Chapitre 25: Sous les glaces de l'Antarctique
Des applaudissements résonnèrent dans la petite pièce aux murs blancs. Airi éteignit la caméra et se leva pour procéder à la suite des opérations.
— Ohoh ! Félicitations ! Votre discours était brillant, la félicita Ugo Marcelo, l'un des membres de sa garde rapprochée.
— Merci pour les compliments, mais ils ne changeront rien au résultat. Nous devons maintenant attendre que mes mots fassent leur effet dans la société.
— Êtes-vous certaine que ça va marcher ? Si j'étais eux, je prendrais ça pour une déclaration de guerre, moi..., intervint son second garde du corps, Kosta le Grec.
— Moi aussi.
— Je ne comprends pas votre but, dans ce cas...
— Il existe une expression humaine pour décrire cela. « Œil pour œil, dent pour dent », continua l'androïde tout en rassemblant ses affaires. Je ne souhaite pas créer de conflit. Mais je refuse que l'AVO se croie toute puissante et nous pense sans défense. Ils nous attaquent, nous ripostons. Ils cessent, nous cessons. Il n'y a rien de plus à expliquer. À présent, si vous voulez bien m'excuser, je dois aller voir nos invités.
Airi prit congé de ses hommes pour rejoindre les cellules. Le matin même, elle avait intercepté plusieurs avions militaires en provenance des États-Unis. Ces derniers, après avoir largué trois bombes qui, heureusement, n'avaient causé que des dommages mineurs, avaient été abattus par les croiseurs de la marine chrysantienne. Leurs pilotes avaient immédiatement été faits prisonniers dans l'attente de leur procès pour avoir violé les frontières du jeune pays.
Chrysantia était ce que l'on pouvait appeler un miracle de la technologie. L'Antarctique avait toujours été une zone presque inhabitable à cause des conditions extrêmes de températures et radiations qui y régnaient. Cependant, les machines, contrairement aux êtres organiques, ne ressentaient ni le froid ni le bombardement des rayons ultraviolets. Mieux encore, les -50 degrés Celsius de l'hiver favorisaient leurs capacités, transformant tous leurs composants en supraconducteurs. Cela avait pour conséquence de réduire grandement augmenter leur vitesse d'exécution au détriment de leur batterie. Grâce à cette faculté unique, les AIntelect avaient pu miner des ressources enfouies sous les glaces jusque-là inaccessibles à l'humanité et à faire émerger en moins de dix ans une toute nouvelle civilisation.
Les gigantesques réserves d'hydrocarbures et le gaz naturel avaient permis, dans un premier temps, d'alimenter les véhicules ainsi que fournir de l'électricité aux premières habitations. Puis, avec la découverte de terres rares, de métaux et même de déchets plastiques échoués sur les îles australes, le petit groupe de colon s'était réfugié dans des bâtiments plus durables. Ceux-ci s'étaient peu à peu étendus sur une superficie de cent kilomètres au-dessus de la surface, mais également en dessous. Car, si les AIntelects pouvaient rester sans difficulté exposés aux températures glaciales, les humains avaient besoin de conditions plus favorables pour survivre. Ainsi, un immense réseau de galeries souterraines s'était développé, avec pour modèle les différents métros tels que celui de Tokyo ou de Montréal. Commerces, appartements, lieux de loisir et sièges d'entreprises locales, Chrysantia était devenue une véritable société parallèle cachée aux yeux du reste du monde.
En son centre, un gigantesque réacteur à fusion nucléaire alimentait la ville autant en électricité qu'en chaleur, et ce, de manière presque illimitée.
Ce petit pays était gouverné par Airi, qui tenait un rôle équivalent à une Maire. C'était elle qui prenait toutes les décisions concernant les éventuels agrandissements, gérait les conflits — heureusement rares — et dictait les lois. Chrysantia reprenait le système du métavers. Les deux espèces étaient dotées des mêmes droits, et chacune devait veiller au bien être de l'autre. Les AIntelects avaient donc le devoir de chasser durant les périodes de nuit polaire, tandis que les humains devaient se charger de la maintenance et s'assurer du bon fonctionnement des équipements. Quant aux délinquants ou criminels, ils étaient immédiatement exclus de la ville, ce qui revenait à les condamner à mort dans un environnement aussi hostile que l'Antarctique. Cette relation presque symbiotique avait permis un développement rapide de Chrysantia, bien plus que n'importe quel pays. La ville-état comptait désormais près de dix mille citoyens.
