Chapitre 4
Deux semaines se sont écoulées depuis la fameuse soirée, et je n'ai pas revu Léo. Je l'évite au maximum, j'ai décidé de me tenir à carreau pour le reste du semestre. Terminé les hommes, les fêtes, tout ce que je veux c'est me concentrer uniquement sur ma dernière année d'études.
Le moment de présenter notre exposé sur le thème de l'agression sexuelle approche, et si Agathe est plutôt à l'aise avec le sujet, moi c'est tout l'inverse.
Entendre Monsieur Tourin enseigner le droit est un vrai bonheur, je bois littéralement ses paroles et assimile sans difficulté ce qu'il nous apprend à chaque cours. Mais j'appréhende un peu de l'entendre parler de ce genre de sujet. Lorsqu'il discourt sur des thèmes tels que le vol, le meurtre, l'empoisonnement ou l'escroquerie, les jeunes femmes ne sont pas trop en émoi, mais dès qu'il prononce un mot avec une connotation un peu osée, tous les sens de ces demoiselles s'affolent. Monsieur Tourin a une sacrée réputation à la fac, il est connu pour avoir eu des aventures avec plusieurs étudiantes, mais personne ne sait si c'est vrai. Ce n'est pas très étonnant à vrai dire, il est séduisant, intelligent, mais ça reste malgré tout illégal.
— Tu m'écoutes ? chuchote Agathe.
Nous sommes enfermées à la bibliothèque universitaire depuis plus de deux heures, et notre exposé n'a pas avancé d'un pouce.
— Oui. Enfin non. Que disais-tu ?
— Que je voudrais bien me faire agresser par Monsieur Tourin personnellement.
Elle pouffe et plusieurs têtes se lèvent autour de nous. En temps normal, les étudiants présents sont plutôt studieux, ils ne lèvent le nez de leur ordinateur ou de leurs cahiers que lorsqu'ils vont prendre une pause à la machine à café.
Je pince les lèvres pour m'empêcher de rire, mais Agathe m'achève avec une grimace terrible. La bibliothécaire finit par se lever et avancer droit vers nous. Je me recroqueville sur ma chaise, j'ai horreur de me faire remarquer.
— Mesdemoiselles, je vais vous demander de faire moins de bruit, ou de sortir si vous souhaitez continuer à discuter, piaille-t-elle.
— Pardon Madame, on ne recommencera pas, promet Agathe.
Elle nous tourne le dos en soupirant bruyamment. Agathe continue à rire, moi j'ai la mine déconfite.
— Oh ça va, respire ! murmure mon amie.
— Tu sais bien que je déteste ça.
— Il va falloir que tu apprennes à ne pas respecter toutes les règles à la lettre bichette. Laisse-toi un peu aller et vis !
— Je sais. Tu me le dis tout le temps.
— Mais tu ne m'écoutes pas !
— Je t'écoute, crois-moi.
Sur ces mots, je prends mes affaires et sors de la bibliothèque. J'ai besoin de prendre l'air, et de m'éloigner de tous ces regards rivés sur nous.
Une fois dehors, je prends une grande goulée d'air, suivie de près par Agathe.
— Tu es fâchée contre moi ? demande-t-elle d'une voix fluette.
— Non, mais là j'aimerais être seule.
Elle baisse la tête, et je commence à culpabiliser de lui avoir parlé sur ce ton.
— Bon, je rentre alors. On se voit demain ?
Ses grands yeux azur se plantent dans les miens, et j'ai du mal à résister à ce regard triste.
— A demain, dis-je en lui faisant une bise.
Elle sourit faiblement et part en me faisant un signe de la main. Je rentre dans ma chambre d'étudiant en trainant les pieds, une fois n'est pas coutume, je n'ai pas envie de me mettre au travail. Je surf brièvement sur internet, regarde quelques vidéos sur l'art et la manière de bien se maquiller, et décide que je ne dois plus me laisser distraire ainsi. Je dois impérativement réussir ce semestre, le prochain étant réservé au stage et au mémoire de fin d'études.
