18. Les Sanglots des Violons
Flashback ... New York, 12 janvier 2009
La ville de New York recouvrit son manteau blanc. Le mercure affichait des températures négatives, mais le cœur de la petite Sandy était chaud comme la braise à l'approche de son concert annuel. Du haut de ses treize ans, elle maîtrisait parfaitement bien l'art du piano. Elle s'entraînait jour et nuit afin d'être à la hauteur et gagner enfin cette compétition de jeunes talents.
Confortablement installée dans le salon de l'immense demeure, elle répétait sa partition pour la énième fois. Elle la connaissait sur le bout des doigts, mais ressentait toujours ce besoin de se surpasser, de donner encore plus à chaque prestation. Un cri perçant l'arracha à sa concentration et lui fit relever la tête. La voix de sa mère, Linda, l'interpella.
— Sandy ! Arrête avec ce boucan ! Tu as réveillé ta sœur !
L'adolescente soupira avant de pester entre ses dents:
— Ma sœur, ma sœur ... toujours ma sœur !
Résignée, la jeune adolescente referma le capot de son somptueux piano à queue et se dirigea vers la chambre de sa petite sœur. Elle la trouva seule dans son lit, pleurant toutes les larmes de son corps. Prise d'empathie pour le bébé, elle porta la petite dans ses bras et lui chanta une berceuse afin de l'apaiser.
— Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bien vite. Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.
La bambine s'apaisa sous la voix douce de son aînée, et ses paupières se firent plus lourdes. Sandy ressentait énormément d'amour vis-à-vis de ce petit être fragile qui dormait entre ses bras. Elle fit les cent pas dans la pièce en contemplant les traits fins de sa sœur et poursuivit sa comptine.
C'est alors que la sonnerie de la porte d'entrée retentit et Sandy entendit la voix caractéristique de son beau-père Jim. Elle courut dans les escaliers pour le rejoindre mais trébucha et dévala les marches une à une. Lâchant sa prise sur sa petite sœur, le bébé s'écroula sur le sol, du sang giclant de son crâne minuscule et fragile. Le cœur entre les jambes, l'adolescente se précipita sur sa sœur et découvrit avec effroi le corps inerte de l'enfant.
Dans un hurlement déchirant, elle attira l'attention de Jim qui accourut aussitôt.
— Qu'est-ce que c'est que ce raffut ?! ... BORDEL... EMMA!! QU'EST-CE QUE TU LUI AS FAIT SANDY ?!
Jim se pencha pour prendre sa fille dans ses bras, paniqué, puis interpella sa femme.
— LINDA ! APPELLE LES SECOURS, VITE !
Plusieurs jours passèrent depuis l'accident infernal.
La petite Emma fut sauvée à temps et maintenue hors danger. Elle ne garderait aucune séquelle de l'accident. Le corps de sa grande sœur avait amorti sa chute.
Sandy, dont les nombreuses ecchymoses n'avaient pu être soignées, fut soulagée de l'apprendre, mais ceci ne l'empêchait pas de subir la colère constante de son beau-père.
Persuadé que l'adolescente avait fait exprès de pousser sa sœur dans le large escalier, il interdit à la jeune brune d'approcher sa sœur. Elle fut privée de sortie, de nourriture et de piano.
Enfermée continuellement dans sa chambre, Sandy se morfondait sur son sort, pleurant toutes les larmes de son corps. Elle estimait que sa punition était à la hauteur de sa bêtise. Emma aurait pu y rester.
Mais privée de piano, de sa passion, elle se sentait en manque. Un manque que rien ni personne ne pouvait combler. Un manque qui la dévorait depuis la plus profonde de ses viscères et ce jusqu'à la surface. Le jour du concours arrivait et Jim s'obstinait à l'empêcher de jouer.
Lorsqu'elle apprit que Jim allait se débarrasser de son piano à queue, elle sombra dans une détresse absolue.
— C'est injuste ! s'exclama-t-elle en s'accrochant aux bras de son beau-père. Prive-moi de sortir, prive-moi de manger ! Mais ne m'enlève pas ma musique je t'en supplie ! La musique, c'est mon oxygène ! M'empêcher de jouer c'est me priver de mon air vital ! Maman, dis quelque chose !
