Chapitre 2 - Samaël (1/2)
« Dans le clair-obscur, le silence est encore le meilleur interprète des âmes. »
Paul Javor.
Markree Castle, Sligo, République d'Irlande.
L'aube était là. Mon souhait de régner avant l'heure habitait toujours mes veines et mon esprit. La mort de mon père était regrettable, bien plus que je ne pouvais l'imaginer. Un jour pourtant, il fallait tourner la page et savoir se prendre en main. Ma sœur cadette en était incapable. Je l'entendais éternellement railler dans mes oreilles, s'immiscer dans un monde qu'elle comprenait à peine : le mien. Myra n'aspirait qu'à s'amuser. Elle prenait la vie comme un jeu. La voir s'égayer de tout et de rien était capable de me mettre hors de moi. Pour gouverner, il fallait garder la tête haute, ne pas se laisser atteindre par les émotions négatives.
Je tenais cela de mon père.
Piano et satin, miroirs et peintures. La pièce dans laquelle je me trouvais était remplie de tant d'artifices que j'avais passé une bonne partie de la nuit les yeux rivés vers l'extérieur. Certaines personnes de ce château me savaient capable de prendre la place de mon père dès l'aurore, mais pour cette fois, ils allaient se passer de moi. J'étais moi-même prédestiné à une épouse, une fille que je connaissais depuis toujours. Je n'avais d'yeux que pour le trône, pas pour le mariage. Pourtant, j'attendais quelqu'un. Face aux premiers rayons du soleil, je triturai la soie des rideaux. Trois grandes fenêtres aux rebords voûtés éclairaient cette pièce d'un blanc albâtre. Je me surprenais une nouvelle fois à guetter le silence pour discerner les pas réguliers qui martelaient le sol. Avant même qu'elle entre dans la pièce, j'affrontai avec détermination la porte faite de moulures et de dorures.
— Que puis-je faire pour vous, mère ?
Elle entra et me toisa d'un air défraîchi.
Trois semaines, je savais déjà comment m'y prendre. Pourquoi devrais-je encore avoir besoin d'elle ? Mère venait souvent m'importuner. En cet instant, ma seule envie fut de la faire disparaître à coup d'osmium. Impossible. Il s'agissait de ma génitrice. Sans vergogne, elle avait crocheté mon bras par-dessus l'instrument qui me servait à dégorger mes nuits d'une certaine solitude. La pièce à musique était l'une des pires hantises de la reine. Simple reine du Nord, pourtant. Pour elle, m'exercer à cette pratique rendait mes convictions de règne à l'état de poussière.
— La succession ne va pas tarder, tu devrais te préparer, commenta-t-elle, déconfite. Les invités sont prêts et notre repas ne tardera pas à arriver.
Je le savais comme si on me l'avait répété toute ma vie.
Le soleil se levait dans mon dos, me réchauffait un peu en ce jour au goût doux-amer. Je me demandais souvent comme mère vivait la mort des deux chefs des clans les plus reconnus de la République d'Irlande. Ces trois dernières semaines, elle avait été la régente officieuse. En réalité, j'avais déjà le droit de prendre mes décisions seul, tant qu'elles ne troublaient pas les règles de succession qui étaient mises en place, à savoir : je ne pouvais pas manœuvrer l'armée à ma guise, ni déclarer de guerre. Mon pouvoir se résumait à décider du sort des vampires qui transgressaient les ordres royaux. Ce jour symbolique, je le connaissais sur le bout des doigts. Je l'attendais depuis mon premier jour. Il était enfin là et me tendait les bras sans que je n'aie eu besoin de faire d'efforts.
— On ferait mieux d'y aller avant de rater la cérémonie, tu ne penses pas ?
Mon soupir la fit grimacer. Bon gré mal gré, elle m'emmena avec elle. Dans son sillage, tous s'écartaient. Partout dans le Nord de l'Irlande, on disait de la reine Calista, qu'elle avait une beauté à en couper le souffle, mais elle était impitoyable, autoritaire et parfois aigrie au point de dégoûtée plus que de raison ma sœur cadette. Sa jeunesse éternelle ne fascinait plus autant qu'avant, mais elle était remarquable par ses longs cheveux d'un noir ténébreux et ses yeux d'un rouge si vif, que certaines rumeurs les comparaient à ceux de Méduse.
Les couloirs s'entrecoupaient, se croisaient en un point qui s'apparentait au cœur du château. Peu importait où nous étions, un passage à cet endroit était obligatoire. Je sentais chaque odeur, je les connaissais sur le bout des doigts, et si un malheureux croyait pouvoir me tromper, mon côté impitoyable aurait raison de moi. Pourtant, à cet instant, mon corps ne savait plus s'il devait ralentir le pas ou abréger les souffrances de ma conscience. Malgré l'aube qui se levait, l'intérieur du château royal portait en lui plus d'ombre que de lumière. Les hauts plafonds nous donnaient le sentiment de grandeur. L'architecture de chaque escalier, de chaque porte faisait la renommée du Markree Castle.
Ma famille portait des origines bretonnes mais moi-même je n'étais pas né là-bas. La République d'Irlande avait toujours été le noyau de mon existence, un berceau qui habitait bien plus que de simples humains comme certains le pensaient. Ce pays était une terre que je ne voulais pas quitter, même si pour cela je devais faire couler le sang entre mes mains.
En arrivant au cœur du château, je sentis quelqu'un. Au bout du long couloir dans lequel la reine me traînait malgré moi, il se trouvait trois escaliers. Le premier, au centre, nous faisait descendre au rez-de-chaussée, puis à la cour. Celui de droite et celui de gauche nous menaient aux étages, qui, sous l'immensité du plafond recouvert de moulures, étaient au nombre de quatre.
Sur la descente qui nous faisait face, cernée par deux chandeliers aux bougies lumineuses et fumantes, je reconnus Diane, ma future épouse. Elle n'avait rien d'une reine, s'apparentant plus à une guerrière. Sur son visage basané, elle gardait, tout comme ma mère, ses yeux rouges qui eux pouvaient virés à l'orangé. Elle était encore jeune, d'où cette particularité. Ses cheveux électriques étaient noués en une tresse qui se terminait sur son épaule droite. Là, je reconnus une tenue militaire sur laquelle avaient été cousus une dizaine de boutons en tête d'épingle.
— Votre Majesté, salua-t-elle la reine d'un ton honorable.
Son vif regard se posa un instant sur moi. Elle portait son charme avec brio, mais elle n'était pas faite pour la royauté. Tout ce à quoi elle aspirait était de pouvoir commander l'armée et de guider notre clan vers la victoire. Son combat n'en restait pas moins le même que le mien. Nous n'avions juste pas la même vision des choses.
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