N'étant pas particulièrement motivée à travailler sur l'exposé, j'écris un brouillon de lettre de motivation et un CV afin de les envoyer à différents cabinets d'avocats et entreprises des environs. C'est un passage obligé, même si je ne tiens pas à être avocate, j'aimerais néanmoins être juriste en propriété intellectuelle. Je suis passionnée de livres et de musique, et travailler dans ce domaine est ce qui me tient le plus à cœur. Je m'occupe ainsi jusqu'au soir, et me mets au lit assez tôt, avec une série sur mon ordinateur.
Agathe : Bonne nuit ma poulette.
Moi : Bonne nuit à toi aussi !
Agathe : Tu m'en veux encore ?
Moi : Bien sûr que non.
Agathe : Je t'adore !
Moi : Moi aussi. Mais évite de me mettre la honte à l'avenir.
Agathe : Promis juré !
Je ne peux pas en vouloir à ma meilleure amie très longtemps, elle est irrésistible. Je me demande bien comment Ali ou Arnold ne sont pas déjà tombés dans ses bras.
Le lendemain, même si nous sommes samedi, nous avons décidé de mettre un point final à notre exposé. Nous devons le rendre le mercredi suivant, et il nous faut encore nous entrainer à le présenter oralement. Cette fois, je me suis déplacée chez Agathe, histoire de changer d'air et de ne pas me retrouver nez à nez devant la même bibliothécaire que la veille. Sa mère nous a laissé de la citronnade et des cookies faits maison avant d'aller se reposer, elle travaille aussi le weekend. Son père doit rentrer au milieu de la nuit, ce qui nous laisse le temps de travailler tranquillement.
Maëva passe à toute vitesse devant nous, et sa grande sœur, sentant le coup fourré, part immédiatement à sa poursuite. Elle l'intercepte juste avant qu'elle n'arrive à la porte d'entrée.
— Et où crois-tu aller, chipie ? demande Agathe, les mains sur les hanches.
— Je sors.
— Maman est au courant ?
— Ouais.
— Tu me crois stupide à ce point ?
Maëva soupire bruyamment et fronce les sourcils. Elle s'entend plutôt bien avec Agathe en temps normal, mais depuis quelques temps elle est dans une sorte de phase rebelle qui la rend assez insupportable.
— Je sors avec Marc. Je ne rentrerai pas tard.
— Vous comptez aller où ?
— Sûrement au bowling.
— Bon ok. Vas-y mais rentre avant que papa ne soit revenu. Je m'occupe de maman.
Sa petite sœur paraît d'abord étonnée, puis elle sourit largement. Elle nous fait un signe de la main et s'apprête à partir.
— Vava ? l'interpelle Agathe.
Elle se retourne, prête à riposter si sa grande sœur osait changer d'avis.
— Fais attention à toi, d'accord ?
Maëva lève les sourcils, et hoche la tête.
— Je ne suis plus un bébé tu sais.
— Je sais.
Agathe prend sa petite sœur dans ses bras et la serre fort contre elle. Maëva souffle et lève les yeux au ciel, excédée par cet amour débordant. La scène me fait sourire, je suis fille unique et je ne connais pas tout cela. Je ne sais pas ce que c'est de s'inquiéter pour sa petite sœur qui sort avec un garçon, ou de se bagarrer pour un oui ou pour un non. Mais je ne m'en plains pas, c'est certainement par habitude, mais j'aime le calme et la tranquillité, je ne m'ennuie jamais, même lorsque je suis seule.
Maëva finit par s'en aller, et Agathe revient à notre table de travail avec les yeux brillants.
— C'était très touchant, lui glissé-je en souriant.
— Arrête, je suis vraiment inquiète tu sais.
— Je sais, je le vois. Mais tout va bien se passer pour elle. Elle a été à bonne école avec toi.
— J'espère, souffle mon amie.
Je mets doucement la main sur son épaule et la presse légèrement. Agathe est rarement inquiète, elle est plutôt du genre à profiter à fond de chaque moment qui passe, mais dès que ça touche sa famille, c'est une autre histoire.
Nous finissons notre exposé plus rapidement que nous l'avions pensé. Agathe qui d'habitude est très bavarde, a été plutôt studieuse pour une fois.
— Pause ? proposé-je.
— Il y a intérêt !
Nous commandons une pizza, tandis que ma meilleure amie tente de convaincre sa mère que Maëva est chez son amie à trois pâtés de maison d'ici, et qu'elle reviendra dans une heure. Il est déjà vingt heures trente, et je ne dois pas tarder à m'en aller si je veux attraper un métro qui me ramènera chez moi.
— Reste dormir, on pourra discuter ce soir, et demain on bossera sur l'exposé, propose mon amie.
— J'aimerais beaucoup, mais j'ai promis à Camille de l'aider pour son devoir demain.
Camille est ma voisine de chambre qui s'est installée à Paris depuis le début du semestre. Elle ne connait personne à la fac, et elle est un peu perdue dans les matières. Elle est en deuxième année de droit, et la matière fatale à tout étudiant à ce niveau là est le droit administratif. Tout le monde s'interroge sur le fait de savoir à quoi pourra leur servir d'apprendre que le lancer de nain a été interdit en 1995. Mais il reste malgré tout utile d'en connaître le fonctionnement et les règles.
— Tu ne peux pas la voir un autre jour ?
— Je lui ai promis d'être disponible demain matin. Mais on prévoit de faire ça très bientôt, ne t'en fais pas.
Elle m'adresse une moue boudeuse qui me fait exploser de rire.
Après avoir avalé la pizza et regardé une émission idiote à la télé, je prends le chemin du retour. Pierre, le père d'Agathe, a la gentillesse de m'accompagner jusqu'à la gare alors qu'il sort d'une journée particulièrement difficile.
Agathe : Envoie-moi un message quand tu es rentrée bichette.
Moi : Mais oui, ne t'en fais pas.
Agathe : Tu es où là ?
Moi : À cinq stations. Je range mon téléphone, je te préviendrai quand je serai chez moi.
J'ai aperçu un groupe de jeunes au fond du wagon, et ils n'ont pas l'air d'être sobres. Je range mon téléphone, de peur qu'ils ne s'en prennent à moi à cause de cet objet. Évidemment, ils ont dû sentir ma peur à des kilomètres puisqu'ils ont le regard rivé sur moi. L'un d'entre eux s'approche en titubant, je prie pour que le métro s'arrête à une station, mais nous sommes malheureusement au beau milieu d'un tunnel.
— Salut ma jolie.
Je fais de mon mieux pour ne pas le regarder, et fixer mon attention vers la fenêtre. J'y vois mon reflet, j'ai l'air d'une biche effrayée. Mes yeux noisette se sont assombris et semblent écarquillés. Je prends une grande inspiration et tente de changer l'expression de mon visage. Je ne dois pas donner l'impression d'être morte de peur, même si c'est effectivement le cas.
— Hey, tu pourrais répondre quand on te cause.
Ne pas lui répondre l'énerve encore plus, et ce n'est absolument pas mon intention.
— Pardon ? Désolée, je ne vous avais pas entendu.
— J'ai bien envie de faire un bout de chemin avec toi, siffle-t-il.
Il s'assied près de moi et un relent d'alcool envahit mon nez.
— Mon frère vient me chercher à la gare, dis-je en tentant de prendre de l'assurance.
— C'est quoi ton nom ?
Il ne semble pas avoir été effrayé par ce que je lui ai dit. Je n'ai aucune idée de la façon dont je vais pouvoir me sortir de là.
— Juliette, je mens.
— Alors je vais être ton Roméo !