Mais la mère de Sandy se mura dans un silence de mort. La décision était celle de son époux, et elle était irrévocable. Le somptueux piano de Sandy allait être mis en vente, et la jeune adolescente serait privée de musique pour ne plus déranger sa sœur. Cette sentence radicale tomba sans que Sandy puisse avoir son mot à dire.
— JE VOUS DÉTESTE !!!!!!
C'est ainsi que son calvaire commença. A partir de ce jour, l'adolescente sage et souriante se transforma en une rebelle incontrôlable. Elle enchaînait les fugues, fumait les cigarettes de sa mère en cachette et faisait l'école buissonnière. Tout était une bonne raison de faire payer à Jim son insensibilité. Elle le haïssait lui, elle haïssait sa mère et sa demi-sœur. Tout cela était de sa faute.
Un soir arriva où elle rentra chez elle à une heure du matin, et se fit réprimander sévèrement par son beau-père.
— C'est à cette heure que tu rentres, jeune fille ? Ta mère était folle d'inquiétude !
— Fous-moi la paix, Jim. Je fais c'que j'veux !
Jim accouru vers elle et l'empoigna si violemment qu'il faillit lui tordre le bras.
— Lâche-moi, tu me fais mal, putain !
Une claque monumentale atterrit sur la joue de Sandy et lui arracha un gémissement de douleur étouffé par sa fierté.
Le ton de Jim se fit plus sombre, plus menaçant alors qu'il lui chuchotait à l'oreille:
— J'aurais dû me débarrasser de toi quand j'en avais l'occasion, sale bâtarde. Ton père biologique n'a jamais voulu de toi. Il s'en foutait de toi. Moi, j'ai eu pitié, je t'ai recueillie sous mon toit, je t'ai donné des vêtements, je t'ai payé tes cours de musique, et c'est comme ça que tu me rends la pareille ? Tu veux fuguer ? Vas-y pars. Ta mère et Emma seront beaucoup plus heureuses et tranquilles sans toi de toute façon.
Sandy releva des yeux embués vers l'homme qui la répugnait plus que tout. Quand elle aperçu sa mère dans l'embrasure de la porte du salon, elle lui envoya un regard suppliant. Impuissante, tiraillée par la peur de devoir abandonner ce luxe et cette vie confortable, Linda se mura une nouvelle fois dans son silence, laissant à son mari le libre choix de faire ce qu'il voulait de son aînée.
— Maman... supplia Sandy.
Sa voix tremblait. Elle n'avait fait que prononcer ce simple mot, mais ce qu'il représentait était bien plus que ce qu'il ne laissait présager. C'était un appel de désespoir d'une enfant abandonnée, recherchant le soutien de sa mère. En vain... Honteuse, Linda regarda le sol, essuya ses larmes puis quitta la pièce sans dire un mot, abandonnant sa fille entre les mains de son terrible parâtre.
Un sourire triomphant orna le visage de Jim qui se retourna vers sa belle-fille :
— Tu vois, même ta propre mère n'a plus envie de toi. Pars, Sandy. Laisse-nous vivre en paix.
Déchirée, écorchée, abandonnée de tous, Sandy quitta l'imposante demeure, consciente que c'était la seule chose à faire.
Elle n'emporta rien avec elle mis à part son amertume envers une mère lâche, sa rancœur envers un beau-père impitoyable, et son âme déchirée.
Elle ne revint jamais.
Fin du flashback.
Sandy
Je me dirige vers le parking avec cette impression désagréable d'exister physiquement dans un monde mais de ne pas y appartenir réellement. Mes pas sont guidés par automatisme vers Colin qui m'attend, adossé contre sa citadine. Lorsqu'il m'aperçoit, il fronce les sourcils et pose sa main contre ma joue.
— Ça va, chaton? T'es toute pâle.
Je ne lui réponds pas, trop obnubilée par mes pensées, et grimpe simplement sur le siège passager de la voiture. Colin prend position sur le siège conducteur, et me gratifie de son regard perçant.
— C'est encore cette histoire de journaliste ?
— Si tu savais combien je me foutais de cette journaliste ! maugréé-je.
