Avant

Nous avions décidé de passer le nouvel an à l'Erobar, grâce à la scène ouverte et son concours de musique. Avant d'y aller, Alison a fait les cent pas dans l'appartement de Naël en regardant son téléphone.

- Aaaaarg, mais où est-ce qu'il est encore?

- Il ne devrait pas tarder. Na' essayait de la rassurer. Il n'est que 18h30, le concours commence dans 30 minutes et le temps que vous passiez...

- Il m'avait dit qu'il viendrait ici mais il ne répond plus depuis hier!

Elle était totalement en panique. Encore une fois je me demandais si quelque part, elle ne savait pas pour ses infidélités, si elle ne le soupçonnait pas d'être en ce moment même avec une autre et qu'il ait perdu la notion du temps.

- Il n'est pas au magasin? J'ai tenté.

Peut-être qu'il travaillait juste? Je ne savais pas pourquoi j'avais tendance à le diaboliser comme ça.

- Non, Anne a des stagiaires en ce moment, l'affaire roule.

J'ai plissé les yeux un instant pour me rappeler qui était Anne. Mais oui, la mère de Oscar, la proprio. Je me suis levé du lit où j'étais installé.

- J'vais faire un tour, on se retrouve au bar.

- Ça va aller Ali', il va-

- On devait répéter une dernière fois!

Ils ne m'écoutaient pas. C'était un peu vexant mais je préférais partir discrètement que d'avoir une multitude de questions. Je n'allais pas "faire un tour" en allant nul part. Un truc au fond de moi me disait que je devais trouver Oscar, que peut-être il n'allait pas bien pour un facteur qui m'était inconnu et que s'il ne venait pas à la soirée, il le regretterait pour trois raisons:

Premièrement, Alison, même si c'est un amour avec lui, lui en voudra très longtemps.

Deuxièmement, ils seraient disqualifiés du concours alors qu'ils ont réellement leur chance.

Dernièrement, c'est le nouvel an. Et personne ne veut être seul pour le nouvel an. Pas même Oscar.

Le temps pressait, je n'avais pas la possibilité d'hésiter longtemps, ni même de déambuler dans les rues de Londres pour le croiser au hasard. J'ai pris le bus jusqu'au Cloud91 parce que c'est dans cet endroit que j'avais retrouvé le bouclé la dernière fois qu'il allait mal. Au fond, j'espérais qu'il ne soit pas là, que je me trompe depuis le début et que tout va pour le mieux. C'était assez irréfléchie mais je ne voyais pas d'autre solution à exploiter. Lorsque je me suis engouffré à l'intérieur du bâtiment, sa douce chaleur et son odeur m'ont embaumé d'une manière si rassurante, que je n'avais même pas fait attention au dénommé Pa' qui s'était levé.

- Bonsoir! Votre dernière visite vous a plu?

Il était heureux. Je me suis avancé vers le comptoir, beaucoup plus assuré que la première fois.

- Bonsoir. Oui, c'était génial. Je pourrais reprendre un ticket?

- Ce n'est pas moi qui vais vous en empêcher! Sa bonne humeur ne le quittait pas pendant qu'il essayait de taper sur le petit clavier de sa vieille machine. Pourquoi ça imprime p- ah! Voilà!

J'ai payé et pris le billet qu'il me donnait en le remerciant puis j'ai grimpé les marches quatre à quatre, traversé la pièce blanche puis la noire, grimpé le second escalier avant d'arriver enfin à la bleue. En poussant le rideau, j'ai plissé les yeux à cause de la lumière. Nous n'étions plus au-dessus des nuages, perdus entre eux mais sur le toit d'un immense immeuble. La ville était très basse et le ciel toujours dans ces nuances blanches et bleutées. Les paysages changeaient? Mais ce n'était pas ça qui devait m'importer pour le moment. Mes pas me guidaient lentement vers le centre de la pièce pour voir si Oscar était allongé quelque part mais ce n'était pas le cas.

- Merde.

- Qu'est-ce que tu fais là encore?

