Chapitre 1
Nous sommes déjà début septembre, et la rentrée s'annonce doucement. Au mois de juillet, Agathe et moi avons appris que nous étions admises toutes les deux dans le même Master de droit privé, et bien évidemment elle a tenu à faire les boutiques afin d'avoir du style pour la rentrée. Elle estime que nous sommes maintenant dans la cour des grands, et qu'il faut se vêtir en conséquence.
Tous les prétextes sont bons pour faire du shopping selon ma meilleure amie, et la fête qui a lieue juste après la fin des partiels en a été un énorme. Elle m'a traînée dans pas moins de quinze boutiques, juste pour trouver la robe de soirée idéale, qui mette son teint et son corps en valeur. Une robe qu'elle ne remettra bien sûr jamais de sa vie.
Les vêtements sont comme les hommes pour Agathe, éphémères et interchangeables. Aucun des deux ne lui convient bien longtemps, elle est une grande insatisfaite. Quant à moi, je n'aime collectionner ni les hommes, ni les vêtements. Je ne suis pas aussi coquette que mon amie, j'aime me maquiller légèrement mais je me balade la plupart du temps en jean et t-shirt non assortis.
La fête s'est plus ou moins bien passée, elle a été comme je l'attendais, bruyante et alcoolisée. Je n'ai pas attendu la fin pour m'échapper, avec l'approbation d'Agathe qui s'est trouvée un prince charmant pour la soirée.
— Sérieusement ?
Je tiens à bout de bras un jean slim taille basse et un dos nu vert pastel. Mon amie m'a fourré tout un tas de vêtements dans les bras en me faisant entrer de force dans une cabine d'essayage.
— Quoi ? ça ira super bien avec tes yeux ! dit-elle avec un débordement d'enthousiasme.
— On avait dit qu'on refaisait notre garde-robe pour la rentrée non ?
— Oui, et ?
— Tu crois vraiment que je vais porter ça pour aller en cours ?
— Bien sûr ! et tu seras fabuleuse ! s'exclame Agathe en faisant papillonner ses cils.
Je soupire, il est inutile de contredire le grand manitou de la mode. Je passe rapidement le jean, dans lequel j'ai du mal à entrer tant il est serré, et le haut qui me fait me sentir carrément nue. Le seul point sur lequel elle a raison, c'est que la couleur verte s'accorde superbement bien avec mes yeux noisette. C'est la partie de mon corps que je préfère, mes yeux de biche comme dis ma mère. Quant au reste, et bien mes cheveux bruns mi-longs sont indomptables, et mon corps n'est pas spécialement bien proportionné. Ma meilleure amie est tout mon contraire, elle est grande, blonde aux cheveux longs lissés en permanence, de grands yeux bleus dans lesquels tous les mâles adorent se perdre, et un corps digne d'un mannequin lingerie. J'ai parfois un peu honte de me tenir à côté d'elle, nous sommes tellement différentes.
— Bon tu sors de là cendrillon ? s'impatiente-t-elle.
Je sors timidement de la cabine, et suis accueillie par un sifflement réprobateur.
— Arrête de rentrer la tête dans tes épaules, on dirait que tu es bossue ! Bombe la poitrine, tu es canon meuf !
Je lève un sourcil, perplexe. Je n'ai pas une once de confiance en moi, et cette tenue me met plutôt mal à l'aise.
— Bon d'accord, je vais te trouver quelque chose de plus sobre.
Je l'embrasse sur la joue et obtiens un joli sourire en retour. Elle me connait vraiment par cœur !
Plusieurs heures après le début de notre périple, nous en avons enfin terminé avec le shopping. Je jure de ne plus jamais me laisser entrainer par la folie d'Agathe, et je finis par me rappeler que c'est ce que je dis à chaque fois, jusqu'à ce qu'elle me supplie d'y retourner avec ses grands yeux plein de larmes. Elle est très douée, et je me demande souvent pourquoi elle veut devenir juge et non comédienne.
Je pose mes sacs dans l'entrée de ma chambre et fais voler mes bottines à travers la pièce. J'ai les pieds en compote.
J'allume mon ordinateur portable que j'avais laissé en veille avant de partir, et me rends directement sur ma messagerie instantanée. Agathe m'a déjà laissé un message alors qu'elle n'est même pas encore rentrée chez elle.
Agathe : Alors poucinette, heureuse ?
Je souris, elle me trouve toujours de petits surnoms adorables, que je suis bien incapable de lui rendre. Mais elle ne demande jamais rien en retour, c'est notre force, nous nous comprenons sans même nous parler.
Moi : Épuisée tu veux dire ! je te hais <3
Agathe : Moi aussi je t'aime ;)
Moi : Prête pour demain ?
