Chapitre 8
Bonjour bonjour !
Aujourd'hui : Laura essaye de se faire de nouveaux amis.
****
Laura.
Ce midi, j'ai décidé de ne pas manger avec Maïwenn et les autres. J'ai assez naturellement suivi Cindy qui m'a à la bonne depuis notre samedi après-midi ensemble. J'ai remarqué qu'elle passait beaucoup de temps avec le groupe de Teddy, Antoine et Kévin. J'ai du adresser la parole à ces deux derniers trois fois à tout casser depuis le début de l'année. Deux bruns – l'un à lunettes, l'autre aux cheveux longs – sans style vestimentaire particulier, ni bons ni mauvais en cours, ni drôles ni méchants, on ne peut pas dire qu'ils sortent du lot.
Je ne leur ai pas demandé si je pouvais manger avec eux, je me suis imposée en croisant les doigts pour ne pas me faire salement jeter. Ça n'est heureusement pas arrivé et nous nous sommes installés tous les cinq. Je me suis assise en face de Cindy et à côté de Teddy.
Aujourd'hui, c'est purée et viande. Quelle viande ? J'en sais rien. On dirait de la semelle. Mais avec la sauce, ça passe.
À table, Cindy fait la conversation quasiment toute seule et je finis par comprendre qu'Antoine fait partie du même groupe de danse bretonne qu'elle. Par contre, il a l'air beaucoup moins impliqué. Je décide de lui demander :
— Ça fait longtemps que tu fais de la danse ?
— Bientôt dix ans.
— Ah ouais quand même, c'est plus longtemps que toi Cindy non ?
— Mais avant il était au cercle de Lorient, précise Cindy. Il est arrivé à Pont l'Ab que l'an dernier.
— T'as déménagé ? supposé-je en essayant de plutôt poser les questions à Antoine.
— Ouais, répond-il laconiquement sans arrêter de manger sa purée.
— Et les danses sont les mêmes ici qu'à Lorient ou t'as dû genre... apprendre des nouvelles ?
J'essaye de m'intéresser, même si la danse bretonne me passe complètement par-dessus la tête. Malheureusement, Cindy ne laisse pas à Antoine l'occasion de répondre :
— Il y a des danses connues partout en Bretagne, mais il y a aussi des danses locales. Par exemple la gavotte bigoudenne ! Il peut aussi y avoir des petites variantes régionales sur certaines danses. Et bien sûr, il y a des costumes différents.
Et c'est parti pour un exposé sur le costume bigouden. Je me force à sourire et à hocher la tête à intervalles régulières. À côté de moi, Teddy se retient difficilement de rire. Je lui donne un coup de pied sous la table. S'il pouvait me sauver de ce flot de paroles, ça ne serait pas de refus. Malheureusement, ce traître commence une nouvelle conversation sur le TP de physique que nous avons à quatorze heures, sans chercher à m'inclure. Or Cindy ne semble pas décidée à s'interrompre dans ses explications.
Je me maudis intérieurement. Note pour l'avenir : ne jamais aborder le sujet de la danse bretonne en présence de Cindy. Trop dangereux. Elle en parle déjà H24, alors si en plus je lui tends des perches, je ne suis pas sortie de l'auberge.
— Il faudra trop que tu viennes à la Fête des Brodeuses cette année ! On prépare un super spectacle ! Hein Antoine ?
Antoine se contente de sourire et hocher la tête. Je fais pareil pour ne pas la vexer. C'est mort, je n'irais pas cette fichue fête. Écouter du biniou et de la bombarde toute la journée, sans façon. Et c'est pas comme si je m'en étais pas déjà tapée plusieurs, des éditions de la Fête des Brodeuses. Quand on était petits, maman et papa adoraient nous y emmerder avec Malo. Ça a duré deux ou trois ans. Après ils ont été saoulés par l'affluence des touristes.
— Bon, on y va ? propose Teddy en entassant ses restes et déchets dans son assiette.
Tout le monde approuve. J'ai vois un échappatoire. Je ne me fais pas prier et je me place entre Teddy et Kévin dans la queue pour éviter Cindy. Et dire que je l'avais quittée samedi en me disant que je l'avais mal jugée et qu'elle pouvait être intéressante. Alors, il est vrai qu'on a plus de points communs que je pensais, mais il ne faut pas pousser mémé dans les orties.
