Chapitre 4 - Samaël (1/2)
« Le vieux monde se meurt et le nouveau tarde à apparaître. Dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
Antonio Gramsci.
Markree Castle, Sligo, République d'Irlande.
Lorsque les portes se fermèrent, je sus qu'il était enfin l'heure. Un nouveau règne allait commencer et j'en ferai indéniablement parti, peu importait à quel point le sang et la guerre pouvaient me barrer le chemin. D'un coup d'œil, j'observai Diane, puis ma mère, et enfin Myra, qui me dévisageait toujours comme un chiot abattu en bout de salle. Seul un mouvement de ma part pouvait faire taire tous les sujets du Markree Castle. Depuis ma plus tendre enfance, j'étais respecté, presque choyé par mes parents contrairement à Myra qui semait le chaos dans son sillage depuis seize années. J'avais déjà quarante ans lors de sa naissance mais pour nous, ce souvenir n'était pas si lointain, à ceci près que mon père était encore de ce monde.
Je me levai enfin, déterminé à recevoir la couronne du clan de Sligo.
— Mes chers sujets, commençai-je comme si j'étais déjà en train de gouverner. Je suis ravi de vous voir tous présents à cette cérémonie importante, autant pour vous que pour moi. La mort de mon paternel nous a tous marqué, certains étaient des amis, des sujets dévoués. En tant qu'unique descendant en capacité de reprendre le flambeau, nous allons aujourd'hui procéder à la relève, au banquet ainsi qu'aux festivités.
Inconsciemment, mon regard dévia sur ma cadette. Entre les silhouettes immobiles, le silence aussi lourd que l'acier prenait de plus en plus de place. Myra grimaça, puis entortilla l'une de ses mèches de cheveux entre son index et son majeur. Elle me déconcentrait. En me rendant compte du vide de la pièce, je m'éclaircis la gorge et repris, un timbre plus haut :
— Que ce jour reste gravé dans votre mémoire.
Tous, sans exception, s'exclamèrent, désireux de faire résonner leurs voix à l'intérieur du domaine de Markree Castle. Les festivités étaient pourtant encore loin d'avoir commencées. Avant tout, je devais accéder à la succession et convenir une date de mariage avec Diane. Le plus tôt possible serait le mieux. Après tout, nous étions également là pour ça. Alors que je m'apprêtai à continuer mon discours, ma mère m'interrompis peu discrètement en se levant avec brutalité de son siège :
— Mes chers sujets, répéta-t-elle avec sarcasme.
Lorsque sa voix cristalline résonna dans le cœur de la salle, ils se turent tous. Le rouge me montait enfin aux joues, c'était inévitable. Elle s'avança, et du coin de l'œil je vis sa longue chevelure brune descendre le long de son épaule puis de son thorax. Rares étaient encore ceux qui ne donnaient pas d'attention à ma mère. Son comportement devenait plus que déplacé envers ma personne.
— Le mariage prévu entre Samaël et sa prétendue épouse aura lieu ce soir, après les festivités de la succession, annonça-t-elle sans me concerter.
Je serrai les dents et me tournai vers elle.
— Ce n'était pas ce qui était convenu, mère. Je devais m'entretenir uniquement avec Diane à ce sujet. Et dois-je vous rappeler que nous devons redéfinir les terres avec notre ennemi le plus tôt possible ? Cette entrevue est prévue le vingt-cinquième jour après la dernière bataille. C'est une tradition et vous le savez, je ne peux pas me permettre de perdre mon temps avec le mariage.
Ma tension pouvait assurément se transmettre dans ma voix à la fois chargée de frustration et de colère. Si j'appréciais Myra avec ses défauts, ceux de ma mère étaient sans l'ombre d'un doute trop envahissant lorsque cela me concernait. Elle ne pouvait pas s'empêcher de prendre les décisions à son bon-vouloir sous l'unique prétexte qu'elle était la femme du chef. J'aurai une sérieuse conversation avec elle lorsque le moment sera venu. Sans que j'en aie donné l'autorisation, tous se mirent à acclamer Calista, comme si mon malheur n'était pas suffisant. Il était de mon devoir de veiller à la répartition des terres sur cette île et elle prenait un malin plaisir à me contrôler comme s'il s'agissait de Myra sur le trône. Je n'étais pas aussi irresponsable qu'elle.
Je soupirai difficilement et repris mes esprits malgré moi. Je devais surtout me concentrer sur la succession et sur le rituel de sang qui s'en suivait, rien ne comptait plus que cela pour l'instant. D'un coup d'œil à Sven, et il disparut dans la foule de sujet afin de m'apporter ce dont j'avais besoin. Bientôt, chaque sujet de la salle allait mettre un point d'honneur au silence qui devait régner lors de cet événement. Je ne pouvais plus supporter que ma mère accapare toute l'attention. Calista avait déjà eu son heure de gloire contrairement à mon cas.
Le calice royal fut apporté en un temps record. Celui-ci n'était pas qu'un simple verre mais il était aussi un objet d'une valeur inestimable pour les grandes familles de vampires. Son pourtour était ornementé d'une chaîne en argent qui ne tenait que grâce à la moulure du pied. Les quelques rubis qui habillaient le tout portaient un rouge grenade capable d'être confondu avec le sang. Mère se rassit tandis que Sven m'offrit la coupe avec précaution.
Cet objet, enfin entre mes mains, représentait beaucoup pour moi et pour le clan de Sligo. Pour enclencher le rituel, je devais tout d'abord mélanger le sang de chaque membre royal. Avec étonnement, je décidai d'inviter Myra à me rejoindre. Elle comprit aussitôt lorsque mes yeux lui firent appel à travers la salle. Choix étonnant de ma part puisque j'avais toujours préféré mes parents à ma sœur mais à l'heure actuelle, la reine n'était plus qu'un obstacle.
Myra s'approcha de moi, guillerette, après avoir monté l'estrade qui nous séparait du bas-monde. L'une de ses mèches blanches était coincée derrière son oreille. Son sourire en disait long sur la fierté qu'elle pouvait avoir en grimpant ici malgré son jeune âge. Ses lèvres charnues étaient tout aussi écarlates que ses yeux qui venaient de prendre leur vraie couleur. Je sentis la soif me monter à la gorge, non pas que mordre ma sœur soit une partie de plaisir, mais pour cette fois-ci, il s'agissait presque d'une règle déontique.
Dans ma mâchoire poussaient mes deux canines. Je reconnaissais leurs pointes qui effleuraient mes lèvres, prêtes à agir. Lorsque Myra présenta son poignet sous les yeux attentifs des vampires, je lui saisis le bras avec vivacité, tenant le calice de l'autre main. Aucune émotion ne transperça son visage lorsque deux crocs vinrent lui perforer la peau. Au-dessus de la coupe, son sang coula à petite goutte. Elle serra le poing, ravie de voir le fluide glisser le long de son bras blême. L'odeur de l'hémoglobine ne me faisait rien. Elle ne remuait pas mes organes comme le faisait celui d'un humain. Une fois ceci fait, Myra se recula sans pour autant quitter l'estrade. Elle en profitait tant qu'elle le pouvait parce qu'elle savait qu'à la fin, je lui ordonnerai de disposer.
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