Tristesse II
Vous a-t-on déjà fait le genre de petites remarques agaçantes comme : "Tu n'es franchement pas drôle ", ou alors "Cesse de pleurer pour ce genre de chose " ? Cela vous a peut-être atteint, blessé, vous avez ressenti de la haine pour cette personne qui se donne le droit de diriger et contrôler vos émotions. Ou alors, cela vous a permis de songer. Vous avez réfléchi, compris le sens des paroles qui vous ont été adressées. Peut être avez vous été profondément touché, vous qui êtes très sensible, vous avez pleuré, remis en question toute votre existence.
Moi, je suis située dans la catégorie très rare des personnes qui ne réagissent pas à ce genre de remarque. En fait, je réagis très rarement à ce qu'on me dit ou ce qu'on me fait. Je suis comme ceux qui gardent tout pour eux, sans jamais en parler. Ceux qui cachent la vérité, qui se réfugient dans un monde plus doux, un monde qui n'existe pas. Qui n'existe que pour nous.
- Claire dis moi, qu'as tu fais aujourd'hui ? demanda Mr Spencer.
Mr Spencer était mon psychologue depuis de nombreuses années. Et puis Claire, c'était moi. Une jeune fille de quinze ans qui faisait tout son possible pour ne pas devenir folle. L'homme accoudé au bureau en face de moi soupira et me regarda intensément avec ses yeux fatigués, attendant une réponse. Il devait avoir dépassé la cinquantaine car ses rides étaient clairement apparentes lorsqu'il souriait ou qu'il haussait les sourcils. Il gratta nerveusement son crâne où naissait un début de calvitie et reposa sa main à plat sur la table en bois.
- Rien, dis-je en ayant pris au préalable une grande inspiration.
- Je sais que ce n'est pas vrai, tu es allée à l'école ?
- Oui, et le matin je me suis réveillée, j'ai pris mon petit déjeuner, j'ai attendu le bus, et je suis allée à mon cours de mathématiques.
- Très bien, me répondit-il sûrement après avoir constaté l'inutilité des informations que je venais de lui fournir. As tu ressenti quelque chose en particulier?
- Non.
Mon psychologue soupira. Il ne devait pas être facile de supporter une fille comme moi. Pourtant, rien de tout cela n'était de ma faute. Je promenai mon regard dans le cabinet spacieux et illuminé et jouai avec mes longues mèches de cheveux blondes. Il me sortit de ma torpeur habituelle en articulant :
- Est ce que quelqu'un t'a dit quelque chose de gentil ?
- Non je ne crois pas.
- Quelque chose de méchant ?
- Oui je crois.
- Raconte moi.
Je battis des paupières, faisant danser mes cils clairs, et me remémorait les événements du jour. Dans la cour, un groupe d'élèves avaient ri avec animation suite à la remarque soi-disant amusante de l'un d'eux. Je m'étais approchée, en demandant si la situation avait de quoi être drôle. Ils s'étaient tous refroidis à mon approche. Je les avait toisés avec mon regard bleu perçant, et ils s'étaient mis à m'insulter tout en me lâchant quelques coups au passage.
"Autiste". "Malade". "Idiote".
Mes camarades m'avaient toujours rejetée, ils me trouvaient étrange, effrayante. Je ne savais pas comment me faire accepter. Je n'arrivais pas à comprendre ce qu'ils ressentaient envers moi. J'étais la différente.
Celle qu'il ne fallait pas accepter. J'étais la discriminée, le souffre-douleur. Celle que la société n'acceptait pas. Je faisais partie de ces gens qui donnaient tout ce qu'ils pouvaient pour être vus comme les autres, intégrés dans un groupe, dans une case. J'étais de ceux qui se maquillaient parce que les autres les trouvaient laids. J'étais de ceux qui se privaient parce que les autres les trouvaient gras. J'étais de ceux qui séchaient leurs larmes parce que les autres se moquaient d'eux.
