19. Les Spectres du Passé
Sandy
J'ancre mon regard dans les prunelles de Colin, toujours sur ses genoux. Non, je ne peux pas assister à l'enterrement de ma mère. Revoir Jim, retrouver ma demi-sœur que je n'ai pas vue grandir. C'est trop d'émotions d'un coup.
— Non... Non, Colin, non... Je peux pas y aller !
— Tu dois faire ton deuil. Lui dire adieu. Ça t'fera du bien d'y aller, je sais de quoi j'te parle.
Je me lève des genoux de mon homme et m'installe devant mon piano, pianotant nerveusement sur les touches blanches et noires.
— Tu comprends pas ... Elle ne mérite pas un dernier hommage !
— J'comprends mieux qu'tu l'penses. Non, elle mérite pas un dernier hommage, mais toi, t'as besoin d'faire ton deuil. Moi aussi j'étais en colère contre ma mère. J't'ai déjà raconté son histoire. Le jour où j'l'ai retrouvée morte, j'me suis senti... libéré. Tu t'rends compte ? Un fils, heureux d'avoir perdu sa mère ? Est-ce que ça faisait d'moi un monstre ? Ce jour-là, j'ai réalisé qu'j'étais plus obligé d'courir derrière elle de motel en motel, d'nettoyer sa merde, d'la couvrir devant mon père et d'prendre des putain de coups à cause d'elle. Et pourtant, j'avais besoin d'lui dire c'que j'avais sur le cœur. J'ai tout déballé sur sa tombe. Ma rancœur, mes ressentiments, tout c'que j'avais pas osé lui dire en face. Et bordel, si tu savais à quel point ça m'a fait du bien. T'as besoin d'ça pour t'sentir mieux, chaton. Et quand tu dis que j'comprends pas c'que tu peux ressentir, détrompe-toi. T'es un livre ouvert devant mes yeux.
Je prends le temps d'analyser chacune de ses paroles. Colin se poste devant moi et prend mes mains dans les siennes. Son geste m'oblige à relever les yeux vers lui. Ses iris m'analysent comme à son habitude.
— J'ai peur, Colin... avoué-je dans un murmure.
— Peur de quoi ? De revoir ton connard de beau-père ? S'il te dis un seul mot mal placé, il verra plus qu'mon poing dans sa tronche, j't'assure !
Je souris sans joie face à la colère de mon homme. Je contourne le piano et vient me blottir dans ses bras. Ses lèvres tombent sur le haut de mon crâne et m'emplissent d'une sensation de protection et de sécurité.
— Ne te donne pas cette peine, il n'en vaut pas le coup.
— Et ta sœur, t'as pas envie de la connaître ?
— Emma se porte beaucoup mieux sans moi, crois-moi.
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— Je suis pas un bon exemple pour elle. Et si ça se trouve, elle ne sait même pas qu'elle a une sœur. Elle était encore bébé quand j'ai quitté la maison.
— T'es un bon exemple Sandy. T'es tombée au plus bas mais t'as su t'battre et t'relever. T'as réalisé ton rêve, t'es devenue complètement indépendante. T'es une battante, chaton, j't'interdis d'te rabaisser ! Si ça s'trouve elle a plus besoin de toi qu'tu l'penses. Elle se sent peut-être seule et abandonnée dans c'monde de brutes. Elle vient d'perdre sa mère... Elle a besoin d'toi.
Toujours lovée contre le torse de mon homme, je fixe un point invisible sur le sol, cogitant sur ses dernières paroles.
— J'assume pas d'y aller seule, Colin.
— Alors j'viendrai avec toi.
~
Nous sommes dans la voiture de Colin, soigneusement garés dans la rue parallèle à l'église où se déroule la cérémonie des obsèques. Chris a bien pris le soin de me prévenir du lieu et de la date des funérailles et m'a vivement encouragée à y aller.
Vêtue d'une robe noire toute simple, j'appréhende le moment où je me rendrai dans cette église et reverrai ces gens que je méprise plus que tout. Je prends une longue inspiration et tente de relâcher la pression lorsque Colin pose sa main sur la mienne.
— Prête ?