Subitement, notre dispute d'il y a à peine quelques minutes me paraît bien futile. Il y a des choses pires dans la vie. Je pourrais lui en parler. J'en ai envie. Mais en ce moment je n'en suis pas capable. J'ai cette impression d'être projetée dans un lieu de non retour où tout ce en quoi j'ai cru n'existe plus.
— Qu'est-ce qui s'passe alors ? C'est c'connard de Rob qui a encore sonné ?
— Non...
Bizarrement, Rob n'a pas donné signe de vie depuis le jour où j'étais sensée lui rembourser l'argent demandé. Est-ce le calme avant la tempête ?
Colin se tourne vers moi et caresse ma joue avec une douceur qui me donne envie de fondre en larmes. Je m'extirpe de ce contact en bougeant légèrement les épaules. Je n'ose pas croiser le regard de mon rockeur mais je suis certaine qu'en ce moment-même, il fronce les sourcils en essayant de déchiffrer mon comportement.
— Parle-moi, Sandy...
Il y a dans sa voix une telle détresse, une telle anxiété que je ne peux prolonger mon silence pesant trop longtemps. Tout en étouffant les sanglots qui me rongent la poitrine, je tente de lui répondre.
— Pas maintenant, Colin, s'il-te-plaît ... C'est trop dur.
Colin hoche la tête, comprenant que ça ne sert à rien d'insister, et démarre doucement en direction de son appartement.
Une fois sur place, je me débarrasse de mes escarpins afin d'apaiser mes pieds endoloris et m'étale sur le canapé. Colin se débarrasse de sa veste de costume, desserre sa cravate puis ouvre la trappe de sa salle de répétition et m'invite à y aller.
— Colin, il est deux heures du matin. Je vais pas jouer du piano maintenant.
— Si j'ai décidé d'insonoriser cette pièce, c'est pour une bonne raison.
Je relève des yeux de chien battu vers mon homme qui s'approche de moi et enveloppe mon visage de ses larges mains pour me forcer à le regarder dans les yeux. Un océan de tendresse me submerge lorsque je plonge dans ses prunelles. Les iris perçants du rockeur me transpercent l'âme, fouillent en moi comme s'il tentait de chercher ce qui me rend triste et me l'enlever. Ses pouces caressent tendrement mes joues pendant que mon cœur s'apaise légèrement.
— Tu t'sens pas prête à m'en parler. J'comprends. Mais t'enferme pas dans le silence. Hurle, crie, pleure, mais fais pas ça ... Te détruis pas ... Pose toi devant ton piano et fais c'que tu sais faire de mieux. T'en as besoin, chaton. Joue et chante... Chante ta douleur... Extériorise ta peine.
Colin a encore une fois raison. Chanter pourrait apaiser mon âme ... n'est-ce pas ce que j'ai toujours fait quand j'en avais besoin? Nous descendons vers le sous-sol et je m'empresse de relier mon smartphone à une des enceintes d'amplification. Je sélectionne l'instrumentale de la chanson Hello du groupe Evanescence, puis m'installe au piano et entame la mélodie triste.
Je ferme les yeux, me laisse guider par l'émotion, et commence à chanter ces paroles qui me transpercent l'âme:
— Playground school bell rings again / Les cloches de la cour d'école sonnent encore
Rain clouds come to play again / Les nuages de pluie viennent jouer, encore
Has no one told you she's not breathing? / Personne ne t'a dit qu'elle ne respirait plus?
Hello I'm your mind giving you someone to talk to / Allo, je suis ton esprit qui te donne quelqu'un à qui parler
Hello / Allo
Colin
Des larmes silencieuses tracent leur chemin sur les joues lisses de Sandy. Cette femme est brisée, déchirée, martyrisée. Impuissant face à sa douleur, je me rends compte que ce que je sais de son passé n'est que le sommet de l'iceberg, la première couche de cette carapace épaisse qu'elle a dressée autour de sa personne. Sa détresse est bien plus profonde, bien plus complexe que ce que l'on imagine.