Agathe : Carrément ! On fait enfin parti de l'élite tu te rends compte ?
Moi : Il était temps. Envoie un message quand tu es rentrée ok ?
Agathe : Wep ! comme d'hab !
Je remets l'écran en veille et m'allonge sur mon lit. La rentrée me met en joie autant qu'elle me stresse, la nouveauté n'est pas ce que je préfère. Je jette un coup d'œil dans la pièce et grimace, il faut vraiment que je fasse un brin de ménage. Je suis revenue de chez mes parents depuis quelques jours seulement, j'ai profité de l'air marin et du soleil de la Vendée pendant tout l'été, mais je suis tout de même contente de retrouver la civilisation.
Je coiffe mes cheveux en chignon et m'attèle à la tâche. En une heure tout est nickel et après une bonne douche, je me sens beaucoup mieux. J'ai la chance d'avoir une salle d'eau intégrée dans ma chambre, ce qui n'est pas le cas de la plupart de celles de la cité universitaire. Je tiens à mon intimité, et me balader à moitié nue dans les couloirs n'aurait pas vraiment aidé à la préserver. Ce n'est pas grand, mais il y a l'essentiel, un lit, un bureau, une petite cuisine et ma précieuse douche. C'est bien assez pour moi, et de toute façon plus on a d'espace et plus on accumule d'objets inutiles.
Ce soir là, je me couche tôt afin d'être en forme pour rencontrer mes nouveaux profs le lendemain.
Bam ! Bam ! Bam !
Je me réveille en sursaut. Je regarde autour de moi, rien ne semble s'être écroulé pendant mon sommeil.
Bam ! Bam ! Bam !
— Elena ! Qu'est-ce que tu fous !
Je jette un coup d'œil sur mon téléphone, 8h15 ! je vais être en retard pour mon premier jour de cours !
J'ouvre la porte en trombe et découvre une Agathe furieuse. Non seulement on va être en retard, mais en plus j'ai loupé le café-papote du matin.
— Dis-moi que la raison pour laquelle on va se faire remarquer le jour de la rentrée est couchée dans ton lit en ce moment même.
Je lève les sourcils, pas certaine de comprendre où elle veut en venir.
— Si tu n'es pas en retard à cause d'un mec alors pourquoi ? demande-t-elle, les mains sur les hanches.
— Je n'ai pas entendu mon réveil...
Elle écarquille les yeux, s'apprête à ouvrir la bouche pour me répondre mais elle se ravise. J'en profite pour courir m'habiller, heureusement que j'ai pris ma douche avant de me coucher. Une toilette de chat sur le visage et un brossage de dents plus tard, je suis prête.
— Tu vas vraiment y aller comme ça ?
Agathe me détaille de la tête aux pieds en plissant le nez. Je suis son regard, mais je ne vois vraiment pas ce qui cloche. J'ai revêtu un jean coupe droite, et un petit pull gris chiné cintré. Un look simple mais qui me ressemble assez.
— On n'a pas fait du shopping hier ?
— Chut. On y va.
J'entraine miss monde derrière moi et nous nous mettons à courir le long des cinq-cents mètres qui nous séparent du bâtiment de droit. Nous grimpons quatre à quatre les marches jusqu'au troisième étage et mettons deux bonnes minutes à trouver la salle. Lorsque l'on entre, tous les étudiants sont là, mais le directeur du master et les autres professeurs ne sont pas encore arrivés.
— Ouf ! pas de rentrée de la honte pour nous, s'extasie mon amie en s'asseyant à une des tables.
La salle est vraiment petite, pleine de bouquins anciens rangés dans des bibliothèques, elles-mêmes fermées par des vitrines le long des murs. Un vrai paradis à mes yeux. Les tables sont disposées en un grand rectangle, afin que tout le monde puisse se faire face. Nous ne sommes pas très nombreux, une quinzaine tout au plus, et il semble que les filles et les garçons soient en nombre égal.
Agathe commence à discuter avec Arnold et Ali, deux jeunes hommes qui paraissent la trouver à leur goût. On aurait du mal à leur en vouloir, elle est superbe avec sa robe d'été bleue turquoise.
Le directeur du Master, suivi de deux professeurs, entrent dans la salle et le silence se fait instantanément. Je suis heureuse de retrouver des visages connus, qui ont été mes profs durant mes premières années de fac.
Monsieur Ribaud, le directeur, s'assied au centre de la table située au fond de la salle, face à tous les étudiants.
— Bonjour à tous, nous avons un peu de retard donc nous allons commencer, les retardataires nous rejoindront un peu plus tard. Je vous présente votre professeur de droit des procédures, Madame Ermont, et votre professeur de droit des obligations, Monsieur Sanchez. Quant à moi, je suis Monsieur Ribaud et je vous enseignerai le droit des sociétés. Nous ne sommes pas au complet, mais les autres professeurs se chargeront de se présenter au fur et à mesure lors de leurs cours. Pour le moment ce n'est qu'une présentation du Master et des différentes matières que vous aurez à étudier pendant l'année.
