Chapitre 3 - Robin (1/2)
Bantry House - Cork
Le temps était venu. J'étais de nouveau passé dans le bureau de mon père, parce que je savais que demain, il ne serait plus. Tout serait à mon nom, et sur ces mêmes meubles et étagères près de moi, ce seraient mes propres documents qui trouveraient leur place.
C'est ainsi que depuis la fenêtre, j'ai pu observer le coucher de soleil sur la large étendue d'eau. Impossible de voir arriver les invités par la porte d'entrée de ce côté, mais mon ouïe surdeveloppée me permettait de les entendre pénétrer dans mon domaine malgré tout.
Plus j'attendais, et plus je pouvais également entendre un brouhaha se faire une place dans les couloirs et gagner les étages jusqu'à moi, malgré la parfaite isolation des pièces. Après tout, même avec des murmures, et venus de la bouche de vampires, deux cents personnes faisaient du bruit.
J'inspirai profondément et pris mon courage à deux mains. Je portais la robe de cérémonie que mon propre père avait portée pour la sienne. Malgré les siècles, elle restait intacte. Réalisée dans une somptueuse broderie rouge sang et or, elle arborait des représentations de gouttes pour rappeler notre consommation, mais aussi le fait que nous étions tous liés par le sang.
Notre particularité, qui nous différenciait des humains, était ce qui nous unifiait, et aucun d'entre nous ne l'oubliait. Nous n'étions pas des monstres, comme pouvaient le penser ceux qui nous traquaient, simplement une espèce à part, évoluée, plus puissante, plus résistante. Nous ne tombions pas malade, et ne polluions pas. Aucun déchet, et notre alimentation se trouvait dans des organismes capables de se décomposer pour nourrir la terre. Nous étions l'avenir, la génération de demain.
Seulement... nous ne pouvions pas non plus nous débarrasser des humains, puisque sans eux, nous n'aurions plus de quoi subvenir à nos besoins. Alors nous n'avions pas d'autre choix que celui de coexister, bien qu'au final, nous passions notre vie cachée de leurs yeux pour ne pas les heurter avec notre « barbarie ».
Je jetai un coup d'œil vers le papier qui trônait sur le bureau. Mon fameux discours, que j'étais censé maîtriser sur le bout des doigts, alors que je n'en avais pas même un brouillon entier. Je haussai les épaules et me massai les poignets. Puis, j'attrapai la preuve de mon manque d'inspiration, et la jetai à la poubelle. Ensuite, je me dirigeai vers la porte et quittai cette pièce dédiée à mon père pour la dernière fois. Quand je voudrais y pénétrer en son sein à nouveau, elle m'appartiendrait. Tout serait différent.
Je m'empressai de descendre les volées de marche, et gagnai rapidement l'effervescence. Les conversations fusaient de tous les côtés. Beaucoup étaient heureux de se revoir après plusieurs années, d'autres, en revanche, arboraient un visage macabre. Ils n'oubliaient pas qu'ils étaient ici parce que leur vénéré chef n'était plus. Ils avaient perdu un père, un ami, un meneur digne de ce nom. Un grand homme qui laissait un trou dans leur cœur.
Je fis de mon mieux pour arborer le visage le plus neutre possible. Je devais paraître sûr de moi, et en même temps fêlé par la disparition de mon père. Si je me montrais fragile, alors je n'aurais pas leur confiance, pas plus que si je donnais l'impression que lui succéder suite à sa fin tragique se faisait de bon cœur.
— Bonsoir, déclarai-je afin de focaliser l'attention de tous sur ma personne.
Je me frayai un chemin parmi la foule. Il y avait tant de monde que les portes qui menaient sur les jardins étaient ouvertes. Nous n'avions pas besoin de placer des enceintes, puisque même un vampire à cinq cents mètres était en mesure de m'entendre s'il tendait parfaitement l'oreille.
Je montai donc sur une estrade placée dans la salle de réception durant l'après-midi. Je pris le temps de détailler quelques visages, et je fus étonné de voir le nombre de transformés. Peu arboraient des visages humains. Je me demandais alors s'il était judicieux que j'apparaisse dans la plus simple des façons, ou s'il fallait que je montre mon regard de sang et mes canines pour appuyer ma puissance et ma place.
Je jetai un coup d'œil vers Isobelle, Ottan, Willy et même les portraits de mon père et de mon frère sur ma gauche. Apercevoir ces deux derniers sous forme humaine me convainquit de ne pas me transformer.
J'inspirai profondément.
— Bonsoir chers sujets de mon père, le défunt chef Cillian McCarthy. Je m'adresse à vous ce soir avec le cœur. Nous savons tous à quel point il a été un meneur exemplaire, courageux, téméraire. Cillian était un homme qui n'avait pas peur de se battre, et qui au contraire mettait de la fougue et de la hargne lorsqu'il s'agissait de défendre les siens. Je ne suis pas mon père, mais je vous promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger. Puisque je suis son seul fils en état de reprendre les rênes du clan Bantry, je m'engage à le faire entièrement, et sans concession. Ce soir, mes frères, mes sœurs, j'accepte la tâche qui m'incombe, j'accepte de prendre la place de chef, et j'aspire à en devenir un convenable, qui saura se montrer à la hauteur de vos attentes.
Un silence de mort suivit ma déclaration et je compris que je ne les avais pas tous convaincus. J'aperçus alors Alfred venir à mes côtés. Il tenait dans ses mains une dague à la forme très particulière. Si la garde ressemblait à tant d'autres de ces armes, la lame, elle, avait une forme sinusoïdale sur sa longueur et arborait une pointe aiguisée. Le nom de mon père était gravé sur sa surface finement travaillée. Il s'agissait d'une production certainement onéreuse et très précieuse.
Willy se détacha de la foule et se présenta devant moi. Il retira la cape qu'il portait, et la retourna. Je reconnus immédiatement le vêtement du précédent chef. Le bras droit l'avait simplement mise à l'envers sur ses épaules pour qu'elle passe inaperçue.
Les deux vampires me tendirent les affaires de concert et lorsque mes doigts les effleurèrent, je sus aussitôt ce qu'il fallait que je fasse. Alors, avec fermeté, je saisis l'ensemble. Près de moi, sur l'estrade, se tenait une table, et, en son centre, un calice sans doute aussi vieux que le monde lui-même.
J'observai mon peuple un instant, m'assurant de bien saisir l'attention de toutes les personnes présentes, puis je posai la dague sur la table recouverte d'une douce soie pourpre. J'enfilai rapidement la cape de mon père, puis levai une main au-dessus du calice tout en me munissant à nouveau de l'arme précieuse. J'inspirai profondément et taillai la première entaille dans le creux de ma paume.
— Par le sang versé, je jure sur ma vie de prendre soin de mon peuple, de le nourrir, de le protéger, et de toujours veiller à ce qu'il ne manque de rien.
Je traçai une nouvelle entaille sur la précédente qui cicatrisait déjà.
— Par le sang versé, je jure sur ma vie d'éliminer notre ennemi de toujours, et de venger le cœur et l'esprit de notre précédent chef de clan.
J'opérai une dernière fois l'opération. Instinctivement, je savais que je disais les bons mots, et que j'effectuais les bons gestes. Tout était parfait, et je remerciai intérieurement l'ange qui veillait sur moi de me souffler les paroles tant attendues par mes nouveaux sujets.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro