Photos & Puzzle
-Je ne comprends pas pourquoi tu veux que je vienne.
Jungkook enfonce son bonnet sur sa tête avant de renifler. Il faisait vraiment froid, aujourd'hui, et même si le soleil était présent, ses rayons suffisaient à peine à le réchauffer. Il fourre ensuite ses mains à l'intérieur de son gros blouson en cuir tout en détaillant la silhouette de ses deux amis. Hoseok avançait d'un pas pressé et Yugyeom était juste derrière, sifflotant gaiement, le regard perdu sur les maisons de la rue. Avec son long manteau noir, son pull à col roulé gris et ses chaussures cirées, il faisait vachement classe. On dirait un écrivain ou un acteur. Bref, un artiste. Il a pas vraiment la dégaine du mec qui range des couches pour bébés et qui s'amuse à décoller les chewing-gums laissées par des p'tits merdeux sur les étagères. Hoseok, au contraire, avec sa grosse parka verte fluo à la dégaine d'un mec un peu à l'ouest, trop perdu dans son monde pour avoir la même manière de penser que les autres. Cette parka était vraiment moche, quand même.
Jungkook voit la grande bâtisse en brique marron et grimace. Cet établissement, c'est un peu comme la salle d'attente de la mort, la transition entre la vie et le trépas. Avant d'entrer, Hoseok se tourne vers lui avant de sourire doucement.
-Parce que tu n'as jamais vu ma grand-mère.
Jungkook fronce les sourcils. Pourquoi Hoseok voulait-il lui faire rencontrer sa grand-mère ? C'était encore l'un de ses agissements insensé. Voilà qu'il le faisait venir après les cours pour rencontrer une mémé. Si le noiraud devait être honnête, il supporte difficilement les personnes âgées. Tout simplement parce qu'elles ne montrent que très peu de tolérance pour sa personne de manière générale. Certes, il ne devrait pas les mettre tous dans le même sac, mais moins il les côtoie, mieux il se porte.
-Et toi, pourquoi t'es là ?
Sa main gantée posée sur la poignée de la porte, Yugyeom se tourne vers lui, l'air surpris par cette question. Il se pointe du doigt avant de sourire adorablement.
-J'adore Hayun.
Et sur cette simple réponse toute innocente, Yugyeom rentre à son tour dans la bâtisse. Jungkook n'arrivait pas à croire qu'il avait accepté de suivre ses deux amis loufoques en premier lieu. Il ne fallait jamais faire confiance à Yugyeom et Hoseok, surtout lorsqu'ils étaient ensembles. C'était une règle connue entre eux, alors pourquoi avait-il accepté de les suivre, déjà ?
En réalité, il sait pourquoi. Depuis ce moment merveilleux où il avait peint les lèvres de Taehyung, il ne pensait plus qu'à lui. Son esprit est hanté par ce joli garçon qui porte des barrettes, possède un cactus qui s'appelle Capucine et qui a une passion pour les peluches animales. Il sait qu'il l'aurait probablement embrassé. Il sait qu'il aurait fini par céder, l'autre jour. La question qu'il se pose en revanche et est-ce qu'il aurait regretté ? Alors, voilà il voyait Taehyung souvent, dans le détour d'un couloir, ou lors de leurs quelques sorties entre amis. Et il l'observait toujours, d'un regard de plus en plus brillant, de plus en plus épris, mais toujours inconscient. Son regard sur lui avait irrémédiablement changé, oui. Alors voilà pourquoi il avait accompagné Yugyeom et Hoseok, finalement. Pour se changer les idées. Pour que, l'espace d'une heure au minimum, ce garçon ne vienne plus squatter ses pensées.
Il entre à son tour dans la bâtisse et d'emblée, son nez est assailli par cette odeur qui caractérise si bien les personnes âgées. Ça a une odeur de lavande desséchée et de poussière. C'est assez étrange et ça le fait presque éternuer. Il n'entend pas Hoseok demander quelque chose à la réceptionniste. Son regard est focalisé sur un vieux monsieur qui balance doucement sa tête au rythme de la chanson qui s'élève à travers le vieux poste de radio à l'œil de cyclope. Ce genre de musiques... C'est exactement le même type de chansons vieillottes que celles qui avaient rythmé leur engueulade avec Taehyung après la soirée d'Halloween. En repensant à ce moment, un fin sourire habille ses lèvres.
-Jungkook, tu viens ?
