pas me font traverser la rue. Je pousse la porte d'entrée comme je l'avais fait la première fois, sans trop savoir ce que je viens faire ici mais cette fois les choses sont différentes parce que l'homme à l'accueil se lève et ouvre les bras en grand. Il a l'air heureux.
- N'est-ce pas le petit Isaac que je vois là?
- Bonjour Pa'. Joyeux Noël.
Je m'avance vers lui pendant qu'il fait difficilement le tour du bureau pour me prendre dans ses bras. Son sourire est chaleureux, ça réchauffe mon cœur.
- Quel sacré cadeau! Mais tu as grandi non? Je ris, il se recule et me regarde de bas en haut ; ça fait longtemps que je ne grandis plus. Quel beau garçon! Ça fait une éternité que je ne t'avais pas vu dans le coin! Tu passes toujours à la radio?
- A la télé surtout. Je corrige pendant qu'il retourne à sa place et que je m'accoude au comptoir pour me pencher et voir ce qu'il fait. Je suis désolé de ne pas être venu plus souvent mais tu sais...
- Oui, Oscar m'a dit. Il me coupe.
Oscar ? Je ne savais pas qu'il était revenu ici depuis notre rupture. Moi je n'ai pas pu. J'en étais vraiment tout bonnement incapable. Comment revenir ici sans revivre tous ces souvenirs achevés ?
- Je viens prendre un ticket. Je change de sujet.
- Eh bien, il faut croire que certaines choses ne changent pas! C'est toujours 3£ s'il te plaît. Quoi que, c'est Noël, je te l'offre !
J'ai sorti de ma poche mon porte-monnaie et j'ai posé en face de lui un billet de 50£.
- Isaac tout craché ça, à n'en faire qu'à sa tête. Oula... Il fouille dans sa caisse en marmonnant. Je ne vais pas avoir assez de monnaie, c'est pas la forme chez nous... Garde ton argent et va profiter de ta visite.
- En fait, je voudrais 5 pass annuel.
Il relève la tête vers moi avec surprise.
- Tu as invité des amis?
Cette idée me semble complètement saugrenue. C'est un endroit pour Oscar et moi, pas pour les autres.
- Non, ils sont tous pour moi.
Ça ne fera pas de mal à cet endroit qui tient à peine debout d'avoir un peu de bénéfices. Contrairement à ce que j'imaginais, c'est un sourire triste qu'il me rend.
- C'est gentil Isaac mais garde ton argent, je crois que c'est déjà trop tard.
Je refuse de l'entendre.
- Qu'est-ce qui est trop tard ?
- Le Cloud91 a eu ses belles années, il y a longtemps et puis tu sais, je me fais vieux et le monde ne vieillit pas lui... Les jeunes ne visitent plus de musée, ils-
- Je ne suis pas si vieux moi Pa'. Cet endroit est magique, c'est juste une période difficile. Ça va aller, tu verras.
Il a essayé de faire bonne mine mais sa tristesse le trahis. Le bout de ses doigts vient caresser ma joue affectueusement. J'imagine que ça doit faire longtemps que personne ne lui a dit que les choses avanceront, qu'il y a encore de l'espoir. Il fait imprimer un ticket de pass annuel et me le tend juste après.
- Merci. Bonne visite, et surtout prends ton temps.
Avant
Nous avons profité de la journée au spa le lendemain au maximum, à nous faire masser ou à nous amuser dans les différentes piscines et jacuzzis. C'est à contre cœur que nous avons dû reprendre la route. Malgré la fatigue nous n'arrêtions pas de discuter.
- Je n'arrive pas à croire que vous connaissez ABBA! Alison s'est exclamée en entendant Honey, Honey passer sur la clef de Naël.
- Est-ce qu'on connaît ABBA? Naël a répété. C'est même pas connaître là, c'est les ADULER.
J'ai caché mon visage derrière mes mains parce que ça ce n'était pas réellement une partie de ma vie que j'assumais pleinement.
- Sérieusement?! La blonde n'en revenait pas. Vous avez regardé "Mamma Mia!" ?
- Combien de fois Isaac? 23? 24 fois?