J'ai sursauté en entendant sa voix. Je m'attendais à le voir au sol mais pas assis dans l'obscurité sur les marches contre le mur du fond. Son ton ne me reprochait pas ma présence mais ne l'encourageait pas non plus.

- Tu n'as plus de batterie sur ton téléphone?

Je ne sais pas pourquoi c'est la première chose qui m'était venu à l'esprit, comme bien trop souvent j'étais maladroit avec lui. Il m'a montré son cellulaire, qui était posé juste à côté de lui.

- Il faut croire qu'elle ne m'a pas assez harcelé pour qu'il soit à plat.

J'ai ris, un peu nerveusement. Il savait qu'elle voulait le joindre et il l'a juste ignoré? Au moins j'étais rassuré qu'il aille bien, du moins physiquement. Je me suis avancé vers lui jusqu'à ce qu'on soit en face l'un de l'autre.

- Tu n'as pas envie d'y aller?

- Je suis bien là.

Ça allait être plus dur que ce que je ne pensais. Le pire dans tout ça, c'est qu'il était habillé avec des vêtements qui correspondaient à ceux d'Alison. Il était prêt mais il n'arrivait pas à la rejoindre. Je me suis assis à côté de lui et j'ai regardé ce qu'il voyait. J'ai essayé de me mettre à sa place et de comprendre ce qui n'allait pas. Le problème est que Oscar restait un mystère pour moi. Je me suis concentré sur la ville au loin, sur les couleurs de l'après-midi et cette météo qui n'était absolument pas celle de l'extérieur. C'est vrai qu'on est bien ici. Il n'y avait aucune agitation, aucune chose à craindre ou appréhender, juste ces nuages qui passaient. J'étais tellement perdu dans ma contemplation que je me suis souvenu que je n'étais pas seul seulement au moment où Oscar a replacé ses jambes et que son genou a touché le mien. Je crois que c'était sa façon de m'appeler sans avoir à parler.

- Pourquoi parfois les choses se passent mal?

Sa question m'a pris de court. C'est vrai ça. Pourquoi tout ne peux pas aller bien? Pourquoi quand on envisage les choses d'une certaine manière ça n'arrive pas comme ça? Pourquoi alors qu'il était prêt à aller au bar, il s'est découragé soudainement? J'ai baissé les yeux vers mes baskets usées en cherchant une réponse, qui ne m'est venu qu'après un instant de réflexion.

- Il y a des trucs qu'on ne peut pas contrôler. Ça nous permet de nous rendre compte de plusieurs traits que nous avons et que nous devons développer pour nous adapter. Il continuait de me fixer alors j'ai essayé de trouver une image pour mieux expliquer. Tu ne peux pas choisir la direction du vent mais tu peux toujours ajuster tes voiles.

Son visage s'est tourné vers la ville artificielle il a poussé un long soupire. Lentement il s'est levé, ça avait l'air pénible mais il l'a fait.

- Je crois qu'on va devoir y aller alors?

Je lui ai offert un sourire qu'il ne m'a pas rendu. Cependant ses mains se sont tendues vers les miennes et je les ai prises pour me relever. Il avait les doigts chauds et j'avais cette envie bizarre au fond de moi qu'il garde les miens contre ses paumes. Je me suis mordu la lèvre à cette idée saugrenue, il m'a lâché sans y faire attention et on s'est dirigé vers la sortie. Ça s'est arrêté trop brutalement, trop vite.

Merde.

Tu ne peux pas penser ça Page.

Il y a Alison. Il aime Alison et ils sont tes amis.

Je me suis maudis moi-même pendant tout le trajet jusqu'à l'Erobar, qui s'est effectué dans un presque silence sans pour autant être une source de gêne. Il se concentrait, il réfléchissait. Ça se voyait au froncement léger de ses sourcils et à son regard vagabond qui se perdait dans sa ligne d'horizon. J'aurai aimé pouvoir l'aider plus.

En arrivant Naël nous a fait un grand signe de main pour qu'on s'assoit à sa table, ce qu'on a fait. Il était seul et un groupe était en train de jouer.

- Où est Ali'? J'ai demandé en me penchant vers lui.

- Elle est allée aux toilettes, elle est vraiment super énervée!

