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Les aiguilles semblent tourner à l'envers. Ce soir, Minho pourrait croire que les machines à remonter le temps existent. Ils sont là, tous les quatre autour d'une table, à balancer des cartes à tour de rôle. Une partie de Uno, comme auparavant. Lorsque tout était plus innocent, un peu moins compliqué. Il y a des rires, de gentilles moqueries, des poings frustrés qui tapent le bois de la table. C'est joyeux, le ciel nocturne a beau ne pas avoir d'étoiles aujourd'hui, cette soirée brille de mille feux. L'odeur des crêpes qu'ils ont mangées quelques heures auparavant embaume encore la pièce de leur parfum réconfortant. Les assiettes sèches tranquillement à côté de l'évier. Des tasses remplies de tisane laissent leur fumée danser au-dessus du liquide. Aucun des joueurs ne voudrait se trouver autre part. Même Minho s'est déridé. Il s'esclaffe, rouspète, sourit. Il regarde Chan aussi, d'une manière un peu trop admirative. Parce qu'il le trouve beau à rayonner ainsi, sous la lumière jaune du petit salon. Ils sont tous beaux à vrai dire, ils ont retrouvé leurs bouilles d'enfant, celles qu'ils avaient une dizaine d'années plutôt. La jeunesse, l'insouciance, ça a quelque chose d'émouvant. Ça a ce côté un peu insaisissable, irréel.

Mais la bulle éclate lorsque le téléphone de Minho vibre. Il jette un furtif coup d'œil, perd son sourire puis retient un soupir quand il voit le nom qui décore son écran. Évidemment. Il n'a pas envie de lire les mots qu'on lui a adressés, ce n'est pas le moment. Alors il ignore. Du moins, il essaie. Mais maintenant qu'il a l'impression d'être de retour au lycée, il ne peut s'empêcher de se remémorer son premier amour. Jisung. Lui aussi semble vouloir se faire une place dans le présent de Minho. Merde alors. Ce dernier s'en veut de se sentir ainsi, mais il lui fait toujours mal, ce prénom qu'il avait autrefois tant aimé. Jisung, c'est une cassure du cœur qui reste coupante même après des années. Le genre de blessure qui laisse une petite cicatrice claire sur la peau. Infime, discrète, mais bien visible si on s'attarde trop longtemps dessus. Celle que le temps a du mal à effacer.

— Je vais prendre l'air, clame-t-il finalement en reculant sa chaise.

Il étouffe. Le passé qui le rassurait tant quelques secondes auparavant, devient maintenant sa prison. Il ne veut pas se souvenir. Ne veut plus. C'est toujours douloureux la nostalgie, bien trop lourd comparé à ce que l'humain peut supporter. On se rappelle trop brusquement de ce qu'on a un jour possédé, si bien qu'il devient difficile de regarder le monde actuel avec sympathie. On ne pose plus qu'un regard plein d'amertume sur lui. Pourquoi les choses se sont-elles passées ainsi ? C'est la seule question qu'il nous reste au fond de l'âme. Un peu d'aigreur sur le bout de la langue.

— Par ce temps ? s'étonne Hyunjin.

On ne lui répond pas, le noiraud n'a pas la force de tenter une excuse. Il hausse simplement les épaules, montrant bien que la morsure du froid lui est égale. C'est sous le silence de ses amis, inquiets de son soudain changement d'humeur, qu'il sort dehors. Ils se regardent, s'interrogeant implicitement sur la raison des agissements du déserteur. Ce n'est pourtant pas étrange, c'est Minho, celui avec son comportement décalé, piquant, âcre. C'est celui qui adore se plaindre, grogner, rouspéter, face aux petites broutilles du quotidien. Et lorsque ses emmerdes sont trop lourdes à porter, il se terre dans son mutisme, il ferme tout à double tour. Dans ces moments-là, il faut voir au-delà de son aigreur habituelle, c'est signe qu'il y a un problème plus profond à traiter. Et ça, ils le savent tous. C'est sûrement pour cela qu'ils ont une moue embêtée sur le visage, ils sont bien conscients que leur ami à des nœuds dans la tête ce soir.