Jungkook tourne la tête vers ses deux amis, apercevant ceux-ci qui l'attendent sagement au début d'un couloir. Le noiraud hoche vivement la tête avant de trottiner dans leur direction. Il ne pipe pas un mot lorsqu'il traverse le long couloir à la moquette verte dégueulasse. Son regard se perd sur les différentes chambres aux portes ouvertes. Il voit des fleurs posées sur des tables de chevets, des familles qui rigolent entre elles, réunies, et des fois il ne voit rien. Absolument rien, si ce n'est une vieille silhouette au dos voûté assis sur un fauteuil, le regard résolument ancré sur la fenêtre ou perdu sur une vieille photo. Une âme qu'on a oublié ou qui, au contraire, n'oublie pas.
Jungkook ne s'attend donc à rien lorsqu'il suit Hoseok et Yugyeom qui pénètrent dans une chambre. Sincèrement, il ne s'attend à rien et, pourtant, la vue qui lui fait face une fois qu'il passe le pas de la porte l'étonne grandement. Face à lui, assise près de la fenêtre sur un vieux fauteuil à bascule, se trouve la grand-mère de Hoseok. Pour être honnête, Jungkook s'attendait à une vieille femme assez banale et du genre très gâteuse, mais lorsqu'il la voit, il sait d'emblée que ce n'est pas le cas. L'étudiant en théâtre lui avait déjà dit que sa grand-mère avait plus de quatre-vingts ans, mais Jung Hayun ne les faisait pas. Elle était là, charmante dans sa longue jupe noire, sa petite chemise en flanelle et son maquillage discret. Elle tient un livre entre ses longs doigts fins et frippés sertis de bagues. Un recueil de poèmes.
Lorsqu'elle tourne le regard sur les trois garçons, Jungkook voit là le regard de quelqu'un qui a expérimenté d'innombrables choses au cours de sa vie, il voit quasiment tous les sentiments humains briller dans le fond de ses prunelles. Elle sourit doucement à son petit-fils qui accourt vers elle avant de la prendre dans ses bras.
-Mamie ! s'exclame-t-il.
Hayun rigole légèrement avant d'ébouriffer ses cheveux. Elle prend aussi Yugyeom dans ses bras avant de se mettre à détailler l'étranger resté sur le pas de sa porte. Jungkook se sent négligé et légèrement honteux devant elle. Avec son jean trouée, ses piercings et ses tatouages...Il savait qu'il pouvait donner mauvais genre. Et cette vieille femme, en face de lui, avait tout d'une grande dame. Maladroitement, il retire le bonnet sur sa tête avant de s'incliner respectueusement face à elle. Hayun observe ce garçon quelque temps avant de poser délicatement son livre sur la petite table en face d'elle.
-Je ne t'ai jamais vu...tu es un ami de mon petit Hoseok ?
Jungkook hoche vivement la tête, se sentant étrangement nerveux. À sa réponse, la vieille femme rougie légèrement avant de plaquer ses mains sur ses joues.
-Hoseok ! Tu aurais pu me prévenir que l'un de vos amis vous accompagnait. De quoi j'ai l'air, avec mes cheveux mal coiffés, enfin ?
Hoseok s'empare d'une des mèches de cheveux blanc de sa grand-mère avant de l'entortiller entre ses doigts.
-Tu es toujours très belle, mamie.
La vieille dame ronchonne avant de taper sur ses doigts.
-Fais-moi un chignon, s'il te plaît. J'aimerais être un minimum présentable.
Pour Jungkook, Hayun était plus que présentable. Elle avait un style très chic, très anglais finalement. Il aime beaucoup sa longue jupe en velours noir et sa chemise en flanelle. Elle a un médaillon autour du cou avec des roses peintes dessus. C'était une grand-mère qui avait la classe. Hoseok acquiesce alors et s'empare d'un peigne fin et de plusieurs épingles. Jungkook trouve cette scène attendrissante. L'étudiant en théâtre aimait vraiment beaucoup sa mamie. Yugyeom s'assoit sur le lit et Jungkook décide alors de prendre place sur le fauteuil face à Hayun, admirant les talents de coiffure du rouquin.
-Et sinon, comment tu t'appelles, mon garçon ?
Alors que son regard était perdu sur ses mèches fragiles, Jungkook rencontre son regard sage et sourit timidement.
-Jungkook, madame.