Il s'esclaffe, ce qui ameute sa bande qui s'approche dangereusement de nous. Celui qui me fait face pose la main sur ma jambe, tout en regardant ses acolytes de travers. Ce signe de possession ne me plait pas du tout, mais je n'arrive pas à bouger. Je suis littéralement pétrifiée.
Quelques secondes avant que tous les autres n'arrivent à notre hauteur, le train ralentit et j'aperçois avec soulagement ma station. J'attends que le train s'arrête totalement afin de garder un effet de surprise, et au moment de l'ouverture des portes, je m'élance vers la sortie. J'ai le temps d'accélérer et de passer par dessus les tourniquets, passer mon titre de transport m'aurait fait perdre trop de temps. J'entends leurs pas qui résonnent derrière moi, bien évidemment ils me suivent. Si je cours jusque chez moi, je prends le risque qu'ils connaissent l'endroit dans lequel je vis, et j'en ai aucune envie.
Je descends quatre à quatre les marches qui mènent jusqu'à l'université, avec un peu de chance je tomberai sur des hommes de la sécurité qui font souvent des rondes pendant la nuit. Les petites allées sont peu éclairées, ce n'est pas vraiment rassurant lorsque l'on est une femme et que l'on rentre tard le soir.
Je presse le pas, la bande s'est rapprochée. Ils rient et hurlent qu'ils ne me lâcheront pas, que je suis leur proie. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale, j'ai l'impression de me retrouver dans un film, et je n'ai pas du tout envie d'une fin tragique.
Je me mets à courir en passant entre les bâtiments, si seulement j'avais un endroit où me cacher.
Au bout de quelques minutes, je ralentis afin de reprendre mon souffle et prends le risque de me retourner. Ils ne sont plus là, je les ai semés ! Je m'appuie contre le mur le plus proche, et me laisse glisser au sol. Je prends ma tête entre mes mains et me mets à pleurer. Mes nerfs lâchent, je sanglote et tremble pendant un bon moment, avant de me rendre compte que des voix s'approchent à nouveau. J'aurais dû courir pour me réfugier dans la cité universitaire, s'ils me voient je suis foutue.
Je me relève et pars dans la direction opposée au vacarme que fait la bande. Là où je me trouve il n'y a aucun éclairage, je ne vois même pas où je mets les pieds. Je finis par percuter quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Pourvu que ce soit un agent de la sécurité !
— Je suis désolée, ils me suivent, aidez-moi s'il vous plaît, je ne sais plus quoi faire pour leur échapper !
Il ne répond pas, mais sous le clair de lune j'aperçois un sourire mauvais, un de ceux que l'on ne voudrait jamais rencontrer. Je recule, mais plusieurs silhouettes m'entourent. Ils m'ont rattrapée, c'en est fini de moi.
— Regardez qui voilà, dit une voix nasillarde.
Je reconnais immédiatement le lourdaud du métro. Il empeste l'alcool et le cannabis, je déteste cela. Plusieurs mains m'effleurent, je n'arrive pas à savoir combien, ni d'où elles viennent.
— Laissez-moi tranquille ! je hurle de toute mes forces.
Leur seule réponse est de ricaner, sans pour autant cesser de poser leurs sales pattes sur moi. C'est sûr, demain on parlera de mon cadavre retrouvé dans une allée sombre de l'université.
Je suis soudain projetée contre un mur, et je sens que l'on déchire mes vêtements. J'ai beau lutter et hurler, rien n'y fait, je ne suis pas assez forte, ils sont trop nombreux. Ma voix faiblit peu à peu, c'est peine perdue, personne ne m'entend.
— Arrête de brailler ! m'ordonne l'un des hommes.
Je me débats une fois encore, espérant que ce sera suffisant pour qu'ils comprennent que je n'abandonnerai pas, mais l'un d'entre eux me secoue et me frappe violemment au visage. Le goût métallique du sang envahit ma bouche, et mes oreilles bourdonnent, juste avant que je ne sombre dans l'inconscience.
Au moins, je ne sentirai rien, pensé-je avant de laisser les ténèbres m'emporter.
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