Chapitre 5 - Robin (1/2)
Bantry House - Cork
Trois jours étaient passés depuis mon élévation. Je sentais les transformations se multiplier au sein de mon organisme. Mes perceptions déjà très accrues du fait de mon statut de vampire, je constatais désormais que mes acuités approchaient de leur apogée. Tout était décuplé, aussi bien magnifié qu'assombri.
Les premières heures qui ont suivi mon élévation ont certainement été les pires. Une sorte de barre invisible m'avait barré le front, et ma gorge s'était tellement asséchée, que j'avais dû boire des litres de sang. Un instant, j'avais même pensé que la soif sanguinaire était en train de me gagner, et que j'avais échoué, tant rien ne parvenait à me rassasier.
Ma faim me tenaillait, me rendait maussade, irritable. Heureusement, j'avais pu compter sur Isobelle et Ottan pour me soutenir et m'aider à aller de l'avant, bien qu'hier, ils étaient déjà repartis chez eux. La cérémonie étant achevée et s'étant parfaitement bien terminée, mes convives s'étaient empressés de retourner auprès des leurs.
Aujourd'hui, Bantry House était pratiquement vide, comme souvent. En réalité, même Willy et Alfred, les deux vampires qui étaient constamment entre mes murs, s'étaient absentés pour la journée. Vraisemblablement, c'était leur seule manière de me pousser à converser avec la seule personne encore présente dans ma demeure : Kara. Ils espéraient tous que notre mariage serait très proche, mais nous n'avions encore jamais eu l'occasion de discuter, et les rares fois que nos routes s'étaient croisées, nous n'avions jamais pris la peine de nous arrêter pour faire de véritables présentations l'un à l'autre.
Installée sur l'un des bancs du jardin et , vêtue d'une longue robe blanche qui faisait ressortir ses épais cheveux noirs, Kara m'attendait déjà. Je lui avais promis cette journée, et visiblement, elle n'avait pas oublié.
Le vent m'apportait amplement l'odeur de son délicat parfum. J'imaginais qu'elle se l'était appliquée avec douceur, favorisant des zones érogènes. Je m'approchai d'un pas supplémentaire, et son menton pivota dans ma direction. Elle était jolie, avec son visage parfait, son nez aquilin, ses grands yeux bleus... mais mon plus grand secret, c'était que ce n'était pas ce type de parti qui m'intéressait depuis l'adolescence. J'étais attiré par les mâles, et sans doute était-ce pour cette raison que je m'étais obstiné à ne pas la rencontrer jusqu'à présent.
Je savais que je n'aurais pas d'autre choix. Jamais il ne serait toléré qu'un chef de clan fornique avec un mâle. Ce n'était pas dans nos mœurs, nos traditions. Si par malheur j'étais surpris en compagnie d'un autre vampire, alors ma lignée serait couverte de honte et de déshonneur. Bien évidemment, cela ferait également disparaître ma famille et mon sang des dignes héritiers magiques. En tant que second fils, si Oscar avait pu prendre la place qu'il avait toujours aspiré obtenir, alors j'aurais pu vivre mes amourettes dans l'ombre. Mais les choses ne s'étaient pas déroulées comme nous le désirions tous, et à présent je savais que j'étais condamné à passer le reste de ma vie aux côtés d'une femelle. Une femelle humaine, puisque le but était de me fournir des successeurs.
J'approchai de cette source de sang sur pattes et la humai davantage. Peut-être n'était-ce pas l'odeur d'un parfum luxueux que je sentais, mais juste celui de son hémoglobine à l'intérieur de ses veines...
Je relevai la tête et la toisai. Elle avait dû remarquer mon changement d'attitude, puisqu'elle se renfrogna légèrement. Elle se décala néanmoins de son assise pour me faire comprendre que je me devais de prendre place à ses côtés.
J'inspirai profondément pour me redonner de la contenance et m'installai près d'elle. Je ne savais pas quoi lui dire, et encore moins par quoi j'étais censée commencer. Devais-je lui rappeler que j'étais désormais chef et que bien qu'elle fût la promise de mon frère aîné, elle n'aurait pas d'autre choix que de m'épouser prochainement ?
La loi imposait que le mariage avec la femelle, quand il s'agissait de celui d'un nouveau chef, ait lieu le jour-même de la succession, ou alors sur une durée maximale d'un mois. Il me restait moins de quatre semaines pour faire sa connaissance et l'épouser... si Willy, mon nouveau bras droit, m'accordait un tel délai. Après tout, j'avais beau être le chef du clan, je n'avais aucun pouvoir sur les lois. Elles avaient été décidées par nos très vieux ancêtres, quand les peuples s'étaient divisés à l'origine pour nous permettre de fonder plusieurs lignées puissantes, avant que les guerres pour les délimitations de territoire n'explosent.
Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, elle se pencha vers l'avant et attrapa mes mains qu'elle garda entre les siennes. Un frisson me parcourut tant je fus surpris par la chaleur qui se dégageait de ses paumes. C'était la première fois que j'approchais un humain dans de telles circonstances. J'avais déjà été en contact avec leur chaleur si spéciale, mais jamais je n'avais ressenti une telle fougue dans les airs.
Mes rétines se rétrécirent et je plongeai mon regard dans le sien. Nous n'avions rien en commun. Au-delà de nos mondes que tout opposait, cela touchait notre physique. Ma condition de vampire faisait de moi un homme plutôt grand, proche du mètre quatre-vingt-dix. J'arborais de très courts cheveux roux, que j'avais récemment rasés très près du crâne, et mes yeux étaient aussi clairs et purs que l'émeraude. Sauf lorsque je me transformais, alors ils devenaient aussi rouges que le sang, et positionnés si près de ma chevelure de feu, je savais que je faisais des ravages. Je ne passais jamais inaperçu.
— Robin, me dit-elle dans un souffle. Écoute, je sais que tu ne voulais pas de tout cela. Je devais épouser Oscar, tu devais voyager, partir loin, et finalement, nous serons coincés l'un avec l'autre pour l'éternité. Je ne peux pas te forcer à m'aimer, comme je ne peux pas te promettre que je t'aimerai, puisque mon cœur appartient à ton frère, mais nous n'avons pas le choix, et nous le savons tous les deux. Ton élévation est passée, si nous ne sommes pas mariés avant la fin du trentième jour qui suit la cérémonie, et si je ne suis pas enceinte avant les trente suivants, je serai considérée comme impure, et toi comme inapte à assurer ta fonction de chef de clan. Alors... nous devons nous allier pour passer ces premières étapes. Je...
Elle ferma la bouche et prit le temps d'observer mon visage avec attention. Ses doigts pressèrent davantage les miens, et je sentis toute la détresse passer dans cette étreinte silencieuse. Des larmes semblaient venir se nicher dans son regard.
— Nous sommes tous les deux privés de choses auxquelles nous aspirions. Je te propose un marché, Robin.
J'arquai un sourcil, recouvrai l'usage des mes mains pour les plaquer sous mes aisselles afin de croiser mes bras sur mon torse. Je voulais qu'elle me voie en position de supériorité, qu'elle soit attentive à ses propos.
— Ce que je te propose est contre-nature et je risque ma tête, mais je suis prête à le faire, parce qu'une partie de moi est convaincue que tu accepteras.
— Je t'écoute, répondis-je un peu trop rapidement, désormais sur la défensive.
— Marions-nous, obtenons un fils, et le peuple sera satisfait. Ensuite, retrouvons Oscar, et rendons-lui la raison. Lorsqu'il sera guéri, peu importe que nous soyions mariés, nous le serons sur le papier seulement. Je reprendrai ma vie auprès d'Oscar, même si je dois le faire dans l'obscurité, et tu pourras mener l'existence que tu as toujours désiré de ton propre côté.
J'ouvris grand les yeux, heurté par de tels mots. Jamais je n'aurais pu penser qu'une aussi simple humaine puisse avoir un tel cran pour me proposer un marché aussi gros et illégal. Savait-elle ne serait-ce que ce que nous risquions si elle était prise sur le tas ? Notre enfant, si tant est que nous arrivions jusque-là, pourrait être perçu comme illégitime et renié par le peuple. Elle-même pourrait perdre la confiance de mes sujets, et se retrouver bannie de mes terres.
D'un autre côté, je ne pouvais nier que je ne serais pas contre l'idée de recouvrer ma liberté une fois toute cette histoire terminée. Et, même si je devais avouer que cette partie me plaisait assez, c'était surtout l'aspect « sauver Oscar » qui me motivait davantage.
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