Avant

Un air de guitare acoustique a démarré en fond sonore de mon rêve qui mélangeait des nuances de verts et de bleus sur un bateau gigantesque et puissant en pleine mer. Progressivement, de la manière la plus douce possible, la musique est devenue le seul élément à compter réellement et j'ai ouvert les yeux pour quitter mon sommeil. La lumière du jour éclairait faiblement les draps dans lesquels je me trouvais, bien plus doux et confortables que ceux de ma chambre.

Oscar. Je suis chez Oscar.

Sa place était défaite et en me redressant sur mes coudes j'ai réalisé que cette douce mélodie venait de lui. Il était assis sur le canapé, de profil par rapport à moi. Il m'a entendu bouger il s'est donc retourné et je me suis étiré.

-         Je t'ai réveillé?

-         C'était un super réveil.

J'ai répondu avec une voix rauque en regardant autour de moi. J'avais du mal à me resituer les lieux puisque la veille j'étais complètement ailleurs.

-         Je suis désolé de m'être endormi, je comptais rentrer mais j'ai eu un coup de barre horrible.

Je n'avais même pas attendu qu'il sorte de sa douche à vrai dire et c'est en pensant à ça que j'ai réalisé que j'étais sous la couette et pas dessus. Il s'était occupé de mon confort.

-         Je ne t'aurai pas laissé retourner chez toi à une telle heure de toute façon. Tu manquais trop de sucre. Et puis tu devais vraiment être épuisé, t'as dormi au moins 11 heures.

11 QUOI?

-         Attends, il est quelle heure?

-         Euh... Il a levé les yeux vers l'horloge murale. 2:15 pm.

-         NON. Il m'a regardé avec étonnement me lever du lit et courir en trébuchant. J'ai cours! Naël doit se demander où je suis! Bloody hell. Je-

-         Tu peux garder mes vêtements et j'ai séché tes chaussures, elles sont sur le palier. Je dois aller bosser dans vingt minutes de toute façon, je te dépose?

Il me sauvait la mise, à nouveau. C'est ainsi que quelques minutes plus tard, sa voiture s'est arrêtée en bas de mon bâtiment. Je l'ai remercié pour une énième fois et je suis rentré pour me changer et aller en cours. Malgré la panique j'étais d'une étrange bonne humeur. En me glissant sur le banc où se trouvait Naël, il s'est retenu d'échapper un cri.

-         Mais bordel, t'étais où? Je t'ai envoyé 34 textos, j'étais prêt à contacter les morgues environnantes et notre proprio' pour prendre ton appart'.

J'ai échappé un rire discret en sortant une feuille pour noter au moins le titre du cours.

-         J'ai noyé mon téléphone sans faire exprès. Enfin, il est tombé dans le lac du parc à côté de chez Luke.

-         Alison était inquiète, elle n'avait aucune nouvelle d'Oscar non plus.

-         Alison est toujours inquiète. J'ai répondu pour contourner un peu le sujet.

Je n'aimais pas la diaboliser, surtout lorsqu'elle avait toutes les raisons d'avoir peur. Au bout d'une minute ou deux, Naël a poursuivi, toujours à voix basse.

-         Du coup tu ne sais pas que Luke t'attend au studio demain soir? Hans leur a donné rendez-vous. T'as regardé les vues d'Espace?

Il a sorti son téléphone sous la table lorsqu'il a posé sa question. Automatiquement il se met à baisser le son pour faire la recherche YouTube. La vidéo avait dépassé les 110 000 vues, ça ne faisait même pas 24h00 qu'elle était sorti et le nombre d'abonnés à leur chaîne s'était plus que multiplié.

-         Wow...

-         J'ai entendu dire qu'ils vont faire un clip extérieur du coup, pour passer sur les chaînes locales au moins, et Hans veut absolument qu'ils enregistrent d'autres morceaux. On dirait que tu vas avoir pas mal de travail.

Je suis resté bloqué sur ces images prises en studio par un peu tout le monde, j'étais incapable de croire au nombre de likes. On avait créé, dans un garage, une pépite qui allait bien au-delà de mes espérances. Bien-sûr le management de Hans ne devait pas y être pour rien mais ça me semblait surréaliste. Une notification est apparue et j'ai haussé un sourcil.

-          De margaretormary: moi aussi j'adore ce plat mais honnêt-

Il m'a arraché le portable des mains en râlant contre moi.

-         Mêle-toi de ce qui te regarde Page. J'ai ris à son air soudainement renfrogné.

-         C'est qui cette Margaret?