Je me suis enfoncé dans mon siège un peu plus en regardant par la fenêtre. Il faisait nuit et les routes de campagne étaient désertes.
- J'adooore ce film aussi! La blonde était débordante de joie à l'idée que nous partagions une passion pour les comédies musicales.
- Il est super glauque quand même. Oscar a commenté.
Il ne parlait pas souvent mais il écoutait tout, assit à côté de moi sur la banquette arrière. Naël l'a mal regardé dans le rétroviseur.
- Tu veux que je te laisse sur la prochaine aire de repos quand tu me demanderas d'aller pisser?
J'ai pouffé de rire en essayant de le cacher.
- Nan mais sérieusement. C'est quand même l'histoire d'une fille qui lit le journal intime de sa mère et qui se réjouie qu'elle ait couché avec trois mecs différents dans un court laps de temps. Ok, elle est surexcitée à l'idée de pouvoir connaître potentiellement son père mais de là à lire à ses potes toutes les folies sexuelles de sa mère...
- T'es trop loin de la réalité Caro. Ali l'a contredit. Tu sais, ta mère n'est pas la vierge Marie, il faut arrêter de nier la vie sexuelle de nos chères mamans.
Cette conversation allait vraiment de mal en pis mais tout le monde s'en amusait.
- Arrête. Ma mère ne fait pas ce genre de choses.
On a tous tournés la tête vers lui pour qu'il se rende compte de l'idiotie de ses propos et il a grimacé.
- Non, pitié. Isaac dit quelque chose qui me fasse oublier ça.
- Je, euh, j'ai paniqué en regardant le bord de la route, Claude Monnet!
- Hein?
- Claude Monnet, là! Naël, arrête-toi! MAINTENANT!
Il a plaqué son pied sur la pédale de frein et Bernard a essayé de s'arrêté aussi brusquement que ses vieux mécanismes lui ont permis de le faire. Les pneus ont grincé sur la route le long de quelques mètres et tout le monde s'est mis à paniquer et crier par peur de finir dans le fosset si la voiture se mettait à se renverser. Ma ceinture m'a (heureusement) juste étranglé pour m'empêcher de basculer en direction du parking. Cet incident a duré quelques secondes bien trop longues à mon goût et lorsque le véhicule s'est enfin immobilisée, nous avons repris notre souffle. Ils se sont ensuite tous tournés vers moi.
- Mais-mais t'es complètement malade ma parole?! Alison a crié autant pour Naël que pour moi je crois.
- Désolé! Pardon! J'ai répété et j'ai ouvert la portière brutalement pour sortir.
Personne n'a dû comprendre ce qu'il se passait parce qu'ils sont restés à parler fort dans la voiture un moment, même lorsqu'une portière s'est ouverte et refermé juste après moi. Ils étaient tous énervés et je les comprenais. Je ne voulais pas me faire disputer comme un gamin, j'étais conscient du danger dans lequel je nous ai mis. J'ai marché en remontant la route, en plein milieu du goudron. Il neigeait encore un peu, la fraîcheur du temps me faisait du bien, bien qu'elle rougissait le bout de mon nez. Il faudrait vraiment que je pense à acheter une veste un de ces jours.
- Pour être de la diversion c'était pas des moindres. Oscar a commenté en arrivant à ma hauteur.
C'était de la triche, il avait des jambes plus grandes que les miennes et marchait plus vite. J'ai réchauffé mes mains dans les poches de mon sweat en marmonnant.
- J'ai dit que j'étais désolé.
- Tu comptes retourner à Glasgow comme ça? Parce qu'il y a une sacrée petite trotte.
J'ai levé les yeux au ciel mais il n'a pas dû le voir à cause de l'obscurité. En revanche je dois avouer que j'appréciais qu'il ne revienne pas sur l'incident et ait ce ton amusé. On entendait encore Alison péter un câble parce que oui, ce que j'avais fait était dangereux et oui, on a de la chance que Naël n'ait pas foutu Bernard dans le fossé.
- Elle... Elle n'aime pas trop les manèges à sensations. Oscar a plaisanté à nouveau pour rompre le silence.
- Pourquoi t'es là?