En attendant dans la queue pour vider mon plateau, je cherche malgré moi Maïwenn et les autres. Ils sont encore à table tous les cinq, à rigoler comme des baleines. Je me force à détourner le regard. Je m'en fiche. Je m'en fiche. Je m'en fiche. Ils font ce qu'ils veulent. Je n'ai pas besoin d'eux.
— Ça va ? me demande Teddy, qui a visiblement capté mon malaise.
— Ça va, réponds-je un peu trop sèchement.
Il n'insiste pas. De toute manière, c'est notre tour. Et moi, j'ai besoin de sortir de ce self où j'étouffe.
***
Dans le bus, Teddy s'est assis à côté de moi alors qu'il y avait encore plein de places partout. Pendant une seconde, je m'imagine qu'il veut me demander d'arrêter de me taper l'incruste dans son groupe de potes. Si c'est le cas, je le remercie de m'en parler en priver et de m'éviter une humiliation de plus.
Je retire un de mes écouteurs alors qu'il balance son sac à dos sur la banquette de devant. J'appréhende, j'ai déjà chaud aux joues. Qu'est-ce qu'il me veut ?
— Tu t'es embrouillée avec Maïwenn ? me demande-t-il sans attendre.
Il a le mérite d'être direct. Je me crispe. S'il a remarqué, toute la classe aussi.
— Non... pas vraiment.
— T'es sûre ? Tu manges toujours avec elle le midi, ça m'a étonné que tu viennes avec nous. Ça me dérange pas, hein ! C'est cool. Mais si tu veux en parler bah... j'suis là.
Je ne m'attendais pas à ça. Je fronce les sourcils. Il y a un piège ou il veut vraiment être sympa ? C'est « cool » que j'ai mangé avec lui ce midi ? Je n'avais pas l'impression qu'on était amis. Enfin, peut-être que si ? Je suis déstabilisée.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Maïwenn ? Ça fait un an que vous passez votre vie collées.
Il me prend de court. Ça ne se voit donc pas de l'extérieur que Maïwenn ne me veut plus dans son groupe ? Il n'a pas remarqué que je n'apparaissais pas sur ses photos depuis la rentrée et qu'en dehors de la première soirée de rentrée, je n'avais été à aucune fête, ni aucun anniversaire ?
Teddy me regarde droit dans les yeux. Il a un gros bouton au milieu du front que je m'efforce de ne pas fixer.
— Laura ?
— C'est compliqué, réponds-je enfin en soupirant.
Cette réponse ne paraît pas le contenter. Et puis merde, après tout, je n'ai rien à perdre. Alors je lui raconte. Je lui explique que depuis quelques semaines, je sens que je suis de trop au milieu de Maïwenn et ses nouveaux potes. Je lui avoue que je pensais qu'elle était ma meilleure amie, mais que visiblement je me suis trompée.
— Franchement, moi aussi je pensais que vous étiez meilleures amies. De l'extérieur, vous en aviez l'air. Et ça avait pas l'air d'être que dans un sens, elle te gardait une place à côté d'elle en cours, elle t'attendait tous les matins devant la grille.
C'est vrai qu'elle faisait ça. J'avais presque oublié.
— C'est elle la connasse en fait. Genre, elle s'est servie de toi toute l'année dernière et maintenant qu'elle a d'autres potes, t'es de trop ? C'est dégueulasse.
Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.
— Non mais c'est peut-être juste moi qui me suis fait des idées, tempéré-je.
— Bah va voir ses posts Facebook de l'an dernier, elle parlait de toi comme de sa meilleure amie du lycée en tout cas.
— Peut-être, je sais plus trop...
— Moi je m'en rappelle !
Ça m'étonne. Pourquoi il se rappelle de comment Maïwenn parlait de moi sur Facebook ? Moi-même je ne m'en souviens pas. C'est chelou.
— Après je sais pas si c'est vraiment elle qui a décidé de ne plus m'inviter nulle part ou si c'est juste les autres qui peuvent pas me saquer, admets-je.
Peut-être que Maïwenn n'est pas responsable. Peut-être que tout ça, c'est à cause de... je ne sais pas... Soazic par exemple ! Je sais qu'elle m'aime pas. C'est réciproque d'ailleurs.
— Mouais, moi je dis que quand t'as une meilleure amie, t'es censé la faire passer en priorité.
