Chapitre 3
Bonsoir ! Bonsoir !
Voici le chapitre 3 ~
Comme je le disais sur Instagram, les chapitres seront désormais publiés le vendredi soir au lieu du jeudi soir. Petit détail d'organisation ^^
Bonne lecture !
_____________________________
Le lendemain matin, l'aube passant timidement entre les volets entrouverts vint réveiller les plus matinaux. Junghyun fut le premier debout et esquissa un sourire en voyant l'état du salon devenu dortoir. Leve dormait confortablement sur le canapé, allongée sur le côté, un large coussin maintenant son ventre rond tandis que Namjoon se réveillerait sans doute avec un mal de dos étant donné qu'il était assis sur un tabouret, la tête à côté de celle de sa compagne. Le monstrueux trio dormait sur le tapis, Yibo en boule et Taehyung en étoile de mer, pendant que les bras de Jungkook servaient de couverture à Quĩn, blottie contre lui depuis les quatre heures du matin, heure à laquelle il avait enfin abandonné l'idée de la repousser.
Junghyun réveilla doucement Hoseok qui devait ouvrir boutique.
- Quelle heure est-il ?
- Huit heures et demie.
- J'ai quelques longues heures avant que les gosses émergent, je vais jeter un œil à leurs Jetflys. Tu vas bosser ?
- Oui, je donne un cours dans trente minutes.
- T'es en retard.
Junghyun acquiesça, bien conscient que la précédente soirée avait été une mauvaise idée. Il salua son ami dans un long bâillement avant de sortir de l'appartement et de grimper sur son propre véhicule. Fort heureusement, la moitié des raccourcis que Jungkook connaissait, c'était lui qui les lui avait fait découvrir, laissant le soin à Taehyung de lui montrer l'autre moitié censé être inaccessible. Lorsqu'il arriva sur le circuit d'entraînement, ses élèves étaient déjà là et l'accueillirent en joie. Il serra la main des parents qui embrassèrent leurs enfants avant de partir travailler.
- Salut les champions juniors, comment ça va aujourd'hui ?
Les sept petits âgés de dix à quinze ans crièrent en cœur un joyeux «prêts pour voler ! »
- Bien, aujourd'hui je vais vous enseigner la chute libre et la reprise de contrôle. L'un ou l'une d'entre vous peut me dire à quoi sert la chute libre dans la discipline du Jetfly ?
- À démarrer !
- Exact.
- À prendre de la vitesse !
- Effectivement.
- À simuler une chute pour leurrer son adversaire !
- Mais vous connaissez déjà tout ma parole, je vais vous laisser faire le cours à ma place si ça continue, s'enthousiasma Junghyun fier de ses élèves. La chute libre permet une dernière chose, quelle est-elle ?
Les enfants se creusèrent les méninges pendant quelques secondes mais aucun d'eux n'énonça la réponse.
- C'est une technique qui facilite le passage d'une barrière ou d'un champ magnétique. À votre avis pourquoi ?
- Parce que les moteurs de Jetfly ne fonctionnent pas à l'intérieur d'un champ magnétique.
- C'est juste.
- Mais pourquoi aurait-on besoin de passer une barrière magnétique, Junghyun ?
- Vous n'aurez certainement pas besoin d'appliquer cette pratique mais il est bon de la connaître ne serait-ce que pour votre culture générale. Comme vous le savez, notre cité, tout comme les quatre autres et le Coal Train qui les relie, est entourée d'une barrière magnétique obsidienne qui favorise une atmosphère viable et leur lévitation. En dehors de ces enceintes invisibles, nos véhicules ne fonctionnent plus. Mais admettons aujourd'hui que l'un ou l'une de vous se retrouve par erreur en dehors de cette barrière, il vous faudra retrouver le contrôle de votre véhicule afin de le diriger sans aucune énergie vers l'intérieur du champ et de le redémarrer. Aujourd'hui, je vais vous apprendre toutes les connaissances sur la chute libre afin que vous ne soyez jamais surpris par votre environnement ou situation.
- Mieux vaut prévenir que guérir ! s'exclama un élève.
- Absolument. Allez, en selle !
Les enfants montèrent à bord de leurs Jetflys respectifs et Junghyun s'assura que tous portaient un casque bien attaché et une combinaison. Ses élèves avaient commencé leur enseignement par un apprentissage théorique rigoureux et la mise en application et le vol physique n'était autorisé qu'après un certain nombre d'examens. Ils passaient des niveaux de maîtrise qui, une fois le niveau dix atteint, leur donnerait la possibilité de participer à leurs premières compétitions. C'était la formation habituelle pour les pilotes de Jetfly qui commençaient souvent très jeunes.
Toutefois, il n'était pas rare que des conducteurs se forment illégalement auprès de mentors non répertoriés, dans les rues du plus bas palier, sur des circuits abandonnés ou entraînés par des membres de leur famille comme un héritage. Ceux-ci obtenaient leurs attestations de niveaux par des biais tout aussi frauduleux mais pouvaient tout de même se présenter aux compétitions.
Le Jetfly de compétition était une pratique devenue très tardivement officielle qui découlait d'une tradition informelle et clandestine, symbole de la liberté et du dépassement de soi. Il avait longtemps été associé à une communauté anti-système et révolutionnaire. Une minorité que le gouvernement avait voulu assouplir en reconnaissant leur pratique tout en affermissant le contrôle sur celle-ci. Ainsi, beaucoup de pilotes refusaient d'appartenir à ce nouveau « sport national » devenu marchandise, divertissement et argument politique.
Taehyung en était un parfait exemple. Il avait appris le Jetfly auprès de son père et avait continué seul sans jamais passer un niveau de maîtrise, sans jamais participer à une compétition officielle, sans jamais donner un cours accrédité à Jungkook ou Yibo. Pourtant, ses amis avaient de nombreuses fois été témoins de son excellent niveau.
Junghyun, quant à lui, s'était plié aux règles pour pouvoir faire du Jetfly son métier et transmettre sa passion à d'autres jeunes pilotes. Il bénéficiait de nombreux avantages et d'un bon salaire qui lui avait permis de devenir autonome rapidement et de ne plus dépendre de ses parents envers qui il cultivait une certaine rancœur. Il avait formé Jungkook légitimement tout en autorisant Taehyung à compléter ses enseignements secrètement. Son cadet avait ainsi pu participer très tôt à des tournois d'envergure nationale, ce qui arrivait relativement plus tard pour des coureurs qui choisissaient de se former par leurs propres moyens.
Junghyun mena les jeunes sur le bord du circuit dont l'extrémité plongeait en piqué vers les profondeurs de la cité.
