15. Froideur Meurtrière
Sandy
Colin est enragé ... irrité, blessé. Et ça se comprend ... je lui ai menti les yeux dans les yeux, sans aucun scrupule. Et pourtant, je savais que je pouvais lui faire confiance. Il m'a confié son passé, il m'a raconté les horreurs qu'il a pu vivre aux côtés de sa mère toxicomane et de son père alcoolique et violent. Si une personne au monde pouvait comprendre ce que j'ai vécu, c'est bien lui.
Pourquoi ai-je choisi de lui mentir ? Parce que je suis lâche ... trop lâche pour risquer de le perdre. Je me suis attachée à lui comme un naufragé s'accroche à sa bouée de secours. En ce moment-même, je sens que les vagues emportent cette bouée au loin, me laissant au bord de la noyade.
Colin me contemple en silence, les sourcils froncés, cette expression haineuse sur le visage. Des épines de ronces traversent mon cœur endolori sous son regard révolté et hargneux.
Ravalant mes larmes, je tente une approche vers lui et pose ma main sur son torse.
— Colin, je ... je suis désolée ...
D'une froideur meurtrière, Colin se saisit de ma main et l'éloigne avant de reculer en arrière. Je me sens sale, impure, indigne de le toucher.
Ce geste achève de détruire mon cœur, mais c'était sans compter sur les paroles rudes qu'il me lance juste après :
— Tu t'dopes c'est ça ? T'es allée chercher ta came ?
— Quoi ? Non ! Je suis pas ...
— T'as dû bien rigoler quand j'tai raconté mon histoire avec ma mère, hein ?
— Pas du t...
— Quand j'pense que j't'ai ouvert mon cœur et que j'me suis confié à toi. Putain mais QUEL CON !!!!
Fou de rage, Colin cogne son pied dans une poubelle qui tombe avec un bruit fracassant sur le sol. Il prend sa chevelure qu'il ramène vers l'arrière de son crâne en poussant une série de jurons.
Honteuse, je n'ose piper mot de peur de raviver sa colère à défaut de la calmer. Je le laisse donc faire, me camouflant derrière un silence lourd et pesant. Son attitude me blesse et je ne peux retenir mes larmes plus longtemps.
— Colin, laisse-moi t'expliquer ... c'est pas ce que tu crois. Ne gâche pas tout.
— C'est pas moi qui ai tout gâché, Sandy. C'est toi et tes putain d'cachotteries.
— Colin, laisse-moi juste...
— Qu'est-ce que tu foutais hors du camping ?
— J'allais voir un mec qui ...
— Un dealer?
— Oui, mais c'est pas ce que tu crois...
— Bonne nuit, Sandy.
Sandy. Plus de chaton, plus de mots doux, plus de regards et gestes tendre... il ne me reste plus que ce visage de marbre et cette voix distante. Jamais je ne pensais qu'entendre mon prénom de la bouche de Colin me plongerait dans un tel état de mélancolie.
Colin jette mon sac à terre, tourne les talons et se faufile dans sa tente sans aucun regard pour moi. Je m'effondre sur place et des sanglots viennent s'emparer de moi. J'ai tout gâché. Je viens de perdre la seule personne qui a réussi à me redonner chaud au cœur depuis la mort de Jeff.
La vibration de mon téléphone m'annonce l'arrivée d'un appel de la part de Rob. Je tremble d'une rancœur acerbe, et jette mon téléphone sur la pelouse humide, refusant de confronter cet homme infect.
Une pensée me frappe alors l'esprit : Chris savait que Rob allait me tendre un piège ! Il a tenté de me mettre en garde et je l'ai envoyé bouler comme un malpropre. Rassemblant mes forces, je me redresse, récupère mon sac et mon téléphone avant de me rendre dans ma tente. Doris n'est pas rentrée, et ce n'est pas pour me déplaire. Ce n'est absolument pas le bon moment de subir ses réflexions désagréables. Je ne prends même pas la peine de me changer et me laisse recouvrir du sac de couchage.
∞
Je n'ai pas réussi à trouver le sommeil cette nuit.
Les premiers rayons de soleil émergent dans le ciel, et me brûlent les rétines, déjà trop abîmés par un trop plein de larmes. D'ailleurs, mes joues sont rendues rugueuses, vestiges de mes larmes que je n'ai pas pris la peine de sécher.
