Chapitre 2 - Samaël (2/2)
— Venez donc, trésor. La salle du trône doit nous attendre.
Elle se greffa à nous et nous suivit, silencieuse, jusqu'à cette salle. Aucun son ne sortit de sa bouche mais ses mouvements détendus ne la trahissaient pas, bien au contraire. Sa tenue trois quart se balançait dans le coin de ma vision, accentuant son apparence noble et sa droiture exceptionnelle. Vaguement, je repensais au discours que je devrais prononcer en prenant la succession. Je le connaissais sur le bout des doigts. Comme mon destin.
La salle du trône était sans aucun doute la pièce la plus importante du château de Sligo. En son sein, nombreux objets de valeurs y étaient exposés ainsi que certaines armes militaires pleines d'Osmium. La porte tout aussi grande que les autres nous offrait l'accès à cet endroit. Bien évidemment, la reine Calista ne se fit pas prier pour l'ouvrir, accaparant toute l'attention sur sa personne. Devant nous s'étendait un tapis d'or et de rouge et la lumière naturelle que nous donnaient les fenêtres longilignes de la pièce faisait briller le sol marbreux. De part et d'autre de l'estrade couleur sang, deux torches s'embrasaient depuis l'éternité. Au milieu, tel un oracle, scintillait le siège de la dynastie des Quervelec. Il était séparé par deux statues de deux autres fauteuils ; l'un pour la reine, l'autre pour Diane. Sur ce dernier se trouvait Myra. Ses jambes pendaient nonchalamment par-dessus l'un des accoudoirs. La colère monta en moi.
— Que fais-tu ici, Myra ? commença la reine.
— Je viens voir mon grand frère se faire couronner.
Les quelques gardes qui occupaient la salle ne bougeaient pas. La cour n'avait pas encore été autorisée à entrer et ma sœur s'amusait déjà à mettre le désordre dans nos occupations.
— On te l'a déjà dit mille fois, Myra. Tu es trop jeune pour occuper la salle du trône. Qui plus est, tu te trouves à la place de Diane, grognai-je en approchant d'elle.
Myra possédait deux longues mèches blanches comme neige à l'avant de son visage. Pourtant, le reste était d'un noir ténébreux, une couleur que je portais également sur des boucles rebelles. Son arcade sourcilière droite était habillée d'un piercing, caprice qu'elle avait obtenu à cause de moi. Je l'aidais trop. Sous des airs d'agréable vampire, je savais être tout aussi rusé que ma mère. Il fallait dresser Myra le plus possible, quitte à lui faire du rentre-dedans.
— Allez, descends, lui ordonnai-je en arrivant devant elle.
Elle ne s'exécuta pas et me toisa.
— Descends de ce foutu trône ou je te mets moi-même à la porte.
Elle leva les bras, comme pour déclarer forfait, puis elle se leva et lâcha un soupir dont elle seule avait le secret. Parfait. En me tournant vers ma mère et Diane, je me rendis compte qu'elles ne nous avaient pas quitté des yeux durant cette scène particulièrement humiliante. Autant utiliser la manière forte dès le début avec Myra. Je vis ma cadette s'installer sur le rebord de l'une des fenêtres, mécontente de ma prestation. Lorsque j'invitai Calista et Diane à venir s'installer à mes côtés, elle me dévisagea.
— Faites entrer la cour, commandai-je aussitôt aux deux gardes qui se trouvaient près des portes.
Les deux bonhommes s'exécutèrent, sortirent de la pièce dans un calme olympien tandis que ma mère et Diane prenaient place à leur siège. En quelques minutes seulement, les sujets qui occupaient l'habitation se rassemblèrent ici. La salle immense fut capable d'accueillir les plus privilégiés, ceux qui étaient proches de mon père et qui me voyait déjà digne d'être chef du clan. Ils étaient tous vêtus raffinement, ne plaçaient pas un mot plus haut que l'autre et pourtant, au milieu de la foule se trouvait toujours Myra, tornade incontrôlée. Entre deux têtes, je voyais son visage, un tantinet triste. Du haut de ses seize ans, adolescente rebelle, elle n'en manquait pas une pour se faire remarquer, mais elle allait encore grandir et un jour, son âge se figera. Cela dépendait de chacun, certains arrêtaient de vieillir vers l'âge de quarante ans pour ainsi vivre éternellement, d'autres, comme moi, commençaient à stagner vers vingt-cinq ou vingt-six ans.
C'était un entre-deux convenable.
Chaque clan avait ses traditions mais le passage de la succession était l'un des plus importants et des plus redoutés. Au programme : rituels de sang, discours souvent poignants, d'autres complètement ratés et le plus symbolique ; le passage de la couronne au prochain chef. Rien ne se déroulait de la même façon chez les uns et chez les autres, ce qui nous différenciait à la fois des humains et des autres vampires. La cour chuchotait aux oreilles des uns et des autres mais aucune des voix ne m'était inconnue. Depuis des années, j'apprenais à reconnaître les visages familiers, à faire attention à chaque bruit, à chaque mouvement qui m'entourait, parce que c'était dans ma nature.
La reine discutait avec Sven, le régisseur des réunions royales, organisateur des événements tels que celui-ci et fidèle ami d'enfance de ma mère. Sven était serviteur, des dizaines d'années auparavant, il avait été gracié par mon père, faisant de lui une figure importante du clan de Sligo. Sa taille surpassait toutes celles qui se trouvaient dans la salle et son dos droit, ses manières de gentilhomme lui offraient une bonne image. On ne pouvait pas en dire autant de Myra.
À ma droite, Diane restait silencieuse et observatrice. De bouche à oreille, j'avais appris la mort de sa mère, lorsqu'elle était très jeune. Elle avait été tuée par des chasseurs et celui qui l'avait vengée n'était autre que son père, chef d'un clan bien plus petit que le nôtre mais bien protégé grâce à nos faveurs. Sa mâchoire fine était crispée. Son paternel n'était pas là, ce qui devait la contrarier, pour peu qu'il le lui ait promis. Nous avions très peu échangé depuis l'annonce de notre mariage, un peu après la mort de Phœbus. Inconsciemment, je devenais aussi tendu qu'elle. Peut-être était-ce la question du mariage qui me préoccupait autant ? Celle de mon père n'était plus qu'un souvenir que je devais surpasser, quitte à dépasser mes limites. Je pouvais compter sur le tempérament de ma mère pour me pousser à bout et reprendre le règne si jamais je venais à commettre une erreur. Pour une fois que cela m'arrangeait.
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