Je me suis arrêté brusquement pour lui faire face. Mon ton contenait plus de reproche que je ne l'avais voulu mais la colère en moi ne redescendait pas.
Il s'est arrêté lui aussi et m'a observé avec attention croiser les bras sur mon torse. Il a attendu comme s'il réfléchissait à sa phrase et pourtant il n'a pas ouvert la bouche. Il s'est juste tourné et a recommencé à marcher, mais vers la voiture. J'ai poussé un soupir. Il a eu ce même regard que lorsque je lui avais dit qu'il était trop con, dans les vestiaires après qu'il ait couché avec une cheerleader. Peut-être que j'y suis allé un peu trop fort.
- Oscar. Attends.
Il n'a pas répondu.
- C'est pas ce que je voulais dire. Reviens s'il te plaît.
Il a continué son chemin et j'ai râlé en basculant la tête en arrière. Il était encore plus borné que moi. J'ai donc essayé de le rattraper en allant aussi vite que possible. J'ai réussis à tirer sur sa manche en arrivant à sa hauteur. Il s'est stoppé sans pour autant me regarder.
- T'es un gros bébé. J'ai commenté honnêtement.
- Toi t'es un idiot.
- C'est vrai. Mais qui se ressemble s'assemble non ?
Il a expiré profondément et s'est enfin tourné vers moi.
- Bon, c'est quoi ce truc que t'as vu du coup?
J'ai esquissé un sourire et on est retourné vers le lieu où je m'étais exclamé plutôt. Il faisait vraiment nuit noire et notre seule source de lumière -Bernard- était devenue un peu trop loin pour qu'on se repère.
- Tu as ton téléphone? J'ai demandé en essayent de retrouver l'endroit exacte.
Il a fouillé ses poches pour le retrouver et allumer son flash. Une couleur bleutée a attiré notre attention un peu plus loin, nous nous sommes accroupie lorsque nous l'avons atteint.
- Comment t'as fait pour voir ça?
J'ai haussé les épaules en prenant le cadre entre mes mains pour le redresser. Devant nous, une copie parfaite d'un tableau de Monnet avait pris légèrement la neige. On l'a regardé un moment, tous les deux admiratif et sans voix face à cette découverte spontanée. Ce qui nous a sorti de nos pensées était encore plus étrange que ça.
- Mais... Ce n'est pas la saison... J'ai murmuré en regardant deux papillons aussi majestueux que blancs passer devant la lumière d'Oscar.
Ils volaient devant nous comme s'ils dansaient ensemble. Le bout de leurs ailes étaient légèrement bleutées ou verdâtres peut-être, ils sont remontés le long de la toile et nous sommes restés muets jusqu'à ce qu'ils s'enfuient trop loin.
- Wow... J'ai commenté en me relevant.
- J'ai toujours voulu m'en tatouer un. Oscar a avoué en essayant de les garder dans son champ de vision.
J'ai levé les yeux vers lui, ses confessions étaient toujours rares.
- Ah ouais? Pourquoi?
Il a pincé ses lèvres ensemble. Je voyais bien qu'il n'avait pas envie de répondre et après tout, les significations de tatouages peuvent être personnelles. Alors je l'ai laissé passer sa main dans ses boucles et j'ai repris la marche vers la voiture, avec le tableau dans les mains.
- Je n'en reviens pas qu'on ait trouvé ce truc, c'est énorme quand même! J'ai changé de sujet, l'air de rien et je l'ai vu avoir un léger rictus.
- Énorme comme ma...
- Je t'interdis de finir cette phrase. Je l'ai coupé et il a ri.
- Je n'en pense pas moins.
- Tais toi.
Il m'a ouvert le coffre et Naël et Alison nous ont bombardés de questions. Nous leur avons brièvement expliqué ce que nous avions trouvé, en omettant volontairement et sans se concerter cette histoire de papillon, parce que quelque part c'était notre secret à nous.
Maintenant
Je suis resté un long instant dans la toute première pièce et dans la toute dernière. Aujourd'hui c'était un champ de fleurs bleues. Nous étions entre elles et le ciel, comme toujours, était bleu et légèrement nuageux. Je me suis allongé par terre. J'ai pleuré. J'ai changé de positions une dizaine de fois mais les larmes étaient les mêmes. Je n'avais pas eu de conversation avec Oscar aussi douloureuse que celle de la veille depuis des mois. Je n'ai pas réussi à dormir, évidemment, parce que j'ai peur que les choses ne redeviennent plus jamais comme avant, que je ne puisse plus être heureux et que je sois seul jusqu'à la fin.