Un jetfly à l'arrêt, dans un garage ou sur un sol plat, était maintenu en équilibre par une béquille lévitationelle qui permettait de le faire avancer sur de petites distances sans avoir besoin d'allumer le moteur. Le démarrage en chute libre de ce type de véhicule était la manœuvre la plus complexe. Aussi, jusqu'à ce cours décisif, c'est leur professeur qui prenait en charge le démarrage en les arrimant derrière son propre véhicule le temps de la descente. Une fois le moteur en route le jetfly était plus facilement maniable pour les enfants.
- Pour cet exercice, j'attacherai comme d'habitude mon véhicule au vôtre dans les cas où vous n'arriveriez pas à démarrer, reprendre le contrôle ou encore si vous êtes pris d'angoisse. Mais cette fois je vous guiderai pour effectuer le démarrage en autonomie.
- Junghyun, pourquoi tu n'as pas ton Jetfly habituel aujourd'hui ?
- Bien vu petit malin. en effet, ce matin, je vous accompagne à bord d'un vaisseau plus large et résistant que les Jetflys. Lors des cours précedents, j'entrainais votre véhicule vers le bas avec la vitesse de chute de mon vehicule. Mais cette fois-ci, je dois être capable de retenir vers le haut le poids de votre véhicule si vous ne parvenez pas à démarrer. Savez-vous qu'avec la vitesse votre poids et celui de votre véhicule est multiplié par dix !
Les jeunes poussèrent des exclamations de surprise.
- Ne vous en faites pas, j'assurerai votre sécurité.
Les enfants hochèrent la tête.
Le démarrage d'un Jetfly était déjà une épreuve complexe. La manœuvre nécessitait une prise de vitesse rapide et une distance assez longue pour laisser la place à la flamme d'énergie de se déployer. Au sein de ces cités étriquées, les conducteurs avaient adopté le démarrage à la verticale comme la méthode la plus efficace.
Bien que les enfants aient l'habitude du vide et de la hauteur, la difficulté aujourd'hui consistait à se laisser tomber en avant et se laisser emporter vers le fond. Un exercice qui incarnait la dangerosité de cette discipline et semblait s'opposer à toutes les règles de sécurité théoriques qu'ils avaient pu apprendre.
Le poids du véhicule enfonçait un Jetfly dans le vide par dizaines de mètres par seconde. Une chute libre durait en moyenne et en fonction du design du Jetfly, cinq à neuf secondes. Plus la chute était longue, plus la vitesse emmagasinée était importante et le démarrage difficile. Les temps compris entre sept et neuf secondes n'étaient utilisés que pour les compétitions car jugés trop dangereux et trop rapides pour la conduite quotidienne et étaient dûment contrôlés.
Junghyun commença par leur faire plusieurs démonstrations en expliquant dans son oreillette les étapes de démarrage puis il les fit passer un par un.
- Qui veut commencer ?
Une jeune fille s'avança en levant la main déterminée.
- Super ! Je te laisse t'attacher à ton véhicule et je m'occupe de le sangler au mien.
Une fois amarrée, elle se positionna au bord du précipice et respira un grand coup. En étroite communication avec Junghyun, elle écouta attentivement ses directives.
- Il te faudra piquer en ligne droite, en maintenant fermement ton volant pour éviter les vrilles. La prise de vitesse est intimidante les premières fois, mais l'important est de ne pas céder à la panique pour ne pas modifier la trajectoire de ton Jetfly. Chacun des mouvements parasites de ton véhicule impactera son chemin et par conséquent la vitesse. Si tu manques d'élan, il sera impossible de donner le coup de fouet nécessaire à ton moteur pour démarrer. Entendu ?
- Oui !
- La chute est courte, je n'aurais pas le temps de prononcer une phrase entière. Tu peux compter cinq secondes si tu y arrive avant de mettre le feu aux gazs ou bien attendre que je crie le mot "gaz !".
Elle hocha la tête.
- Es-tu prête ?
- Oui.
- C'est quand tu le sens, je suis juste au-dessus de toi.
Le vent fit vibrer son engin mais la jeune fille ne cilla pas, concentrée sur le gouffre dans lequel elle s'apprêtait à plonger. Junghyun avait choisi un jour clément pour leur enseigner cette technique mais bien que le ciel soit dégagé, il y avait toujours des flux d'airs importants dans la Cité Profonde de par son architecture très étroite et élancée.
- J'y vais.
- Tu peux le faire, l'encouragea son entraîneur. Surtout, ne ferme pas les yeux.
Elle hocha la tête et bascula en avant.
Elle sentit immédiatement un couloir d'air se former autour d'elle et l'impression de le trancher avec le nez de son Jetfly. Dépourvu de toute énergie motrice, son véhicule semblait bien plus lourd que de coutume et la peur irrationnelle de se faire tracter vers les abysses naquit dans son cœur.
Heureusement, Junghyun connaissait bien cette inquiétude et entendre la voix de son formateur la rassura :
- Gaz !
Un « Ah bon, déjà ? » surpris traversa son esprit alors qu'elle mettait machinalement le moteur en route.
Les Jetflys, descendants des motos terrestres, étaient une prolongation de l'anatomie de leur conducteur si bien que chaque action portée sur le véhicule se répercutait sur le corps. Elle ressentit les vrombissements de son moteur dans chacun de ses membres et gagna en stabilité, en force en assurance comme si son véhicule lui-même la rassurait, l'air de lui dire : « tu contrôles » .
- Redresse.
La jeune pilote le fit automatiquement, presque sans efforts étant donné la vitesse de propulsion qu'elle avait entre les mains. Un sourire immense se dessina sur ses lèvres lorsqu'elle se rendit compte qu'elle volait seule au-dessus de la ville.
- Bravo. C'était parfait !
Junghyun n'avait pas eu besoin de la retenir et la sangle qui les reliait était restée lâche du début à la fin.
- Quel est ton sentiment ?
- C'est incroyable ! C'est un sentiment vraiment nouveau de liberté pure, de lâcher prise. Ça fait peur au début, mais c'est très rapide, j'ai pas eu le temps de paniquer finalement.
Junghyun sourit, ravi.
- Félicitations pour ton premier démarrage en autonomie.
Ils remontèrent au niveau de la plate-forme et les autres élèves applaudirent avec enthousiasme avant d'exécuter le même exercice les uns après les autres. Il leur faudrait plusieurs séances pour tous maîtriser correctement la chute libre mais ils apprenaient vite et Junghyun n'exagérait pas en qualifiant certains d'entre eux de futurs champions nationaux.
Il donnait un cours pour les dix-quinze ans, cinq matins par semaine et un cours pour les seize-vingt ans, cinq après-midi par semaine, mais il appréciait tout particulièrement travailler avec les plus jeunes fascinés par la discipline et la tête encore pleine de rêves et d'ambition.
Les entraîneurs officiels comme Junghyun avaient aussi la liberté de proposer des élèves à des superviseurs pour les former à la compétition. Il n'avait pas eu besoin de le faire avec son frère puisqu'ils s'étaient trouvés avec Yibo comme une évidence et avaient façonné un rêve commun qui les animait tous les deux.