-         C'est une fille que j'ai rencontré hier parce que TU n'étais pas là et que Alison a passé la soirée à chercher Oscar. Mais c'est rien.

Finalement il y avait peut-être eu du bon dans notre escapade nocturne.

-         Bah racontes, je veux les détails!

Il s'est mis à soupirer. Naël avait déjà eu quelques coups de cœurs pour certaines filles mais peu importe le temps que ça avait duré, il n'avait jamais eu de relation amoureuse à son grand désespoir. Enfin. Si, il y a eu la petite Liz en colonie de vacances pendant l'été avant le collège mais je ne suis pas sûr que deux jours à se dévorer des yeux sans se parler compte comme une relation.

-         Raah, c'est pas important je te dis. Mary elle...

-         Mary? C'était pas Margaret?

-         Elle préfère que je l'appelle par son diminutif. Bref, j'ai trébuché en allant vers le buffet et elle m'a aidé à me rattraper. Non, en fait elle a juste essayé et même si je suis tombé sur les fesses, c'est le geste qui compte non? En tout cas ça l'a fait rire et elle avait un rire... Très très très contagieux. Je dis ça mais son sourire aussi, il était éblouissant et ses yeux ils-

-         Woaah, le grand amour mais t'as pensé à la demander en mariage?

Il a tapé l'arrière de mon crâne en m'insultant et plusieurs personnes se sont tournées vers nous pour nous faire signe de nous taire. Oops. Une fois nos gloussements calmés il a retrouvé son sourire pendant qu'il répondait à son message.

-         Elle ne veut pas se marier avant la fin de ses études.

Je n'étais même pas étonné qu'il sache déjà la réponse à cette question. Ça faisait du bien de le voir aussi heureux.

Dès l'après-midi j'ai réalisé en me perdant dans les rues de Londres que vivre sans téléphone dans une époque où il sert à gérer toute sa vie jusqu'à l'heure à laquelle on se réveil était plus difficile que je ne l'imaginais et malheureusement pour moi, mes maigres économies allaient devoir y passer bien que ça n'était clairement pas la priorité.

Est-ce que Oscar galère aussi?

En fait, je ne faisais que de penser à lui, à toutes ces attentions qu'il pouvait avoir en permanence. Pourquoi il agissait comme ça avec moi? Pourquoi il passait tout son temps à éviter sa petite amie et à être à mes côtés pour faire les 400 coups? Je ne comprenais pas son attitude ou même pourquoi il était si doux et bienveillant avec moi alors qu'avec les autres il pouvait être extrêmement froid, voir irrespectueux. Soudain l'idée la plus saugrenue m'est passé à l'esprit en me souvenant de ce qu'avait dit Alison lors d'une soirée pizza chez Naël:

"Il n'y a que trois choses qui peuvent faire changer une personne radicalement: la religion, la drogue et l'amour."

Non. C'était ridicule. Oscar ne pouvait pas avoir un penchant pour moi. Je n'avais jamais vu un homme aimer autant les femmes que lui. Cette idée m'a fait rire tout seul, dans mon canapé alors que j'écoutais de la musique, allongé sur le ventre.

Il ne m'aime pas. On ne se connait pas assez pour ça.

Oui mais il est si différent avec moi...

IMPOSSIBLE.

Il raccroche au nez d'Alison quand elle appelle.

Il ne doit pas aimer les conversations téléphoniques.

Nos genoux se touchent et nos mains se frôlent.

Woah, si c'était une preuve d'amour tu serais marié avec Naël depuis longtemps.

Il me laisse rentrer dans ses espaces comme au Cloud, ou à la maison de retraite.

Il ne t'a même pas demandé ton numéro. Il enlace sous tes yeux d'autres personnes. Ce n'est pas ce qu'on fait quand on veut plaire.

Il n'aime pas Alison.

Il ne t'aime pas non plus.

Autant lui demander pour être certain d'être sur la même longueur d'onde.

Mais pour ça, il fallait que je le revoie et je n'avais aucune idée de comment le retrouver sans lui parler au préalable sur Instagram.

Le soir suivant je suis allé comme Luke l'avait proposé, au studio. Cependant cette fois-ci, il y avait aussi Hans à côté de l'ingénieur du son, qui, dans son costume, regardait les garçons qui jouaient de l'autre côté de la cabine, derrière la vitre. J'étais installé sur une table au fond, avec mon carnet et mes notes. J'écrivais ce qui me passait par la tête et le quarantenaire a fini par se tourner vers moi.

-         Tu aimes ce qu'ils font?