Hayun hoche la tête et se met à l'observer longuement, ce beau et jeune garçon. Ce qu'elle aime particulièrement chez lui, c'est son regard. Il est grand, lumineux et transparent. C'est le genre de regards qui ne peuvent jamais mentir. Un silence étrange s'installe et Jungkook se sent quelque peu mal à l'aise, sous le regard scrutateur de cette vieille dame. Il remue sur son fauteuil avant de se racler la gorge.
-Quelque chose ne va pas ? demande-t-il doucement.
Hayun le détaille encore quelques instants avant de sourire doucement. Elle pose son coude sur le fauteuil avant de lisser d'une main gracile les plis de sa jupe.
-Sais-tu quand on a atteint l'âge mûr, mon garçon ?
Jungkook réfléchit une seconde à cette question, et pleins de réponses nazes lui viennent en tête. Genre, à partir du moment où on pisse plus droit où quand on se met à regarder les débats politiques avec passion. Pour lui, c'était ce genre de trucs, les clés essentielles de l'âge mûr. Mais il n'allait quand même pas répondre ça à cette vieille dame pleine de grâce. Il secoue alors négativement la tête.
-On atteint l'âge mûr quand les souvenirs prennent une place beaucoup plus importante que les rêves.
Hoseok place une première épingle dans les cheveux de sa grand-mère, la mine enjouée.
-Tu vas lui parler de Chun-hei ?
La vieille dame lève légèrement la tête pour jeter un regard complice à son petit-fils, le regard brillant et les joues rougies comme celle d'une gamine. C'était mignon. Hoseok lâche alors ses cheveux pour lui permettre de se baisser quelques instants. Sur le socle en dessous de la petite table se trouve une vieille boîte de gâteaux. Elle s'en empare avant de la poser sur le bois et de l'ouvrir. Bien trop curieux, Jungkook se penche et observe les innombrables lettres jaunies et photos qui peuplent cette boîte de biscuits.
Le regard dans le vague, Hayun s'empare d'une photo aux bords cornées avant de l'observer avec toute la tendresse et l'amour du monde. Il y avait tant de nostalgie dans son regard...À la surprise de Jungkook, elle lui tend la photo. Le noiraud s'en empare, hésitant, avant d'observer le garçon qui, lors de la prise de cette photo, devait avoir son âge. C'était un beau jeune homme au sourire large et aux cheveux ébouriffés.
-C'est ton grand-père ? demande-t-il à Hoseok.
Le rouquin lui sourit et tapote doucement l'épaule de sa grand-mère qui tripote nerveusement son médaillon entre ses mains.
-Ce n'est pas ça...
Elle plonge son regard dans le sien avant de lui sourire maladroitement et de reprendre d'une main tremblante la photo qu'elle couve de son regard vieilli. Elle en caresse les bords avec tant d'amour que Jungkook est confus.
-Un amour impossible ou une histoire qu'on n'a pas vécu jusqu'au bout. Tout le monde a cela. Quelqu'un qui a élu domicile au fond de notre cœur et qui y est toujours resté.
-Et qu'on a idéalisé avec le temps, rajoute Yugyeom.
Hayun ricane avant de secouer la tête et de reposer la photo au fond de sa vieille boîte de biscuits.
-Evidemment. C'est inévitable. Il n'y a rien de plus parfait qu'un amour perdu.
Elle relève légèrement la tête et Jungkook peut sentir l'air autour de lui se charger d'émotions. De tant d'émotions qu'il en frissonne. Hayun l'observe à travers ses cils, l'air hésitante.
-Veux-tu entendre cette histoire ?
Peut-être qu'elle pensait que ça n'intéresserait pas Jungkook, d'entendre une vieille femme radoter sur ses aventures passées. Après tout, au bout du compte, peu de personnes s'intéressent réellement aux histoires qui ont forgé ces gens il y a maintes années. Tout ce qu'on voit, ce sont les craquelures sur leur visage et la vie qui les quitte peu à peu. Ils finissent par être presque invisibles, comme déjà morts, alors qu'ils ont pourtant tant à dire, tant à enseigner. Jungkook voulait savoir, la curiosité dévorante.
-Avec plaisir.
Hayun sourit alors, l'air rassurée et heureuse.
-C'était il y a longtemps...À cette époque j'étais belle naturellement. Mes yeux étaient grands et vifs avant d'être cernés. Mon teint était clair et lumineux avant que les rayons du soleil ne viennent en modifier la complexion. La peau de mon cou était lisse. Aucun produit de beauté au monde n'aurait pu améliorer mon apparence. Mais la plupart des gens ignorent ce qu'ils possèdent avant de l'avoir perdu. C'est ensuite qu'on le regrette.
