Colère
Je m'assis dans un coin de la pièce, les genoux repliés, mon poing sous mon menton, et j'attendis. Mon corps fut retrouvé quelques heures plus tard. Inerte, gelé, dans cette cabane froide et mal isolée, baignant dans une petite flaque de sang due à mes blessures. L'ambulance se gara devant ma maison , et on m'enroula dans une grande couverture avant de m'emmener à l'hôpital. Comment le savais-je ? Parce que je le voyais.
Personne ne sait à quoi s'attendre lors de la mort. Personne n'est jamais revenu pour le dire. Moi je peux vous affirmer que votre âme quitte votre corps, pour errer à jamais dans l'endroit même où vous avez perdu la vie. C'est n'est pas très attirant comme perspective, mais il faut en retenir les aspects positifs.
Je regardai ma mère pleurer à chaudes larmes. Je l'avais toujours connue avec les yeux humides, mais là ils débordaient. Mon père tenta vainement de la consoler. Je les observai, puis, lorsqu'ils disparurent, me laissant seule dans cette cabane sombre, je portai une main à ma joue. Il y avait de l'eau. J'y goûtai. Elle était salée. Une flaque se forma à mes pieds, alors j'y observai mon reflet ondulant.
Mon physique était toujours le même, mais je me trouvais d'autant plus pâle. Un vrai cadavre. Pourtant, dans mon dos, de magnifiques ailes argentées illuminaient la petite pièce encombrée de matériel. Ma taille avait grandement diminuée également, mais ce qui me surprit le plus, fut d'apercevoir des larmes rouler le long de mes joues pour tomber avec un petit clapotis sur le sol de la cabane.
Il aura fallu que j'attende la mort, pour ressentir ma toute première émotion. La tristesse.
Ma gorge se noua, mes yeux me piquèrent d'avantage et j'éclatai en sanglots comme j'avais vu faire tant de fois ma mère. J'avais mal à la poitrine, et je fus obligée de me recroqueviller au sol. J'avais toujours été la cause de la souffrance de mes parents. La culpabilité s'empara de mon âme et je sentis une puissante colère monter en moi. Je m'arrachais les cheveux, et je criais à m'en briser les cordes vocales. Je ressentais tout en même temps, toutes les choses que je n'avais jamais éprouvées durant ma brève existence. Comment avais-je pu leur faire une chose pareille ? Je m'en voulais tant.
J'eus des montées d'émotions fortes pendant plusieurs jours, sans relâche. Je ne dormais pas, je ne mangeais pas, mais est ce qu'un fantôme avait vraiment besoin de tout cela ? Ces journées se transformèrent en années. Et chaque jour, je ne me lassais pas de voir toujours de nouvelles émotions prendre possession de mon âme. La solitude finit par me peser. Cette cabane était devenue ma seule maison, et les marteaux ou les tuyaux, mes seuls amis. Il fallait bien que je commence à m'y habituer. J'étais coincée ici pour l'éternité.
Mes parents ne voulurent plus remettre les pieds dans ce cabanon où j'avais perdu la vie. Alors un jour, ils le vendirent, ainsi que le grand terrain qui se trouvait autour.
Qui aurait voulu de ce vieil entrepôt délabré abritant seulement des outils de jardinage ? Eh bien il s'appelait Tyler. Je le regardai en train d'examiner le terrain à travers la fenêtre de la cabane. Il était grand, très jeune, avec une peau aussi pâle que la mienne et des cheveux bruns ébouriffés sur son crâne. Il observait chaque recoin du jardin avec ses grands yeux émeraudes, puis son regard s'est arrêté sur moi. Il ne pouvait pas me voir, alors j'en ai déduit qu'il s'intéressait au cabanon.
Les grues et les tracteurs arrivèrent quelques jours plus tard, et en seulement quelques mois, il ne resta plus rien de la cabane de mes parents et de mon jardin où j'avais passé mon enfance. Ma demeure éternelle fut remplacée par une grande maison très moderne et illuminée. Il y avait un grand hall au rez-de-chaussée, ainsi qu'une cuisine spacieuse avec une petite table au centre, un salon et une salle à manger. A l'étage, se trouvaient deux chambres, dont une pour les invités, et une forte odeur de peinture fraîche en émanait. Ce nouvel habitat si parfait aurait pu me réjouir, j'aurais pu passer une vie tranquille de fée maudite dans cette maison partagée avec ce jeune homme, mais cela ne se passa pas ainsi.
Ce Tyler venait de voler et briser toute mon enfance. De quel droit osait-il anéantir tout un terrain d'herbe verdoyante avec des machines géantes et destructrices ? De quel droit osait-il s'introduire chez moi ? Car oui, cet endroit où j'étais condamnée à rester pour l'éternité était ma demeure, et uniquement la mienne. Voilà déjà une dizaine d'années que j'errais sans but dans cette cabane, sans amis, sans parents, sans compagnie. J'avais appris à vivre seule et à me débrouiller seule sans que personne ne m'aborde jamais. Et voilà qu'il prenait ma place et s'installait comme s'il avait toujours vécu ici. Savait-il au moins qu'une petite fille s'était suicidée dans ce même endroit quelques années plus tôt ? Cette seule information aurait pu faire fuir n'importe qui.
Il passa le seuil de la porte et soupira après avoir sûrement passé une journée éreintante. Le soleil déclinait à l'horizon, mais il ne savait pas que l'enfer n'était
pas terminé, et qu'il n'avait même pas commencé. Ce pauvre Tyler allait subir les pires tortures que je pouvais lui infliger, et il ne pourrait jamais savoir d'où elles viendraient...
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