Il s'est penché pour voir Oscar qui était assis à côté de moi afin de lui serrer la main.

- Content de te voir, ça va être chouette! Il essayait de l'encourager.

Le bouclé a à peine réagit, gardant son attention sur le morceau. C'était une musique de Nirvana, un gros classique. Ils n'allaient pas gagner. C'était un choix trop facile. C'est comme ces gens qui jouent Wonderwall de Oasis dans la rue. Il n'y a pas de défi, ça plaira dans tous les cas.

Le groupe a terminé et Alison est arrivée en essuyant ses yeux. J'ai sentis mon cœur se serrer pour quelque chose dont je n'étais pas responsable: elle avait pleuré parce qu'elle s'inquiétait du silence de son copain. Elle s'est arrêtée à l'autre bout de la table et l'a fixé sans vouloir croire qu'il était là. J'ai donné un coup de coude au fautif pour qu'il la remarque. Elle a pris une grande respiration afin d'essayer de tempérer avec sa colère.

- Ce n'était vraiment pas gentil Oscar.

Il a continué de la regardé comme s'il ne comprenait pas en quoi son geste était si mauvais. Elle a repris.

- J'avais peur pour toi. On devait se retrouver et j'ai attendu comme une... Une idiote, que tu viennes.

Il est resté silencieux et je n'arrivais pas à savoir si la douleur que je ressentais en moi était finalement celle de sa petite amie ou la sienne. Il allait assez mal pour la laisser tomber. Alison s'est assise à côté de Naël et nous nous sommes tous concentrés sur la scène parce que personne ne trouvait les bons mots pour cette situation, pas même mon meilleur ami.

Heureusement pour nous, le propriétaire du bar a pris la parole au micro.

- Et maintenant nous accueillons un duo! Alison et Oscar, c'est votre tour!

Je les ai regardé se lever et se diriger vers l'estrade mécaniquement, sans en avoir réellement la conviction. Oscar a pris une guitare électrique qui était posée au fond et j'ai reconnu que c'était la sienne grâce au petit sticker en forme de papillon collé près du manche. Alison s'est éclairci la gorge en s'éloignant du micro et à peine une poignée de secondes plus tard ils ont interprété la chanson de Shania Twain "Man! I Feel Like a Woman". Malgré leur tristesse commune, ils ont réussi à faire quelque chose d'à la fois sensuel et amusant, plein d'entrain. C'était simple mais on ressentait toute la puissance de cette chanson et ce pouvoir féminin qui faisait son charme. Alison était une vraie bête sur scène, elle savait capter son public et se faire désirer, sans parler de sa voix incroyable qui ne faussait jamais une note. Oscar quant à lui, restait concentré sur ce qu'il faisait en l'accompagnant avec cette discrétion qui rendait la chose naturelle. Ils étaient remarques ensemble.

Dès que la chanson s'est achevé tout le monde les a applaudis énergiquement, ils se sont faits sifflés et certaines personnes se sont même levées. C'était gagné d'avance. Ils ont salué d'une manière très humble et sont revenus vers nous dès que possible. La blonde avait le sourire aux lèvres à nouveau. Elle venait de retrouver son souffle en chantant.

- Incroyable! Vous avez tout déchiré! Naël s'est exclamé et j'ai confirmé d'un mouvement de tête.

- Merciii!

Elle était aux anges. Je préférais largement la voir d'aussi bonne humeur. Oscar a lui mis les mains dans ses poches en regardant l'animateur de la soirée revenir. Aucun commentaire.

- Super! Merci! Passons maintenant à un groupe, avec leur franc succès local je ne devrais même plus avoir à les présenter, mesdames et messieurs, Nuit d'Eté!

J'étais content de voir Luke, Asher, Caleb et Micha monter sur l'estrade pour prendre place. Le regard bleu du chanteur principal s'est fixé sur moi et le sourire qu'il m'a offert juste après a créé le mien. Ils étaient clairement surexcités et je les comprenais: ils allaient jouer en public le premier morceau qu'on avait composé.

Lorsque le silence est revenu, la batterie a commencé à jouer Espace, puis la guitare électrique. Quand Luke a chanté à la suite de Caleb, en tenant fermement le micro dans ses mains bien qu'il soit sur pied je suis resté sans voix tant il arrivait à prononcer ces mots avec une sincérité débordante. Il avait ce grain et ce léger accent qui faisait croire que ce qu'il disait venait du cœur, qu'à chaque instant il pouvait se mettre à pleurer parce que la fille dont il parlait lui manquait plus que tout. Elle l'attendait à l'autre bout du monde et même s'ils s'endormaient et se réveillaient sous le même ciel, même si leurs cœurs battaient au même rythme, la distance était trop douloureuse. Tous les garçons étaient vraiment excellents mais je ne pouvais pas m'empêcher de rester bloqué sur Luke. Lorsque Caleb prononça les derniers mots, sur les dernières notes de guitare et de cymbales seulement, le public du bar était complètement en retourné. Si la prestation de Alison et Oscar avait eu du succès, celle-ci avait battu tous les records.

Les musiciens se sont tous prit dans les bras en se sautant dessus comme ils le faisaient dès qu'ils étaient fiers d'eux. Evidemment je me suis levé pour les applaudir, comme tout le monde et même si l'euphorie collective avait du mal à redescendre et qu'il y avait tant à voir, j'ai tourné le visage vers Alison qui était l'une des seules de tout le bar à être encore assise. Le bruit a diminué progressivement, on s'est réinstallés pendant qu'une chanteuse soliste s'est préparée et j'en ai profité pour me pencher vers la blonde.

- Ça va?

- La... La chanson...

Oscar et Naël s'étaient aussi rapproché pour nous entendre. Sur ses joues la trace de ses larmes était encore visible.

- Elle était diiiiiiiingue! Naël a complété en levant les bras en l'air sous l'excitation.

- C'est ça... Ali a repris. Elle était si belle... Luke, il. Je. C'est pas possible d'écrire si bien, ces mecs en plus d'être super canons et d'incroyables musiciens ont ce talent, je... Wow. Je suis encore super chamboulée là. C'était tellement beau et mélancolique... J'espère qu'ils gagneront.

J'ai sursauté en sentant deux bras enlacer mes épaules par derrière et une tête se cacher contre mon cou.

- ISAAAAC!

Evidemment, c'était Luke, qui s'est redressé parce que les trois autres garçons voulaient aussi me sauter dessus. Que ce soit mon groupe d'amis ou le boysband, ils se sont tous lancés mutuellement des fleurs. Les garçons ont tirés des chaises pour être juste derrière nous.

- C'était dément!

Je ne pouvais pas m'empêcher d'être heureux pour eux et si la fille qui était sur scène n'avait pas chanté du Adèle déprimant j'aurai sans doute passé ma soirée à leur dire à quel point j'étais fière d'eux et enthousiaste. Peu après 11:00 pm, les passages étaient clos et les délibérations ont été faites par le jury.

L'animateur a pris le micro pour annoncer les résultats.

- Tout d'abord merci pour votre participation! Le producteur ici présent, mon chère ami Hans a eu énormément de mal à trancher entre tous vos talents, c'est pourquoi nous avons décidé que TOUS les participants gagneront une carte de fidélité Gold qui offre -10% sur toutes vos consommations pendant un an! Tout le monde a applaudi ou s'est exclamé de joie. Mais l'enregistrement d'un single ne peut revenir qu'à l'un des numéros qui nous a été présenté ce soir... Roulement de tambour?

Asher n'a pas perdu de temps pour faire taper ses baguettes contre ma chaise, ça m'a fait rire.

- Le prix revient à...

Le suspense était insoutenable, je trépignais sur ma chaise.

- NUIT D'ETE !

Ma bouche s'est ouverte en grand. Ce que j'avais accepté par pur hasard c'est-à-dire collaborer avec eux venait de porter ses fruits dès le premier essai. Ils ont hurlé de joies en sautant encore plus partout. Dans le bar c'était la cohue parce que tout le monde, au fond, espérait que ce soit eux qui gagneraient. Ils le méritaient. Lorsqu'ils ont repris leur calme, c'est Luke qui a décidé de prendre la parole au micro.

- Woooah! Vraiment merci à tous pour votre accueil et votre écoute, et je pense pouvoir parler pour nous trois quand je remercie surtout Isaac. Il m'a montré de la main et j'ai perdu instantanément mon sourire. Hein. C'est cet incroyable Isaac Page, ici, qui a écrit Espace. On espère que la suite sera toute aussi prometteuse, nous avons de grands projets. Merci beaucoup!

Puisqu'aucun d'eux ne tenait en place derrière lui, il s'est arrêté dans son discours et ils se sont dirigés vers le fameux Hans, qui observait plus loin avec une mine sérieuse chacun de leur mouvement. Il a tourné la tête vers moi, non regards se sont croisés mais Naël m'a coupé dans mes pensées.

- C'ÉTAIT TOI ET TU N'AS RIEN DIT?!

- TU ÉCRIS DES CHANSONS?! Alison a poursuivi sur le même ton.

- Euh... Peut-être? Il faut croire?

Je ne savais clairement pas où me mettre. Oscar est resté muet, les bras croisés sur son torse. Il nous regardait avec presque amusement.

- Je n'arrive pas à croire que tu ne m'aies rien dit! Na' a poursuivi plaquant ses mains sur ses joues d'un air dramatique.

- Et moi que tu aies écris pour eux plutôt que pour nous!

- Vous ne m'avez rien demandé! J'ai essayé de me défendre en levant les mains pour clamer mon innocence.

- Parce qu'il y a une liste d'attente??

On s'est mis à rire et les sujets ont divagués à nouveau après une dernière panoplie de compliments. Les garçons sont revenus derrière nous et nous ont offert une tournée pour me féliciter. Caleb a essayé de m'imiter en train de trouver de bonnes idées pour les paroles et ils ont raconté l'histoire de A à Z, ce qui a amusé tout le monde encore plus. J'étais content qu'on s'entende tous, mais quelque chose clochait. Et cette chose, je me suis rendu compte que c'était Oscar. Les chaises étaient en cercle et nos genoux se touchaient. Il avait l'air enfermé sur lui-même. Il vidait son verre sans parler, ni sourire, il n'était même pas forcément neutre il était plutôt... De mauvaise humeur. Pour capter son attention, lorsque je n'étais plus au cœur du sujet, j'ai poussé légèrement ma jambe contre la sienne comme lui l'avait fait plus tôt dans la journée. Il a tourné les yeux vers moi et j'ai mimé des lèvres un "ça va?" qu'il m'a rendu en haussant les épaules, qui s'est accompagné d'un détournement de visage. Un "je ne sais pas" ou un "bof" revenait à un non pour moi alors j'ai tiré ma chaise pour être un peu plus près de lui et j'ai terminé une brève gorgée de mon cocktail pour me donner du courage pour affronter la tempête.

- Tu... Tu es déçu de ne pas avoir gagné?

- Non.

- Alors... Tu es fatigué?

Il m'a à nouveau regardé et après avoir vérifié que personne ne faisait attention à nous il s'est penché vers moi.

- Pourquoi t'as travaillé avec eux? Il chuchotait presque.

- Luke me l'a proposé à la soirée où vous jouiez.

Je n'arrivais pas à saisir où était le problème. Il a soupiré puis a bu un peu de la boisson qu'il avait commandé avant de reprendre.

- Il t'utilise.

- On a travaillé ensemble. Je suis le seul qu'il ait remercié personnellement.

- Une fois qu'il a gagné.

J'ai roulé des yeux en finissant d'une traite ce qui me restait. Oscar pouvait vraiment être borné lorsqu'il s'y mettait.

- Tu es de mauvaise foi.

- Toi-même.

Alors là je croyais rêver. Je me suis mis à éclater de rire tant il n'y avait même plus de recherche dans sa répartie. Il m'a regardé de bas en haut pour voir si j'étais sérieux de me moquer de lui comme ça et ça n'a fait que redoubler mon amusement. J'ai plaqué ma main sur ma bouche pour m'empêcher de continuer lorsqu'il s'est levé, a pris ses affaires et s'est dirigé vers la sortie du bar. Merde. Il était vraiment susceptible pour un rien et c'était impossible pour moi de comprendre la raison de son angoisse intérieure.

Je ne voulais pas le laisser errer dans les rues de Londres tout seul et barbouillé de tous ces sentiments qui ne lui plaisaient pas. Après tout j'avais l'impression que c'était un peu si ce n'est totalement ma faute.

Je me suis levé à mon tour, j'ai pris mon téléphone qui était posé sur la table et je l'ai suivi en disant aux autres que je revenais. L'air glacial de la fin du mois de décembre s'est engloutit sous mon sweat à capuche trop grand. Oscar avait les mains dans les poches de son manteau, il marchait en direction du centre-ville. J'étais obligé d'accélérer le pas pour le rattraper. Dès que j'ai atteint sa hauteur j'ai pris une allure plus naturelle, comme si j'étais un passant entre plein d'autre et j'ai dit la tête tournée ailleurs et l'air amusé:

- Tu comptes retourner à Glasgow comme ça? Parce qu'il y a une sacrée petite trotte. Il a tourné la tête vers moi et j'ai poursuivis. En plus il fait froid, tu n'as pas assez bu et tu manquerais à beaucoup de monde.

Il a regardé à nouveau l'horizon. Il semblait perturbé, comme s'il luttait entre plusieurs sentiments. Sans me prévenir il a pris l'initiative de mettre son écharpe autour de mon cou. J'ai échappé un nouveau petit rire.

- Mais pourquoi tu te moques tout le temps de moi? Il a demandé en râlant.

- Je ne me moque pas. Je trouve ça mignon ton altruisme malgré ta mauvaise humeur.

- Je ne suis pas "mignon".

- Bon d'accord.

Je crois qu'il était décontenancé par ma réponse parce qu'il a tourné le visage vers moi. Les lumières de Noël brillaient toujours sur la capitale et les rues étaient drôlement vides puisque nous avions quittés les coins où se trouvaient la plupart des bars. La neige tombait par légers flocons et rougissait nos joues et nos nez. Il s'est arrêté de marcher et j'ai fait de même. Il continuait de me regarder avec cette intensité particulière qui provoquait une étrange sensation dans mon torse, ni réellement agréable ou désagréable.

- Comment tu fais?

- Pour rester vivant face à ce froid polaire? J'ai tenté. Aucune idée, je m'impressionne moi-même.

- Non, comment tu fais pour être aussi rayonnant?

Cette fois c'était à mon tour d'être décontenancé. Personne ne m'avait jamais dit que j'étais "rayonnant", au contraire, j'ai souvent entendu des gens dire que j'étais "froid", "impossible à déchiffrer" ou même "distant". Je ne me plaignais pas souvent -mis à part à Naël- et je restais discret sur mes émotions, même si quand les choses n'allaient pas je savais l'exprimer. Mais pour Oscar, j'étais rayonnant. Peut-être était-il tellement dans le noir qu'il était étonné de voir quelqu'un de moins sombre? Non, ça n'a pas de sens. Il a Alison. Et si quelqu'un était bien débordant de joie et d'amour, c'était elle. Je ne saisissais définitivement pas le sens de sa question parce que je ne pouvais pas m'y identifier.

J'ai entrouvert la bouche, perdu dans ses prunelles vertes dont je n'arrivais pas à me détacher et lorsqu'une réponse approximative et maladroite allait sortir, un énorme bruit d'explosion a retentit.

J'ai sursauté en me rapprochant d'Oscar, faisant un demi-tour sur moi-même en direction du son. Une dizaine de petites lumières colorées descendaient le long du ciel et de nouvelles explosions un peu plus au-dessus ont dispersées du bleu, du vert et du doré. On pouvait entendre au loin, des éclats de joies telle une exaltation collective et c'est en regardant le bouclé qui avait les yeux vers le ciel que j'ai compris que nous avions loupés le décompte.

- Bonne année Oscar.

Il a reporté son attention vers moi et après une seconde ou deux, a ouvert ses bras. D'un geste inattendu je me suis retrouvé entre eux. Ma timidité a repris le pas, je rencontrais pour la première fois sa tendresse physique. Sa chaleur m'enveloppait et luttait contre l'hiver ce qui m'a poussé au bout de quelques secondes à glisser mes doigts gelés autour de sa taille, sous son manteau. J'ai senti ses mains me presser un peu plus contre lui pendant que sa voix murmurait:

- Bonne année Isaac.

J'étais ahuris par sa délicatesse et sa douceur. J'aurai pu rester là, dehors, sous la neige, avec lui toute la nuit. Son contact était chaud, affectueux. Il y a des embrassades comme celle-ci qui nous font nous sentir à la maison, avec une force idéale et une odeur si agréable qu'on ne s'en lasse pas. Je me doutais qu'il y avait des gens qui savaient enlacer, je veux dire, faire un vrai bon câlin qui chasse toutes les questions et la tristesse, mais là c'était différent, c'était unique en son genre. Je n'avais jamais vécu ça auparavant.

Je ne connaissais pas encore vraiment Oscar et à cet instant j'avais tout de lui.

Il s'est reculé après avoir prononcé ces mots et mes bras sont revenus le long de mon corps en me ramenant au froid polaire de décembre. Il avait retrouvé son sourire et je crois qu'on ne pouvait pas mieux commencer l'année. Même si j'étais à nouveau frigorifié. Même si les papillons étaient partis. Même si son étreinte me manquait étrangement déjà. Même si nous sommes retournés au bar et qu'ils nous ont tous sauté dessus en nous demandant où nous étions ou en nous souhaitant leurs meilleurs vœux.

- Vous ne devinerez jamais ce que Naël a fait! Caleb s'est exclamé en en riant encore.

- L'année commence parfaitement pour moi! Le concerné s'est vanté en levant les bras.

- Il s'est cassé la figure après avoir fait le décompte, genre, vénère, la chaise s'est éclatée sous son poids. Micha a éclaté de rire encore plus que les autres.

J'aurai aimé voir ça mais mes premières minutes de cette nouvelle année je ne les aurai échangés contre rien au monde. Cette histoire m'aurait sans doute d'autant plus amusé si je ne n'étais pas perdu dans cette sensation encore un peu flottante de ce qui venait de nous arriver. Du coin de l'œil je voyais Alison passer ses bras autour de la nuque de Oscar pour l'embrasser passionnément et il lui a rendu en la prenant contre lui d'un mouvement précipité, presque maladroit.

C'est à ce moment précis que j'ai eu l'idée la plus étrange qui m'est passé par la tête. Elle ne devrait pas être avec lui.

Si nous étions dans un film elle se serait rendu compte que sa beauté et sa pureté méritaient d'être avec quelqu'un qui la respecte complètement, avec une personne qui ne la trompe pas et qui ne passe pas son temps à l'éviter quand ça l'arrange. Je savais qu'il faisait des efforts, qu'il essayait de vivre plus de moments avec elle mais en comparaison à l'amour qu'elle lui offrait ce n'était absolument pas suffisant. Je voulais qu'elle s'en rende compte, qu'elle voit les choses avec mes yeux qui en ont trop vus et qu'elle comprenne que Oscar n'était pas ce qui lui convenait.

Un bisou sur la joue m'a permis de décrocher mon regard d'eux. Luke était juste à côté de moi et me tendait un verre. Je l'ai pris.

- Cette année sera la nôtre.

Je ne savais pas s'il disait ça par rapport au groupe ou par rapport à notre relation mais je me suis contenté de trinquer nos verres. Même si j'avais la tête un peu ailleurs, nous sommes restés tous ensemble jusqu'au lever du soleil, à rire et à faire n'importe quoi en buvant et en savourant ce renouveau, cette idée de pouvoir commencer une année différemment et sans reproduire les erreurs passées. Elle promettait d'être riche et je ne me doutais pas d'à quel point elle le serait.

« J'ai découvert cette nuit qu'il y avait un endroit où je pouvais me sentir parfaitement bien. » O.