Dernièrement, il suivait de près les performances de la jeune fille qui s'était lancée en premier. Assidue, sérieuse et talentueuse, sa relation avec le Jetfly lui promettait d'ores et déjà une maîtrise brillante.
Il lui fallait encore quelques années d'expérience, mais il réfléchissait déjà avec quel superviseur il pourrait la mettre en contact une fois ses derniers niveaux de maîtrise obtenus.
Durant sa pause, entre ses cours du matin et de l'après-midi, il retourna chez Hoseok comme à son habitude, pour lui raconter ses leçons matinales avec des étoiles plein les yeux. Il lui arrivait souvent d'y croiser Namjoon et de les aider sur quelques bricoles au garage.
- Ils sont incroyables ces gamins ! s'écriait chaque midi Junghyun.
Et s'en suivait le long monologue récitant les exploits de ses élèves.
- Qu'est-ce que tu peux être gâteux quand tu t'y mets. On dirait Namjoon.
Le concerné acquiesça malgré lui.
- Tu feras des enfants couvés et aimés plus tard, se défendit-il en haussant les épaules.
- Étouffé par ton amour de papa poule tu veux dire ? tenta Hoseok moqueur.
- Pfff, on en reparlera quand vous serez dans ma situation.
- On te charrie, répondit Junghyun en lui donnant une tape sur l'épaule.
Oui et il en avait l'habitude. Il prenait soin de Leve et de leur bébé aujourd'hui, mais avant ça, il avait déjà couvert les plus jeunes de leur bande d'amour, d'encouragements et de bienveillance. C'était dans sa nature et derrière les petites moqueries, tous lui en étaient reconnaissants.
Dans des périodes difficiles, il avait plus d'une fois fait figure de père pour Taehyung, Yibo et plus rarement Jungkook. Il avait quelques secrets bien gardés pour restaurer la confiance en soi des plus jeunes, téméraires mais parfois perdus, dans cette cité gigantesque et impersonnelle.
- Tu les as bien formés, Hoseok, leurs trois Jetflys sont en parfait état, commenta Namjoon pour changer de sujet.
Hoseok caressa la carrosserie de celui de Jungkook, toujours garé sur le parvis de son garage. La robe de cette création lui inspirait toujours une grande fierté. Tout de bronze et de noir vêtu, le véhicule du champion avait inspiré aux fans le nom de Solem et aucun autre Jetfly n'aurait pu mieux porter cette appellation.
- Et ils ont intérêt de le rester vu le suivi technique gratuit que je leur offre !
- Quel déchirement ça va être lorsqu'une maison internationale leur proposera de leur construire de nouveaux véhicules.
Hoseok haussa les épaules.
- C'est le jeu. Je ne pourrais plus les suivre lorsqu'ils seront en tournée dans les autres cités et il sera nécessaire pour eux de faire confiance à une nouvelle équipe capable de les accompagner pendant quatre années loin d'ici.
Junghyun laissa échapper un petit soupir.
- Ça me fait bizarre quand même. Ils n'ont pas encore gagné mais je ne doute tellement pas de leur victoire que je les imagine déjà dans ce train à voyager aux quatre coins de l'Ensemble Flottant.
- Il va manquer un petit quelque chose à la bande après leur départ.
- Et Taehyung sera laissé derrière...
Un silence préoccupé répondit à cette vérité.
- Il s'y prépare. Il en a déjà parlé à Leve l'autre soir, commenta Namjoon.
- Qu'est-ce qu'il en pense ?
- Il a dit qu'il s'auto-proclamerait entraîneur de notre futur enfant pour passer le temps, ria Namjoon.
- Je pressens la naissance d'un nouveau futur champion, plaisanta Hoseok.
- Tae a des méthodes un peu trop non-conventionnelles à mon goût.
- Je ne vois pas pourquoi tu dis ça, il est seulement un prof de 26 balais sans accréditation, qui n'enseigne que par l'intermédiaire du hors-piste et de circuits interdits jugés dangereux, déclara Junghyun un sourire faussement innocent sur le visage.
Namjoon leva les yeux au ciel et décida de se pencher de nouveau sur sa création plutôt que de lui répondre.
Il travaillait la peinture d'un Jetfly commandé par un client qui leur avait laissé carte blanche, aussi bien pour des modifications techniques qu'esthétiques. Hoseok avait entrepris de lui changer plusieurs pièces pour optimiser ses performances tandis que Namjoon avait convenu avec lui d'un design minimaliste et élégant dans les tons bleu et gris.
À l'aide d'un pistolet à peinture et de pochoirs, l'artiste réalisait un entrecroisement de lignes avec la plus grande précision.
Ces pièces préférées étaient cependant celles qui sortaient de l'ordinaire, les designs singuliers comme celui de Taehyung améthyste et chromé. Ils avaient réfléchi ensemble à la création et le pilote avait souhaité une robe criarde et l'assumait totalement. Par temps ensoleillé, les rayons qui se répercutaient sur l'engin diffusaient des auréoles multicolores à la manière de petits arcs-en-ciel. Il ressemblait beaucoup à son propriétaire épris de liberté, d'autonomie et habitué à changer de couleur de cheveux comme de chemise.
Il était essentiel pour les conducteurs de faire de leurs véhicules des pièces uniques. Ils étaient reconnaissables et reconnus en partie grâce à leurs couleurs, qui donnaient lieu à des noms, et leurs motifs qui agissaient comme un emblème. C'est la combinaison entre un Jetfly mémorable et une maîtrise de vol singulière qui formait un certain mythe autour des champions.
Bien souvent, l'esthétique choisie ressemblait inconsciemment à la personnalité du coureur. Les lignes du véhicule tantôt acérées tantôt arrondies, les motifs tantôt épurés tantôt tape à l'œil s'accordaient avec une tenue et un casque plus ou moins accessoirisés et protéiformes.
Les pilotes apparaissaient rarement devant les médias à visage découvert justement parce qu'ils entretenaient cette aura construite autour de leur discipline. Leur accoutrement devenait leur identité aux yeux des fans et des caméras, leur permettant un anonymat relatif lorsqu'ils n'étaient pas montés sur leurs Jetflys.
Hoseok, quant à lui, connaissait la mécanique de ces petites bêtes sur le bout des doigts. Autrefois dans la médecine, ayant eu la chance de voyager à la Cité Oxygène, il avait abandonné cette voie et ses connaissances en sciences humaines pour les troquer contres une habilité en mécanique aéromobile, apprise sur le tas auprès de passionés. Il s'était spécialisé dans la réparation des Jetflys et n'avait plus jamais touché un scalpel de sa vie, l'échangeant volontier avec un tournevis, une clé à molette ou encore un fer à souder.
