Entre chiens et loups (Lv30)
Texte ayant été écrit dans le cadre du projet "un mois, une histoire", et étant par conséquent présent également dans le recueil concernant ce projet. Présent ici dans un soucis de compréhension étant donné qu'il s'inscrit dans un univers contenant plusieurs textes.
Ecrit en Février 2018
Alicia Mendez était distraitement en train de trier les petits pois des carottes dans son assiette quand son capitaine passa la porte en compagnie de son ami et lieutenant, Franck. Dans la cantine bondée de la base militaire, l'aura primitive que dégageait Lubin agit comme un phare sur la jeune femme qui releva la tête pour le dévorer des yeux. Du haut de ses trente ans, il faisait partie des plus jeunes soldats à avoir atteint le grade qu'il portait. Il avait été repéré par un général quand il était plus jeune, pour ses capacités au combat et ses décisions méthodiques sur le terrain, ce qui lui avait permis d'accéder à une formation lui donnant accès aux grades des officiers.
Elle le regarda traverser la salle en discutant avec son compagnon, ses lèvres se fendant souvent d'un sourire joyeux tandis que ses yeux jaunes se plissaient de rire. Sa mâchoire carrée et son nez droit dénonçaient son tempérament volontaire et volcanique alors que son port altier imposait son ascendant sur ceux qui osaient contredire son autorité. Derrière son air calme se cachait un caractère fort qui transparaissait souvent dans ses sourcils qui se fronçaient fréquemment en une ride contrariée et dans sa voix qui se teintait d'un accent agacé.
Un de ses soldats le héla à une table non loin de celle d'Alicia et les deux compères le rejoignirent dans le brouhaha satisfait des militaires en train de déjeuner. Comme un secret que tout le monde gardait, le fait que Lubin soit un hybride n'était jamais mentionné. Pourtant, le loup qui se cachait dans sa génétique, s'il était décelable dans la façon d'être du trentenaire et dans sa façon de percevoir son environnement, se trahissait irrémédiablement à cause de deux détails qui n'en étaient pas. Lubin souffrait de leucisme ; et si ses yeux d'or restaient assez discrets, la dépigmentation qui rendait sa pilosité immaculée -et dont il se serait bien passé- n'échappait pas à l'attention et attirait souvent tous les regards.
Passionné par la conversation, Lubin se frotta le menton du bout des doigts, faisant crisser sa barbe naissante. Il y effleura une irrégularité entre ses poils qui trahissait la balafre : une longue estafilade sinuait le long de sa mâchoire, souvenir devenu presque invisible d'un combat qu'il avait vaillamment remporté. Alors que le groupe de soldats avec lesquels ils déjeunaient se joignaient allègrement à leur discussion, Lubin se passa distraitement une main dans ses cheveux aussi indisciplinés que blancs et dont les épis refusaient catégoriquement de se plier à la bienséance minimum.
Alicia soupira, malgré une première rencontre qui lui avait laissé une très mauvaise impression de son supérieur, ainsi qu'un arrière-goût de défaite, elle avait fini par en tomber amoureuse. Si sa diligence lors des prises de décision en plein champs de batailles l'avait d'abord impressionnée, la façon dont il se préoccupait de leur petite équipe comme d'une famille l'avait touché plus profondément qu'elle ne s'y attendait. Sans compter qu'il leur avait sauvé la vie à maintes reprises, mettant sans hésiter la sienne en danger.
La jeune femme poussa un nouveau soupir et appuya sa joue contre son poing, observant rêveusement l'objet de tous ses fantasmes. Un ricanement à ses côtés interrompit le fil de ses pensées et elle coula un regard menaçant à Léo, ce qui eut pour unique effet de lui faire recracher le contenue de sa bouche sur la table dans un éclat de rire. Alicia leva les yeux au ciel avec un air dégoûté et son camarade lui asséna sur l'épaule une claque si forte que l'exosquelette qui permettait à la jeune femme de marcher malgré sa paraplégie grinça légèrement.
— Pas de ça avec moi ! On sait très bien tous les deux à quoi tu dois t'en tenir, pouffa le brun avec un regard mi-compatissant, mi-amusé tandis qu'elle frottait l'endroit de l'impact en grimaçant.
— Je sais, répondit Alicia avec mauvaise humeur.
Ses manières masculines et ses cheveux coupés très courts pouvaient tromper ceux qui ne la connaissaient pas mais la brune était en réalité assez sentimentale et toute l'équipe avait vite fini par deviner l'attrait qu'elle avait pour Lubin. Ce dernier était d'ailleurs loin de l'ignorer et, s'ils n'en avaient jamais parlé, l'hybride lui avait clairement fait comprendre par son comportement qu'une aventure ne serait pas possible entre eux. Le fait d'être son supérieur lui interdisait d'autant plus moralement qu'il se passe quoi que ce soit.