Elle passe une main hésitante sur ses joues lâches comme pour appuyer ses dires. Jungkook se penche sur le fauteuil, happé par ses paroles. Il écoute alors l'histoire de cette vieille dame. Celle qui fut une femme, une grande dame, une mannequin à une époque lointaine. Elle lui montre des photos d'elle et Jungkook est subjugué par sa beauté passée. Ça avait été une poupée magnifique. Elle lui parle de ses débuts en tant que femme de chambre pour une fille de la bourgeoisie jusqu'à devenir muse d'un peintre et danseuse dans un cabaret. Et puis, vient le moment où elle l'avait rencontré, lui. Un écrivain. Un jeune plein de rêve. Un gamin qui espérait tellement de ce monde.
-Il n'avait pas beaucoup d'argent, murmure-t-elle. Il ne savait pas se tenir en société. Il ne sortait d'ailleurs jamais dans le grand monde, pour la simple et bonne raison que tous les vêtements qu'il possédait étaient désespérément démodés et trop grands. On aurait dit un un adolescent qui aurait emprunté les vieux costumes de son père.
Elle rigole au souvenir avant de cacher son allégresse avec le dos de sa main.
-S'il n'avait pas émané de lui un tel charme, le jour où je l'ai vu pour la première fois, près de cette fontaine, je ne lui aurais probablement jamais accordé un regard. Le souvenir de notre rencontre m'a toujours rendue très tolérante vis-à-vis de l'apparence des gens. On n'a pas forcément besoin de s'intéresser aux mêmes choses, ou d'avoir le même genre, mon garçon. Le plus important, c'est de savoir rire ensemble. Et mon Dieu, qu'est-ce qu'il me faisait rire !
Elle lui parle alors de son aventure idyllique avec ce jeune écrivain plein d'espoir. De cet amour merveilleux de jeunesse. Peut-être parce que Hayun est désormais vieille et n'a plus l'impression d'avoir un quelconque lien avec cette belle jeune femme d'autrefois, elle lui parle avec une gaieté non dissimulé de leur premier ébats amoureux. Elle n'omet aucun détail. Que ce soit les disputes, les joies, les rires...tout y passe. Pourtant, cet amour avait toujours été voué à l'échec sans même qu'ils ne le sachent. Tout était écrit. C'était là, la tragique destinée de cette idylle.
-La grande dame pour laquelle j'avais travaillé avant de commencer dans le mannequinat m'avait appris qu'il faut savoir sortir des sentiers battus et qu'il y a une infinité de routes qui conduisent à notre inéluctable trépas. Que nous pouvons nous trouver à la croisée des chemins et nous sentir perdus, mais que tout finit toujours par s'arranger. Et enfin, que les virages ne sont pas forcément dangereux. Elle avait raison sur tous les points, hormis le dernier. Parce que Chun-hei était un virage mortel.
Hayun parle de ce garçon d'apparence pauvre, de cette idylle pleine de rêve dont la fin a un goût amer avec une résignation sans égal. Peut-être que tout aurait été mieux pour eux s'ils étaient nés un peu plus tard ou un peu plus tôt. Si leurs vingtaines n'avaient pas été bousillées par ce fait historique que les gosses étudient dans les livres.
-Il est parti à la guerre. Il est parti le 18 mars de l'année 1951, pour être exact.
Ses mains entourent la boîte de biscuits comme si elle craignait que celle-ci se désintègre. Sa voix vacille légèrement tandis qu'elle en sort quelques lettres qu'elle serre entre ses doigts.
-Il m'écrivait au début, puis, il a arrêté d'un coup. Je me disais qu'il n'avait peut-être plus le temps ou que sais-je...Je ne cessait de me trouver des raisons stupides alors, qu'au fond, je savais très bien pourquoi il avait arrêté d'écrire.
Un souffle tremblant s'échappe de sa poitrine tandis que son regard triste se plante dans celui de Jungkook.
-Il était parti.
Chun-hei était mort et une partie du cœur de Hayun avec. Pendant longtemps elle n'en avait plus reparlé. Elle avait rencontré le grand-père de Hoseok, avait eu une famille avec et avait vécu de nombreuses années tout en ne pensant plus à lui. Jusqu'à ce que, un beau jour, son petit-fils de huit ans lui demande ce que c'était que le grand amour, l'amour parfait. Hayun avait eu comme des flashbacks cet après-midi là et, tout à coup, s'était souvenue de tout.