-         Euh... Oui? Enfin c'est un style qui me plaît entre d'autres.

Il a hoché la tête en se reconcentrant sur les garçons. Lorsqu'ils eurent terminé leur énième essai d'Obsession, il a appuyé sur un petit bouton de la console face à lui pour parler dans le micro.

-         C'était pas trop mauvais. Asher on va t'enregistrer en solo mets ton casque correctement. Les autres revenez.

Pendant qu'ils quittaient leurs instruments Hans s'est à nouveau tourné vers moi.

-         Si tu continues comme ça je te ferai rencontrer un autre garçon bourré de talent, ton aide lui sera précieuse et il te propulsera encore plus haut. Mais n'en parle pas aux Nuit d'Eté. Je veux qu'ils continuent de croire en toi.

-         Quoi?

Je n'ai pas eu le temps d'obtenir une réponse que Caleb, Luke et Micha étaient revenue. Je ne comprenais pas où voulait en venir Hans parce que je ne comptais pas lâcher les Nuit d'Eté mais l'idée de pouvoir partager mes écrits pour d'autres personnes m'ouvrait une porte importante, ça me donnait envie de continuer et de travailler plus dur. Certaines de mes musiques n'étaient pas faites pour un groupe de punk-rock, j'avais d'autres horizons à découvrir, d'autres histoires à raconter et Hans voulait m'en offrir la possibilité.

Maintenant

Le refus de rachat du Cloud91 hier reste en travers de ma gorge et pourtant je tente de garder la face, en plein appel vidéo avec une énième chaîne de radio pour promouvoir la sortie de mon album qui est dans moins de 3 semaines.

-         C'est ce que j'ai adoré travailler d'ailleurs, ce côté très personnel de l'album et-

-         Vous n'avez eu aucune contrainte?

J'échappé un léger rire, même s'il m'a coupé. Quel acteur.

-         Non, jamais. Evidemment, je suis entouré d'une équipe mais tous les choix, que ce soit pour ma vie ou pour ma musique, je les fais personnellement. Je suis un peu comme... Le boss final.

Un bruit derrière moi me fait tourner la tête. Eléa vient de rentrer dans la cuisine avec son grand sourire et ses sacs de shopping qu'elle dépose sur le comptoir. J'ai parfaitement toujours le choix oui.

-         Tout va bien? Lucas, l'intervieweur, demande en me voyant distrait.

-         Oui, oui, ma petite amie vient de rentrer.

Elle arrive dans le champ de vision de la caméra, au fond. Tout est scénarisé. Elle s'avance vers moi et n'hésite pas à s'asseoir sur une de mes jambes en faisant signe à Lucas. C'est du direct. Elle le sait et elle en joue. Avec mon plus beau faux sourire j'embrasse sa tempe.

-         Eléa, enchanté! Lucas la salue.

-         Excusez-moi de vous déranger, je viens juste de rentrer et je ne savais pas que vous étiez occupé.

Elle glousse et passe son bras autour de mes épaules pour m'enlacer brièvement. Non. Je n'ai jamais été contraint à quoi que ce soit. Je maîtrise totalement ma vie. Elle s'est levée juste après, un air heureux au visage et je l'ai regardé partir avant de reprendre la parole.

-         Aaah les femmes.

-         Elles nous rendraient dingues hein? Il a ri puis a enchaîné -pour mon plus grand bonheur- sur un autre sujet. Les fans se demandent d'ailleurs quelles collaborations [...].

Je hais ce que je vis en ce moment. Je déteste faire semblant. Je déteste me dire que Oscar pourrait le voir si ma vie l'intéressait. Je déteste prétendre et mentir à tout un tas de personnes qui croient en moi.

Deux heures plus tard on retrouve en Top Tweet #IsaacCommeCopain, le management est content, je suppose que je dois l'être aussi.

Mais plus je repense à ce jour dans le studio d'enregistrement plus je me dis que j'aurai dû fuir plutôt que de courir. J'aurai dû écouter Oscar quand il me disait que je ne devais pas rester derrière Luke. Maintenant c'est trop tard. Je ne peux plus rien faire. Je ne peux plus désobéir.

Pourtant je n'ai jamais été très sage.

Je ne veux plus faire semblant de jouer au mauvais garçon.

Je vais trouver un moyen de racheter le Cloud91. Peu importe ce que ça me coûte. Peu importe les répercussions. J'accepterais n'importe quoi pour le sauver. Il ne me reste plus que ça de nous.

"J'aurai aimé qu'il me regarde moi plutôt qu'elle de cette manière." O.