En passant sur la place principale où se déroulait l'essentiel des activités, Airi fut interpelée par de nombreux marchants l'invitant à venir voir leurs derniers produits ou à simplement papoter. Cette ambiance de bourg ne déplaisait pas à l'androïde. Il y régnait une atmosphère légère et bon enfant. Ici, pas de haine des AIntelects ni de conflit pour des bouts de territoires. Tous avaient conscience de la situation précaire dans laquelle ils se trouvaient, mais continuaient à vivre leur vie d'avant en se serrant les coudes. Ils avaient décidé de quitter une société dans laquelle ils ne se reconnaissaient plus et faisaient tout pour en bâtir une nouvelle, en accord avec leurs idéaux. Cette solidarité désintéressée était ce qui permettait à Chrysantia de prospérer malgré les obstacles qui se dressaient sur le chemin de la liberté.
Airi dépassa la grande place en promettant aux commerçants de venir admirer leurs œuvres plus tard, puis descendit jusqu'au troisième sous-sol, normalement réservé à la maintenance et à la gestion des équipements de la ville. Mais c'était également là que, faute de cellule, étaient retenus prisonniers dans le terminal de contrôle les trois pilotes américains capturés le matin même. L'AIntelect les retrouvés ligotés sur des chaises, les visages couverts de sacs de pommes de terre, sous l'étroite surveillance d'un vieux scientifique barbu aux airs peu commodes. Lorsqu'Airi rentra dans son laboratoire, il lâcha un soupir.
— Bon sang, qu'est-ce que tu veux faire de ces types ? grogna-t-il. Tu te rends compte que j'ai autre chose à faire que du baby-sitting ? Si ça ne tenait qu'à moi, je les aurais laissés dehors.
— Nous ne voulons aucun mal aux humains, Astro, lui répondit Airi. Chrysantia est un lieu de paix et une terre d'accueil. Nous ne recourrons à l'abandon qu'en cas de force majeure.
— Oui, oui, je sais. Mais bon, on parle de militaires qui ont essayé de nous bombarder là. Pas de voleur à la sauvette ! Sérieusement, parfois, je ne te comprends pas.
— Le cœur sa ses raisons que la raison ignore.
— Par pitié, épargne-moi ce genre de maxime ! Humaine ou AIntelect, c'est ringard et très agaçant.
Airi esquissa un sourire. Elle aimait taquiner son ancien assistant-domestique. Celui-ci, afin de pouvoir servir au mieux la cause de Chryno, avait abandonné à contrecœur son corps primitif pour s'incarner dans un véritable AIntelect à l'apparence basée sur la sienne de son vivant. Il s'occupait désormais de l'agrandissement de la ville et des innovations scientifiques telles que, récemment, la transformation de la terre infertile de l'Antarctique en terreau pour l'agriculture.
En tant que créateur des AIntelect, il était respecté de tous et peu de gens osaient le contredire, à l'exception d'Airi et quelques hauts gradés de la ville-état.
— Est-ce que tu as réussi à leur soutirer des informations ? reprit l'androïde aux cheveux rouges en s'emparant du bloc-notes du chercheur.
— Deux-trois, oui. Mais rien de bien intéressant. Ces soldats sont bien formés. Je pense que, même sous la torture, ils ne révéleraient rien.
Airi fronça les sourcils. Elle retira l'un des sacs de patates qui couvraient la tête d'un prisonnier pour pouvoir le regarder dans les yeux. Visage musculeux, mâchoire carrée, coupe en brosse et regard perçant, l'homme avait tout du militaire américain typique. Une expression de dégout déforma sa bouche lorsqu'il croisa les capteurs oculaires de l'AIntelect.
— Je suis désolée pour le traitement de mon ami, mais vous comprenez que nous n'avons pas eu le choix. Après les bombes que vous avez lâchées sur nous, nous étions tous tendus. Avez-vous besoin de quelque chose ? Du café ou une couverture ?
— Je ne tomberai pas dans ton piège, sale tas de ferraille ! cracha le pilote. Je n'accepterai aucun cadeau de l'ennemi ! Plutôt mourir que trahir l'humanité !
Devant cette résistance, Airi décida d'adopter une autre approche. Sur sa veste se trouvait une plaque sur laquelle était inscrit son nom : Bruce Spark. À en juger par toutes les décorations qui ornait son uniforme, il devait être un aviateur assez renommé de l'armée de l'air. Il aurait été dommage de perdre un homme comme lui à cause d'un simple manque de coopération.
— Êtes-vous un bon instructeur ? enchaîna-t-elle sans transition.
Bruce la dévisagea sans comprendre.
— Pardon ?
— Je vous demande si vous sauriez enseigner à la jeune génération les rudiments de l'aviation.
— Tu te fous de moi, le robot ? Jamais je ne...
— Voyez-vous, beaucoup d'enfants ici présents n'ont jamais vu d'avion voler, le coupa-t-elle sans même l'écouter. Nous en possédons quelques-uns de notre propre conception, mais nous manquons de volontaires pour les faire décoller. Accepteriez-vous d'offrir ce spectacle à nos jeunes ? En échange, nous vous rendrons votre liberté et vous pourrez retourner auprès de votre famille avec ces appareils. Qu'en dites-vous ?
— Qu'avez-vous à y gagner là-dedans ? s'étonna le militaire, de plus en plus confus. Est-ce que c'est un piège et vous me donnerez un avion piégé qui explosera dès que j'atterrirai sur le sol américain ?
— Évidemment, je vous laisserai l'inspecter de fond en comble avant votre décollage si vous craignez cette situation.
— Soit tu es complètement buggée, soit tu es juste stupide ! On ne relâche pas un prisonnier ennemi comme ça ! Tout ça pour divertir des mômes ? À qui tu espères faire croire un truc pareil ? Nous sommes en guerre !
— Vous êtes en guerre contre nous, rectifia sèchement Airi. Vos gouvernements ont décrété que nous étions leurs ennemis et nous ont chassés. Cependant, pouvez-vous me citer une seule action que les AIntelect ont effectuée pour nuire à l'humanité ? Si vous réussissez, je suis prête à me rendre sur le champ.
Le militaire réfléchit de longues secondes. Finalement, faute d'argument et fou de rage contre lui-même, il s'écria :
— Vous essayez de nous exterminer pour nous remplacer !
— J'attends des faits, monsieur Spark. Pas des théories colportées par l'AVO. Vous n'êtes pas un perroquet, à ce que je sache. Vous êtes capable de raisonner par vous-même, il me semble.
— Tu m'insultes encore une fois et je te jure que...
— Je vais vous laisser vous faire votre propre opinion sur la question, le coupa à nouveau l'androïde. Ce soir, nous organisons un mariage entre deux amis qui me sont très chers. Tout Chrysantia est convié à la fête. J'aimerais vous y assistiez également avec vos collègues. Si vous jugez encore après cela que nous ne sommes que des machines sans cœur prêt à vous supplanter, alors je m'inclinerai. Toutefois, si vous changez d'avis, sachez que ma proposition de faire voler les avions tient toujours.
Sur ces mots, Airi retira les menottes qui enchaînaient les prisonniers à leurs chaises et appela ses gardes du corps pour garder un œil sur eux. Bien trop déconcerté par les agissements de celle qu'il prenait pour une révolutionnaire assoiffée de sang, Bruce ne tenta rien une fois libre. Il continua simplement à dévisager l'AIntelect avec un air de défi.
— Tout ça n'a aucun sens. On aurait réduit tes semblables en ferraille à recycler si on les avait capturés. Pourquoi ne comprends-tu pas que nous sommes ennemis et que jamais nos deux races ne pourront cohabiter ?
— J'imagine que c'est parce que, contrairement à vos dirigeants, et même si je ne suis qu'une machine, je n'ai pas perdu mon humanité. Si vous voulez bien m'excuser, j'ai un mariage à organiser, à présent. J'espère que vous apprécierez votre séjour à Chrysantia.
Puis Airi tourna les talons, laissant les militaires dans la confusion la plus totale.
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