-J'ai peine à l'avouer, mais avec le temps, on finit par oublier. Ce n'est pas que le souvenir des gens s'efface. Ce n'est pas qu'ils ne comptent plus. Mais l'angoisse et la tristesse ressenties au moment de la séparation se transforment en un sentiment plus neutre et plus supportable. Heureusement, finalement.
Hayun dispose toutes les photos sur la table. Ce n'était pas seulement des clichés de Chun-hei où elle, mais de toutes les personnes qui ont frôlé sa vie et qui en avait laissé une empreinte indélébile. Jungkook trouvait ça saisissant de voir tous ces visages qui avaient flottés autour d'une seule et même âme pour la construire, la modeler. C'est incroyable, l'influence qu'ont tous ces gens qui se pensent si ordinaires sur notre destinée.
-C'est des photos d'amis disparus. Tout le monde meurt. Les gens s'obstinent à vouloir vivre le plus longtemps possible, mais ce n'est plus drôle lorsqu'on se retrouve seule.
Jungkook savait que, peut-être, elle voulait mourir pour être enfin réunie avec Chun-hei, avec ce premier amour qui lui avait été si cruellement arraché. Elle avait goûté au nectar des Dieux et il lui avait manqué la goutte ultime pour vivre une existence pleinement satisfaisante.
Jungkook repose les différentes photos qu'il a entre ses mains avant de se racler la gorge.
-Pourquoi m'avoir raconté cette histoire ?
Hayun range ses cartes postales dans sa boîte avant de la replacer à son endroit initial, sous la petite table.
-Parce que tu aimes, mais que tu cours vers un amour parfait.
Hayun plonge son regard dans le sien et Jungkook se sent comme mis à nu. Ces prunelles obsidiennes savaient.
-Tu vas vers un amour perdu, mon garçon. Et il n'y a rien de plus regrettable.
Jungkook rougit avant de balbutier des paroles incompréhensibles. Enfin, sa situation n'avait rien à voir avec celle de Hayun. C'était bien différent.
-Tu as de grands yeux et si les gens autour de toi ne sont pas assez âgés pour le remarquer, moi je le vois. En quatre-vingts-cinq ans d'existence sur cette Terre, je sais tout de même déceler le tiraillement et le regret dans un regard, enfin !
Hayun pose la paume de sa main sous son visage, un sourire compatissant courbant ses lèvres.
-Pourquoi laisses-tu cet amour être perdu ?
Jungkook se mordille la lèvre inférieure, regardant anxieusement Hoseok et Yugyeom qui le détaillent, ne semblant aucunement le juger. Ils avaient simplement l'air d'écouter d'une oreille attentive. C'était la première fois que le noiraud les voyait aussi calmes.
-Parce que je ne suis pas sûr de savoir comment aimer.
Il se lèche furtivement la lèvre inférieure, tentant de trouver ses mots. Étrangement, il se sentait pleinement en confiance avec Hayun.
-Il y a ce premier amour qui a tout détruit de cette partie-là de moi. Et finalement, je crois que j'ai simplement peur.
Hayun comprend qu'on avait quelque peu brisé ce garçon. Il est comme un vase en porcelaine qui se serait éclaté en mille morceaux sur le sol après la maladresse d'un enfant. Il fallait recoller les bouts un par un et avec soin.
-Ah, les mauvais souvenirs ont de longues ombres. Mais si tu passes ta vie dedans, tu ne verras plus jamais le soleil.
Le regard de Jungkook se fait lointain, pensif, et sa jambe tremble nerveusement. Allait-il vraiment vers un amour perdu de son propre fait ? Est-ce qu'il allait toujours le regretter, des années plus tard, et en parler comme Hayun le faisait pour Chun-hei ? C'était vraiment ça qu'il voulait ? Est-ce qu'il voulait vraiment se souvenir à quatre-vingts ans devant une émission merdique de ce garçon avec ses barrettes et ses gros pulls qui aura construit sa vie sans lui tout ça parce qu'il avait simplement eu peur ?
-L'amour. Ce n'est qu'un mot. Mais il contient tant de choses. Finalement, il n'y a que l'amour qui compte. Estimes-tu avoir suffisamment aimé, mon garçon ?