Cet endroit va fermer avec tous nos souvenirs. Plus personne d'autre ne connaîtra la magie du Cloud91 et ce qu'il peut créer. C'est en quelque sorte un livre qui se ferme mais est-ce que je suis prêt pour ça? Et puis si après il n'y avait plus rien ?
Parfois j'aimerai me réveiller et avoir tout oublié, tous ces détails qui m'ont fait tomber amoureux de lui. La solitude ne deviendra jamais mon amie. Elle me fait dormir seul dans des lits trop grands et trop froids, elle me fait dîner avec elle et je la déteste d'être si présente dans ma vie. Puis c'est sans parler de sa très chère amie Nostalgie, qui passe son temps à me rappeler tous ces trucs que j'aime chez lui et qui me manquent toujours un peu plus à mesure qu'ils s'éloignent.
Lorsque je n'ai plus rien à faire couler de mes yeux, je redescends. Ils sont gonflés, rouges, qui s'en soucie? Je me poste devant Pa' qui en m'entendant a fermé le journal qu'il tenait entre ses mains.
- C'est une allergie au pollen? Il demande pour essayer de me calmer, avec humour.
Je prends le mouchoir qu'il me tend pour essayer de masquer ma mélancolie.
- Quel calvaire ce truc.
Il rit pour détendre l'atmosphère et me passe la poubelle lorsque je suis mouché.
- Pa', j'ai pris une décision importante.
- Tu vas enfin porter de vrais pantalons?
Si ça avait été un simple pote je lui aurais fait un doigt d'honneur mais je me contente d'être simplement grognon.
- Non. Je veux te racheter le Cloud.
Il hausse les sourcils, très surpris. Je le regarde attentivement en essayant de décrypter chacune de ses réactions, il ne répond réagit pas vraiment et ce n'est qu'après un court instant qu'il éclate de rire.
- Racheter le Cloud? Il répète sans vouloir y croire. Pourquoi faire?
Je ne veux pas que mes souvenirs avec Oscar disparaissent, que tout parte en fumée dans une démolition tout ça parce qu'il n'y a pas assez de clients. On a fait trop de choses ici et tant vécu... Je ne peux pas accepter de perdre notre endroit après l'avoir perdu lui. Le Cloud est en quelque sorte tout ce qui me reste vraiment. Je préfère le partager plutôt que l'abandonner.
- Je vais le faire repeindre, racheter des néons pour dehors, faire de la publicité et redonner vie à ce lieu. On rajoutera des œuvres d'artistes contemporains aussi, le plancher ne grincera plus et il y aura une vraie caisse enregistreuse automatique.
Je sais qu'il ne nous appartiendra plus comme c'était le cas lorsque nous n'étions que deux simples visiteurs. Ma notoriété pourrait faire décoller cet endroit et je ne pourrais pas lui souhaiter de meilleur avenir que de plaire à de nouveaux couples, d'en créer et d'en abriter pour encore longtemps.
- Tu es tombé sur la tête Isaac, ne perd pas ton temps avec un vieux truc comme ça, va dehors et profite de TA vie!
Je tourne la tête de droite à gauche, catégorique. C'est hors de question. C'est ma vie moi aussi, en quelque sorte.
- Combien veux-tu?
- Ça fait longtemps que ça appartient plus à la banque qu'à moi-même...
- Mes agents s'en occuperons alors. Je veux que tu restes à la tête de toutes les décisions Pa', et que tu te reposes et profite du monde entier dès que tu en auras marre. On va rendre à cet endroit le vivant qui l'habitait autrefois, je te le promets.
Pour la première fois de ma vie entière, j'ai vu Pa', du haut de ses 80 ans, pleurer ce jour-là.
"Je suis sûr que les fleurs de Monnet se sont toujours inspirées de celles qui fleurissaient dans mon torse lorsqu'il riait." O.
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