— Parce que tu t'y connais en meilleurs amis ? répliqué-je en oubliant de tourner sept fois ma langue dans ma bouche.
— Bah ouais.
— Qui ?
— Valou.
Valentin. J'ai été dans sa classe en quatrième. Dans mes souvenirs, c'était un petit nerveux qui ne manquait jamais une occasion de faire le clown. Il n'est pas venu au lycée avec nous.
— Il fait quoi maintenant ? demandé-je.
— Un CAP boulangerie. C'est dur, mais ça lui plait pour le moment.
Maintenant je me souviens. Son père est justement boulanger au Guil. Il a de toute évidence de suivre ses traces. À moins qu'il n'ait pas eu le choix, qu'est-ce que j'en sais.
— Tu le vois souvent ?
— Moins qu'avant. Il bosse beaucoup vu qu'il est en apprentissage.
— Ouais je vois, mon frère c'est pareil.
Ce que je retiens de tout ça, c'est que Teddy fait passer Valentin en priorité. C'est classe. J'aimerais avoir quelqu'un qui me fait passer en priorité. La seule fois où c'est arrivé, c'était avec Kim. Sauf qu'on sait ce que Kim est devenue. Je n'ai même plus envie d'être amie avec elle.
— En tout cas, tu peux traîner avec nous autant que tu veux, y a pas de souci, déclare Teddy.
— J'te fais pitié c'est ça ?
— Un peu j'avoue, répond-il en riant.
Il se paye ma tête ! Je lui donne un coup de poing, un petit, pour de faux.
— Merci, grogné-je en me calant contre la vitre.
Il y a un silence. Je ne sais pas quoi ajouter. J'ai toujours de la musique dans une oreille. C'est un morceau d'Avril Lavigne. J'aime bien.
— T'écris toujours ton roman ?
J'écarquille les yeux. Ça m'étonne qu'il se souvienne de ça. Il m'avait grillé une fois en maths, l'an dernier. J'écrivais la suite de mon chapitre sur des copies à petits carreaux au lieu de suivre le cours, parce que je me faisais chier. Ça m'arrive encore de le faire, mais je suis devenue plus discrète. Je n'ai pas envie que les gens sachent que j'écrive. Ils pourraient avoir l'idée me demander de lire mes histoires.
— Ouais, réponds-je avec appréhension.
— Et t'as bientôt fini ?
— Non, pas du tout. Je suis même pas à la moitié du tome 1.
— Y aura combien de tomes en tout ?
— Trois.
Il hoche la tête. Je me demande si ça l'intéresse réellement ou s'il me pose ces questions uniquement pour meubler. Je suis à la fois flattée et angoissée. C'est tellement rare que j'ai l'occasion de parler de mes histoires IRL.
— Je pourrais lire ?
— Nan.
— Pourquoi ?
— J'aime pas qu'on me lise.
— Je croyais que tu voulais te faire éditer ?
— Si mais... c'est pas pareil. Tu pourras lire quand ça sera fini et corrigé.
— Si tu veux, je peux t'aider à corriger. Je suis bon en orthographe.
Je soupire. Et voilà, qu'est-ce que je disais...
— J'ai déjà un bêta.
— Un quoi ?
— Quelqu'un pour me relire et me corriger, expliqué-je.
— C'est qui ?
Décidément, il en a des questions ce soir. Heureusement, j'ai réponse à tout.
— Un pote d'un forum d'écriture, tu le connais pas.
— T'es inscrite sur des forums toi ? s'étonne-t-il.
— Pas toi ?
— Si, mais je pensais pas que c'était ton genre.
— C'est quoi mon genre ? demandé-je en haussant les sourcils.
— T'es chiante, tu sais ?
Ce n'est pas une vraie réponse ça, mais j'imagine que je n'en aurais pas. Teddy est bizarre des fois. Mais je lui pardonne. Je sais pas pourquoi, mais il m'a aidé à retrouver le sourire après cette journée de merde.
— Tu l'as déjà vu ce mec ? T'as pas peur qu'en vrai, ça soit un pédophile ?
Je lève les yeux au ciel. Sérieusement, il va me faire un discours sur les dangers d'internet ? Ça va, je suis au courant.
— Il sait même pas que je suis une fille.
— Comment ça ?
— J'ai un pseudo de mec.