À eux deux, Namjoon et Hoseok étaient surnommés les high-tech twins parce qu'ils avaient le même âge, travaillaient ensemble et habitaient dans un appartement partagé. Là où le nom du mécanicien était nommé, celui de l'artiste l'était aussi.
Leur garage était connu dans la Cité Profonde.
Beaucoup de pilotes faisaient appel à leurs services majoritairement pour des Jetflys mais aussi d'autres véhicules plus imposants. Ils avaient acquis cette notoriété en partie grâce à leur partenariat avec AREUM-Entreprises. Issu du mot coréen 알음, signifiant connaissance, cette compagnie était le joyau de la famille de Leve. C'est elle qui avait fait appel à Namjoon il y a de çà six ans.
Leve, alors ingénieure spécialisée dans l'amélioration technique des Jetflys dans l'entreprise de ses parents, avait poursuivi les recherches de ces derniers dans le but d'améliorer le poste de commande de ces véhicules capricieux. S'appuyant sur les dessins éparpillés dans le bureau de son père, elle avait mis au point un dispositif plus réactif, précis et efficace permettant aux pilotes de reprendre le contrôle sur leur véhicule jusqu'à trois fois plus rapidement après une chute libre ou à pleine vitesse.
Leve, avait été la première à faire tester positivement ce dispositif et à l'avoir mis sur le marché. Une avancée extrêmement importante pour la discipline et les championnats.
Namjoon, à l'époque designer graphique, réalisait de nombreux supports visuels pour la plate-forme généralisée LAXI et notamment des créations holographiques en mouvement pour présenter des événements liés au Jetfly. De fil en aiguille, Leve avait découvert cet artiste en suivant les activités médiatiques de la discipline et l'avait sollicité pour travailler sur la communication et la diffusion de son nouveau mécanisme.
Après des mois de co-conception, de travail en équipe, et le savoir-faire de Namjoon, ils avaient réalisé une bande-annonce holographique et interactive qui s'était ancrée directement dans la ville à la manière d'un mapping gigantesque. Namjoon s'était grandement investi pour AREUM-Entreprises géant de l'aéromobile, sachant pertinemment que l'entreprise lui rapporterait revenus et visibilité, faisant de cette création la plus importante à son actif.
Tous les pilotes de l'Ensemble Flottant ou chaque amateur de Jetfly suivaient de près les avancées techniques de cette compagnie à la tête des plus grandes avancées technologiques de leur temps.
Transparents sur leur mode de fonctionnement, AREUM-Entreprises interagissaient avec leur communauté à travers de nombreux communiqués de presse et des rapports scientifiques tantôt détaillés tantôt vulgarisés pour être accessibles.
Cette même congrégation se souvenait de la bande-annonce comme le coup d'envoi d'une avancée technique dont ils avaient attendu la commercialisation pendant près de six ans.
Une large bande tricolore bleue, violette et rouge fuse au-dessus du couloir aérien, serpentant en amont des aéromobilistes, leur offrant une vision en avant-première de la nouvelle invention de AREUM-Entreprises. Se scindant en trois, la ligne colorée se met à tourner malicieusement dans les airs laissant chacune des couleurs prendre une trajectoire différente. La bleue s'enroule autour de la tour ministérielle, la violette autour de la tour gouvernementale et la rouge enlace la tour de l'entreprise créatrice. Suivant les ondulations d'un vent capricieux, les liens holographiques ondoient tout en grimpant. Ils dessinent d'abord des formes abstraites et décoratives de plus en plus précises puis s'immobilisent dans la forme de trois Jetflys, très sciemment inspirés des véhicules des trois derniers champions de la Cité Profonde.
Les deux plus hauts immeubles de la ville semblent soudain endosser le rôle d'une ligne de départ sur laquelle se positionnent les trois hologrammes. Au coup de canon, ils entreprennent une course théâtrale au-dessus des habitants dont les yeux brillants restent braqués sur l'animation prenant vie. Chacune des trajectoires est marquée de flammes colorées qui s'évanouissent en arabesques avant de disparaître.
Beaucoup de citoyens enregistrent émerveillés cette démonstration artistique dont la diffusion dure presque quinze minutes. À la fin de celle-ci, l'image des Jetflys explose en un schéma très précis de leur composition mécanique. Les pièces détachées s'effacent une à une, n'en laissant qu'une seule qui se pare du nom de l'entreprise.
Une voix présente alors ce nouveau poste de commande que beaucoup de pilotes attendent depuis des années. Plus performant, plus précis, plus maniable, ce bijou d'ingénierie est chaudement salué par des applaudissements ou des cris d'encouragement de la part des conducteurs de Jetflys présents dans le périmètre.
Depuis les hauteurs vitrées de son bureau, Leve observe avec un sourire non dissimulé, la parfaite évolution de cet audacieux et nouvel organe technologique.
- Mesdames Messieurs, ce fut une joie de collaborer avec vous tous et c'est une joie plus immense encore que de voir ce projet aboutir, le rêve de mes parents et le mien aujourd'hui. Merci et bravo à tous.
Leve salue chaleureusement tour à tour ses collègues et collaborateurs puis Namjoon à qui elle serre la main avec un enthousiasme contagieux.
- Merci infiniment.
C'est ainsi que Namjoon et Leve s'étaient d'abord rapprochés professionnellement. La conception de Namjoon avait été diffusée à travers toute la ville et dans les autres cités par la suite, faisant beaucoup de bruit et offrant au produit un démarrage grandiose ainsi qu'un tremplin pour l'artiste.
Plus tard, à la recherche d'un atelier plus grand pour travailler, Namjoon était tombé sur l'annonce d'Hoseok qui cherchait un colocataire et associé. Ils s'étaient vite épris d'amitié et avaient transformé la boutique du mécanicien en véritable garage de réparation et de customisation. Puis c'est l'habituelle présence du champion national et de son superviseur, Jungkook et Yibo, au garage qui avait de nouveau fait rayonner sa popularité.
Non seulement l'atelier était un assez grand espace pour accueillir toute la petite bande et leurs véhicules, mais il était aussi à mi-chemin entre les paliers cinq et un où vivaient et travaillaient la plupart d'entre eux. Si bien que ce garage était devenu leur point de ralliement. Junghyun y passait ses midis tandis que Jungkook y passait chaque soir avant de rentrer chez lui.
*****
- Je suis rentré ! s'exclama Jungkook, passant la porte de son appartement au crépuscule.
- Salut, comment s'est passée ta journée ? lui demanda aussitôt son frère depuis le salon.
Jungkook dévêtit sa combinaison et vint s'asseoir à ses côtés.
- On est allé du côté Est aujourd'hui, voler près de la gare et des plateformes de chargement.
- J'aime pas beaucoup que vous alliez vous entraîner là-bas, il y a toujours beaucoup de surveillance et ils n'aiment pas bien les vols parasites.
- T'inquiètes pas, on ne s'en approche jamais de trop près. Jouer au chat et à la souris avec la police on sait le faire, mais avec l'armée on ne jouerait pas avec le feu.
- C'est aujourd'hui que commence ton schéma alimentaire de préparation, non ?
- Oui, j'ai pris la première ration ce matin. Il est adapté pour les trois prochains et derniers jours avant la compétition.
- Yibo n'est pas avec toi ?
- Il est resté pour se balader un peu seul.
- C'est vrai que c'est bientôt l'anniversaire de la mort de son père.
- Oui... le timing n'est pas bon cette année, il craint que ça ne le déconcentre pour la compétition.
- Il n'a pas à dénigrer et minimiser ses sentiments ainsi, même à la veille d'un grand événement comme celui-ci.
- C'est ce que je lui ai dit mais tu le connais...
- Je lui parlerai. Nous l'accompagnerons après-demain au cimetière.
Jungkook hocha la tête.
- J'ai préparé les invitations, vous devriez les recevoir ce soir ou demain. J'en ai pris cinq ! Même si je pense que Taehyung ne suivra pas la course assis sagement sur une chaise.
- Effectivement, je pense qu'il vous observera plutôt d'en haut et suivra ton parcours depuis son véhicule. Et Leve sera peut-être invitée par le ministère des Sports pour ses contributions récentes.
- Ah oui, je n'y avais pas pensé ! Bon, tu n'as plus qu'à trouver deux potes en plus à inviter. Ou bien deux de tes élèves pourquoi pas ! Ta petite protégée par exemple.
- Je lui en parlerai. D'ailleurs, elle m'a demandé–
Leurs deux oreillettes résonnèrent simultanément coupant Junghyun dans sa phrase. Ils se lancèrent un regard sachant pertinemment qui leur envoyait un message à cette heure-ci.
- LAXI, lit le message reçu, commanda Jungkook.
L'intelligence s'exécuta d'une voix monotone :
- Bonjour les garçons, nous sommes submergés de travail ici à la Cité Oxygène, nous n'allons pas pouvoir rentrer à Profonde pour assister à la compétition. Bonne chance Jungkook, je n'ai aucun doute que tu remporteras cette première place, fais de ton mieux et bonne soirée à vous deux.
L'intelligence artificielle se tut et un bref silence répondit à ce message interposé.
- Putain !
Le pilote se leva et jeta un coussin à travers la pièce pour exprimer sa colère.
- À quoi je m'attendais ?! Ils pourraient appeler, demander comment ça va, faire un message audio ou vidéo au moins !
- Jungkook...
- Ils n'ont que des excuses, toujours des excuses ! Si je gagne ils enverront un « bravo » impersonnel. Et si je perds, ils enverront un « c'est pas grave » comme si ça n'avait aucune importance.
Junghyun ne répondit rien, il avait longtemps reproché à leurs parrents d'être partis tôt, alors que Jungkook avait à peine quinze ans et de l'avoir laissé à sa charge sans lui demander s'il était d'accord. Sans prendre en compte ses sentiments, ses peurs, ses doutes. Ils s'étaient vaguement préoccupés du quotidien de leurs fils après leur départ. Ils avaient été invités à travailler à la Cité Oxygène, la cité des rêves et ils n'avaient pas hésité une seule seconde.
- Je l'appelle.
- Jungkook, tu sais bien qu'elle travaille.
- Je m'en fous. LAXI, appelle ma mère.
- Appel en cours, répondit aussitôt l'intelligence artificielle.
La tonalité résonna dans son oreillette une fois, deux fois, trois fois puis il en perdit le compte.
- Le correspondant que vous cherchez à joindre n'est pas disponible.
Jungkook serra les dents de frustration.
- LAXI, appelle-la encore une fois !
- Appel en cours.
Cette fois-ci seulement quatre tonalités se firent entendre avant qu'une voix féminine et légèrement exaspérée ne réponde.
- Allô ?
- Maman...
- Jungkook ? Pourquoi m'appelles-tu ? As-tu reçu mon message ?
- Oui.
- Je n'ai pas beaucoup de temps, tu voulais me dire quelque chose ? –oui, je vous ferai parvenir les documents.– Jungkook, tu m'entends ?
- Je t'entends...
- Dépêche- toi chéri, je dois travailler.
- Pourquoi vous ne venez pas à la compétition papa et toi ?
- Je te l'ai expliqué, nous avons un gros contrat en ce moment, nous ne pouvons pas nous déplacer.
- C'est un jour important pour moi.
- Je sais Jungkook mais –oui posez-le ici, et le rapport d'étude avec s'il vous plaît– c'est difficile d'organiser un voyage intercité en si peu de temps, tu le sais ça.
- En peu de temps ?
Jungkook laissa échapper un rire froid.
- Cinq ans. Ça fait cinq ans que la dernière course à Profonde a eu lieu donc vous aviez cinq ans pour préparer ce voyage ! Ça fait cinq ans que je m'entraîne tous les jours pour cette compétition ! C'est l'accomplissement de tous mes rêves !
Il y eut un court silence. Puis la voix de sa mère, lointaine, étouffée, comme si elle calfeutrait le micro de sa main.
- –Non je vous ai dit de n'utiliser cette substance qu'en dernier recours, vous allez fausser les résultats ainsi !– ne t'énerve pas Jungkook.
Elle n'écoutait pas. Elle n'écoutait jamais, elle avait toujours mieux à faire, toujours une conversation simultanée, toujours toujours autre chose de plus important que ses fils.
- Tu n'en as rien à cirer de ce que je te raconte ! Depuis combien de temps vous n'avez pas pris de nos nouvelles ?! Depuis combien de temps vous n'avez pas demandé à Junghyun comment ça se passait ?! S'il arrivait à gérer seul ?! Depuis combien de temps tu n'avais pas entendu ma voix...
- Jungkook baisse d'un ton avec moi, je n'ai pas le temps de me disputer avec toi maintenant !
- Tu n'as jamais de temps pour nous ! cria le jeune pilote les yeux brûlants. LAXI raccroche !
- Fin de l'appel.
Le silence revint tandis qu'il se mordait la lèvre de frustration et de colère.
- Jungkook... tenta son frère en posant la main dans son dos.
- Lâche-moi ! Tu es trop conciliant ! C'est quoi ce regard encore ? J'ai tort de m'énerver ?!
- Ce n'est pas ce que j'ai dit.
- Tu penses aussi que je les dérange ? En leur demandant cinq minutes de leur temps au téléphone ? En leur demandant un après-midi pour venir voir la compétition ? Je n'ai pas parlé à papa depuis presque quatre mois maintenant !
- Bien sûr que non. Tu as le droit d'être énervé, frustré et triste qu'ils ne soient pas là pour toi, pour nous. Mais tu sais que rien ne changera maintenant...