L'air frais accueille Minho dans son étreinte paralysante. Il frissonne, il a froid. Ça lui fait du bien. Il pense à autre chose que Jisung l'espace d'un instant. Il se maudit intérieurement de ne pas avoir pris son manteau ou son écharpe. Dans son esprit, leur image remplace le visage de celui qui lui a brisé le cœur. Et étonnamment, ce sont rapidement les traits de Chan qui prennent la place après eux. Il se souvient de ses mains chaudes qui lui enfoncent son bonnet sur le crâne. Il sourit. Doucement. Timidement. Honteusement aussi. Parce qu'il songeait à son ex quelques secondes auparavant et le voilà à penser à l'Australien. Il n'a pas envie que Chan devienne un substitut à Jisung, un choix de second plan. Il s'en veut de l'ordre de son cheminement de pensées. Il ne sait plus ce que son cerveau essaie de lui faire comprendre. Est-ce que son inconscient lui demande de trancher entre les deux ?

Stupide. C'est stupide. Minho est stupide. L'univers aussi. Et l'amour est la stupidité même, le départ de tout ça. Si le monde ne tourne pas rond, c'est à cause de ça ! Si Minho ne sait plus ce qu'il fait, où donner de la tête, c'est par sa faute ! Il s'était promis de ne plus jouer avec Cupidon et voilà, il se retrouve avec un cœur attendri par des boucles blondes et nostalgique de son passé passionné avec un autre. Si seulement il ne pouvait plus aimer. Si seulement il n'avait jamais aimé. Ah, ça ! Tout aurait été plus simple. Pas de moment honteux, pas de dignité bafouée, pas de couple fracturé, pas de cœur brisé. Comment est-ce qu'un simple organe peut à ce point tout compliquer ? Minho devrait peut-être tenter de l'arracher. C'est vrai ça, est-ce qu'on vit un peu mieux avec un cœur en moins ? Est-ce possible qu'il finisse atrophié s'il est trop malmené ? Si c'est le cas, le sien n'est peut-être plus capable d'aimer correctement. Son histoire avec Jisung a tout gâché.

Le brun frappe un caillou de la pointe de sa chaussure, exaspéré. La petite pierre émet un bruit métallique lors de sa collision avec le sol, ou plutôt avec un toboggan. Ironie du sort, ses pas l'ont naturellement mené aux jeux pour enfant, ces mêmes structures qu'il avait escaladées presque sept ans auparavant. Il rigole un peu, cette soirée est une boucle temporelle. Seulement ce n'est plus l'Été, mais bien l'hiver. Ce n'est plus le jour, mais bien la nuit. Une pièce rejouée en symétrie ? À l'envers ? C'est certain, l'univers s'est cassé la gueule entre-temps, il s'amuse à tout mélanger. Il maintient Minho dans son passé. Et bien quitte à rester prisonnier, autant tenter d'être le plus fidèle à la version originale. Le jeune homme se décide alors à s'installer de nouveau en haut du toboggan, face à la mer qu'il ne peut distinguer. Il se concentre sur le bruit des vagues, sur cet océan tentateur mais terriblement effrayant.

— T'es un idiot, murmure-t-il pour lui-même.

— Ça, je confirme. Lee Minho, tu es un idiot.

Il n'a même pas le temps de sursauter qu'on lui lance un manteau depuis le bas de son perchoir. La chaleur du vêtement lui est tout de suite agréable, il n'attend pas une seconde de plus pour l'enfiler. Quelques instants plus tard, Chan grimpe à l'échelle pour se poster à ses côtés avant de lui entourer le cou de son écharpe violette. Un soupir d'aise échappe immédiatement au plus jeune.

— Merci, souffle-t-il assez bas.

— Tu voulais choper la crève ?

