Peur
Tyler s'effondra d'un air las sur son lit à l'étage. Il avait l'air si fatigué, il voulait juste prendre une douche et se pelotonner dans ses drap. Je ne lui en laissai pas l'occasion. Dans le salon, collé contre un mur, il y avait un vieux piano en bois. J'avais tant envie d'entendre le son de ses touches blanches et noires que je ne résistai pas à la tentation de leur marcher dessus avec mes petits pieds nus et pâles. Je faisais exprès de faire résonner uniquement des notes graves et sinistres dans la grande maison silencieuse. Tyler mît quelques minutes à réaliser que le bruit venait de chez lui et il dévala les escaliers en manquant de tomber plusieurs fois. Il s'était même muni d'un balais.
Lorsqu'il arriva en face de son piano, son visage exprima une profonde surprise mêlée de peur. Il s'approcha lentement de l'instrument qui jouait tout seul, en tenant toujours le manche de son balai à deux mains. Les touches s'abaissaient toutes seules au rythme d'une mélodie lugubre qui résonnait dans sa tête. Il cligna lentement des paupières puis se précipita vers un tiroir.
Les mains tremblantes, il sortit un somnifère de sa boîte et avala deux cachets d'une traite avant de s'étaler sur son grand canapé blanc. Il devait faire passer ce phénomène sur le dos de la fatigue. Tout s'améliorerait demain. C'était ce qu'il croyait, et il se faisait des illusions.
Après une très longue nuit de sommeil profond, il se réveilla vers midi et se dirigea vers la cuisine. Je l'observai, assise sur une boîte de céréales, avec un air amusé. Il mit un moment à réaliser que le petit déjeuner avait été installé pendant la nuit.
Il écarquilla de grands yeux étonnés et se les frotta pendant quelques secondes, pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.
- Mes parents ne m'ont pas payé de majordome pourtant...s'exaspéra-t-il en s'asseyant brusquement sur une chaise.
Je ris aux éclats et manquai de tomber de mon siège pour finir dans le verre de jus de fruits. Je m'envolai alors pour me poser sur son épaule et observer ses messages, car il tapotait maintenant sur son téléphone :
- Tout va bien Tyler, se rassura-t-il lui même. Soucie-toi plutôt de Lara, tu t'occuperas de ce petit déjeuner plus tard...
Je ris une fois de plus et il leva brutalement la tête. M'aurait il entendue ? Il chercha dans toutes les directions, et se plaça même à sa fenêtre pour voir d'où provenait le rire de petite fille qu'il avait vaguement perçu.
Il oublia immédiatement ce détail lorsqu'il aperçut une jeune femme à la longue chevelure noire qui l'attendait en bas de chez lui. Il maugréa quelques paroles avant d'enfiler un pull convenable et d'ajuster ses cheveux bruns broussailleux. Il alla ouvrir la porte et salua son invitée avec un large sourire malgré tout ce qui lui arrivait depuis hier soir.
Il devait être le genre de personne qui parvenait bien à cacher leurs pires émotions derrière des sourires radieux et de belles paroles.
J'agitai mes petites ailes argentées à côté de lui, en prenant garde de ne plus faire de bruit, même s'il était impossible qu'un humain puisse m'entendre. Lara prit ses aises et s'introduit dans la maison du jeune homme avec sa démarche élancée et légèrement hautaine. Elle monta à l'étage et prit place sur le lit de son ami avant de commencer ses longues plaintes qu'il entendait depuis leur rencontre :
- Tu sais qu'en ce moment c'est difficile pour moi avec mes études...
J'écoutais ses jérémiades d'une oreille distraite et reportais plutôt mon attention sur Tyler. Il semblait absorbé par la peau sublime de la jeune femme, recouverte d'une épaisse couche de maquillage. Il avait ancré ses yeux dans les siens et la contemplait avec une certaine envie. Il l'aimait beaucoup, c'était clair comme de l'eau de roche.
Tandis que j'observais son corps complètement soumis à cette femme assise devant lui, je remarquai un objet brillant dépassant de sa poitrine. Je m'en approchai en voletant, et découvris alors une clé aux reflets d'or plantée dans sa peau. Tyler ne semblait pas s'en soucier. Alors, instinctivement, je tournai lentement la clé dans la serrure ancrée dans son corps sans qu'il ne le sente. Une petite porte s'ouvrit dans son pull noir, me révélant l'intérieur de sa poitrine.
J'y pénétrai et posai mes pieds dans l'immense usine qu'était son corps. À gauche, se trouvait une pièce rouge, avec une porte à ma taille en son centre. Il s'agissait de son cœur. Un peu partout dans la cavité qui contenait tous ses organes, se trouvaient de grandes échelles blanches. Ses os. Je me saisis de l'une d'elle et commençai mon ascension en dépassant les toboggans qui lui servaient d'intestin ou les pièces condamnées qui correspondaient à son estomac ou à ses poumons.
J'arrivai au niveau de sa gorge car il y avait un tuyau plus resserré. Au dessus de ma tête, se trouvait un brouillard dense traversé par des milliards de minuscules éclairs. Son cerveau.
J'entendais tout ce qui se disait à l'extérieur. Lara ne cessait de se plaindre, et une idée me vint alors à l'esprit. Je posai mon doigt contre une paroi du tunnel et l'effet fut immédiat :
- Tu comprends que j'aimerais faire une pause ? En ce moment c'est vraiment pas possible, je suis surchargée.
Lara leva ses yeux désolés vers Tyler qui fut pris d'un fou rire incontrôlable. Vexée, elle le regarda se moquer d'elle sans s'arrêter et sans lui fournir aucune explication. Je m'amusais à lui chatouiller le cou de l'intérieur sans relâche et Lara finit par en avoir assez et rompit définitivement avec lui avant de claquer la porte du bas. Je continuai de le faire rire, même si elle était partie. J'aimais bien son doux rire.
Je fus bien obligée de cesser finalement où il allait finir par s'étouffer. Lorsqu'il reprit ses esprits et essuya ses larmes de joie au coin de ses yeux, il fut pris d'un élan de panique. Il se précipita à la fenêtre et composa le numéro de la jeune femme en vitesse. Ses doigts tremblaient, mais elle ne répondit pas. Horrifié par ce qu'il venait de faire, il se prit la tête dans les mains et essaya de comprendre ce qui était en train de lui arriver.
Dans ma joie d'avoir accompli ce que je voulais, je trébuchai de l'échelle et dégringolai dans le vide. Un organe moelleux et doux amorti ma chute, comme un grand coussin. Je sentis alors immédiatement Tyler se lever pour courir en direction de la salle de bain. Là-bas, il se pencha au dessus de l'évier et se vida d'un seul coup après avoir été sujet à un violent mal de ventre. Il semblait être plus apaisé, mais le mal de ventre reprit. Il pleurait, il était à bout.
Je le méprisais d'être attristé à cause d'une fille aussi mauvaise qu'elle. Néanmoins, je sentis l'orage gronder d'avantage au dessus de moi. Je remontai jusqu'à sa tête, et observai son cerveau qui s'agitait. Les nuages qui constituaient le brouillard tourbillonnaient et les éclairs déchiraient la brume avec violence. Sans vraiment savoir pourquoi, je me sentis attirée à l'intérieur de ce nuage. Alors je m'avançai et pénétrai dans la tempête de pensées qui constituait son cerveau.
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