- Qu'est-ce qu'il faut que je fasse hein ? Que je me blesse ?! Que ma blessure soit si grave qu'il faille m'envoyer à Oxygène pour me soigner et que je puisse les voir ?!
Le regard meurtri de Junghyun recentra son frère.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, se rattrapera maladroitement Jungkook. Je ne provoquerais pas volontairement une blessure et tu le sais...
- J'espère que cette idée ne traversera jamais sérieusement ton esprit.
Le cadet soupira, culpabilisant d'inquiéter son frère qui sacrifiait tant pour lui.
- Je tiens trop à découvrir les autres cités et à voyager pour pouvoir ne serait-ce qu'accepter de me blesser et être mis à l'arrêt, plaisanta Jungkook pour détendre l'atmosphère.
Jungkook s'énervait rarement et détestait l'état d'esprit dans lequel ça le plongeait. Aussi, il inhumait rapidement ses sentiments derrière des plaisanteries ou un sourire pour pouvoir passer à autre chose et persuader son esprit que tout allait bien.
Par dessus tout, il fuyait les trop grandes fluctuations émotionnelles avant un championnat. Il était conscient que son humeur pouvait jouer un rôle déterminant sur ses performances.
C'était un mal que beaucoup de pilotes professionnels partageaient, où plus largement que beaucoup de sportifs de haut niveau ressentaient.
Trois jours.
Ils ne restaient que trois jours avant la compétition, il était hors de question de se laisser distraire.
- Je vais faire mes soins, j'en ai pour une heure. Si tu as besoin, je suis dans la salle de bain.
- Prends ton temps. Après l'effort, le réconfort.
- C'est aussi une étape de préparation.
- Oui haha, mais plutôt agréable.
- C'est vrai.
Les soins, de la même manière que le schéma alimentaire de préparation, devaient se faire trois jours en amont d'un effort particulier, en l'occurrence, le championnat.
Ils consistaient en une routine d'étirements, une pose de patchs chauffants et tranquillisants, une application de sérum fortifiant sur les muscles les plus à même d'être stimulés et d'une inhalation vouée à assainir le corps.
Le tout s'accompagnait d'une sorte de relaxation proche de la méditation pour préparer son corps et son esprit à l'épreuve. Le pilote comme son superviseur pouvaient suivre ce rituel avec des exercices différents pour le superviseur dont l'épreuve serait davantage mentale que physique.
Pendant que Jungkook suivait toutes ces instructions et ruminait sa rancœur, Yibo rentra finalement à l'appartement.
- Bonsoir.
- Salut Yibo ! Cette petite balade t'a aéré l'esprit ?
Yibo haussa les épaules.
- Je suis un peu déprimé.
- Viens là, lui proposa l'aîné en tapotant la place à côté de lui.
Le superviseur posa ses affaires dans l'entrée et vint s'asseoir dos à Junghyun qui entreprit de lui masser les épaules et la nuque. C'était une petite coutume qui s'était installée entre eux depuis qu'ils étaient enfants. Lorsque Jungkook ou Yibo se sentaient mal, Junghyun leur massait le dos ou le crâne pour détendre leur corps et libérer leur parole.
- Tu es resté à l'Est ?
- J'ai regardé le train du soir partir... je crois qu'il allait à Asphalte. Je me demande ce que c'était de travailler à l'intérieur de ce train. S'il aimait ça, s'il était bien traité, s'il a rencontré des personnalités politiques ou des champions qui ont marqué l'histoire.
- Je suis sûr qu'il a vécu tout un tas d'aventures dont le récit réside dans ton cœur même si tu ne t'en souviens pas Yibo.
- Peut-être que lorsque nous voyagerons dans ce train avec Kook après la compétition je me souviendrai de certaines choses qu'il m'a racontées. Peut-être même que je rencontrerais ses collègues.
- Je te le souhaite.
- J'irai après-demain matin, avant l'entraînement.
- Nous aimerions t'accompagner avec Jungkook si tu acceptes.
Il acquiesça silencieusement en regardant au creux de ses doigts le médaillon que lui avait donné son père autrefois.
- Je m'interroge souvent sur l'histoire de ce collier. Il m'a dit qu'il avait appartenu à ma mère et qu'il représentait leur rencontre.
- T'a-t-il raconté leur rencontre ?
- Non... Il m'a seulement dit qu'il l'avait croisée lors d'un de ses voyages. Mais est-ce que ça signifie dans le train ? Ou bien dans l'une des cités qu'il a visité ? Je n'en sais rien. Imagine qu'il l'ai rencontrée dans le train ! s'enthousiasma Yibo. Ça voudrait dire qu'elle était peut-être championne de Jetfly ou personnalité politique. Ce serait dingue non ?
Junghyun sourit.
- Tu serais le fils caché d'une championne internationale ayant eu une affaire avec un agent ferroviaire, ma foi c'est une histoire sympa à raconter à tes enfants plus tard.
- J'ai cherché tu sais...
- Cherché quoi ?
- J'ai regardé quelles femmes pilotes ou politiques avaient vécu au moment où mon père travaillait dans le Coal Train, mais il y en a tellement. Sans parler des passagers épisodiques, les médecins ou ingénieurs qui voyagent quelquefois aussi. Il y a trop de possibilités.
- Peut-être qu'un jour tu trouveras la réponse. En attendant, nous serons toujours à tes côtés Jungkook et moi, répondit l'aîné bienveillant.
- Merci. Quand je repense au jour où vos parents m'ont recueilli et que je vois notre vie aujourd'hui, je me dis qu'on a quand même bien grandi et qu'il s'en est passé des choses et des aventures. Je suis vraiment reconnaissant envers votre famille.
- C'est normal Yibo, tu es un frère pour nous maintenant, tu n'as pas besoin de nous remercier aujourd'hui, ni avant ni plus tard, tu fais partie de la famille.
Le jeune homme lâcha son pendentif et inspira un grand coup, sentant ses épaules se délester quelque peu de sa tristesse. Il ne manquait de rien, il était heureux, faisait ce qui lui plaisait et vivait avec des gens qu'il aimait alors il relativisait.
*****
Dans un autre palier de la Cité Profonde, Quĩn et sa mère étaient installées sur le canapé et regardaient une projection holographique sur la Cité Cornue.
- C'est rare qu'ils proposent ce genre de contenu sur la chaîne officielle.
- Souvent ils le font lorsqu'il y a une découverte ou une avancée majeure dans l'une des cités.
« Les chercheurs du centre d'archives linguistiques ont réussi aujourd'hui à décoder un ancien langage du sud de l'Amérique terrestre, ajoutant ainsi une langue au large panel déjà constitué. Quelques descendants éloignés ont été invités à découvrir les vestiges de cette culture disparue. Venant de tous les horizons, ils ont embarqué ce matin dans le Coal Train pour être accueillis en fin de matinée à la Cité Cornue. »
S'ensuivirent des images d'un alphabet constitué de symboles très différents des lettres internationales utilisées aujourd'hui.