Cela convenait à Alicia qui arrivait à se contenter de l'aimer de loin, l'admirant discrètement et acceptant avec un grand sourire ses félicitations quand il lui en donnait. Tout du moins, elle y parvenait jusqu'à il y avait quelques mois. Depuis l'arrivée de l'équipe de scientifiques qui venait étudier les extraterrestres contre lesquels ils se battaient afin de leur découvrir une faiblesse exploitable. Plus exactement, depuis l'arrivée du Docteur Brune Napel, leur supérieure.
Si Alicia pouvait décrire la jeune femme en un mot, elle aurait choisi celui-ci : dangereuse. Pourtant, la scientifique ne payait pas de mine. Elle dépassait à peine le mètre cinquante, et avec sa masse brun clair de cheveux bouclés ramenés en une queue de cheval, ses yeux noisette et son visage constellé de taches de rousseur, elle aurait pu donner l'impression de n'être rien de plus qu'un petit animal en danger. Pourtant, à l'image du capitaine, il émanait d'elle une aura qui rendait nerveux ses opposants car derrière une apparence inoffensive se dissimulait un fauve tapi dans l'ombre.
Brune ne supportait pas l'autorité et elle l'avait démontré dès son arrivé en contrariant celui qui était en charge de gérer son équipe. Lubin - car c'était lui leur responsable - avait vite abandonné l'idée de vouloir leur donner des directives et se contentait de surveiller que leurs expériences ne fassent pas exploser la base. Très souvent, les deux jeunes gens au fort caractère se confrontaient dans des joutes verbales qui pouvaient évoluer en duels. Ils se rendaient alors dans le gymnase où ils s'affrontaient à mains nues sous les yeux impressionnés des spectateurs qui ne manquaient pas leurs combats.
Malgré tout, malgré le fait que Brune prenne un malin plaisir à contrarier l'hybride et que ce dernier s'irrite étonnamment rapidement à son contact, il se passait quelque chose entre eux. Alicia connaissait bien son capitaine et elle savait. Elle savait que lorsqu'il se retournait sur le passage de la blouse blanche, la tête légèrement penchée, les lèvres entrouvertes, et les yeux imperceptiblement baissés, il captait les effluves que libérait sa rivale. Elle avait souvent vu Lubin saisir les odeurs de cette façon avant un assaut mais jamais elle n'aurait imaginé le voir faire la même chose avec un être humain ; et cela lui brisait le cœur. Il le faisait inconsciemment et quand il s'en rendait compte, un voile confus passait sur ses yeux aussi dorés que l'or.
Alors qu'Alicia l'observait, toujours plongée dans ses pensées, Lubin tourna machinalement la tête, et inspira doucement. La jeune femme n'eut pas besoin de suivre son regard pour savoir sur qui elle allait tomber : une seule personne pouvait provoquer ce genre de réaction chez le loup. Elle sentit son cœur se serrer et se replongea dans le spectacle consternant de ses légumes. Ce fut la jalousie qui la poussa à prêter attention à ce qu'il se passait à la table d'à côté.
Avec un regard malicieux, Brune s'était installée près du capitaine et c'est sans surprise qu'une énième controverse éclata entre eux, la scientifique prenant un malin plaisir à contester les propos de l'hybride avec un sourire goguenard. Alicia, n'y tenant plus, saisit son plateau pour le débarrasser avec brusquerie. Avant de quitter la cantine sous les prunelles affligées de Léo, elle ne put s'empêcher de jeter un dernier regard vers le duo qui argumentait avec énergie sous les yeux amusés des soldats qui s'étaient habitués à leurs querelles.
Comme à chaque fois, elle sentie son cœur de déchirer et c'est les larmes aux yeux qu'elle fit demi-tour et qu'elle s'enfonça dans le couloir de la base souterraine.
*
— Je ne suis pas d'accord !
Léo secoua la tête avec un sourire contrarié. Son entêtée de coéquipière et lui étaient chargés aujourd'hui d'effectuer les patrouilles dans le complexe militaire et ils n'arrivaient pas à trouver un compromis sur leur discussion. Il ouvrit la bouche pour répondre à Alicia quand l'explosion retentit dans le couloir, faisant trembler le sol sous leurs pieds. Presque immédiatement, l'alarme à incendie résonnait contre les murs.
Les deux soldats se tournèrent l'un vers l'autre et un éclair de lucidité traversa leurs regards.
— Le laboratoire... souffla Léo avant de suivre Alicia qui avait pressé le pas.