Je hoche négativement la tête, une boule de plus en plus douloureuse se formant dans mon abdomen.
— Non.
Colin descend de sa voiture, la contourne puis ouvre la portière du côté passager avant de s'agenouiller devant moi et prendre mes deux mains entre les siennes. Il entame de me masser les articulations de mes poignet, ce qui a le don de calmer ma nervosité un tantinet.
— T'es en train d'paniquer, chaton. Ça va aller, j'suis avec toi. Si tu veux faire demi-tour, j'comprendrais.
— Non ... quand faut y aller, faut y aller.
Avec détermination, j'enfile mes lunettes de soleil et recouvre mes cheveux d'un voile en soie noir, par peur d'être reconnue. Je me hisse hors de l'habitacle et pose ma main sur le biceps de mon homme qui m'accompagne en direction de l'église. Lorsque nous pénétrons la demeure du Seigneur, plusieurs regards se tournent vers nous furtivement. En effet, nous arrivons en plein milieu de la cérémonie des obsèques et malgré notre discrétion, notre arrivée ne passe pas inaperçue.
Un large cercueil en bois massif est disposé en plein milieu de la pièce, en face du chœur. Un prêtre se tient juste en face, à l'arrière de l'ambon, prononçant les paroles de Dieu.
Je distingue au premier rang la stature familière de Jim, vêtu d'un costume noir. Je serre les poings pour canaliser ma rage qui s'adoucit instantanément lorsque j'aperçois la présence d'une jeune pré-adolescente assise à ses côtés, un mouchoir à la main, pleurant à chaudes larmes. Ses cheveux bruns sont soigneusement coiffés en deux couettes, exactement comme ma mère avait l'habitude de me les coiffer lorsque j'étais plus jeune.
Emma ... Mon cœur se brise quand je me rends compte du poids des années passées loin de ma mère et de ma demi-sœur. Onze ans se sont écoulés depuis la dernière fois que j'ai tenu ma sœur dans mes bras, depuis cet accident infernal dans cet escalier de malheur.
Je lance un regard rapide vers mon compagnon qui me montre d'un mouvement de tête deux sièges vides à l'arrière. Je me dirige vers les sièges doucement mais le claquement de mes talons sur le sol résonne en écho dans toute la salle. Malgré les nombreuses têtes qui se retournent sur nous, les principaux intéressés ne semblent pas avoir remarqué notre arrivée. Je m'installe sur le siège en bois et retire mes lunettes de soleil. Colin n'a pas lâché ma main d'une semelle et j'avoue que sa présence me réconforte. Lorsque la cérémonie des obsèques se termine enfin, je me précipite à l'extérieur de l'église avant que quelqu'un me reconnaisse.
Alors que les invités se rassemblent autour du convoi transportant le cercueil vers le cimetière, une prenante envie de fumer me prend la tête.
— Je vais fumer un coup, annoncé-je à Colin sur un ton hésitant.
— J't'attends dans la voiture.
Il me fait un clin d'œil et s'éclipse. Je lui en suis reconnaissante. En effet, j'ai besoin d'être seule avec tout ça, le temps d'une cigarette. Ou deux.
Adossée à l'arrière de l'église, je fume tranquillement ma cigarette lorsque j'aperçois la silhouette minuscule de celle que je crois être ma demi-sœur. Ses cheveux sont de la même couleur que les miens. Elle est assise par terre, le dos calé contre le bâtiment, ses mains encerclant ses jambes et la tête sur les genoux. Je souris malgré moi, reconnaissant ainsi la position dans laquelle je m'installe lorsque je me sens triste.
Peut-être partageons-nous plus que du sang et la couleur des cheveux, finalement. Les mots de Colin se mettent alors à résonner dans mon esprit: "Si ça s'trouve elle a plus besoin de toi qu'tu l'penses... Elle a besoin d'toi ".
Je m'approche doucement d'elle, tout en sachant que je le regretterai peut-être.
— Salut !
La petite relève la tête vers moi et me gratifie d'un regard qui me rend toute chose. La ressemblance entre nous deux est frappante, c'est comme si je me regardais dans un miroir.
Émue, je m'installe à ses côtés sans la lâcher du regard. Elle semble être aussi fascinée par moi que moi par elle. M'aurait-elle reconnue ? Je retire mes lunettes de soleil et lui sourit gentiment.
Ses yeux s'écarquillent alors de surprise.
— Mais... Je te connais !
Mon cœur rate un battement. Maman lui aurait-elle parlé de moi ? Sait-elle qu'elle a une grande sœur ? Voudrait-elle que je fasse partie de sa vie ?
— Je t'ai vue sur Internet ! Tu joues du piano, n'est-ce pas ? J'adore le piano ... et j'adore ta voix ! Je connais vos chansons par cœur !
Mon sourire s'estompe légèrement quand je réalise qu'elle ne reconnaît en moi que la pianiste du groupe de rock, la chanteuse, l'artiste, et non pas la sœur. Ainsi, ma mère n'a même pas pris la peine de lui parler de moi.
— Oui, c'est moi, réponds-je tristement. Mais chut, il ne faut le dire à personne. Ça sera notre petit secret, ok ?
La petite brunette hoche la tête et me sourit. Mon cœur s'emplit de chaleur et se brise en même temps.
— Tu me chantes une chanson ? me demande-t-elle de sa petite voix.
Je lui souris, attendrie de sa requête, et lui réponds :
— D'accord. Mais uniquement si tu chantes avec moi !
— D'accord !
Je commence à chanter les paroles que j'ai écrites pour Jeff, sans quitter ma petite sœur des yeux. Elle m'écoute chanter seule le premier couplet et me rejoint pour le refrain. Je suis surprise par le timbre de sa voix, cristallin et très bien maîtrisé pour son âge. A mesure que nous avançons dans la chanson, nos regards s'embuent de larmes de joie et de tristesse mêlée.
— Pourquoi tu es là ? lui demandé-je après avoir terminé de dernier couplet. Ton père doit être fou d'inquiétude et doit te chercher partout, non ?
— J'avais chaud à l'intérieur et je m'ennuyais. Ils ont mis maman dans le... cercueil. Maman n'ouvre pas les yeux. Mais papa m'a dit qu'elle ne les ouvrira plus. Qu'elle est partie au ciel. Et qu'elle veille sur moi de là-haut.
Je ne peux résister à l'envie de la prendre dans mes bras. Elle me rend mon étreinte, posant tranquillement sa tête sur mon épaule. Je lui caresse le dos, admirant son courage et sa force. Elle ne pleure pas, elle est seulement triste. Triste de ne plus pouvoir parler avec sa mère.
— Emma ! Qu'est-ce qu'on a dit à propos de parler aux étrangers ?
Je lève la tête brusquement en entendant cette voix familière.
Lentement, je me retourne, prête à affronter l'homme impitoyable qui a contribué à ma destruction. Le poids des années semble peser sur mon beau-père. Ses cheveux ne sont plus qu'une masse grise, des rides commencent à creuser son visages et il a pris du poids. Seuls ses yeux n'ont pas changé. Ses yeux, et toute la haine qu'il me porte.
Nous nous observons, en chiens de faïence. Son regard noir semble m'indiquer qu'il m'a reconnue, mais je ne peux être sûre de rien. Sans me quitter du regard, il s'adresse à sa fille.
— Viens là, ma princesse, on est attendus pour aller au cimetière.
Emma me lâche et se dirige vers son père qui la prend par la main. Il s'agenouille pour se mettre à son niveau et lui dit tout doucement:
— Ta grand-mère t'attend à l'intérieur. Va la rejoindre, je ne serais pas long.
Emma hoche la tête et disparaît dans l'église, me laissant seule en compagnie de Jim.
— Tiens, tiens, mais si ce n'est pas la petite Sandy. Je ne pensais pas te voir ici. Comment l'as-tu appris ?
— On ne peut pas cacher longtemps des nouvelles comme celle-ci. Tu croyais vraiment m'avoir éloignée au point de rater les funérailles de ma mère ?
— En effet, je ne m'attendais pas à ce que tu le saches, encore moins que tu viennes.
— Et bien, c'est mal me connaître. Mais bon, tu ne t'es jamais donné cette peine.