— If I smile and don't believe / Si je souris et n'y crois pas
Soon I know I'll wake from this dream / Bientôt je me réveillerai de ce rêve
Don't try to fix me I'm not broken / Ne tente pas de me réparer, je ne suis pas brisée
Hello I'm the lie living for you so you can hide / Allo, je suis le mensonge qui vit pour toi pour que tu puisses te cacher
Don't cry / Ne pleure pas
Alors que les sanglots des violons se font entendre à travers l'enceinte d'amplification, les sanglots de ma douce augmentent de plus belle. Et pourtant, elle ne s'arrête pas de jouer. Elle poursuit sa mélodie, s'en abreuve, s'en apaise, comme un baume sur une plaie. Je ne peux m'empêcher d'enrouler un bras autours de ses épaules afin de lui certifier ma présence à ses côtés. Dans un dernier couplet, un hurlement déchirant s'élance de ses cordes vocales.
— Suddenly I know I'm not sleeping / Soudain, je me rends compte que je ne dors pas
Hello I'm still here / Allo, je suis encre là
All that's left of yesterday / Tout ce qui me reste du passé
A la fin de la chanson, Sandy se retourne brusquement vers moi et s'agrippe à mon cou, telle une enfant malheureuse cherchant la sécurité d'une étreinte paternelle. Elle enfonce sa tête dans le creux de mon cou et s'accroche à ma chemise comme si elle avait peur de tomber. Son visage entre en contact avec ma peau et je sens les larmes chaudes creuser leur route de mon cou vers mon torse. Je la serre tellement fort contre moi que j'ai peur de la briser.
— J'suis là chaton, t'es pas seule.
Sandy relève ses yeux mi-clos vers moi et semble chercher. Bientôt, le goût salé des larmes vient assaisonner notre baiser. Je la porte contre moi et me lève afin de sortir de cette pièce devenue trop étouffante.
Sandy enroule ses jambes autours de ma taille et se laisse porter gracieusement pendant que je remonte les marches et accède à la chambre à coucher. Je la dépose sur le lit puis m'agenouille devant elle, essuyant ses larmes.
Ça me brise de la voir aussi brisée, aussi à fleur de peau. Ça me frustre de ne pas savoir ce qui la tourmente, de ne pas pouvoir lui retirer sa peine.
Je me mure dans un silence qui me tue afin de lui donner la liberté de se confier à moi quand elle le souhaite. Souhaitant l'apaiser, je caresse chaque parcelle de son corps.
— Ça va aller chaton, je suis là. J'te laisse pas.
Sandy renforce sa prise sur moi. Sentant qu'elle s'est apaisée, je me lève et lui conseille de se changer et de se coucher. À ces mots, elle m'empoigne et pâlit, comme si je venais de la blesser profondément.
— Non, Colin. Reste... j'ai besoin de toi.
Sandy
L'idée de rester toute seule cette nuit me terrifie. J'ai besoin de lui, j'ai besoin de le sentir à mes côtés, m'enveloppant de la chaleur rassurante et protectrice de son cœur. J'ai besoin de sentir son amour, sa tendresse. J'ai besoin de le sentir combler cette carence affective dont je suis victime depuis mon plus jeune âge.
Allongée sur son lit, je cherche son contact. Il se hisse au dessus de moi et m'embrasse. D'abord doucement, puis plus profondément.
— Fais-moi l'amour, Colin.
— Sandy, t'es fatiguée. J'veux pas profiter de la situation. Repose-toi pour l'instant. J'te quitterai pas, j'resterai près d'toi toute la nuit.
— Non, Colin. J'en ai envie ... j'ai besoin de toi ... s'il-te-plait.
Une regard lourd de sens s'affiche dans ses prunelles. Je m'ouvre complètement à cet homme, me met complètement à nu devant lui, dans tous les sens du terme.
Demain matin, je regretterai surement cet excès de vulnérabilité dont je fais preuve mais pour l'instant, j'en ai besoin. C'est vital. Colin finit par céder à ma demande et m'enveloppe de sa douceur. D'une tendresse absolue, il me débarrasse lentement de mes vêtements, les remplaçant par des baisers intenses qui recouvrent l'ensemble de ma peau.
— Si t'as envie qu'on arrête, tu me le dis, murmure-t-il entre mes lèvres.
— Chut ! Continue ...