Minho ricane avant de faire pivoter sa tête pour la poser sur l'épaule du blond. C'est chaud. Un joli soleil se trouve sous sa tempe, il en est certain. Sa honte revient au galop. Il n'a pas envie d'être un nuage qui estomperait sa lumière. Il ne veut pas l'abîmer, jamais.

— C'était Jisung.

Mais voilà, parfois il est nécessaire de communiquer. Même si c'est déplaisant. Pas besoin de contexte, ils savent très bien quel sujet est abordé.

— Je sais, j'ai vu son nom sur ton écran.

Le ton du plus vieux est sec, le brun s'y attendait. Il ne lui en tient pas vraiment rigueur, il sait ce qu'il pense de toute cette histoire. Il comprend.

— Tu crois que je devrais le bloquer ?

— Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais dit oui sans hésiter. Mais justement, ça ne tient pas qu'à moi, c'est ta décision Minho. Mon avis ne rentre pas en compte dans cette situation.

Le nommé redresse brusquement sa tête, les sourcils froncés.

— Bien sûr que si. J'ai pas envie de te blesser avec tout ça.

Chan passe doucement sa main dans les cheveux de Minho pour l'inviter à reprendre sa position contre lui. Ils ont besoin de ce contact. De se rassurer face à cette discussion hasardeuse.

— Ce qui me blesse, c'est que tu hésites autant sur cette histoire, que tu lui accordes bien trop d'importance. Mais je l'entends aussi. Cette situation n'est pas simple pour toi. Alors je patiente, c'est tout. J'attends que tu fasses tes choix. Je veux seulement que tu sois sincère avec moi, c'est tout ce que te demande Minho. Rien de plus.

Il y a un flottement dans l'air, le temps qu'une vague s'écrase sur le sable et laisse l'écho de ses remous les atteindre. Que la réalité les percute doucement.

— Si tu le choisis... si jamais ça arrive, dis-le-moi. Par pitié. Me laisse pas espérer.

Quelques minutes plutôt, Minho était tiraillé face à ses émotions contradictoires. Puis l'honnêteté de Chan lui a sauté à la figure et voilà que tout est bien plus clair. Limpide, même. Ce n'est pas Cupidon qui se joue de lui, non depuis le début c'est seulement lui qui patauge dans sa connerie. Eh bah ça alors, Minho vient de réaliser qu'il est bien plus stupide qu'il ne le pensait. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il si longuement hésité ? Il n'y a pas de question à se poser pourtant, c'est évident. Son bonheur est tout trouvé, là, avec le parfum du barista flottant dans l'air, sa chaleur contre les températures de l'hiver. Si la vie s'est amusée à rejouer cette journée différemment, c'est peut-être pour que Minho accepte enfin l'affection de l'Australien. Qu'il le choisisse lui plutôt que Jisung. Boucler la boucle, c'est ce qu'il doit faire ce soir. Il a sa réponse maintenant, un cœur ça ne s'atrophie pas, ça peut aimer deux fois. Peut-être même que la fois suivante, il s'embrase un peu plus fort.

— Je t'ai déjà dit que j'étais amoureux de l'océan ?

Chan lui jette un coup d'œil curieux, peu sûr de là où Minho souhaite en venir. Malheureusement - ou heureusement - pour lui, on ne lui donne pas plus d'explications. À la place, il sent un souffle réchauffer ses joues, des mains agripper les manches de son blouson, des lèvres glacées se poser sur les siennes.

Alors voilà, quelques années plutôt, Minho refusait l'amitié de Chan sur ce toboggan métallique. À présent, il accepte complètement son amour. C'est tout ce qu'il insuffle à ce baiser. Une promesse d'avenir, plus de peur, plus de doute. Minho il remercie finalement Cupidon d'avoir tiré ses flèches dans ce café à la déco édulcorée.

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J'aime ce chapitre ☝️
Minho et Cupidon sont besties mtn

Rdv dimanche prochain, préparez le popcorn prc la soirée n'est pas finie