— Que veux-tu prouver en venant ici, Sandy ? Tu veux faire bonne figure devant la presse ? Tu n'as pas cherché à avoir de ses nouvelles pendant plus de dix ans. Tu n'es même pas venue la voir sur son lit de mort. Et tu oses te pointer là aujourd'hui ?
— N'essaye pas d'effacer ta culpabilité et celle de maman en rejetant toute la faute sur moi ! J'avais treize putain d'années quand tu m'as foutue à la porte ! Tu n'imagines pas ce que c'est que d'être un adolescent blessé qui doit survivre tout seul dans la rue. Tu m'as éjectée de chez toi comme une malpropre et tu viens me blâmer parce que j'ai pas cherché à prendre de vos nouvelles ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
— Qu'est-ce que tu es venue faire, Sandy ? répète-t-il comme si je n'avais rien dit.
— Ne t'inquiète pas, je suis venue pour ma mère, pas pour voir ta face de rat !
— Toujours aussi insolente. Je te préviens Sandy, tu restes loin d'Emma et tout ira bien entre nous.
Moi qui ne voulais pas m'approcher de ma petite sœur, encore moi la connaître, je tombe de haut. J'ai envie de la connaître, de la voir grandir, d'être là pour elle. Ce moment de complicité qu'on venait de partager toutes les deux, bien trop court, m'a laissée sur ma faim. J'ai envie de faire partie de sa vie, et ce n'est pas Jim qui va m'en empêcher.
— Toi et ta musique de sauvages, restez loin de ma fille !
— Ma musique de "sauvages" comme tu dis est ce qui m'a permis de m'en sortir ! Tu ne peux pas comprendre. Et soit dit en passant, comment ça se fait qu'Emma connaisse nos chansons par cœur ?
Jim écarquille les yeux de surprise, ouvrant et refermant sa bouche à plusieurs reprises.
— A en juger par la tête que tu fais, tu ne connais pas les goûts musicaux de ta fille. Je me demande comment tu vas faire pour l'éduquer correctement si tu es incapable de contrôler ce qu'elle regarde à la télé ou sur Internet...
J'ignore d'où me vient le culot de lui parler sur ce ton, mais mon assurance ne vacille pas. Pas question de montrer à cet homme qu'il a réussi à m'affaiblir un jour !
— Vas-t'en Sandy ! Tu n'es qu'une petite peste impertinente. Tu oses venir me menacer durant les funérailles de mon épouse ?
— Je ne te menace pas du tout, je te préviens juste que si la petite a envie de connaître sa grande sœur, tu n'auras pas ton mot à dire.
— Ah, et qu'est-ce que tu comptes faire au juste ? La kidnapper ? Je suis son tuteur légal, je te rappelle, et ce jusqu'à ses dix-huit ans.
Le ton de Jim se fait de plus en plus menaçant à mesure qu'il s'approche de moi et m'empoigne douloureusement le bras. J'étouffe un gémissement de douleur.
— LÂCHEZ-LA !
Je retourne vivement la tête et croise les prunelles enragées de mon beau ténébreux. Une flamme froide et acide brûle dans ses yeux de glace. Jamais depuis que je le connais je n'avais vu tant d'aigreur sur son visage, pas même quand nous nous étions disputés. Conscient que cela ne servirait à rien de faire un scandale dans un tel jour, Jim me lâche, non sans me lancer un regard assassin avant de me toiser d'un air moqueur.
— T'as des chevaliers servants maintenant. Très bien. Je te le redis une dernière fois : tu ne t'approches pas d'Emma, et tout ira bien entre nous.
Sur ce, Jim ajuste sa veste de costume et disparaît en direction du convoi. Colin m'examine sur toutes mes coutures, le visage toujours déformé par la haine.
— Ça va, chaton ? Il t'a fait mal ?
— Ça va, oui ne t'inquiète pas. Merci d'être intervenu.
Nous nous dirigeons tranquillement vers la rue où nous sommes garés quand une voix nous interpelle.
— Hey! Mais ce sont les Nightmareden !
Grillés !