Agathe me donne un coup de coude et désigne d'un signe de tête Monsieur Ribaud.
— Il est mignon, non ? chuchote-t-elle.
— Ah non, tu ne commences pas sur ce terrain.
Elle hausse les épaules en soupirant, et rejette sa chevelure blonde derrière son épaule. Je lève les yeux au ciel, cette année ne va encore pas être de tout repos.
La porte s'ouvre dans un grincement désagréable, et tous les regards se tournent vers le retardataire.
OH. MON. DIEU !
Il est là, le bellâtre aux yeux bleus qui a surveillé les partiels. Pendant la moitié de mes examens je lui ai jeté des coups d'œil discrets, et j'aurais juré que lui aussi m'avait épié de temps en temps. Ou alors mon imagination m'a joué des tours et a juste mis en scène mes fantasmes, ça ne serait pas la première fois.
Aujourd'hui, il est vêtu d'un costume gris anthracite, assorti d'une chemise blanche et d'une cravate couleur prune. C'est étonnamment chic pour une rentrée universitaire, mais après tout nous sommes en Master, et certaines étudiantes sont elles-mêmes venues en tailleur.
— Ferme la bouche bichette, tu baves, raille Agathe.
Je sursaute et le suis des yeux, il cherche une place. Étrangement, il ne s'assied pas à côté des autres étudiants près de l'entrée, il passe le long des vitrines pour arriver du côté des professeurs, au fond de la salle. Il les salue un à un et s'installe à côté de la prof de procédures.
Agathe et moi échangeons un regard stupéfait. C'est un professeur !
— Bon, voilà Monsieur Tourin, votre professeur de droit pénal, déclare le directeur. Maintenant que nous sommes au complet, passons à la présentation des matières.
Pendant que chaque professeur détaille son programme, Monsieur Tourin passe chaque étudiant en revue d'un simple coup d'œil. Je m'affaisse sur ma chaise au fur et à mesure que son regard arrive vers moi, je dois être écarlate, quelle honte !
Je tente de cacher mon visage derrière ma main, mais Agathe me donne un coup de genoux et me fait les gros yeux. De peur de me faire griller par le directeur je relève la tête... droit sur Monsieur Tourin. Ses yeux d'un bleu profond m'hypnotisent instantanément, je ne parviens même plus à détourner le regard. Il plisse les yeux et me fixe un court moment, avant de passer à la personne suivante. En m'apercevant que j'avais retenu ma respiration jusque là, je souffle longuement, et surtout, je prie pour qu'il ne m'ait pas reconnue.
Une heure et demie plus tard, la présentation est terminée, et la journée aussi. La vraie rentrée a lieue demain, nous avons deux cours de trois heures de prévus, un de droit des sociétés et un autre de droit pénal. J'avale péniblement ma salive, ça va être compliqué d'avoir cours avec Monsieur Tourin, comment est-ce que je vais pouvoir me concentrer avec un canon pareil dans les parages !
— Dis donc, il te fait de l'effet Monsieur beau-gosse ! s'esclaffe Agathe.
— Je ne vois pas de qui tu parles.
— Oh arrête, pas à moi bichette, tu rougis à vue d'œil on dirait une jolie pivoine.
Je porte les mains à mes joues, elles sont bouillantes. Il va falloir que j'apprenne le self-control si je veux survivre cette à année de cours.
— Oui bon d'accord. Mais il est prof, et moi étudiante. Ça s'arrête là.
— Il n'y a rien de mal à lorgner sur le menu lorsque l'on est au régime ma chérie.
J'éclate de rire. Elle n'en loupe pas une !
— On va boire un verre ? propose mon amie.
— Je pensais plutôt aller faire un tour à la bibliothèque universitaire pour voir ce qu'il y a en rayon qui concerne nos matières.
— Tu n'es pas sérieuse là. On n'a même pas commencé les cours !
— Je sais, mais autant prendre de l'avance non ?
— Comme tu veux, se résigne-t-elle.
Elle m'embrasse sur les deux joues avant de filer pour attraper son métro.
La bibliothèque est calme, les étudiants n'ont pas encore envahi mon havre de paix. J'aime flâner dans les rayons, feuilleter les livres, en humer l'odeur, et trouver des histoires que personne ne connait. Si j'ai bien besoin de quelque chose à cet instant, c'est d'évasion. Je parcours les différentes étagères à la recherche de livres en rapport avec nos cours, et prends un ouvrage d'histoire du droit, qui fait partie de mes options, ainsi qu'un mémento de droit des sociétés, en vue de le feuilleter d'ici le cours de demain. Autant savoir de quoi le prof va parler. Je tombe sur un pavé de droit pénal qui n'est pas rangé en rayon, mais laissé à même le sol. S'il y a bien quelque chose qui me dérange, c'est que l'on ne prenne pas soin des livres. Une page cornée, arrachée ou un coup de stylo me rendent carrément dingue.