J'ai tout perdu cette nuit. Mon argent, et par conséquent toute perspective de vie sereine, sans l'ombre de Rob planant autour de moi, Colin, l'homme qui m'a fait me ressentir vivante après des années d'errance dans les ténèbres, et très probablement, ma place dans le groupe. J'ose à peine imaginer l'état de Colin quand nous allons nous retrouver ensemble sur scène, alors que nous étions censés composer à deux...
J'ai tout gâché. L'envie de passer ma journée emmitouflée dans mon sac de couchage est tentante, mais je décide tout de même de me lever et aller faire un tour au bord de la plage.
Le vent salin de l'océan se perd dans mes cheveux pendant que je me laisse tomber sur le sable frais. Mon regard se perd au loin et suit le mouvement hypnotisant des vagues.
— Ehoo, beauté !
Je relève la tête et retrouve Adam qui s'approche de moi, vêtu d'une combinaison bleue ouverte jusqu'au nombril, une planche de surf coincée sous le bras. Des gouttes d'eau perlent de ses cheveux blonds mouillées vers son front, son cou et son torse musclé.
— Jamais sans ta planche de surf, hein, tenté-je de plaisanter.
— J'aurais jamais raté ça ! me répond-il d'un ton enjoué. Les vagues sont superbes par ici.
Je lui fais un petit sourire avant de reporter mon attention sur l'océan. Les vagues puissantes frappent contre les falaises, érodant la roche blanche à chaque claquement. Mon cœur ressemble à ses falaises qui s'effritent avec le temps qui passe. Écorché, éraflé. Une douleur fulgurante me traverse la poitrine, et une larme silencieuse glisse de long de ma joue.
Adam s'installe à mes côtés et me scrute de ses yeux verts. De son pouce, il vient essuyer cette larme irritante.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? me questionne-t-il.
— C'est pas important.
— Colin était dans un état de rage pas possible cette nuit. Vous vous êtes disputés ?
cAdam, s'il-te-plait, j'ai pas envie d'en parler.
Adam hoche doucement la tête et d'un geste bienveillant, il m'approche contre lui. Je pose ma tête sur son épaule, sa main sur mon dos, et ferme les yeux, me laissant bercer par son étreinte rassurante et le bruit apaisant des vagues. Nous restons un moment dans cette position avant de rentrer ensemble au campus.
Le reste de journée était infernal. Colin était d'une humeur massacrante et m'a ignoré tout au long de nos prestations, et ce malgré les maintes tentatives d'Adam pour tamponner la situation. Même Doris m'a semblé mal-à-l'aise face à l'atmosphère électrique dans laquelle nous baignons.
Je viens d'ailleurs de surprendre son regard moqueur sur moi, le type d'expression qui signifie sans ambiguïté "je te l'avais dit". Elle ignore tout des réelles raisons de notre dispute. Et tant mieux, je n'ai aucune envie de me justifier devant elle.
Devant personne d'ailleurs.
Renfrognée, je me saisis de mon Smartphone et balaye la toile pour faire passer le temps. Je suis surprise de retrouver une photo Instagram de moi dans les bras d'Adam au bord de la plage. Les gens n'ont vraiment que ça à faire ?!
Tout en parcourant la plateforme, je retrouve plein de clichés de Colin et moi. Des photos du concert, mais aussi de notre soirée au bord du feu avec en prime une vidéo de notre prestation d'hier soir, et du baiser enflammé qui a suivi.
Comment sommes-nous passés d'un feu ardent à ce climat polaire dépourvu de toute passion ?
Je lui lance un coup d'œil rapide et le trouve en pleine discussion avec des fans. Dépitée et à bout de force, je préfère sortir du box devenu trop étouffant.
Colin
Voila près d'une semaine qu'on est rentré de notre weekend à Atlantic City. Une semaine que je n'ai pas adressé la parole ni même revu Sandy. Ce weekend représentait le point de départ de notre carrière au grand public, et pourtant, j'en garde un très mauvais souvenir.
Sandy s'est bien payée de ma tête. Pourtant, elle s'obstine à me contacter.
A plusieurs reprises, j'ai dû lutter contre moi-même pour ne pas décrocher ce foutu portable qui n'arrêtait pas de sonner, affichant sa photo et son visage angélique sous mon nez. Je l'ai même envoyé valser dans la pièce pour m'empêcher de répondre aux SMS qu'elle m'envoyait.
Putain ! J'ai la rage. Je me suis fait manipulé comme un bleu. Je me suis laissé emporté par ce besoin que j'ai d'aider les autres. De les sauver. Comme personne n'a pu le faire pour moi. Et elle, elle en a bien profité.
Je sais que je vais être amené à la revoir. Je sais qu'on va devoir s'affronter un moment ou l'autre. Mais là, tout de suite, tant que je n'ai pas trouvé un moyen de déverser toute la haine accumulée en moi, je préfère rester loin.
En attendant, je m'enterre au travail. J'ai beaucoup de retard à rattraper chez Carter Corp que j'ai négligé depuis qu'on a commencé l'enregistrement de l'album. Et tant mieux. Travailler m'empêcher de penser.
Une fois sur place, je porte mon casque et me plonge dans les codes informatiques. Alors que je suis concentré sur ma tâche, sa voix résonne subitement dans mes tympans.
Je vais errer jusqu'à la fin des temps, arrachée de toi ...
Enchaînée à cette l'idée que je ne trouverais jamais le moyen de guérir mon âme
J'étais dans le déni pendant si longtemps ... il est temps de dire adieux
Cette chanson qu'elle a écrite pour lui était un appel au secours. Un signal d'alarme, une annonce au monde qu'elle ne vit qu'à travers son souvenir, errant en quête d'une bribe d'espoir à laquelle se raccrocher pour retrouver goût à la vie ...
Délivre-moi ... disait-elle ... délivre-moi de l'emprise du chagrin ... ces yeux noisette envoûtants me hantent, m'habitent, me touchent jusqu'au plus profond de mon âme. Personne ne peut jouer aussi bien la comédie.
Mon cœur est brisé... dors bien, mon ange noir.
Je ne lui ai même pas laissé le temps de m'expliquer.
Mais expliquer quoi ? Elle m'a menti. Elle m'a caché la vraie identité de la personne qui l'appelait. Elle a quitté le campus sans même me prévenir. Elle portait une somme énorme sur elle...
Mais elle avait peut-être une bonne raison de le faire...
Et si je me trompais sur toute la ligne ?
Au diable Carter Corp, je veux en avoir le cœur net.
Quand Doris m'a mis la puce à l'oreille sur son passé, j'ai fait exprès de me rapprocher d'elle pour en savoir plus. Jusqu'au moment où ma conscience m'a poussé à arrêter mes investigations.
Elle n'a pas eu mes scrupules, je ne vois pas pourquoi j'en aurais.
Je repasse en vue tous les appels et messages qu'elle a reçus sur son portable au cours du dernier mois. Quatre numéros reviennent le plus souvent : celui de Charlie, de son pote Luke, et deux prépayés. Mes connaissances en matière de tracking et de piratage informatique me permettent de déterminer la localisation des deux numéros inconnus qui ne cessent d'appeler Sandy depuis un mois. L'adresse fournie est située dans le Bronx, dans l'un des quartiers les plus chauds de la ville.
Des recherches plus poussées me confirment que ce lieu est bel et bien le QG d'un des plus gros centre de trafic de drogue de l'Etat de New York. Mes peurs sont donc bien fondées. Sandy se drogue, et entre en contact régulièrement avec des dealers dangereux ... L'ironie du sort !
Des images de ma mère complètement défoncée allant de motel en motel resurgissent dans mon esprit. Je refuse de revivre le même calvaire. Un appel du producteur me ramène à la réalité. Celui-ci me demande de me rendre seul dans son bureau à 18 heures pour discuter. Manquait plus que lui !
A la fin de ma journée de travail improductive, je me rends sans grande motivation vers la maison de production. Une fois sur place, je me m'installe en face du bureau de Baker.
— Bien. Spencer, permettez-moi avant tout de vous féliciter pour le weekend de promotion de l'album qui était un très grand succès. On parle de vous, vous plaisez et attirez les foules de tout âge et des deux sexes. En deux semaines, les ventes de l'album ont atteint des nombres record. Bravo !
— On en serait pas là sans vous, M'sieur Baker.
— Je n'ai fait que vous propulser à la lumière. Le fond du travail, c'est à vous seuls que cela revient. Par contre, je voudrais vous parler d'un sujet délicat. Comme vous le savez, nous sommes à l'époque des réseaux sociaux. Rien ne peut rester camouflé bien longtemps. J'ai eu vent d'un début de relation entre Mademoiselle Mitchell et vous-même.
Je fronce les sourcils et serre les poings sur mon siège, comprenant où Baker veut en venir.
— J'ai aperçu également plusieurs clichés vous montrant assez ... proches, continue-t-il sur le même ton. Comprenez-moi, Spencer, vous faites ce que vous voulez de votre vie privée, mais en business, il faut conserver certaines apparences. Le leader d'un groupe de rock, en couple, ça casse le mythe, ça ne vend pas. Il faut que restiez cet homme inaccessible au charme électrique qui fait tomber les femmes comme des mouches. Un séducteur ... voilà l'image qu'il faut que vous véhiculez. Et il en est de même pour Miss Mitchell. Elle est très sexy, un visage d'ange, une chevelure de feu, un corps de déesse, sans parler de sa voix fabuleuse. Une femme comme elle doit en faire fantasmer plus d'un.
Une colère acide s'empare de moi. J'ignore si elle est la conséquence des éloges de Baker sur Sandy ou sur sa demande exécrable, et je m'en cogne. Je tente difficilement de contenir ma rage et me contente de fusiller Baker du regard en crispant la mâchoire.
— Après,poursuit-il sur le même ton détaché, si vous ne faites que flirter, ça peut faire parler aussi. Les gens adorent les scoop et les scandales. Vous ferez la une des magazines people en entretenant le mystère de votre relation et ...
— On est pas des marionnettes que vous pouvez manipuler à votre guise, Baker.
Le producteur se tait et écarquille les yeux, visiblement surpris de mon ton peu aimable et mon manque de politesse surjouée que je lui réserve d'ordinaire. Mais très vite, la surprise fait place à un ricanement.
— Tout ce qui touche votre vie jusqu'à la fin de la tournée m'appartient Spencer. Vous êtes tenus sous contrat à respecter les règles. Ce que je vous demande est simple. Vous faites ce que bon vous semble derrière les caméras, mais tant que vous êtes sous les projecteurs, je ne veux pas de relation de couple, main dans la main, papouilles et baisers langoureux sur la plage.
Conscient que l'avenir du groupe réside entre les mains de Baker, je suis résigné à accepter. De toute façon, Sandy et moi, ce n'est plus d'actualité.
— Vous n'avez plus à vous en faire sur ce point-là.
— Parfait. Une dernière chose, Spencer. Vous êtes tous les quatre conviés à un gala de charité samedi prochain. Ce gala est l'œuvre d'une association de médecins bénévoles visant à aider les enfants d'Afrique. C'est très important pour le showbiz de cultiver une image humanitaire. Je compte sur votre présence. Voici vos invitations. Soyez à l'heure pour le tapis rouge. Est-ce utile de vous préciser que c'est tenue correcte exigée ? J'insiste là-dessus.
— Vous pouvez compter sur nous.
Sandy
Six jours ... six jours que je suis sans nouvelles de l'homme qui hante mes pensées. Six jours que je n'ai plus envie de voir la lumière du jour, de manger, de sortir, de vivre. Lamartine n'a pas menti en affirmant que "Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé". Comment ai-je pu m'attacher autant en si peu de temps ?
Six jours que j'ignore les appels incessants de Rob. Six jours que je vis dans la peur de le croiser à chaque coin de rue. Six jours que je reçois des textos de menace: "On ne m'échappe pas aussi facilement, petite", "Tu me dois toujours de l'argent et je te le prendrai par tous les moyens".
Plus ça va, et plus j'ai l'impression d'étouffer. D'évoluer dans un monde qui me rejette. Je cauchemarde. Toujours le même. Moi, enfermée dans un cercueil, incapable d'en sortir malgré tous mes efforts. Et quand bien même je réussis à l'ouvrir, Rob et ses hommes m'attendent pour me replonger dix pieds sous terre. Parfois même, il me semble distinguer la voix de Colin qui chante à mes côtés. Mais à mesure qu'il chante, le cadavre de Jeff, gisant à mes côtés, prend feu. Et moi avec lui.
Six jours.
Je ne souhaite qu'une seule chose... que toute cela s'arrête.
Un concert des Nightmareden est prévu ce soir au Blue Train. Charlie voulait absolument nous voir nous reproduire sur scène avant que l'on soit trop célèbres pour jouer dans son bar.
Mon manager est aux anges, son établissement n'a jamais été aussi chargé depuis son inauguration. Moi, par contre, une lourde et pénible boule s'est formée dans mon bas-ventre. Je vais revoir enfin Colin suite à notre violente rupture, et je ne sais absolument pas comment réagir. Mon cœur heurte violemment ma poitrine pendant que je peaufine mon maquillage et ma tenue pour ce soir. Si je continue à trembler de la sorte, je ne pourrais pas jouer convenablement. Après avoir achevé cette foutue ligne de eyeliner que j'ai réitéré des dizaines de fois, je me rends en coulisse.
Il est là, en pleine discussion avec Charlie, vêtu d'un jean et d'un T-shirt noir moulant ses muscles turgescents et costaux. Ses biceps et ses pectoraux sont un appel alléchant aux caresses. Cet homme est la tentation brute, et je l'ai perdu à cause de mes conneries.
Il sourit à Charlie, Ciel que son sourire m'a manqué...
Lorsque son regard trouve enfin le mien, son sourire disparaît, laissant place à un crispement de mâchoire qui me confirme douloureusement que sa colère contre moi est loin d'être apaisée. Et pourtant, ses yeux me communiquent une information tout autre. Il me déshabille du regard balayant chacune de mes courbes. Pendant ce qui me semble être une éternité, les yeux de Colin arrivent à enflammer chaque parcelle de ma peau ... ma poitrine, la chute de mes reins, mes cuisses, même mes mollets ont droit à son inspection de feu. La froideur de son expression contraste avec le désir brûlant que je lis dans ses yeux. Une chaleur se forme dans tout mon corps brillant d'une lueur d'espoir : l'espoir que tout n'est peut-être pas perdu.
Conscient qu'il a perdu son interlocuteur, Charlie se retourne afin de voir ce qui retient l'attention du chanteur. Lorsqu'il m'aperçoit, il sourit d'un air bienveillant, dépose sa main sur l'épaule de Colin puis retourne en salle, nous laissant seuls tous les deux.
— Salut Colin, lui lancé-je gênée.
— 'Lut.
— Ça va ? Tu as pu reprendre le travail ?
— Ouais.
Retour à la case départ... Colin s'est complètement fermé à moi et a remonté toutes les défenses que j'ai mis des semaines à abattre. A quoi je m'attendais au juste ? Je lui ai menti, il est évident qu'il n'allait pas m'accueillir dans les bras, comme si de rien n'était.
— Tu n'as pas répondu à mes messages.
— J'avais rien à t'dire.
— Mais moi si.
— J'suis pas intéressé.
Il se détourner pour quitter les coulisses mais je le rattrape de justesse, ma main fine enlaçant son poignet.
— Colin, S'il-te-plaît ! T'as pas à être comme ça avec moi.
— J'aurais dû l'être d'puis l'début.
— Laisse-moi juste t'expliquer, et après ça, tu en fais ce que tu veux. Je te laisserai tranquille.
— Non, Sandy ! Y'a deux choses que j'déteste par-dessus tout, qu'on me mente et qu'on m'prenne pour un con. Et toi t'as réussi à faire les deux avec brio. Ça s'arrête là. On continue à s'voir pour le groupe, mais compte pas sur moi pour t'en donner plus. Et puis d'toute façon, t'en a pas besoin.
— Qu'est-ce tu insinues par là ?
— Tu t'es rapidement consolée dans les bras d'Adam. Putain mais tu perds pas d'temps hein ? Lui aussi il t'a baisée ? T'as aimé ça ?
Ne pouvant plus en supporter davantage, je le gifle. La claque est partie si vite que mon geste m'a surprise moi-même. Que Colin m'en veuille, je comprends. Mais qu'il me manque de respect, ça, jamais je ne pourrais le tolérer. Je ne suis plus la jeune adolescente naïve qui se laissait insulter par son copain. Jeff m'a toujours parlé de cette façon, jamais je n'avais réagi de la sorte. Mais j'ai grandi, j'ai mûri, et j'ai appris.
Nous nous fusillons mutuellement du regard, en chiens de faïence, le souffle court. Je lève mon index vers lui, le ton menaçant, bouillonnant d'une rage incontrôlée :
— Ne t'avise PLUS JAMAIS de me manquer de respect, c'est clair ?
Pour toute réponse, Colin se contente de s'éloigner non sans me lancer un dernier regard assassin. Le cœur lourd, je m'effondre sur l'une des caisses et enveloppe ma tête entre les mains. À défaut d'avoir apaisé la situation entre nous, nous venons de l'envenimer encore plus.
Je n'ai qu'une seule envie, c'est de m'enterrer sous terre et disparaître à jamais.
Comment réussirons-nous à jouer dans cet état ?
Lorsque nous montons enfin sur scène, l'ambiance est électrique. Colin ne m'adresse aucun regard et ne sourit pas. Il ne fait que balayer la foule de ses prunelles métalliques. Les nombreux spectateurs ne se doutent pas des tempêtes violentes qui se déchaînent entre nous. Doris a perçu notre trouble et me questionne du regard, mais je préfère l'ignorer. En ce moment, mieux vaut m'éloigner de tout ce qui peut m'être irritable, sinon je ne réponds plus de moi.
Malgré le succès fulgurant du concert, je ne suis pas satisfaite. Ma voix tremblotait, et la rage brûlait dans mon regard. Colin a complètement refermé sa coquille autour de sa personne. Tout au long du concert, il faisait comme si je n'existais pas sur scène avec lui. Aucun regard, aucun sourire, il m'a même laissé chanter ma chanson toute seule pour ne pas mêler nos deux voix. Les pincements forts qu'il exerce sur les cordes de sa guitare témoignent de sa frustration et à plusieurs reprises, Adam a dû le recadrer à l'aide de sa batterie lorsqu'il partait dans des délires sombres et colériques en solo.
Une fois le concert terminé, je me rends en coulisse et le retrouve perdu dans ses pensées, assis seul sur l'une des caisses de secours, sa veste en cuir traînant sur son épaule. Je ne lui adresse pas la parole, préférant l'ignorer comme il le fait si bien avec moi.
— Sandy !
Sa voix dure et cynique m'interpelle. Je me fige sur place, le cœur battant la chamade, attendant de voir ce qu'il va me dire.
— Prépare toi, sam'di prochain. On est invités à un gala de charité. Tiens, ton invitation. Prévois une belle robe.
Et sans plus de cérémonie, il se lève, laisse l'enveloppe dorée sur la caisse et se retire sans rajouter un mot ni attendre de réponse de ma part.
∞
Le lendemain, je suis de service au Blue Train. La soirée est calme ce soir, à peine quelques habitués. Je n'arrive pourtant pas à me concentrer. Vers minuit, Luke arrive et m'enlace.
— Tu m'as manqué Sandy ! Alors, raconte ! Comment était Atlantic City Baby ?
— Pas top, soupiré-je à l'attention de la seule personne qui se rapproche d'un ami dans ma vie.
—Qu'est-ce qui s'est passé ? T'en fais une tête !
— Rien, Luke, laisse tomber.
— C'est ton chanteur de mes deux c'est ça ?
Je l'interroge du regard, surprise qu'il me parle de Colin. Suis-je aussi transparente ?
— J'ai vu des photos intéressantes sur Insta, m'explique-t-il tout sourire. Tu m'en caches des choses !
Le souvenir de ses photos et des moments passés aux côtés de Colin fait remonter un flot de larmes à la surface. Luke perçois ma peine et me lance un regard contrit.
— Désolé, j'ai manqué de tact. C'est à cause de ce connard que t'es dans cet état ?
— C'est pas un connard, Luke. C'est de ma faute, j'ai tout gâché.