Quand ils arrivèrent, une épaisse fumée blanche sortait en volutes denses de la porte grande ouverte de la pièce qui servait de repère aux scientifiques. La majorité de leur équipe attendait à l'extérieur quand Brune passa le seuil, soutenant un de ses subalternes qui toussait violemment. Elle le confia aux autres, saisit l'extincteur dans son habitacle dont on ne prenait plus la peine de fermer la porte et s'enfonça dans le nuage qui l'engloutit immédiatement. Il se passa quelques minutes avant que ce dernier ne s'amenuise avant de disparaître. Simultanément, l'alarme se tut, déconnectée.
La blouse blanche ressortit de la salle et celle qui la portait annonça avec un air victorieux qui n'avait pas vraiment sa place sur son visage :
— Mauvais dosage, my bad !
Le pas furieux de Lubin arriva alors au croisement du couloir et c'est sans hésiter un instant qu'il fondit sur la jeune femme avec un air furieux.
— Toi ! rugit-il. Combien de fois vas-tu tenter de détruire cet endroit avant d'y parvenir ?
— Autant de fois qu'il le faudra ! lui répondit Brune avec un grand sourire, provoquant une réaction aussi impulsive qu'incontrôlée chez le loup qui la saisit par le col de sa blouse, déjà trop souvent maltraitée par le jeune homme.
Ils avaient abandonné depuis bien longtemps le vouvoiement entre eux. Ce dernier s'accordant mal au choc de leurs deux forts caractères. Les dents de Lubin crissèrent les unes contre les autres alors que le capitaine serrait les mâchoires de colère. Ses phalanges blanchirent quand il serra un peu plus les poings sur le tissu et il se rapprocha tant de la jeune femme que celle-ci sentit son souffle erratique sur son visage. Elle lisait dans le regard du loup qu'il se retenait de la frapper ou... elle n'était pas sûre de bien interpréter la lueur qui brillait dans les prunelles dorées.
— Je m'entraîne à vingt heures ce soir, susurra-t-elle.
C'était une provocation autant qu'une invitation, et Lubin le savait. Il plissa ses yeux qui luisaient d'une lueur lupine et garda le silence un moment avant de relâcher Brune qui fut heureuse de retrouver pleinement la sensation du sol sous ses pieds. L'hybride lui tourna le dos brusquement et disparut aussi vite qu'il était apparu dans une flopée de juron. La scientifique tira sur son col pour réajuster son vêtement. Ce soir, Lubin serait là. C'est avec un sourire carnassier sur les lèvres qu'elle intima à son équipe de reprendre leur activité avant de reposer l'extincteur sur son socle.
Un peu plus loin, spectatrice silencieuse de la scène qui venait de se dérouler, Alicia ressassait avec agacement l'altercation. Elle ne supportait pas la proximité qui régnait entre les deux jeunes gens, et la familiarité avec laquelle ils interagissaient alors qu'il y avait quelques mois à peine, ils ignoraient chacun l'existence de l'autre.
La bourrade vigoureuse de son partenaire la tira de ses pensées et il l'entraîna dans son bavardage joyeux vers la suite de leur patrouille. Dans les couloirs, la nouvelle circulait vite entre les soldats qui parlaient jovialement du combat à venir. Cela faisait quelques semaines qu'un calme relatif régnaient entre les deux chefs et tous savaient que la tension perpétuelle qui régnait entre eux devrait éclater sous peu. Ce duel était prévisible mais chacun l'attendait avec impatience, les deux opposants redoublants à chaque fois d'ingéniosité et d'ardeur. Quelques soldats prenaient même des paris malgré leur interdiction qui avait été réannoncée depuis la première confrontation.
L'après-midi passa rapidement dans le brouhaha enjoué des militaires qui anticipaient l'événement de la soirée avec une hâte non dissimulée. Lorsque vint le repas du soir, la nouvelle avait fait le tour de la base et tous ne parlaient plus que de ça, au grand dam d'Alicia qui s'en serait bien passé. Plus l'heure avançait, et plus les couloirs se vidaient, les recrues disparaissant mystérieusement pour aller s'installer avec leurs amis dans la grande salle d'entrainement. Plus d'une heure avant le début de l'affrontement, le gymnase grouillait déjà de spectateurs.
Malgré sa réticence à voir les deux jeunes gens se battre, Alicia ne put s'empêcher de se fondre dans la masse pour y assister. Elle avait beau ne pas aimer Brune, elle ne pouvait pas nier que celle-ci avait sans conteste du talent dans l'art du combat. Elle était redoutable. Ça ne plaisait pas à Alicia qui la soupçonnait d'utiliser des moyens obscurs pour améliorer ses compétences mais elle devait reconnaître que la scientifique faisait un adversaire coriace. La jeune femme n'était pas sûre de pouvoir lui tenir tête et n'avait même jamais essayer par crainte de se faire ridiculiser.
