Chapitre 55: La chute de l'AVO
« Le grand restart ». Cette théorie était née au début du siècle dernier, alors que le monde faisait face à la première pandémie depuis près de cent ans. Rapidement récupéré par le groupe Qanon, le grand restart, originellement appelé « grand reset » prévoyait un complot d'envergure mondial visant à supprimer près de 80 % de la population, à commencer par « les inutiles ». Néanmoins, les années avaient passé et rien ne s'était produit. Pourtant, pour certains fanatiques, ce n'était qu'une question de temps avant que cette « prophétie » ne se réalise. De simple théorie du complot, c'était devenu une véritable parole divine relayée par les groupuscules religieux intégristes qui allaient plus tard former l'association pour la vie organique.
Bien que Lothar Zerich ait brandi le grand remplacement robotique pour fédérer les foules sans y croire lui-même, son fils, lui, avait baigné dans ce milieu terrifié par le progrès depuis sa naissance. Toutes les personnes qu'il avait rencontrées durant son enfance et son adolescence étaient des membres de l'AVO, rejetant avec véhémence la technologie et la société moderne. Cependant, il n'était pas qu'une victime de son environnement comme Bruce Spark ou même Bernard Sodan. Klaus se voyait lui-même comme l'incarnation de l'idéologie de son père, un messie descendu parmi les hommes pour les sauver de la menace que représentaient les AIntelects. En tant que tel, il avait réalisé une chose : sa mission était d'accomplir la volonté divine et de déclencher le grand restart. Quand il avait appris qu'un astéroïde monstrueux se dirigeait vers la terre à cause des actions d'une AIntelect, il avait interprété cela comme l'apocalypse tant attendue. En tant qu'homme le plus puissant au monde, il avait ordonné aux agences spéciales tout autour du globe de ne pas agir et avait exécuté tous ceux qui avaient osé s'opposer à lui. Ainsi, il s'était assuré que nul n'ait connaissance de ce monstre stellaire avant qu'il ne s'écrase et ne détruise toute trace de civilisation.
Cependant, en une fraction de seconde, le plan de Klaus avait explosé en plein vol. Ziz, le démon biblique, n'était plus qu'un tas de débris brûlant dans l'atmosphère.
Comment était-ce possible ? Cette météorite avait été envoyée par le créateur en personne ! Tout comme le déluge ou les plaies d'Égypte, rien n'aurait dû être en mesure d'y faire face ! Klaus avait-il fait fausse route ? Le grand restart se trouvait-il ailleurs ? Non. Impossible. Le signe ne pouvait pas être plus clair. Tout se déroulait exactement comme il était écrit dans les livres sacrés. L'humanité aurait dû provoquer sa propre perte en s'alliant aux machines démoniaques. Se pouvait-il que le Seigneur ait été vaincu ?
Klaus ne possédait pas de réponse immédiate. Toutefois, il était certain d'une chose : ce n'était que partie remise. Il existait des milliers de façons d'accomplir la volonté divine. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'un autre fléau ne s'abatte sur la terre. Dérèglement climatique, montée des eaux, pollution, pandémies, il y avait l'embarras du choix.
Oui. Klaus devait garder espoir. Dans les textes sacrés, les catastrophes surviennent toujours par vagues. Un cavalier de l'apocalypse avait peut-être été vaincu, il en restait encore trois, tous plus dévastateurs les uns que les autres.
Un rire métallique s'échappa du haut-parleur grésillant de Klaus. Iris et Ronan se remirent sur leurs gardes devant cette réaction inattendue. Alors qu'ils pensaient que le président de la terre allait renoncer après l'explosion de la comète, ce dernier semblait plus fou et déterminé que jamais.
— Vous avez perdu ! Abandonnez, maintenant ! s'exclama le lieutenant de Chrysantia en braquant son fusil d'assaut sur son ennemi.
— Perdu ? Au contraire, ce n'est que le commencement, ronronna Zerich, confiant. La suite risque de vous surprendre.
— Mais oui, on vous croit ! C'est beau de rêver. En attendant, votre armée est anéantie, votre astéroïde est en miettes et ce n'est qu'une question de minutes avant que l'extranet soit hors service. C'est un K.O total.
— Votre arrogance causera votre perte, rétorqua le cyborg de sa voix doucereuse. Vous vous pensez peut-être tout puissant parce que vous avez les machines de votre côté, mais rien ne surpassera jamais la volonté divine. Votre destin est de disparaître lors de l'avènement du royaume céleste !
— Le destin ? Ça n'existe pas, le coupa sèchement Iris. Ce n'est qu'un mot inventé par les perdants pour justifier leurs malheurs et refuser de continuer le combat. Le destin de Chloé n'était pas de mourir. Elle a choisi de le faire pour nous sauver. C'est pour cette raison qu'elle est une véritable héroïne, et pas une simple marionnette d'un soi-disant être supérieur !
— Tous les hommes sont soumis à la volonté divine. C'est ainsi. Le réfuter n'y changera rien, Iris. Ta mère, elle, l'avait compris.
Le poing d'Iris se crispa. Son épée se déploya d'elle-même et se para d'une teinte écarlate, comme le reflet de sa haine bouillonnante envers son beau-père.
— Ferme-là ! J'en ai plus qu'assez de t'entendre raconter de la merde sur tout et tout le monde ! Et, tu sais quoi ? Les AIntelects ne sont pas humains, il parait. Donc ils ne sont pas soumis à la volonté de ton dieu qui n'existe que dans tes délires. Et, grâce à toi, je fais partie de leur espèce aussi, maintenant. Je suis libre d'écrire mon avenir et de te faire payer !
Sans autre forme de sommation, Iris se jeta sur son ennemi. Klaus, confiant en ses capacités, ne prit même pas la peine de se protéger. Il riposta en tentant d'attraper le bras mécanique de sa belle-fille dans l'espoir de le broyer. Cependant, les choses ne se passèrent pas comme il l'avait prévu. La lame chauffée à blanc trancha la main de Zerich comme du beurre.
L'homme hurla de douleur alors que son membre tombait mollement sur le sol. Profitant de cet instant de distraction, Ronan le cribla de balles qui, à défaut de transpercer son armure, le déstabilisèrent suffisamment pour l'empêcher de se repositionner.
— Maintenant, Iris ! Finis-le ! s'écria le lieutenant.
— Ça, c'est pour maman, Chloé, Osborne, et tous les autres qui ont péri à cause de tes conneries de fanatique dégénéré ! Tu aimes les trucs divins ? Alors je vais t'en donner ! Prends ça : Burning Calibur !
Le bras métallique d'Iris rayonna d'une lueur si intense qu'elle aveugla totalement son adversaire. Lorsque la lumière se dissipa, les deux combattants se tenaient face à face, se regardant droit dans les yeux. Sur le visage de la jeune femme, une profonde blessure entaillait sa joue. L'abdomen de l'homme, quant à lui, était transpercé de part en part par l'épée encore brûlante. Klaus, les pupilles dilatées, la bouche remplie de sang noir, fut parcouru de deux spasmes incontrôlables. Puis le président de la terre s'effondra sur les graviers. Son corps fumait de toute part comme une vieille locomotive à vapeur. Des étincelles s'en échappaient à chacune de ses respirations. Un court-circuit général paralysait ses articulations et l'obligeait à faire face à Iris. Il était à sa merci. Lui, l'élu du créateur, alors qu'il était allé jusqu'à échanger son corps divin contre une abomination métallique afin de lutter à armes égales contre les envoyés du Malin, avait été défait par une simple étudiante, une vulgaire humaine.
Cependant, au lieu de l'achever, la jeune femme replia sa lame et se contenta de le dévisager d'un regard où se mêlaient colère, pitié et soulagement.
— Est-ce que tu es contente de toi ? articula Klaus avec son haut-parleur enraillé et grésillant. Vas-y, tue-moi. C'est bien pour ça que tu es venue ici, non ? Mais ma mort n'arrangera rien. Au contraire. Tout comme ton père, je deviendrai un martyr, mort pour sauver les hommes de la menace robotique. Je suis...
— Nous devons briser le cycle de haine, l'interrompit Iris sans trembler. Si nous continuons à nous entretuer, nous ne pourrons jamais nous comprendre. Au bout d'un moment, on ne sait même plus pourquoi on se bat. On ne fait que venger la mort de nos proches, encore et encore. Klaus, je vous déteste personnellement. Vous avez ruiné la vie de ma mère, et la mienne. Cependant, j'ai réalisé une chose en rejoignant Chryno : il faut avancer, quoiqu'il arrive. Nous ne devons pas voir le passé comme une utopie révolue, mais comme une réalité à dépasser. C'est ce qu'Airi s'efforce de faire chaque jour à Chrysantia. Contrairement à nous, humains, qui sommes terrifiés par ce qui est incertain, elle est fascinée par l'inconnu, par la découverte et par les possibilités infinies que le futur nous offre.
Le visage d'Iris se détendit légèrement. Elle essuya d'un revers du bras le sang sur sa peau et tendit une main amicale à son beau-père en lui souriant :
— L'avenir n'est pas figé dans la pierre et encore moins déterminé par un être suprême. C'est à nous de l'écrire et de le modeler selon nos rêves et nos désirs. Je te le propose alors, veux-tu marcher à nos côtés pour construire un monde meilleur dans lequel les hommes et les AIntelects pourront vivre en paix ?
Klaus ferma les yeux et esquissa un sourire à son tour.