Jungkook ne l'écoutait que d'une oreille distraite. Parce qu'il ne pensait qu'à Taehyung, ne voyait que lui. Dans sa cage thoracique, son cœur bat férocement et sa jambe se met à taper encore plus fort contre le sol. Il sent l'urgence et l'adrénaline qui courrent dans ses veines.
-Non. Je veux l'aimer.
Hoseok écarquille les yeux tandis que Yugyeom mords sa joue pour cacher son sourire. Pourtant, c'était la vérité. Il voulait l'aimer, il voulait essayer. Il voulait tenter de donner son coeur à nouveau. Peut-être que ce garçon aux gros pulls et aux petites barrettes serait la solution à tout et qu'il rassemblerait les morceaux que Sora avait laissé sur son sillage. Putain, il était trop nul, franchement. Comment avait-il pu craquelé le cœur du garçon qui ne voulait que chérir le sien ? Où avait-il eu la tête, tout ce temps, à le repousser sans arrêt alors qu'il désespérait d'entremêler ses doigts aux siens, à lui sourire, à fondre son corps contre le sien et à l'embrasser.
Il venait alors de réaliser une chose : Sora ne méritait pas d'avoir le pouvoir de gâcher son bonheur alors même qu'il ne faisait plus partie de sa vie. C'était intolérable.
Il se lève alors brusquement sous le regard surpris des trois autres. En réalisant son geste démesuré, il se met à rougir tout en balbutiant des mots inintelligibles. Hayun lui sourit tendrement avant de désigner la porte d'un faible geste de la tête. Elle avait compris.
-Vas-y.
Jungkook s'incline vivement face à elle avant de saluer distraitement ses amis et de prendre la porte sans plus de cérémonie. Au moment où celle-ci claque derrière lui, Hoseok échange un regard complice avec Yugyeom.
-Je crois que ça a marché.
-C'est même sûr.
Et sous le sourire enfantin d'Hayun, les deux garçons se tapent dans la main, victorieux.
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Jungkook n'avait pas perdu de temps avant de prendre la direction de la coloc. Il devait le voir. Il avait envie de voir ce garçon gentil et doux qui lui offrait tout ce qu'il avait toujours voulu, finalement. En arrivant devant la résidence, il court presque jusqu'à la cage d'escaliers avant de monter les étages comme un dératé. Il veut le serrer dans ses bras et lui dire ces trucs niais et tout, mais il ne sait pas s'il arrivera à les formuler correctement. Pourtant, lorsqu'il arrive devant la porte, il n'hésite pas. Il ne prend pas deux secondes pour réfléchir ou hésiter, parce qu'il est carrément sûr de lui. Il frappe alors comme un forcené à la porte. Et il ne s'arrête que lorsque celle-ci s'ouvre sur...Sur quoi ? Quelle est cette chose ?
-Hohé, défonce pas ma porte glandu.
Jungkook papillonne des paupières, peu sûr de ce qu'il voit. Il entre alors dans l'appartement, bousculant Jimin et refermant la porte derrière lui comme si le Diable était à ses trousses, sous l'air scandalisé du blond. Le noiraud pose une main contre son cœur et tente de reprendre son souffle, se trouvant légèrement ridicule, mais quand même moins que Jimin à cet instant précis. D'ailleurs il observe celui-ci en biais.
-C'est quoi ça ?
Jimin pose une main sur son visage, l'air blasé.
-C'est un masque de beauté.
Jungkook prend quand même le temps d'observer le visage verdâtre du blond, son bandeau rose assortis à son peignoir et se fait la réflexion qu'il aimerait voir sa tête si Yoongi le surprenait dans un tel accoutrement.
-Qu'est-ce que tu fous là ?
Jungkook se redresse légèrement, bien plus calme qu'auparavant.
-Je suis venu voir Taehyung.
Jimin l'observe longuement, suspicieux. Il remarque alors quelque chose d'étrange chez son cadet, comme si l'ampoule au-dessus de sa tête s'était enfin allumée. Son regard était différent. Ce con a enfin réalisé.
-Dans sa chambre.
Jungkook hoche la tête et s'avance dans le couloir avant de se retourner, un sourire narquois sur les lèvres.
-Jimin, c'est pas un masque de beauté qu'il te faut, mais un ravalement de façade.
-Ah, l'enfoiré, siffle-t-il.