Je devais tout faire pour espérer rentrer dans ces cases, des normes définies à l'avance. Une société qui n'était pas faite pour moi. Pourquoi ? Parce que je souffrais de la maladie la plus étrange qui puisse exister sur Terre.
La maladie du silence des émotions.
- Qu'as tu éprouvé lorsque ces élèves s'en sont pris à toi ?
- J'avais mal au ventre et à la gorge. Je ressentais le besoin de leur faire à leur tour, tout ce qu'ils m'avaient fait subir. Mais je n'en voyais pas l'utilité. J'avais chaud aux joues et mes poings se sont fermés tout seuls.
Mr Spencer notait absolument toutes mes remarques, et il finit par relever la tête de ses notes.
- Cette émotion s'appelle la colère tu te souviens ? Tu l'avais déjà ressentie la semaine dernière.
Je hochais la tête, faisant tout mon possible pour intégrer ce mot dans la tête, et pouvoir donner un nom à toutes les choses que je ressentais dans ces moments là.
- Autre chose ?
- Oui, après j'ai eu la gorge bloquée, et de l'eau est sortie toute seule de mes yeux. Mes jambes ne me tenaient plus et j'avais envie de partir.
L'homme resta muet et me fixa intensément, attendant que je réponde seule :
- C'est la tristesse n'est ce pas ?
- En effet, approuva-t-il. La colère, et la tristesse.
Je rentrai chez moi quelques minutes plus tard après que Mr Spencer m'ait conseillé de parler de ces discriminations de la part de mes camarades à mes parents. J'avais hoché la tête, en sachant pertinemment que je ne le ferais pas. Mes parents avaient bien d'autres choses à faire.
Je n'avais jamais pleuré ni ri de ma vie. Mes parents avaient vainement essayé de me faire exprimer un quelconque sentiment durant la première partie de ma vie, sans succès. Ils en avaient été très affligés. Sachant que j'avais toujours été la cause de leur souffrance permanente, j'avais toujours essayé de sourire lorsque les autres riaient ou de faire la moue lorsque ma mère pleurait. Mais bien évidemment, je ne savais pas ce que je faisais.
Ces séances de psychologie ne m'aidaient pas beaucoup. Mon problème semblait irréparable. Je ressentais l'envie d'être acceptée, l'envie étant une chose que mon corps pouvait éprouver, et une chose que je comprenais. Je comprenais également l'injustice qui s'abattait sur moi. L'injustice du sort, lequel m'étant tombé dessus, ne me permettait pas de faire un grand nombre de chose évidement. Pourtant je ne ressentais aucune colère.
La maladie du silence des émotions étaient une maladie très rare. Les patients atteints ressentaient les émotions car aucun être humain était capable d'être dépourvu de tous sentiments. Cependant, ils ne s'en rendaient pas compte, ne les comprenaient pas, ne pouvaient pas mettre de nom sur les états physiques étranges qu'ils éprouvaient parfois.
"Tu as peur ?" "Tu aimes bien ?" me demandait parfois ma mère pour m'aider. J'haussais les épaules. Elle voyait sur mon visage ou d'après mes gestes que j'éprouvais quelque chose. Des yeux exorbités, des gouttes de sueur ou alors un léger sourire et des joues rosies. Mon corps exprimait des sentiments, comme toute autre personne, mais des problèmes neurologiques empêchaient mon cerveau d'interpréter ces états physiques.
Quelques fois devant mon miroir, j'essayais de froncer les sourcils ou de sourire. Le reflet renvoyé était si affreux que je cessais immédiatement de me forcer à ressembler à quelqu'un. Je me sentais étrange pendant ces moments là. J'avais l'impression d'avoir une âme, une personnalité. Malheureusement, je n'étais pas comme ça.
