"Chapitre 1: Yeux clos"
Pendant une fraction de seconde suivant l'explosion, il y avait un silence complet. De la poussière envahissait l'air, on voyait à peine les flammes dansées lentement, consumant ce qui restait de la camionnette. L'atmosphère passa d'un silence total à une cacophonie infernale en trop peu de temps pour le croire. D'un côté il y avait les cris de stupéfaction des témoins de l'accident, les hurlements de douleurs des blessés, et les lamentations des survivants. D'un autre côté on retrouvait la base de ce chaos sonore, activité typiquement Haïtienne, le bouilli-zin de certains témoins, secondé par des passants n'ayant rien vue de l'accident, expliquant aux plus curieux les détails qu'ils ont ratés. Une camionnette, traversant le carrefour de Delmas 48, s'était fait projeter par un camion-citerne dévalant la grande route sans frein. Après avoir roulé plusieurs fois sur elle-même elle alla s'écraser dans une station d'essence plus bas, puis cette dernière explosa. On comptait de nombreux blessés. C'était plus difficile pour les morts, vu qu'il ne restait pas grand-chose des cadavres. Tout le monde était sous le choque, la circulation était complètement bloquée. Tout le monde était horrifié par cette scène atroce, tout le monde sauf moi apparemment. Assise dans un minibus, je lisais un roman d'Agatha Christie. Les autres passagers eux répétaient en boucle des expressions marquant leur étonnement.
Personnellement la scène ne me disait rien. En gros ce n'était qu'un chauffeur négligent ayant frappé un autre, quelques morts que je ne connaissais pas, et plusieurs blessés que je ne connaissais pas plus. Point. Rien de plus que çà. Je ne voyais vraiment pas pourquoi en faire tout un plat au lieu d'appeler les urgences. Un puissant ''Anmwey'' me fit lever la tête un moment, et j'étais dégoutée. Pas par la scène, mais par le fait que la majorité des gens ne faisait que photographier l'accident, ou de le filmer. Un écolier assis a ma gauche avait déjà posté une photo sur des réseaux sociaux. Voilà dans quelle société je vis, et on s'étonne que je sois asociale. « Woy bon mdiw, mande Anna pou we, Anna e pa vre si été on kamyon gaz ki te frape li tap tou explose? ». Je la regardai un instant, ne sachant quoi dire d'une question aussi stupide, puis je retournai à ma lecture. « Mtchuipss, ou toujou ap fe stil ou menm ». Elle, s'était Christelle, limena peyi a, élève de première comme moi. La fille la plus connue de la promotion, la plus bavarde et la plus stupide en passant. Son ego démesuré faisait pitié. Je considère la beauté comme quelque chose de relatif donc je ne dirai pas qu'elle était affreusement laide. Cherchant toujours à être le centre d'attention de tout le monde, Christelle vivait, ou plutôt existait, pour être populaire selon elle. Ça bien sur si on était assez stupide pour lui donner ce qu'elle voulait.
La circulation se libérait un peu, le chauffeur, après quelque dizaine d'injures se fraya un chemin parmi la foule. On était déjà vendredi, le weekend s'annonce long avec ces élections. Le minibus me déposa juste en face de chez moi. Je pris ma valise et descendit après un merci peu chaleureux. Dormir, je ne voulais que ça, la semaine a été longue. Aussitôt entrée j'étais victime de l'interrogatoire habituel. « Kotew te ye? » me demanda ma tante. « Blokus » répondis-je avant d'aller dans ma chambre. Je n'étais pas très bavarde et elle le savait. J'avais au moins la liberté de ne pas parler, mon bien le plus précieux. Je me laissa tomber sur le lit, j'étais fatiguée. Fatiguée par l'école, fatiguée par mon train de vie, fatiguée par tout. Bien sur je n'étais pas assez folle pour me suicider, ce n'était donc pas une alternative a envisagée. Mais je me demande chaque jour la même question; A quoi bon vivre ainsi? Cet enthousiasme qu'on ressent en prenant part à une activité, ce soucie de ne pas avoir assez de temps pour un certain loisir qui nous tiens à cœur, j'ai perdu le souvenir de ce sentiment depuis bien longtemps. J'aurais bien aimer être une cinéphile mais ma connexion internet pourrie me l'en empêche. Je suis fascinée par l'art et la science, mais la société dans laquelle je vis donne peu d'importance à ces domaines, donc je n'ai pas l'opportunité d'aller à un musé décent et intéressant. Tout ce que les jeunes haïtiens de nos jours trouvent d'intéressant sont les partys, avoir une relation amoureuse, avoir une relation sexuelle, être populaire... Leur vie se résume à l'école, chill, trip, al nan pwogram, blaguer, manger. Je n'accuse pas tout le monde, Dieu m'en garde. Mais sur chaque 100 jeunes peut-être 12 ou 13 en font une exception seulement. Notre génération soufre de bien des vices ; tipantan, eklere, soumoun, zuzu, snob, sanwont, tripotay, visye (mpa vle we visye). Sans oublier le plus important d'entre eux, l'ignorance. Les pauvres croient en savoir assez, les riches pensent tout savoir, et ceux au milieu ne savent même plus quoi savoir. C'est malheureusement la réalité de la société. Les valeurs essentielles sont presqu'inexistantes. Le respect, la politesse ressemble plus a des attitudes forcées aujourd'hui. L'amitié s'est transformé en investissement, une chaine qui se brise pour un rien, ou tout simplement un beau théâtre. L'amour est devenu un bijou qu'on prend plaisir à montrer, on aime pour être bien vue, parce que tout le monde le fait. La foi? N'en parlons même pas. J'ai perdu tout attachement pour cette société surfaite, plastique, sans vrais couleurs. J'attends le jour où je serai complètement autonome et pourrai vivre où bon me semble. En attendant j'ai comme passe temps la lecture et le monde merveilleux du cinéma. Je pris mon sac, curieuse de connaitre la fin de "L'homme au complet marron", et c'est sans aucun étonnement que je réalise que j'ai encore une fois oublié mon livre dans le mini bus. Je me contentai de prendre une douche, manger le diri a sos pwa san vyann qu'on m'avait laissé, et d'aller me coucher. Il était encore 3h de l'après midi, mais dans ma chambre aux rideaux fermés c'était un jour sans soleil.
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