- C'est fou qu'ils décodent encore des choses sur l'ère terrestre aujourd'hui.
- Malheureusement, lors de la dernière ère terrestre, toutes les cultures n'ont pas survécu. Certains ressortissants vivants dans des zones particulièrement à risque ont été décimées sans qu'aucun échantillon de ces populations ne puisse monter dans les vaisseaux et grimper sur la Cité Flottante.
- Mais comment trouvent-ils des descendants aujourd'hui alors ? demanda Quĩn.
- Ce ne sont pas des descendants directs. Mais suivant l'analyse de leur lignée familiale, leurs ancêtres ont pu côtoyer de plus ou moins près cette culture. Comme tu le sais, les fichiers de tous les habitants sont scrupuleusement constitués dès notre naissance.
- Qu'est-ce que j'aimerai voir cette cité...
Sur la projection défilaient désormais des images de la Cité Cornue expliquant sa construction basée sur le mythe de l'Arche de Noé, une très ancienne légende qui avait appartenu à la religion chrétienne.
- Qu'est-ce que ce doit être beau de se promener au milieu de ces rues hétéroclites. Je comprends les scientifiques passionnés de ces histoires d'antan. Ça doit donner une petite impression de vivre sur la surface terrestre d'autrefois.
- Je ne suis pas sûr que toutes les cultures aient vécu en harmonie comme ça sur Terre, fit remarquer sa mère. La reconstitution aujourd'hui est belle mais éloignée de la réalité. Des bâtiments qui ne se seraient jamais croisés sur la surface se côtoient sur le sol de la Cité Cornue.
- Elle remplit vraiment son rôle d'archiviste de manière objective, songea Quĩn. Aujourd'hui il n'y a plus qu'une seule culture, non... disons cinq. Mais nous parlons tous la même langue, portons les mêmes vêtements, nous nous déplaçons de la même manière, mangeons la même chose.
- Certes, c'est très uniformisé, mais ça a permis une certaine entente internationale parce que la population est bien plus réduite et le confort de vie est plus standardisé que sur Terre également.
- Hum, c'est ce qui paraît oui... répondit Quĩn peu convaincue.
- Tu en doutes ?
- Je pense juste que les problèmes ont été déplacés, ont pris une nouvelle forme mais n'ont pas forcément disparu.
- Tu parles de la communauté anti-système de pilotes, je me trompe ?
- Il n'y a pas que des pilotes dans le lot, rectifia une voix masculine en entrant dans la pièce.
- Taehyung ! s'exclama Quĩn, pétillante d'excitation.
- Bonjour la compagnie.
Il tendit un paquet paré de rubans à sa mère.
- Joyeux anniversaire.
- Taehyung... je ne pensais pas que tu viendrais, ça me fait plaisir.
Il haussa les épaules. Il était venu à reculons et souhaitait maintenant que ce moment se passe rapidement.
- Vous regardez quoi ?
- Un reportage sur la Cité Cornue.
Il détourna les yeux de l'image holographique et Quĩn saisit une certaine amertume dans son regard. Elle éteignit immédiatement la projection. Il pensait sans doute à ses deux amis qui découvriraient de leurs propres yeux cette cité.
Sans lui.
- Comment vas-tu mon grand ?
- Ça va, ça va... Je viens tout juste de terminer une nouvelle cartographie, je vais certainement aller la vendre la semaine prochaine, quand la compétition sera terminée.
Sa mère se retint de faire une réflexion sachant que son fils vendait ses études au marché noir.
- Tu trouves encore des endroits à cartographier ?
- Cette ville ne s'étend pas mais elle change de forme chaque jour. Des quartiers sont condamnés, d'autres sont restaurés, des inconnus façonnent des passages dans les souterrains ou des routes clandestines aux abords de la barrière magnétique ou encore sous les couloirs aériens. Il y a toute une activité non répertoriée dans cette Cité. Je ne m'ennuie jamais.
Quĩn sourit, il était passionné par cette vie underground dont elle et sa mère ne connaissaient rien. Sans s'en rendre compte, des étoiles naissaient dans ses yeux et son débit de paroles s'accélérait lorsqu'il parlait de ces passages secrets ou du mode de vie de cette population dissimulée.
C'était difficile d'être médiatrice entre son frère et sa mère qui portaient une vision diamétralement opposée sur le sujet.
- Haha que ferait la cité sans toi ? Même la police achète tes cartes !
Taehyung se gratta l'arrière de la tête, embarrassé par l'éloge.
- Mais ils ne savent pas que c'est à toi qu'ils les achètent si ? demanda leur mère.
- Est-ce que c'est important ?
- Tu ne peux pas être reconnu pour le travail que tu fournis de cette manière, Taehyung.
- Je n'ai pas besoin de reconnaissance. J'ai besoin de faire ce que j'aime et d'être payé à hauteur de mes besoins. C'est tout.
- Mais si tu prenais une voie officielle tu pourrais peut-être, d'une manière ou d'une autre, voyager dans les autres Cités avec tes amis ! s'emporta sa mère.
Un silence religieux tomba brusquement et Quĩn leva les yeux au ciel.
Aïe, et voilà qu'elle mettait les pieds dans le plat.
Le regard de Taehyung devint hostile et sa mère regretta presque instantanément ses paroles.
- Maman... c'est un sujet sensible, tenta Quĩn.
- Non, parlons-en puisque tu veux qu'on en parle, cingla Taehyung.
- Non... je...
- Tu vis dans un monde qui change maman. Que tu le veuilles ou non, cette communauté grandit et à des revendications. Ce mode de vie bien rangé, bien contrôlé, bien surveillé ne convient pas à tout le monde. Ils ne sont pas agressifs, ne prévoient pas de briser la balance de cette cité, mais ils sont là. C'est tout. Ils coexistent et construisent une ville basse à leur image. Est-ce mal ? Est-ce mal de construire un environnement dans lequel tu te sens à ta place ? Vous parliez de cultures à l'instant et bien c'est la même chose. Ils ont une culture différente de la tienne.
- Et tu veux appartenir à cette culture, Taehyung ?
- Je n'ai jamais dit ça. Je m'intéresse juste à eux, ce qu'ils font, ce qu'ils créent, ce qu'ils disent. Mais ça ne veut pas dire que je vais choisir entre ici ou là-bas, je veux juste pouvoir circuler librement entre les deux sans que tu me le reproches, sans que ça ne soit considéré comme illégal.
Taehyung soupira. Ils avaient toujours la même conversation.
Et il savait très bien sûr quel sujet elle allait dériver.
- Ton père t'a mis ces idées dans la tête...
Bingo ! pensa Taehyung.
- Je n'aurai pas dû venir.