J'efface rapidement une première larme qui menace dangereusement de sortir et entraîner les autres avec elle et fait un signe de main à mon interlocuteur pour lui faire comprendre de lâcher l'affaire. Mais il ne compte visiblement pas en rester là. Après avoir vérifié je-ne-sais-quoi autour de lui, il grimpe derrière le bar à mes côtés.
— Passe derrière le bar.
— Luke, arrête tes conneries... j'ai pas de temps à...
— Passe derrière le bar, j'te dis !
Je soupire, trop lasse pour négocier. D'autant plus que je suis curieuse de savoir ce qu'il a en tête. Je m'exécute donc et l'installe sur l'un des tabourets hauts réservés habituellement aux clients.
— Bonsoir, beauté, je suis Luke, votre barman, pour vous servir. Cocktails, shot et psychologue personnel, la totale quoi. C'est la maison qui offre.
J'éclate de rire, amusée par sa bouille malicieuse. De toute évidence, il ne plaisante pas pour un sou est se lance dans la préparation d'un Mojito, tout en me poussant à nouveau aux confidences. Après avoir soufflé un coup, je lui raconte tout. Tout ce qui touche à Colin et moi. Notre rencontre, les répétitions, notre rapprochement, mes sentiments grandissants pour lui, jusqu'à ce que...
— Je lui ai menti. Il l'a mal pris. Il a eu des mots blessants à mon égard, il m'a même humiliée, et depuis, il fait sa banquise.
— Un homme blessé est un homme con. C'était un gros mensonge ?
— Oui...
— T'as une bonne explication ?
— Oui.
— Bah alors, qu'est-ce que t'attends ? Va le voir ! Explique-lui !
— Luke ! T'as pas vu son regard ! Il a envie de me trucider sur place ! Tu veux ma mort ou quoi ?
— S'il réagit aussi brutalement, c'est que tu comptes pour lui. Si tu ne représentais rien à ses yeux il n'aurait pas pris les choses autant à cœur. Et puis si je me réfère à ce que tu viens de me raconter, il a l'air d'être un peu beaucoup dans l'excès. Ce mec, c'est une bête, tu te souviens comment il m'a gueulé dessus quand j'ai osé te prendre dans mes bras ? Sérieusement je vois pas du tout ce que tu lui trouves, Sand !
— Colin ... Colin c'est le feu et la glace en même temps. C'est le mec le plus sexy que j'ai rencontré. Il est capable d'être aussi sauvage qu'un tigre et aussi tendre qu'un chaton en l'espace de quelques minutes. Il lui suffit d'un regard pour me comprendre, pour lire en moi et pour me faire fondre. En une fraction de seconde il est capable de me sortir une vacherie qui me donne envie de l'étriper et puis la minute qui suit, il m'enflamme avec ses mots. Lorsqu'on joue ensemble, on est vraiment connectés. Je n'avais jamais vécu quelque chose d'aussi fort avec un homme. Pas même avec Jeff. Il a su me toucher là où ça fait mal et a pu chambouler tous mes états d'âme.
— Putain, meuf... t'es in love.
Pour toute réponse, je me contente de baisser les yeux sur mon comptoir, des larmes venant s'écraser sur la plaque de granite.
— Va le rejoindre, Sandy ... je m'occupe du bar.
— T'es fou ! Charlie va me tuer !
— Tu me fais pas confiance ?
— Si, mais ...
— Alors vas-y ! T'as assez perdu de temps ! Va le récupérer !
Après tout, foutue pour foutue, je n'ai plus rien à perdre. Déterminée, je dépose un bisou baveux sur la joue de Luke et me dirige en toute vitesse vers la sortie.
— Hey, Sandy ... ton tablier !
Je me rends compte que j'ai toujours mon tablier sur moi. Je m'empresse de m'en débarrasser et le jeter à Luke en le remerciant, et file prendre un taxi en direction de chez Colin.
Pourvu qu'il soit chez lui !
Une fois sur place, j'appuie sur la sonnette et attend patiemment qu'il vienne m'ouvrir.
Mon cœur et si excité qu'il menace de s'arracher à ma poitrine.
J'entends des bruits de pas s'approchant de la porte d'entrée.
La poignée tourne, la porte s'ouvre et...
OH MON DIEU...
A suivre...
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