Colin me prend par la taille et me pousse vers la voiture pendant que je rajuste mes lunettes de soleil sur mon nez. Une fois dehors, la quinquagénaire qui vient de nous interpeller nous rattrape.
— Attendez ! Je vous reconnais ! Vous êtes les chanteurs des Nightmareden, c'est bien ça ? Je suis Noémie Embuer. Ma fille et moi-même adorons ce que vous faites !
Il ne manquait plus que ça. Je reste silencieuse, ne me sentant pas capable de gérer des fans en ce moment. Colin peut gérer à ma place.
— Merci beaucoup, nous sommes très flattés, lui lance-t-il dans un clin d'œil, endossant son rôle de célébrité à la perfection.
— Vous connaissiez la défunte? Ou son époux peut-être?
— Ouais, c'est ça. Excusez-moi mais nous sommes pressés.
— Attendez !
Je me retourne, lassée de l'insistance de cette femme, prête à lui hurler dessus. Néanmoins, la surprise que je lis sur son visage me pousse à me taire. Elle se rapproche de moi en m'observant, le front plissé.
— Excusez-moi, murmure-t-elle d'une voix contrite. Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps ... c'est juste que vous ... vous lui ressemblez beaucoup.
Des larmes commencent à émerger des yeux de la dame. Saisie par son émotion, je lui prends doucement la main. A présent que je détaille son visage, j'ai la vague impression qu'elle ne m'est pas étrangère.
— Est-ce que je vous connais? la questionne-t-elle.
— Linda était une très bonne amie à moi quand elle travaillait dans ce restaurant au New Jersey. Sa fille ... Sandy ... je ne compte plus le nombre de fois où je l'ai gardée chez moi. Adorable cette fille. Je m'attendais à la voir à la cérémonie mais on n'a vu que sa petite sœur.
Colin me jette un coup d'œil silencieux, le même qu'il me réserve à chaque fois qu'il tente de lire en moi. J'échange un regard avec lui avant de reporter mon attention sur la dame.
Maintenant qu'elle le dit, je m'en souviens. Je me demande comment j'ai fait pour ne pas y penser plus tôt ! Avant d'aller s'installer chez Jim, ma mère me laisser souvent garder chez sa bonne copine Noémie. Elle avait un vieux piano et j'en profitais pour y jouer malgré le fait que je ne m'y connaissais pas encore.
Cette femme a supporté des heures de cacophonie dans son minuscule appartement mais était ravie de passer du temps à présent. Toute émue, mais le cœur empli de chaleur à ces retrouvailles, je fonds dans ses bras. Celle-ci paraît surprise au départ, puis comprend spontanément qui j'étais et me rend mon étreinte.
— Sandy? J'y crois pas ... c'est bien toi?
— Oui, c'est moi ... tu es fan des Nightmareden et tu ne connais même pas le nom de la chanteuse? plaisanté-je pour masquer mon émotion.
— Mon poussin ! Tu as tellement grandi... tu es tellement belle ... et tu joues divinement bien du piano. J'ai toujours su que tu en ferais ton métier.
Nous passons l'après-midi en compagnie de Noémie. Finalement, j'ai décidé de ne pas me rendre au cimetière avec les autres de peur de recroiser Jim. J'irais plus tard pour dire adieu à ma génitrice.
En fin d'après-midi, Noémie prend congé et se dirige vers la station de métro pour rentrer chez elle. Je demande à Colin de me conduire au cimetière.
— T'as eu beaucoup d'émotions pour aujourd'hui, me dit-il en me pinçant la joue. T'es sure d'vouloir y aller?
— Oui. J'ai envie d'en finir avec tout ça et de tourner la page.
Une fois devant le cimetière, je descends de la voiture en compagnie de mon homme. La terre fraîche est recouverte d'une pierre tombale en marbre gris. Une plaque funéraire noire y est accrochée, et sur laquelle est noté en lettres dorées: "Linda Mitchell-Dawson, épouse et mère bien aimée".
Je soupire profondément avant de m'agenouiller devant la sépulture de ma génitrice. Colin pose sa main sur mon épaule.
— J'te laisse seule avec elle. J't'attends dehors.