En disant ça, je réalise que ça va lui paraître chelou. Mais Teddy ne semble pas choqué, bien au contraire :
— T'as raison, ça doit t'éviter pas mal de relous.
À vrai dire, je n'ai pas fait ça pour éviter la drague crasse des mecs sur internet. Je ne sais même pas ce qui m'a pris à la base. C'est venu naturellement. Il me fallait un pseudo et j'ai pensé à Almanzo, le prénom que maman m'aurait donné si j'avais été un garçon. C'est en référence à La petite maison dans la prairie, la saga qu'elle lisait quand elle était petite. Moi aussi je l'ai lue quand j'étais en primaire. Laura est l'héroïne et elle se marie dans le dernier tome avec le fameux Almanzo. J'aime bien ce prénom, je le trouve bien plus original que Laura. Et pour le coup, c'est super rare. C'est pour ça que je l'ai choisi sur le fo, le pseudo était libre et j'avais pas besoin d'ajouter des chiffres à la fin.
Très naturellement, j'ai accordé ma présentation au masculin. Encore une fois, j'ai fait ça au feeling. Et puis, c'était pas la première fois non plus. C'est même devenu une habitude.
— J'avoue, réponds-je simplement, préférant ne pas m'étaler sur le pourquoi du comment.
— Tu veux pas me donner le nom du forum j'imagine ?
— C'est mort.
Teddy hausse les épaules, comme si ça lui était égal. Je ne comprends pas pourquoi il insiste autant. J'aimerais bien qu'il lâche l'affaire et oublie l'existence de mon roman.
Si je suis édité un jour, je prendrais un pseudonyme. Je ne veux pas que les gens sachent qui je suis. Peut-être même que je ne dirais à personne que j'ai publié un roman. L'idée d'être lue, ça m'angoisse. Je sais que c'est censé être le but : avoir des lecteurs, mais pas les gens que je connais. J'ai trop peur qu'ils se moquent. Et puis ce que j'écris, c'est tellement personnel. Évidemment, ce sont des histoires inventées mais... c'est une partie de moi. C'est difficile à expliquer.
— Tu fais quoi ce week-end ? me demande Teddy.
Je suis soulagée qu'il change enfin de sujet.
— Je sais pas. Rien. Mes devoirs. Dimanche midi on va manger chez mes grands-parents.
Super programme... Je vais encore passer mon week-end à me faire chier. Quoi que, peut-être que je peux aller à la médiathèque à Penmarc'h. En vélo, ça passe, c'est pas si loin. Comme ça je pourrais refaire un stock de livres. J'aime cette idée.
— Ça te dirait qu'on... j'sais pas, qu'on fasse un truc ?
Hein ? Qui « on » ? Moi et ses potes ?
— Genre quoi ?
— Non rien, laisse tomber. C'était... oublie.
OK... Sympa. Il veut me proposer quelque chose, mais finalement il change d'avis. Il s'est rendu compte que finalement il ne voulait pas me voir. Ça aurait pu me plaire de traîner avec ses potes. Et puis j'ai promis à Petit d'essayer de me faire de nouveaux amis. Ça aurait été l'occasion. Tant pis.
J'ai une boule dans le ventre. Teddy a arrêté de parler, je décide de remettre mes écouteurs. Il fait de même.
Je cherche l'album de Neptune, c'est facile, je l'ai mis en première position. La voix enfantine de Charly résonne dans mes oreilles. Ça me détend. Je me sens déjà mieux. Je me retiens de bouger la tête en rythme. À la place, je cale mon crâne contre la vitre glacée du bus. C'est agréable, ça rafraichit.
Teddy ne me dit même pas au revoir en descendant. Est-ce que j'ai dit un truc qui l'a vexé ? C'est parce que j'ai refusé qu'il lise mon roman ? Je ne comprends pas. J'espère que je ne viens pas de tout foutre en l'air et de perdre encore un pote.
***
Et voilà c'est tout pour aujourd'hui ! J'avoue que Teddy, c'est mon gars sûr, je l'aime trop. J'espère que vous aussi ^^
Je vous rappelle que la suite est déjà dispo sur Patreon ! La semaine prochaine, ça ne sera pas un vrai chapitre mais un court interlude. Mais dans 15 jours, vous aurez le chapitre 9 comme d'habitude ^^
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