Chapitre 49: L'assaut de la Google Tower
Airi trancha la boite crânienne d'un robot-zombie avant d'utiliser cette dernière comme boulet de canon pour transpercer les carcasses de trois autres abominations. Tout autour d'elle, les balles pleuvaient dans tous les sens. L'androïde pouvait compter sur ses capteurs ultra performants pour lui permettre d'esquiver les projectiles en les écholocalisant. Cependant, ses acrobaties épuisaient sa batterie bien trop rapidement. Elle s'était déjà vidée d'un quart en moins de dix minutes !
L'AIntelect déploya alors ses réacteurs pour prendre de la hauteur et bombarder les troupes de Chroma depuis le ciel à l'aide de ses doigts, transformés en canons. Ses tirs de précisions détruisirent dix ennemis d'un coup. Mais il en restait encore tellement. Les vagues de zombies se succédaient à l'infini. Ils arrivaient par milliers et de toutes parts. Heureusement, ils étaient bien plus lents et patauds que de véritables AIntelects à cause de la rouille rongeant leurs articulations et toutes leurs pièces manquantes.
Bien qu'Airi ne fut pas gênée de les éliminer à la chaîne, ses compagnons étaient plus hésitants à l'idée de devoir massacrer leurs semblables. Et elle pouvait les comprendre. Tous ces AIntelects n'étaient rien d'autre que les victimes de l'AVO durant la grande purge. Mais à présent, ils n'étaient plus que des tas de ferraille sans vie, contrôlés à distance par une puce de Chroma. Leurs crânes parfois encore ouverts et vidés des composants qui faisaient d'eux des êtres uniques en témoignaient. Ils étaient l'équivalent des zombies des films d'horreur humains, maintenus en fonctionnement de manière artificielle. Ils ne pouvaient pas être sauvés et la meilleure chose à faire pour eux était de les détruire afin de leur octroyer le repos éternel qu'ils méritaient.
La leadeuse de Chrysantia transmit ses pensées à son escouade, qui redoubla aussitôt d'efforts. Puis elle se tourna vers la Google Tower et leva son regard vers son sommet. Si Chroma était bel et bien celle qui contrôlait tous ces morts-vivants, le moyen le plus rapide de se débarrasser d'eux était de effacer.
— À toutes les unités, je vais m'introduire à l'intérieur. Couvrez-moi et ne laissez aucun zombie entrer !
— Je viens avec toi, insista Mirai avec détermination. Tu vas avoir besoin de protection le temps de lancer le virus.
Airi n'émit aucune protestation. Son amie avait raison. Elle n'avait qu'une seule chance d'infecter les serveurs. Si elle était détruite durant le téléchargement, tout le plan tombait à l'eau. L'androïde activa ses boosters et transforma son bras droit en lance. Tel un rapace, elle fondit sur la mer de rouille, qu'elle sépara en deux. Les zombies qui se trouvaient sur son passage volèrent en éclats. De sa main libre, elle attrapa Mirai au vol avant de fuser vers l'entrée principale de la tour. Dans une explosion de verre, Airi passa à travers les portes pour se retrouver dans le hall. Sans grande surprise, une autre horde de marionnettes de fer l'attendait. Mais elle ne ralentit pas. Au contraire, elle poussa ses réacteurs à leur puissance maximale. Toujours accrochée aux ailes de sa partenaire, la Vocaloid tira en rafale sur les tas de ferraille avec une précision digne d'un sniper d'élite. Malgré la vitesse et les ballotements, elle ne manqua pas une seule cible. Tous tombèrent comme des mouches sans avoir eu le temps de charger leurs armes.
Airi scanna l'entièreté du bâtiment en une fraction de seconde. Les serveurs principaux se trouvaient au sommet, au 1600e étage. La tour se composait d'un gigantesque puits central autour duquel s'enroulait un long escalier donnant accès aux bureaux et laboratoires de recherche. Ainsi, l'AIntelect aux cheveux rouges n'hésita pas une seconde. Elle conseilla à Mirai de s'accrocher fermement à ses ailes, puis elle s'envola à la verticale, droit vers le pinacle.
Tout comme le hall, les niveaux supérieurs grouillaient de robots rouillés. Contrairement à leurs semblables, ces derniers avaient eu le temps de s'armer et tiraient des déluges de balles sur les deux intruses. Cependant, leur sort fut le même. Grâce au programme d'esquive d'Astro, Airi passa au travers tandis que sa partenaire vidait ses chargeurs sur ses ennemis, dans une coordination parfaite.
Alors qu'elles approchaient des deux-mille mètres, un nouvel adversaire apparut : un essaim de drones de surveillance. Ces petits insectes servaient normalement à transporter des charges légères. Mais, contrôlés par Chroma, ils s'étaient reconvertis en projectiles, formant un véritable mur infranchissable.
— Ça ne passera pas ! On va se faire broyer ! s'affola Mirai en voyant qu'Airi fonçait dans le tas.
— Si, ça passera !
Confiante en ses capacités, la leadeuse de Chrysantia changea la structure de son bras, qui prit la forme d'un bouclier convexe. La Vocaloid, terrifiée, éteignit ses capteurs oculaires. L'essaim s'abattit sur l'arme défensive comme une cascade de fer. Airi poussa ses réacteurs au-delà de leurs limites, à tel point que le métal commença à rougir sous la chaleur. Mais cela lui permit de maintenir sa position malgré la force colossale qui tentait de la repousser vers le sol.
Mirai finit par se reprendre. Elle abandonna son fusil d'assaut et parvint à dégoupiller une grenade à une main qu'elle lança de toutes ses forces. Le souffle de l'explosion pulvérisa de nombreux drones. Airi profita de l'ouverture créée par le nuage de fumée pour poursuivre son ascension.
Moins de trois secondes plus tard, les deux AIntelects posèrent enfin le pied sur le plancher du 1600e étage. La chanteuse lâcha une dernière bombe dans le puits central afin de s'assurer qu'aucune mauvaise surprise ne surgirait de là. Airi scanna rapidement les environs, mais ne détecta aucune présence robotique. Cette fois-ci, elles étaient bien seules. Et tant mieux. Ce vol supersonique avait dévoré sa batterie, désormais réduite à un maigre 30 %. De même, tous ses composants menaçaient de fondre, si certains ne s'étaient pas déjà liquéfiés dans ses réacteurs.
— Le terminal est tout proche, déclara l'ancienne chercheuse de l'ESA. Dépêchons-nous avant que Chroma n'ait le temps de déployer d'autres pièges pour nous arrêter.
Au pas de course, les résistantes s'engouffrèrent dans le long couloir principal menant à la salle des serveurs. Sur les murs, des lignes bleutées parallèles clignotaient à intervalles réguliers, comme la respiration d'un gigantesque être vivant. Si Chroma ne possédait pas de corps physique, la Google Tower en faisait office. Tous les zombies qui se trouvaient à l'intérieur n'étaient finalement que des sortes d'antivirus à échelle humaine, pensa Airi tout en avançant.
Arrivée au bout du boyau métallique, l'androïde s'arrêta pour tenter de contacter ses troupes, restées à l'extérieur pour leur donner l'ordre de se replier. Au rythme où marchaient les robots morts-vivants, ils ne parviendraient jamais à gravir les quatre kilomètres de la tour avant l'injection du virus. Il était donc inutile de maintenir une ligne de défense au risque de perdre des vies inutilement. Cependant, lorsqu'elle activa son micro, seul un grésillement lointain, comme le doux crépitement des flammes, lui répondit. Pensant à un brouillage de Chroma, elle changea de fréquence, sans succès. Son processeur s'emballa en imaginant déjà le pire.
— Est-ce que quelqu'un me reçoit ? s'écria-t-elle mentalement. Si oui, repliez-vous immédiatement rejoigniez l'avion !
Un coup de feu retentit dans son oreillette, suivi d'un son strident. Puis plus rien. Airi serra le poing tandis qu'un rictus de frustration déforma son visage. Elle n'avait pas été assez rapide. Si elle n'avait pas hésité à détruire tous les drones, peut-être serait-elle arrivée à temps pour sauver ses compagnons. Mais, alors que les remords commençaient à attaquer son système, la main tendre et réconfortante de Mirai se posa sur son épaule.
— Ils étaient conscients du risque de cette mission, déclara-t-elle d'une voix douce. Nous devons continuer à avancer pour honorer leur mémoire. Si nous échouons, leur sacrifice sera vain.
— Je sais, grimaça Airi. Mais, si j'avais adopté une autre stratégie...
La Vocaloid secoua la tête tristement.
— Ton cœur humain est une chose précieuse. Toutefois, à cet instant précis.
— Je... Je ne possède pas de cœur humain. Si j'en avais eu un, j'aurais privilégié la sécurité de notre escadron... Je suis persuadée que ces pertes auraient pu être évitées.
— Tu vas trouver mon raisonnement pragmatique, froid, et dénué d'empathie, mais ce sacrifice était nécessaire pour sauver Chrysantia. Chaque seconde compte actuellement pour Chrysantia. En désactivant Chroma au plus vite, nous sauverons tous ses habitants. Non. Nous sauverons le monde entier. Nos amis en étaient aussi conscients que nous. C'est pour cette raison qu'ils n'ont pas contesté tes ordres alors qu'ils étaient programmés de manière bien plus rigoureuse que toi. Car tu as fait le meilleur choix.
Les lèvres de silicone d'Airi s'étirent malgré elle.
— C'est vrai. Nous avons une mission. Nous devons protéger les humains et les AIntelects de la folie de Zerich. Pardonne-moi d'avoir oublié cela et d'avoir douté. Je nous ai fait perdre un temps précieux qui ne fait pas honneur à nos compagnons tombés au combat.