Mon homme poursuit ses délicieuses caresses sur l'ensemble de mon corps. Je me détends progressivement et savoure les délices exquis qu'il me procure. Douleur et chagrin laissent rapidement place au désir et au plaisir. Ce dernier grimpe en flèche quand il insère deux doigts en moi. Il ignore que je suis déjà prête pour lui.
D'une pression sur son épaule je lui intime de me posséder. Je sais qu'il en a autant envie que moi, je sens son excitation durcir contre ma cuisse.
— Je suis pas en sucre Colin... j'en ai besoin... s'il-te-plait...
Il ne lui en faut pas plus pour reprendre possession de mes lèvres. Il ne les quitte que pour enfiler un préservatif, puis y retourne. Sa raideur taquine mon mont de Vénus, attisant nos désirs respectifs. Quand il s'insinue enfin en moi, j'inspire une grande bouffée d'air, comme si j'ai été trop longtemps en apnée et que je retrouvais enfin mon oxygène.
Dans le passé, j'aurais noyé mon chagrin dans la drogue. Aujourd'hui, c'est dans l'amour que je trouve refuge. L'amour, le plus puissant sédatif contre la douleur. Un antidépresseur naturel.
Colin remplit parfaitement son rôle et m'envoie rapidement au septième ciel. Jamais il n'avait fait preuve d'autant de douceur et de tendresse. L'orgasme met du temps à arriver au vu de ses gestes lancinants. Mais un plaisir tel que je n'en avais jamais ressenti me submerge toute entière quand je bascule dans l'extase. Front contre front, nous peinons à retrouver une respiration normale.
Quelques instants plus tard, Colin se retire de mon intimité tout en déposant picorant mon cou de baisers, avant de se laisser tomber sur le dos à mes côtés.
Je me redresse et entoure mes jambes de mes bras, la tête sur mes genoux. Des larmes silencieuses ne tardent pas à couler de nouveau.
Colin n'est pas n'importe qui. Il a le droit de savoir. Il ne m'a jamais déçue et mérite ma confiance. Je sais qu'il ne me jugera pas comme l'a fait mon beau-père. Je sais qu'il ne m'abandonnera pas comme l'a fait ma mère.
J'entends sa respiration lente dans le silence de la nuit. Je sens son index caresser mon dos dénudé, attendant patiemment que je me livre à lui. Prenant une grande inspiration, je me lance et lui raconte tout.
La chute dans les escaliers, la réaction de Jim, ma punition, la lâcheté de ma mère. Tout y est. Colin me laisse conter mon récit calmement mais je le sens profondément troublé. Sa peau caresse toujours la mienne pour me signifier sa présence et son soutien.
J'ose un regard envers lui et observe le trajet d'une larme qui coule depuis ses iris éméraldine jusqu'à sa mâchoire. Le grand et cynique Colin Spencer, versant des larmes devant une femme. Qui l'eût cru? Je m'approche de lui pour me blottir contre son torse. Il m'enveloppe de la chaleur de ses bras et pose son menton sur mon crâne.
— Pourquoi ce soir ? me demande-t-il. Il s'est passé quoi pour qu'tu t'retrouves propulsée dans ces souv'nirs ?
— Il y a un peu plus d'un mois, Chris est venu me prévenir que ma mère souffrait d'un cancer. Il m'avait prévenue qu'il ne lui resterait plus beaucoup de temps et que je devais aller la voir.
Je marque une pause, trop honteuse pour poursuivre mon récit. Mon cœur se serre douloureusement dans ma poitrine et je me sens suffoquer. Colin semble avoir compris la suite puisque sa poigne sur mon corps se fait plus dure.
— Je ne suis pas allée la voir. Je ne voulais pas la voir. Après dix ans d'absence, qu'est-ce que je lui aurais dit ? Que je lui en veux d'avoir choisi sa vie pitoyable de luxe plutôt que sa propre fille ? Ou que je lui pardonne, peut-être ? J'ai vécu un enfer à cause d'elle ! Parce qu'elle était trop lâche pour se battre pour moi ! Trop faible ! Non, elle ne méritait pas que j'aille la voir sur son lit de mort. Alors pourquoi je me sens si minable, Colin ? Dis-moi pourquoi je m'en veux ? Maintenant c'est trop tard. Elle est partie... C'est fini.