- Non, attends ! s'écria sa mère en attrapant son bras. Je suis désolée, je suis désolée d'accord ? Je ne peux pas m'en empêcher, je sais que ça t'irrite mais je ne comprends pas, je n'arrive pas à concevoir tout ça.
- Alors ignore juste. Laisse-moi vivre ma vie, parlons de la pluie et du beau temps, de n'importe quoi d'autre. Pourquoi tu remets toujours ça sur le tapis ?
- Parce qu'il me manque Taehyung ! Ton père me manque.
Un éclair de douleur traversa sa poitrine.
- Tu l'as poussé à partir maman...
- Non !
- Non ? Tu n'as pas cessé de lui reprocher sa manière de vivre comme tu le fais avec moi aujourd'hui. Tu l'as poussé à partir parce que vous êtes trop différents, tout comme un jour, tu me pousseras à partir de la même manière, avec les mêmes paroles.
Quĩn à leurs côtés frissonna.
- Je n'ai jamais voulu ça... je ne veux pas non plus que tu disparaisses Tae.
Il ne dit rien.
- Parlons d'autre chose, hum ? Faisons un jeu, changeons-nous les idées, d'accord ? Ou allons nous promener. Juste aujourd'hui, c'est un jour particulier, le supplia-t-elle alors que ses mains tremblaient sur le bras de son fils.
- Alors laisse-moi t'emmener dans un endroit que j'aime beaucoup.
- Comment... souffla-t-elle à demi-voix.
- En Jetfly.
Elle trembla et Taehyung vit son reflet dans ses yeux apeurés. Apeuré par l'idée même, le concept que représentait le Jetfly. Pas le vide, ce serait absurde dans une cité comme la leur. Mais par la liberté, l'indépendance, l'audace qu'incarnait la discipline. Cette impression d'être hors du temps, hors du monde, hors des lois. Elle avait peur de ce sport qui personnifiait la singularité, le changement, la créativité. Le seul point aléatoire dans ce monde si bien rangé.
- Maman, fais-moi confiance. Rien qu'une fois. Jamais je ne te mettrais en danger.
Ils s'échangèrent un long regard où passèrent compromis et concessions.
- D'accord.
Taehyung tendit sa combinaison et son casque à sa mère.
- Et toi ?
- Je vais prendre l'ancien équipement de papa.
Il surveillait chacune de ses réactions lorsqu'il parlait de son père et apprécia de voir qu'elle fit des efforts pour ne rien dire.
Quĩn étant venue avec son propre véhicule, elle s'équipa aussi pendant que Taehyung allait chercher les affaires de son père. Il revint dans le salon une fois habillé et le souffle de leur mère trembla de nouveau.
- Tu lui ressembles tellement.
Taehyung sourit en la voyant affublée d'une combinaison de Jetfly.
- Elle est trop grande pour toi, s'amusa-t-il. Allez, venez.
Il invita sa mère à grimper sur son Jetfly et après hésitation, elle s'y installa peu sereine. Le véhicule de Taehyung était taillé pour la compétition et disposait de très peu d'espace pour porter deux passagers. Les pilotes professionnels n'avaient pas l'obligation de s'attacher puisqu'il leur arrivait de faire des accrobaties en vol mais il était plus sûr de proteger l'éventuel passager. Aussi il choisit de sangler la taille de sa mère à la selle du Jetfly avant de prendre le volant. Il lui demanda ensuite de croiser les mains sur son ventre.
- Accroche-toi.
Elle s'agrippa plus fort que nécessaire, mais Taehyung ne lui en tint pas rigueur.
- Prête ma queen ?
Sa sœur acquiesça et Taehyung s'approcha du vide, alors qu'il connectait leurs oreillettes pour pouvoir communiquer. C'est alors qu'il entendit dans le micro de sa passagère, sa respiration se couper. Il passa une main sur les siennes pour la rassurer.
- Ça va bien se passer.
Sachant que le décollage à la verticale allait être le passage le plus difficile pour elle, il n'attendit pas une seconde de plus et plongea dans le vide pour décoller le plus rapidement possible. Un bref cri de peur s'étouffa dans la gorge de sa mère mais elle eut à peine le temps de comprendre la manœuvre que Taehyung stabilisait déjà le véhicule.
Suivi de près par Quĩn, il prit de la hauteur et c'est au niveau du palier numéro un, alors que sa mère avait enfoui son visage dans le dos de son fils tout le trajet durant, qu'il lui parla à travers le micro.
- Ouvre les yeux, et regarde autour de toi.
Elle ouvrit lentement les yeux, aveuglée quelques instants par la luminosité. Puis elle tourna la tête vers le paysage qui s'étendait devant eux.
Taehyung sentit ses bras se desserrer quelque peu autour de sa taille, la peur restant ancrée au sol alors qu'ils continuaient de s'élever.
Quĩn à leur hauteur adressa un sourire à sa mère et lui fit un petit signe de la main, finissant de la rassurer.
Après une quinzaine de minutes de vol, Taehyung posa son véhicule sur une plate-forme au sommet d'une tour du palier un. Un des points culminant de la Cité d'où ils voyaient la fin d'un coucher de soleil éclatant.
- C'est le monde que je vois chaque jour, dit Taehyung dans un murmure.
Elle observa les rayons orange se répercuter contre le verre des buildings, les reflets dorés qui couvraient la cité, les ombres oniriques des bâtiments sur les nuages, émerveillée.
- C'est magnifique.
- Tiens.
Taehyung lui tendait le paquet-cadeau qu'il avait récupéré dans l'appartement où elle ne l'avait pas encore ouvert.
Sous les yeux curieux de Quĩn et ceux légèrement nerveux de son frère, elle déballa avec soin l'objet tout droit venu du dernier palier.
Un livre de papier.
Un roman fait d'encre et de pages.
Il n'en était plus fabriqué depuis des années. Elle le feuilleta avec fascination consciente de la rareté et de la fragilité de l'objet qu'elle tenait dans les mains. Elle était persuadée que les derniers exemplaires étaient précieusement conservés aux archives de la Cité Cornue et ne pensait jamais en voir un de si près. Chaque page avait été soigneusement enrobée d'une pellicule de protection à peine perceptible sous la pulpe des doigts qui avait permis au roman de survivre aux âges.
- Je pensais qu'il n'en existait plus. Tu as dû le payer une fortune !
- J'ai échangé des cartes et des études de terrain contre ce livre.
- Oh, Tae... merci, répondit sa mère émue.
Elle caressa la couverture dont le titre embossé formait un léger relief.
- C'est un roman qui parle de voyage. De voyage terrestre.
Quĩn à côté d'eux buvait les paroles de son frère et n'attendait qu'une chose, que sa mère le termine afin qu'elle puisse le lire ensuite.
L'Aube de l'ampleur du monde, écrit par Saune Tessa en 2046.
_________________________________
J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu !
A la semaine prochaine ~
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro