Before you met me I was alright, but things were kinda heavy ~

Les mains dans les poches, le nez caché sous son énorme écharpe beige et le cœur battant la chamade, Jeongin contemple la façade du bâtiment qu'il connaît comme sa poche.

La résidence étudiante dans laquelle il loge durant l'année lui paraît bien froide et austère en ce matin de février. Ça fait un moment qu'il n'y a pas dormi puisque c'est les vacances et qu'il est rentré chez ses parents. Ce n'est pas le cas de Seungmin qui a coupé les ponts avec les siens, ni celui de Felix qui n'a pas l'argent nécessaire pour rentrer en Australie pour seulement quatre semaines. Peut-être que Jisung est resté aussi, ou alors il a passé les vacances avec Minho.

Un léger soupir s'échappe de ses lèvres gercées. Ses mains tremblent au fond des poches de sa doudoune alors il les referme en un poing serré.

« Courage Jeongin, se murmure-t-il à lui-même. Tu peux le faire. »

Il fait un pas en avant, deux en arrière, donne un coup de pied dans un cailloux et se maudit un bon paquet de fois.

Le ciel n'est ni gris, ni bleu, et curieusement ça représente bien son état d'esprit à cet instant.

Il a à la fois tellement envie d'entrer dans la résidence, et à la fois tellement peur.

S'il ferme les yeux il peut se voir entrer, râler contre l'ascenseur une fois de plus en panne, grimper les trois étages nécessaires et s'arrêter devant la porte 24. Il peut se voir toquer à la porte et Seungmin lui ouvrir. Il peut se voir fondre en larme dans ses bras.

Et il vaut mieux qu'il arrête là sa rêverie.

De toute manière, il va bien falloir qu'ils se reparlent un jour ou l'autre, ils sont dans le même groupe d'amis, dans la même classe, avec les mêmes options et ils sont voisins de paliers.

Alors il avance à petit pas vers la résidence.

Si ça se trouve il ne sera pas là.

Comme d'habitude l'ascenseur est en panne.

Si ça se trouve il ne veut pas me voir.

Les escaliers lui semblent infinis.

Si ça se trouve je le dégoûte.

« Innie ? »

Il se fige. En haut des escaliers se tient Seungmin, la bouche entrouverte et le regard surpris.

« Sa- Salut, bredouille Jeongin en baissant les yeux vers ses chaussures.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu ne rentrais pas de chez tes parents avant la semaine prochaine.

- Oui. Je suis rentré plus tôt. En fait, je... »

Je ?

« Je voulais te parler, lâche-t-il d'une traite et Seungmin descend les quelques marches qui les séparent.

- J'ai besoin de faire des courses, tu m'accompagnes ? »

Il l'accompagne. Au moins ils ne seront pas juste tous les deux dans une chambre.

Après avoir marché une dizaine de minutes jusqu'au magasin le plus près dans un silence pesant, il suit Seungmin dans les étalages.

« Tu sais, dit alors Seungmin, répondant au silence. J'ai beaucoup réfléchi. »

Ah.

« Je t'assure que j'aurai aimé-

- Pas la peine, le coupe Jeongin en soupirant. Je sais très bien que tu ne pourras jamais m'aimer comme je t'aime.

- Innie...

- Non, vraiment, Seungmin. Je ne t'en veux pas.

- J'aurai pu être moins... »

Il s'arrête, un paquet de pâte dans la main gauche et son sac dans l'autre, l'air pensif.

« Moins toi ? propose Jeongin en rigolant légèrement mais Seungmin ne rigole pas.

- Je ne comprends pas ce que tu me trouves, dit-il dans un souffle.

- Et moi je ne comprends pas comment tu peux manquer de confiance en toi à ce point. »

Et les revoilà : les larmes qui s'amassent au coin de ses yeux. Ce ne sont même plus des larmes de tristesse, plus de frustration. Frustration de sentir, même là, l'alchimie qu'il y a entre eux tout en sachant que jamais leur relation ne dépassera le stade de l'amitié, frustration que Seungmin n'arrive pas à prendre conscience qu'il est un garçon incroyable.