Jungkook ricane gaiement avant de s'avancer près de son but précis, son sourire se fanant légèrement. Il se craque la nuque et souffle un bon coup avant de pénétrer dans la pièce sans même toquer, surprenant un Taehyung sur son lit qui était occupé à le dessiner. En voyant le noiraud, l'étudiant en art ouvre la bouche, le crayon en suspens sur son dessin. Lorsqu'il remarque l'esquisse que ce joli garçon faisait de lui, Jungkook s'avance jusqu'au lit avant de se laisser tomber à ses côtés et de s'en emparer doucement pour le détailler. Putain, Taehyung le dessinait encore après toutes les merdes qu'il avait faites. C'était merveilleux et incroyable.
-Mais - heu - tu pourrais frapper avant d'entrer, balbutie Taehyung, honteux.
Jungkook admire encore à quel point ce garçon l'aimait pour le représenter aussi bien avant de sentir son cœur se serrer agréablement. Un être plein de douceur l'aimait tellement qu'il passait son temps à le dessiner sur des feuilles. C'était touchant et beau. Juste beau.
Lorsqu'une petite main tente d'attraper la feuille de papier grain, il relève la tête, plongeant son regard dans le sien. Dans son si beau regard qui laissait transparaître un mélange de stress et de confusion. Il remarque alors qu'il porte la fameuse barrette avec des petites coccinelles dans les cheveux. Celle-ci prône maladroitement dans ses mèches et - merde- il est vraiment accroc, en fait. Il laisse retomber la feuille à ses côtés avant de s'approcher de lui et de glisser tendrement sa main dans ses cheveux pour remettre correctement l'accessoire en place. Il était si joli...
-Qu'est-ce que tu fais ? murmure timidement Taehyung.
Ses cils papillonnent délicatement contre ses joues et ses pommettes se colorent lentement de rouge. Jungkook l'admire et comprend alors pourquoi il a abandonné tout le monde pour aller le retrouver. C'était une évidence.
-Une vieille dame m'a raconté son histoire d'amour de jeunesse et c'était vraiment triste. Et j'ai réalisé que je ne voulais pas me souvenir de toi comme d'un regret, plus tard. Je...
Il passe furtivement sa langue sur sa lèvre inférieure, perdu dans le flot de ses pensées et de ses émotions. Taehyung l'observe, plus que confus. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?
-Je suis désolé d'avoir été si con à le comprendre.
Son regard se perd sur Capucine, ce petit cactus à fleurs qui repose fièrement près du rebord de la fenêtre et c'est alors qu'il réalise le pot dans lequel il était. Il n'avait jamais vraiment fait attention, la première fois, mais c'était un petit pot en terre cuite et il y avait des dessins dessus. Taehyung avait peint un soleil et il l'imagine alors, pinceau en main et au summum de la concentration, à s'appliquer à confectionner un pot unique à Capucine. Il le trouve encore plus extraordinaire, plus adorable, plus divin.
-À comprendre que je te veux.
La respiration de Taehyung se bloque dans sa gorge tandis qu'il écarquille les yeux, peu sûr d'avoir bien entendu.
-Sora a bousillé tout ce que je croyais sur l'amour il...il a vraiment été horrible, Taehyung. Et je ne veux pas en parler, pas maintenant, parce que je ne veux pas qu'il vienne gâcher ce moment important.
Jungkook envahit complètement son espace et Taehyung ne rétorque rien. Ses joues rougissent un peu plus lorsqu'il remarque à quel point Jungkook est proche de lui. Pourtant, il ne recule pas lorsque le noiraud pose sa main sur le creux de sa taille. Sur cette foutue taille scandaleuse.
La chaleur irradie à travers son pull jusqu'à sa paume et, ouais, Jungkook voulait sentir cette chaleur pour toujours. Il voulait sentir la respiration de Taehyung contre ses lèvres et l'entendre gémir légèrement à chaque fois qu'il enfoncerait ses doigts dans sa chair tendre. Il ne sait pas comment il a résisté aussi longtemps à l'envie de le sentir contre lui. Il veut que ses mains découvrent chaque creux de son corps, chaque relief de cette peau charnue jusqu'à ce qu'il les connaisse du bout des doigts. Il voulait assouvir son désir du petit cinnamon boy à ses côtés.
-Quel moment important ? chuchote Taehyung.
Jungkook fixe ses lèvres un instant avant d'ancrer son regard dans le sien de nouveau. Ses prunelles brillent de mille feux et il s'approche un peu plus, sentant l'atmosphère s'alourdir agréablement.