Je lis la quatrième de couverture et aperçois une image familière en fin de page. La photo de Monsieur Tourin ! Décidément, je suis maudite. Je prends tout de même le livre avec moi, autant le lire maintenant que je l'ai en main.
Les bras un peu trop chargés, ce qui devait arriver arriva. Je trébuche sur un sac que quelqu'un a négligemment laissé dans l'allée et me retrouve sur les fesses, entourée de tous mes bouquins. Tout en maugréant, je ramasse certaines de mes affaires qui ont pris la poudre d'escampette et mets la main sur le premier livre qui se trouve à ma portée. Une autre main s'avance au même moment pour le prendre, et son contact me donne une décharge électrique, au sens littéral du terme.
— Aie ! Mais ça ne va pas de...
Je lève les yeux. Trop tard. Monsieur Tourin me fait face, un sourire en coin et le regard amusé. Je décréte désormais cette journée comme la plus poissarde de ma vie, loin devant celle du malaise dans la cantine du collège, et de la pose de mon appareil dentaire.
— Désolé, je ne voulais pas vous faire mal.
Il frotte sa main contre le chariot en métal juste derrière lui afin chasser l'électricité statique, et me la tend pour m'aider à me relever. En posant ma main dans la sienne, des fourmis me parcourent tout le bras et se dispersent dans tout mon corps. Et ça n'a rien à voir avec le petit choc électrique qui m'a piqué juste avant.
— Merci, je murmure.
Il m'aide à ramasser mes livres, et je suis rouge de honte à l'idée de m'être encore une fois ridiculisée devant lui. Il détaille le livre de droit pénal et me le tend avec un grand sourire.
— Très bon choix.
Il a une voix très grave, de celles qu'on ne peut oublier et que l'on rêve d'entendre nous susurrer des mots doux. Je secoue la tête, ce n'est ni le lieu, ni le moment de penser à ça.
— Merci...je répète.
Quelle nulle !
Il passe sa main dans ses cheveux châtains et se racle la gorge. Au terme d'un moment gênant qui paraît durer une éternité, il me fait un signe de tête et s'éloigne.
Je porte la main à ma poitrine, mon cœur bat si fort que j'ai peur qu'il sorte de ma cage thoracique sans prévenir.
Je rentre en vitesse dans ma petite chambre et ouvre ma messagerie en ligne.
Moi : Tu es là ?
Agathe : Toujours ! Tu as fini ton shopping littéraire ? ;)
Moi : Oui et tu ne devineras jamais qui j'ai croisé à la BU !
Agathe : Raconte !
Je lui relate tout depuis le début et attends sa réaction. Les trois petits points signifiant qu'elle est en train d'écrire se mettent à clignoter en bas de la boîte de dialogue, puis ils s'arrêtent. Ils clignotent à nouveau quelques secondes, mais aucune réponse ne s'affiche sur mon écran. Je vais devenir folle à ce rythme !
Moi : Un problème ?
Agathe : J'essaye de formuler une phrase qui ne te vexerait pas, mais je t'avoue que j'ai du mal.
Moi : Oui je sais, c'était nul. C'est notre prof, j'aurais au moins pu lui parler des cours, ou de la fac, ou même du beau temps.
Agathe : Tu aurais surtout pu l'inviter à aller boire un verre !
Moi : C'est une blague ?
Agathe : Ben non pourquoi ?
Moi : C'EST NOTRE PROF AGATHE !
Agathe : Et alors ? Tu es majeure et vaccinée non ?
Moi : C'est juste interdit par la loi, par le règlement et même par la bienséance, mais à part ça aucun problème...
Agathe : Arrête de trop respecter les règles poulette, tu me fatigues...
Moi : Je sais...
Agathe : On préparera un plan d'attaque dès demain.
Moi : Je ne crois pas...
Agathe : Ok, on verra alors ?
Moi : On verra ;)
Elle se déconnecte, et je passe le reste de ma journée le nez dans mes bouquins, à me repasser la scène de la bibliothèque en boucle, et à regretter que personne n'ait inventé de machine à voyager dans le temps qui aurait pu m'aider à recommencer cette journée depuis le début.
N'hésitez-pas à me faire part de vos commentaires, vos avis, et à me dire si ce format vous convient ou s'il est un peu trop long auquel cas je scinderai les prochains chapitres en 2 ;)
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