Nombreuses étaient les personnes qui se demandaient alors en me voyant, ce qui se passait dans ma tête. A quoi pensais-je si je ne ressentais rien ? Qu'elle était ma perception des choses, de quelle couleur était mon esprit ? Certains voyaient la vie en rose, comme ils le disaient. Moi, pour tout vous dire, il n'y avait rien. Le néant, le vide. J'avais la tête dépourvue de couleur et de vie. C'était une boîte noire où je me réfugiais souvent, car personne sur cette Terre, pas même mon psychologue ou mes parents, personne ne pouvait comprendre ce que je vivais.
C'est peu de temps après que je compris enfin comment mettre fin à cette existence dépourvue de toute émotion, totalement dépourvue de vie. J'avais fini par devenir complètement folle. Personne ne me comprenait, je ne comprenais personne. Personne ne ressentait rien envers moi, je ne ressentais rien envers personne. Ma vie n'avait aucun sens. Et je n'arrivais pas à me comprendre moi même.
Mes parents ne supportaient plus de me voir; à chaque regard échangé, ma mère fondait en larmes. Je les avais rendus fous eux aussi. Bien que ma maladie ait commencé dès ma naissance, ils ne l'avait toujours pas acceptée. Même quinze ans après.
Je n'avais aucun ami, personne à qui parler pendant les récréations, personne avec qui manger à la cantine. Un poids me pesait sur la poitrine en permanence. La solitude apparement. J'en avais assez d'être vue comme une marginale. Mais je n'étais pas en colère. Je n'étais pas triste. Je savais juste que je devais retrouver mes émotions, ou perdre tout espoir de les connaître.
« Je ne sais pas ce que je ressens... Comme un court circuit entre le corps et le cerveau. »
Je mourus un soir d'hiver. Dans le cabanon au fond du grand jardin derrière ma maison. Au milieu des outils et des débris de bois. Je m'étais enfuie de chez moi, et j'avais essayé pendant des heures et des heures de ressentir quelque chose. J'avais étudié pendant les quinze années de ma vie, toutes les réactions de mon entourage. Je m'étais mutilée avec la lame de la scie, le sang avait coulé, je n'avais pas eu peur. J'avais eu mal, mais je n'avais pas pleuré. Je n'avais pas ressenti de tristesse en voyant la vie s'échapper lentement de mon corps. J'avais essayé également de rire. Juste un petit éclat de voix. Sincère. Cette émotion était décrite comme agréable, les gens ressentaient des sortes de papillons dans leur ventre, il pleuraient sans être triste et ils en réclamaient encore et encore. Ce fut un échec évidement.
Je voulais juste rire sans me forcer, savoir ce que c'était que de ressentir de la joie. J'aurais même tout donné pour connaître un jour la tristesse et le colère. J'avais mal partout, le froid me transperçait les entrailles et le sang gouttait sans relâche sur le sol humide. Les gens pleuraient lorsqu'ils avaient mal, ou ils s'énervaient. Pourquoi ce privilège ne m'était-il pas accordé ?
Je sentis une sorte de démence s'emparer de moi, je devais tout arrêter. Alors je me suis allongée, et j'ai fermé les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. Les ténèbres froides et obscures m'engloutirent à jamais. Je ne manquerai à personne, et après tout, je n'étais pas la première à faire cela.
Combien de gens se sont tués à cause de leur différence ? A cause de leurs problèmes de naissance, alors qu'ils n'avaient rien demandé. Ont-ils trouvé la paix ? Certainement, sinon, ils ne l'auraient pas fait. J'attendais juste d'être heureuse, pouvoir ressentir quelque chose une fois dans ma vie. Chasser l'obscurité de mon esprit, et enfin y voir apparaître des couleurs.
Juste, des couleurs.
Voici donc la réécriture du premier chapitre. N'hésitez pas à me dire si vous préférez cette version ou l'ancienne pour que je puisse peser le pour et le contre et faire ainsi une histoire « parfaite ».
Merci à tous ceux qui m'ont soutenu jusqu'ici ❤️
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