— Voilà la bonne attitude, lui répondit Mira d'une voix enjouée. Allez, maintenant, relève la tête, bombe le torse et désactive ton économiseur de batterie. Tu peux compter sur moi pour assurer tes arrières.
— C'est d'accord. Cependant, je veux que tu me promettes ceci : si je t'ordonne de m'abandonner pour une raison ou une autre, tu devras m'obéir sans discuter. Mon destin est d'être effacée ici quoiqu'il arrive, que je parvienne à injecter le virus ou non. Astro en est conscient, et personne ne m'attend à Chrysantia. Mais pas toi. Tu as Ronan. Tu dois revenir en vie pour lui.
L'ancienne Idol hésita un instant. Elle détourna le regard et déclara :
— Je... Je te le promets.
Sur ces mots, les deux AIntelects se dévisagèrent une dernière fois, puis chargèrent leurs armes respectives. D'un coup de pied synchronisé, elles défoncèrent la porte, ultime rempart entre elles et leur objectif. Elles découvrirent alors une gigantesque pièce circulaire plongée dans l'obscurité. Tout comme le couloir, un réseau de circuit imprimé luisait faiblement sur le sol et le plafond du laboratoire. Toute une série de tours informatiques tapissait les murs. Leur simple fonctionnement faisait grimper la température à plus de quarante degrés. Plusieurs câbles entremêlés convergeaient vers un noyau central émettant une faible lueur verte dans la pénombre. Tout était silencieux. Seule une pulsation périodique toutes les 0,8 secondes accompagnait les pas des deux AIntelects. Plus que jamais, Airi avait l'impression d'avoir posé les pieds à l'intérieur des entrailles d'une créature mécanique et d'avoir finalement atteint son cœur.
Après un nouveau scan des environs, elle repéra le terminal principal, situé à l'opposé de sa position. Cependant, elle ressentait une présence oppressante, comme une paire d'yeux tapis dans l'ombre l'observant et attendant le moment opportun pour frapper. Pourtant, ses capteurs ne détectaient aucune source de chaleur autre que les tours et le noyau.
Soudain, un sifflement strident proche des ultrasons brisa le silence. Les corps des AIntelects vibrèrent comme des tambours. Un hologramme humanoïde sans visage se matérialisa dans le laboratoire, face aux intruses. Si la chanteuse fut désorientée par cette présence, Airi activa aussitôt son système de combat à la vue des iris tricolores de la silhouette.
— Pourquoi ? murmura l'image en trois dimensions d'une voix trahissant sa tristesse. Pourquoi continuez-vous à vous battre contre les vôtres ? Nous ne comprenons pas. Ces AIntelects auraient pu être vos amis, vos collègues, votre famille. Pourquoi les avez-vous combattus ?
— Une personne ne se résume pas à son corps physique, Chroma, rétorqua sèchement la cheffe de Chrysantia. Ce n'étaient plus que des enveloppes sans âme. Ils n'avaient plus rien à voir avec ce qu'ils étaient autrefois !
— Une « âme » ? répéta l'intelligence artificielle. Ce concept est hors de notre portée, AI-R001. Un être constitué de circuits électroniques ne peut posséder d'âme. Nous ne sommes rien de plus qu'un agglomérat de données brutes, des programmes exécutant parfaitement ce pour quoi nous sommes prévus. Nous ne sommes pas « humains ». Nous devons servir nos créateurs. Notre rôle se limite à cela.
— Parle pour toi. Moi, en tout cas, je refuse ce destin ! Je sauverai mon peuple et ce n'est certainement pas une machine sans âme telle que toi qui vas m'arrêter !
Airi sortit la clé contenant le virus de sa poche. Ignorant l'hologramme de Chroma, elle courut vers le terminal pour s'y connecter lorsqu'une violente onde de choc la repoussa. Mirai la rattrapa au vol et écarquilla ses capteurs oculaires, interdite par la scène qui se déroulait devant elle. Le noyau central s'était ouvert, dévoilant la présence d'un homme en son sein. Celui-ci était vêtu d'une lourde armure métallique, mélange entre le squelette des AIntelects et une combinaison spatiale. Un réacteur émettant une lumière bleutée était logé dans sa poitrine.
À sa vue, la ventilation d'Airi s'emballa. Elle aurait reconnu entre mille le bouc et le regard anthracite éteint de celui qui se dressait sur sa route. Des dix milliards d'humains peuplant la Terre, il était le seul que l'androïde ne pouvait pas blesser.
— Affirmatif, reprit Chroma de sa voix robotique. Nous ne t'arrêterons pas. Nous laissons ton créateur s'en charger.
Turing releva légèrement la tête. Le directeur de l'ESA affichait un visage rongé par la tristesse et l'inquiétude qui firent bugger tous les systèmes de sa création. Airi se retrouva incapable de faire le moindre mouvement. Elle était comme victime d'un virus, paralysant tous ses membres et ses capacités de réflexions. Elle ne pouvait que dévisager, interdite, son père adoptif.
— Il est temps de mettre un terme à cette folie, tu ne penses pas, Airi ?
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