— J'ai vraiment aimé ta mère. Elle était prête à me suivre jusqu'à la fin. Mais j'ai aussi compris une chose dès notre rencontre : jamais je n'aurais pu prendre la place que tu avais dans son cœur. Et je crois que je sais pourquoi, désormais. Tu es quelqu'un de bien, vraiment. Tout comme moi, tu es une idéaliste et tu fais tout pour atteindre tes objectifs. Nous sommes pareils, au final. C'est dommage. Dans une autre réalité, peut-être que toi et moi, nous aurions pu nous entendre... Mais pas dans celle-ci.
Les doigts acérés de Klaus fusèrent vers la gorge de sa belle-fille. Ronan poussa un cri de terreur. Toutefois, il n'en eut pas l'occasion d'intervenir. Vive comme l'éclair, sans hésiter une seconde, Iris transperça la poitrine de son beau-père, détruisant son noyau énergétique. Le président de la terre s'effondra à nouveau sur le sol, cette fois-ci pour ne plus se relever.
Lentement, la jeune femme se tourna vers son partenaire, la tête et les épaules basses. Cette victoire lui laissait un gout amer dans la bouche. Elle aurait aimé pouvoir atteindre le cœur de Klaus, non pas par le fer, mais par les mots. Finalement, elle avait été incapable de comprendre son ennemi malgré ses grandes tirades. Sa seule consolation était de penser que, grâce à elle, Chrysantia allait enfin pouvoir connaître la paix.
— Mission accomplie, déclara-t-elle sans enthousiasme. On devrait essayer de trouver un avion pour rentrer. Tout le monde doit nous attendre.
— Tu sais, tu as le droit de pleurer, lui dit Ronan en posant sa main amicalement sur son épaule.
Iris secoua la tête.
— Je n'avais aucun attachement à ce type. Je me demande juste s'il n'y avait pas un autre moyen d'en finir. J'ai l'impression de ne pas être plus légitime que l'AVO en tuant ceux qui s'opposent nous...
— Tu lui as proposé de se racheter, il a refusé. Tu n'as rien à te reprocher. Dis-toi que moi, je ne lui aurais même pas donné cette chance. Tu as agi de la meilleure manière possible.
— Oui. Tu dois avoir raison.
La jeune femme reposa le réacteur de Klaus encore brûlant qu'elle tenait entre ses doigts. Elle s'apprêtait à contacter Astro pour lui annoncer sa réussite lorsque, soudain, des bruits de bottes sur le gravier résonnèrent de tous les côtés. En moins d'une seconde, les deux résistants se retrouvèrent encerclés de toute part par des dizaines de sbires de Zerich. Ils étaient vêtus d'exosquelettes composés de pièces détachées d'AIntelects, mais surtout, armés jusqu'aux dents.
Iris ne tenta même pas d'opposer une quelconque résistance. Elle se contenta de lever les mains et de lâcher son arme en signe de reddition. Ces types n'étaient rien d'autre que des sous-fifres. Elle n'avait aucune raison d'essayer de leur échapper ou de les tuer. Cette guerre avait déjà versé le sang de trop d'innocents.
— Rendez-vous, Chryno ! Vous êtes cernés ! hurla l'un des gardes. Vous allez nous suivre et...
L'homme ne put terminer sa phrase. À la place, une douce musique se lança. Les militaires, déboussolés, tentèrent de couper leurs radios, mais rien n'y fit. La mélodie semblait provenir de partout et nulle part à la fois.
— Qu'avez-vous fait ? Qu'est-ce que...
Un court-circuit se répandit dans les exosquelettes de l'AVO. Comme victime d'une épidémie, tous les soldats tombèrent un par un, incapables de se relever, immobilisés par le poids de leurs armures hors service.
Iris et Ronan observèrent ce spectacle, interdits. Puis une voix vint se joindre à la musique. Une voix que le lieutenant reconnut immédiatement.
— Cher public, je suis heureuse de pouvoir vous interpréter cette ultime chanson. Celle-ci possède une place particulière dans mon cœur de fer.
— Mirai ? Non, tu n'as pas...
Le visage de Ronan passa de l'incompréhension au désespoir en une fraction de seconde en réalisant l'horrible réalité derrière la beauté de cette mélodie.
— J'espère que vous l'écouterez jusqu'au bout et qu'elle saura toucher vos âmes. À présent, fermez les yeux et suivez-moi dans un monde paradisiaque, au-delà des nuages. Ensemble, déployons nos ailes de la liberté.
Si je pouvais rêver, d'une autre réalité
Je me laisserais pousser, des ailes pour les déployer
D'une teinte immaculée, grâce à elles je m'élèverais.
Enfin je deviendrais, comme un oiseau : libéré.
Le cœur d'Iris se serra. Ils avaient gagné. Chrysantia avait gagné, oui. Mais cette victoire valait-elle un tel sacrifice ?
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