Jungkook ne s'était jamais senti aussi sûr de lui et à la fois si stressé autour de quelqu'un. Parce que ça faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti ce genre de sentiments. Tout ce qu'il avait eu ces trois dernières années, c'était des plans-culs. Mais avec Taehyung, c'était bien différent.
-Celui où je vais t'embrasser pour la première fois.
Les yeux de Taehyung s'élargissent et sa respiration se bloque complètement. Le garçon dont il était amoureux voulait l'embrasser. Ce beau garçon voulait poser ses lèvres sur les siennes. C'était trop beau pour être vrai. Pourtant c'était bien le cas. Jungkook se rapprochait de plus en plus. Comme s'il craignait que cela soit impossible, Taehyung s'empare de son t-shirt avant de le serrer fortement entre ses doigts.
-Y'a plein de trucs que je ne sais plus sur l'amour, le prévient Jungkook. Je vais peut-être être maladroit quelquefois, mais je veux réapprendre avec toi. Ce côté-là de moi est en mille morceaux alors...
-J'aime bien les puzzles.
Taehyung le regarde timidement à travers ses longs cils. Jungkook ne s'était pas attendu à se faire couper ainsi. Mais quelle réponse adorable. L'étudiant en art comparaît le bordel qu'étaient ses bases d'une relation romantique à un puzzle qu'il voulait assembler. Oui, le noiraud savait que ce joli garçon prendrait soin de chaque pièce une par une, avec amour et patience.
Jungkook se penche alors vers lui, sa main toujours ancrée sur sa taille. Il a tout le plaisir de sentir le souffle erratique de Taehyung s'échouer sur ses lèvres et ses yeux brûler d'impatience avant d'écraser sa bouche sur la sienne. Et - wow.
Wow. Wow. Wow.
C'est ce qu'il aurait dû faire depuis bien longtemps.
Taehyung lâche un petit hoquet de surprise qui se transforme en gémissement. Il meurt dans le fond de sa gorge alors que ses lèvres se fondent contre celle de Jungkook. L'étudiant en art avait souvent rêvé de son premier baiser. Il avait imaginé que ce serait sous un décor extraordinaire, comme une plage ou des cerisiers en fleurs, mais ce n'est pas très réaliste et à trop prévoir le moment et le cadre, l'instant perd de sa magie. Alors avoir son premier baiser là, sur son lit, avec le dessin du garçon qui l'embrassait en ce moment même poser quelque part à côté d'eux était simplement parfait. C'était un baiser doux et chaud, mordant et également délicat. C'était indescriptible.
Jungkook, lui, n'avait jamais embrassé quelqu'un comme il embrassait Taehyung, pas même Sora. C'était désespéré. Il redécouvrait sa douceur autrement, en s'abreuvent de ses lèvres satinées et succulentes.
L'étudiant en marketing avait eu trop peur de ses sentiments envers Taehyung. Depuis le début ça avait été le cas. Et pourtant, c'était évident. C'était évident qu'il était sa renaissance. Il n'y avait pas d'autres mots tant ce moment était enivrant et précieux. La main de Taehyung se presse contre sa joue alors que l'autre se pose contre son biceps qu'il serre entre ses doigts, enfonçant ses ongles dans sa peau. C'était trop bon. Jungkook laisse sa main remonter sous son pull pour caresser sa taille si douce et si chaude du bout du pouce.
Putain, c'était incroyable.
Lorsqu'ils se séparent enfin, Taehyung ouvre les yeux, sa respiration s'échouant lourdement contre les lèvres du noiraud.
-Jungkook, chuchote-t-il.
Sa voix était à peine audible, mais évidemment qu'il l'avait entendue.
Il voulait encore l'embrasser. L'embrasser partout et pour toujours, mais il ne voulait pas non plus le brusquer. Chaque chose en son temps.
-Peut-être que ce n'était pas comme ça que tu l'imaginais, désolé mais...
-C'était parfait.
Il ancre son regard dans le sien tandis qu'un sourire fleurit timidement sur les lèvres de Taehyung. L'étudiant en art est si heureux que son pouce se met à décrire des cercles sur la joue de son amoureux. Et alors, Jungkook réalise qu'il ne le regardait pas, il l'admirait. C'était comme s'il était une œuvre d'art à ses yeux et jamais personne ne l'avait regardé comme ça de toute sa vie. Et c'était agréable, que d'être une merveille aux yeux de quelqu'un quand on a passé des années à avoir la certitude de ne rien valoir. C'était comme un second souffle.
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Et un grand merci à Hoseok, Yugyeom et Hayun ✨
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