Je hoche la tête en silence, attends qu'il s'éclipse, puis retire mes lunettes de soleil et m'adresse à la pierre de marbre tout en jouant distraitement avec les morceaux de terre.
— Bonjour maman. C'est Sandy ... Oui, j'ai bien changé depuis la dernière fois que tu m'as vue...
Un rire nerveux s'échappe de ma gorge tandis que des larmes se forment.
— Tu sais, je ne comptais pas venir te voir, et Dieu seul sait que j'ai tellement de choses à te dire. Mais là, tout de suite, je ne me souviens plus de rien ... Pendant des années, j'ai essayé de comprendre, j'ai essayé de me mettre à ta place. Mais j'ai jamais compris. Et je pense que je ne comprendrais jamais.
Un nouveau silence, ponctué par le froissement du feuillage des arbres, pèse lourdement sur le cimetière. J'essuie une larme et continue ma tirade.
— Tu m'as brisée, maman. Je me suis sentie abandonnée, seule au monde. Si ma propre mère était incapable de m'aimer, qui le pourrait ? Tu n'imagines même pas ce que j'ai pu vivre quand tu m'as laissée partir. Pourquoi tu ne m'as retenue, maman? Qu'est-ce que j'ai pu te faire pour que tu me détestes à ce point? Pourquoi t'as fait ça? L'argent était vraiment plus important que ta propre fille, hein? Tu ne pouvais pas imaginer ta vie sans ce luxe dans lequel te faisait baigner Jim. Tu étais tellement effrayée par l'idée de le contrarier que tu m'as laissée partir.
J'éclate en sanglots pendant ce qui me semble être une éternité. J'ai assez pleuré pour une vie toute entière. Je ne veux plus me laisser aller à ce point. Je mérite d'être heureuse, et je le serais.
— Mais tu sais, poursuis-je en effaçant totalement mes larmes. Finalement, ça n'a pas été une mauvaise chose d'être partie. A cause de toi, j'étais livrée à moi-même. J'ai fait des conneries, j'ai échappé de peu à la mort ... mais j'ai su me reconstruire. Et là, je ressemble de plus en plus à la femme que j'ai toujours rêvée d'être. Je vis de mon rêve, j'ai un homme formidable à mes côtés. Je suis heureuse. Et je ne laisserai personne me voler ce bonheur que j'ai longtemps recherché. Je n'ai plus envie de vivre dans le passé, maman. Je veux aller de l'avant, oublier les souvenirs douloureux et les remplacer par de bons souvenirs. Et je ne pourrais pas le faire si je conserve cette rancœur envers toi. C'est pour ça que je te pardonne, maman. Je te pardonne. Puisse ton âme retrouver le repos éternel.
— Comme c'est émouvant ! J'en ai presque les larmes aux yeux !
Je me relève brusquement, reconnaissant cette voix écailleuse et cette odeur nauséabonde de haschich brûlé.
— Qu'est-ce que tu fais là, Rob?! grogné-je, en proie à une sourde colère.
— Tu répondais pas à mes textos donc j'me suis dit, pourquoi ne pas aller la voir moi-même? Tu pensais pouvoir t'en tirer aussi facilement?
— Tu m'as piégée! T'as pas joué franc jeu ! Jamais je retravaillerai pour toi tu m'entends! JAMAIS !
Rob ricane tout en me longeant de son regard noir. Mon sang se glace dans mes veines et je me mets à trembler de colère et d'aversion. Il n'a pas le droit de venir souiller la sépulture de ma mère par sa présence. Il n'a pas le droit de venir m'importuner en ce jour difficile.
— T'as grandi, p'tite Sandy. Tu m'tiens tête maintenant. C'est la célébrité qui t'monte à la tête? T'as oublié la vermine que t'étais? Je t'ai ramassée de la merde ou t'étais avec ce cher Jeff. J'te laisse tranquille avec ta peine. Mais c'est pas fini ma p'tite. Tu entendras bientôt parler de moi.
Sur ces mots, il repart en direction de ses sous-fifres, me laissant seule dans ce cimetière.
Je savais que son absence ne signalait rien de bon.
Il a quelque chose en tête et ses mots n'augurent rien de bon.
A suivre ...
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