Les néons blancs de la supérette lui font mal à la tête, on est à mille lieux de la douce lueur rouge et bleu du bar.

« Innie, souffle Seungmin doucement et Jeongin passe ses doigts sous ses yeux.

- Je ne t'en veux pas, Seungmin. Par contre, je vais avoir besoin d'un peu de temps pour faire la part des choses.

- Bien sûr, s'empresse de répondre le brun. Tout ce dont tu as besoin. »

Et encore une fois, il a mal de le voir si gentil avec lui, tellement aux petits soins.

« Je vais y aller, chuchote-t-il en passant une main dans ses cheveux rouges.

- Tu vas où ?

- Je sais pas.

- Tu... Tu veux que j'appelle quelqu'un ? Felix ? Jisung ?

- Laisse, ils doivent être avec Hyunjin et Minho, j'ai pas envie de les déranger.

- Mais...

- Ça va, Minnie. Je t'assure. »

Seungmin le regarde avec toute la peine du monde dans les yeux, Jeongin a mal au cœur. C'est lui qui a mis toute cette détresse dans le regard de celui qu'il aime ? C'est lui qui a ôté cette étincelle de malice qui le caractérisait ?

« Si ça va pas tu-

- Je vais rentrer chez mes parents. T'as pas à t'en faire. »

Seungmin hoche la tête, sa main toujours refermée autour de son paquet de pâtes. Il fait mine de s'avancer vers Jeongin qui recule d'un pas un peu brusque et manque de foncer dans une des étagères remplies de paquet de pâtes et de riz.

« C'est un peu trop tôt pour ça, » chuchote-il et Seungmin s'excuse une fois de plus.

Du point de vue de Jeongin ça ne devrait pas être à lui de s'excuser. De quoi s'excuse-t-il de toute manière ? D'être lui-même ? D'être humain et de ne pas réussir à se forcer à ressentir des sentiments ? Débile. Idiot. Insensé.

Ils s'échangent un dernier sourire triste et pincé et Jeongin tourne les talons. Il sort des allées du magasin pour retourner dans la rue où la luminosité est déjà en train de diminuer. Là, deux choix s'offrent à lui : rentrer chez ses parents ; retourner au bar en espérant y croiser Bam.

Le choix est vite fait. Entre la déprime solitaire et la déprime à deux, la question n'en est plus vraiment une.

Il entre dans le bar dans les alentours de vingt heures et scan l'intérieur du regard. Il n'a pas changé, juste l'ambiance diffère un peu puisqu'il ne fait pas encore complètement nuit et qu'il n'y a pas grand monde sur la piste de danse.

Il va s'asseoir au bar et commande un diabolo menthe parce qu'il ne compte pas trop boire ce soir. Les deux dernières fois lui ont servi de leçon, jusqu'à la prochaine fois.

Cette fois-ci personne ne vient l'accoster, on le laisse enchaîner les diabolos sans lui poser de questions. Peut-être que c'est parce qu'il est habillé simplement d'un jogging gris et d'un sweat de la même couleur, peut-être que c'est parce qu'il boit une boisson d'enfant, peut-être que c'est parce que ça se lit sur son visage qu'il ne veut pas être dérangé.

Il attend Bam. Et Bam ne vient pas.

« Forcer le destin, grommelle-t-il en appelant le barman une fois de plus. T'es vachement en train de forcer le destin là, Bam. »

Il est parti à vingt-trois heures, le moral au fond des chaussettes et le ventre rempli de diabolo menthe, le cerveau embrumé de questions sans réponses et de réponses sans questions.

Pas de Bam ce soir.

Pas de distraction.

Pas de sentiment de plénitude.

Trop d'amertume.