Une douleur perçant me brûle la poitrine. Un chagrin intense s'empare de mon être. Le sentiment d'abandon que j'ai ressenti à mes treize ans revient, plus vif, plus puissant que jamais. Ma mère vient de m'abandonner pour la seconde fois en une vie.
Colin se saisit de mes lèvres et me gratifie d'un baiser langoureux. Est-ce possible d'aspirer la douleur à travers un baiser ? Oui, je le crois. À mesure que notre étreinte se fait plus profonde, je sens mon corps et mon cœur s'apaiser. À présent que je me suis livrée corps et âme à cet homme, je ne peux plus reculer. Mon âme est définitivement liée à la sienne.
~
Le lendemain, je me réveille avec la sensation d'avoir hiberné pendant tout un hiver. Je suis seule dans le lit, Colin s'étant sûrement levé plus tôt. L'horloge au mur affiche quatorze heures passées de l'après-midi.
Je me lève, enfile un des tee-shirt de Colin et sort de la chambre. Le son particulier de la guitare de Colin guide mes pas vers le sous-sol où je le retrouve en pleine séance de composition d'une chanson. Vêtu d'un tee-shirt gris et d'un simple pantalon de sport noir, il est profondément concentré sur sa tâche et ne semble pas avoir remarqué ma présence. Ses cheveux humides témoignent de sa récente sortie de la douche.
Je le regarde faire avec des yeux énamourés. Il est tellement beau ainsi, griffonnant des mots sur un cahier, un crayon à papier dans une main, le manche de sa guitare dans l'autre. Visiblement mécontent de sa création, il lâche un long soupir avant de relever ses cheveux d'un noir de jais vers l'arrière. Ses iris s'illuminent quand m'aperçoit enfin.
— T'es réveillée, chaton? Viens là...
Il dépose sa guitare de côté et tapote ses genoux pour que je vienne m'y installer, ce que je m'empresse de faire. J'enroule mes bras autours de son cou et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Il sent bon l'aftershave et le shampoing. Les mains de mon hommes glissent sur mon corps alors qu'il me scrute du regard.
— Tu t'sens mieux ?
— J'ai un peu mal au crâne mais ça va.
Colin embrasse ma tempe d'une telle tendresse que je ne peux m'empêcher de fermer les yeux. J'ai envie de hurler à cet homme que je l'aime, que j'en suis folle, que chaque parcelle de ma peau vibre d'amour pour lui. La vie m'a brisée en mille morceaux. Colin a su apaiser mon âme, il a su détruire les murs que je m'étais construite pour me protéger. J'étais effrayée, j'étais à terre, noyée dans les profondeur abyssales de mon chagrin. Il a pris ma main, a apaisé mes craintes et a enveloppé mon cœur meurtri de douceur et de baisers. Est-ce qu'il se rend seulement compte de tout ce qu'il représente à mes yeux ?
La voix rauque de mon chanteur préféré me sort de mes questionnements infinis.
— Dis, t'ferais quelque chose pour moi ?
— Dis-moi...
— J'voudrais qu'tu assistes à l'enterrement d'ta mère.
A suivre ...
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NDA (juin 2018): Ce chapitre est peut-être l'un des plus tristes que j'ai eu à écrire jusqu'à maintenant. J'y ai mis tout mon cœur et mon énergie. J'en ai eu mal au cœur, vraiment ... et je ne pouvais jamais imaginer ressentir ça pour de la fiction un jour. J'espère vraiment avoir réussi à vous toucher. N'hésitez pas à me faire part de votre ressenti en commentaire. Je vous aime les bibiches ❤️
NDA (juillet 2020): depuis, j'en ai écrit d'autres, des chapitres tristes. Mais celui-là restera particulier. C'est très difficile de se mettre dans la peau de personnage fictifs, d'essayer de ressentir leurs peine, et encore plus de la retranscrire. En général, quand j'écris des chapitres aussi tristes, j'ai besoin de plusieurs jours pour m'en remettre. C'est l'incroyable pouvoir de l'écriture. J'espère que j'ai réussi à vous toucher <3
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