Pourtant, elle sentait que quelque chose n'allait pas dans ces corps à corps. Après plusieurs années sous les ordres de Lubin, elle connaissait bien sa façon de combattre, et elle ne savait pas s'il le faisait consciemment ou non mais il semblait plus précautionneux, comme s'il voulait éviter de blesser son adversaire. Elle aurait pu s'en réjouir, supposer qu'il se contentait de la sous-estimer mais au contraire, il s'en méfiait comme de la peste depuis le premier jour. Alors pourquoi ? Cette question l'exaspérait.
Alicia ruminait ses sombres pensées quand le brouhaha ambiant s'intensifia. Fidèle à ses principes, le capitaine était arrivé pile à l'heure tandis que son adversaire se faisait encore désirer. Quand Brune franchit la porte des vestiaires, vêtue d'un débardeur noir et d'un pantalon d'exercice qu'elle avait probablement subtilisé dans la laverie, si ce n'est dans les affaires de quelqu'un, la foule acclama inconsciemment l'affrontement à venir.
Les deux adversaires s'échauffèrent rapidement avant de se placer face à face. La scientifique joignit les mains et se pencha pour saluer Lubin tandis que celui-ci inclinait la tête. Après cette salutation, les combattants se mirent en garde et se cognèrent le poing, indiquant ainsi qu'ils se battaient amicalement. Il y eut un moment de flottement durant lequel aucun d'eux ne bougea, chacun cherchant la faille chez l'autre. Brune fut la première à se mouvoir.
Son pied frôla le sol en s'avançant avant de s'ancrer tandis que sa main gauche évinçait la garde de Lubin. Son poing jaillit pour frapper dans les côtes flottantes mais son adversaire réagit rapidement. L'hybride recula suffisamment pour avoir l'amplitude de mouvement nécessaire. Son torse pivota et les phalanges de la jeune femme rencontrèrent sa paume qui les écarta de leur trajectoire d'un mouvement leste du poignet. La scientifique capta du coin de l'œil le tressaillement de la cheville du capitaine et sauta en arrière, se mettant à l'abri du coup qui allait venir. Lubin eut un sourire en coin qui rencontra son reflet sur le visage de la brune. Tous deux appréciaient l'échange et prenaient un malin plaisir à se distribuer les coups.
La jambe de Lubin partit et rencontra les avant-bras de la scientifique qu'elle avait eu le temps de lever pour protéger sa tête. Malgré ça, la force du circulaire l'obligea à se déplacer de quelques pas. Elle grimaça, ses bras seraient recouverts d'hématomes le lendemain. Les lèvres de Lubin se levèrent dans une moue entre le dédain et une expression de victoire qui fit sourciller Brune dont le poing jaillit et rencontra durement le coin de la mâchoire du loup. Ce dernier secoua la tête, légèrement sonné par l'impact qui l'avait cueilli à un point sensible ; la scientifique savait exactement où frapper pour affaiblir ses ennemis.
Elle sourit, fière d'avoir désarçonné le militaire. Lubin réagit aussi vite, rendant le coup avec autant d'ardeur que Brune qui n'eut que le temps de se déplacer pour éviter que le direct ne la frappe à un endroit qui la mettrait en difficulté. Ils tournèrent un moment, s'observant, se jaugeant, cherchant la faille dans la garde de l'autre, celle qui permettrait à chacun de prendre l'ascendant sur l'autre.
Les spectateurs observaient l'échange avec intérêt, retenant leur souffle, ne sachant quel parti prendre. Ils apprenaient autant qu'ils se divertissaient. Alicia suivait le combat des yeux, ne pouvant s'empêcher d'envier les capacités de la scientifique qui, bien que ne surpassant pas celles de son capitaine, restaient impressionnantes. Lubin était particulièrement exceptionnel mais elle ne pouvait nier que Brune n'était pas en reste pour autant. Chaque jour, elle comprenait un peu plus que ce n'était pas pour rien que c'était elle, parmi tous les scientifiques disponibles, qu'on envoyait sur le terrain.
Elle grinça des dents et décida qu'il était temps pour elle de s'aérer. Elle reviendrait plus tard, mais pour l'heure, regarder le duel ne faisait que lui serrer le cœur. Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer plus que ce qu'il y avait dans cet échange de coups : des œillades passagères, des effleurements volontaires ou des sourires emplis de sous-entendus. Alors, tandis que les deux combattants tentaient de prendre l'avantage sur l'autre, elle s'esquiva.
Inconsciemment, les pas d'Alicia la conduisirent dans les vestiaires des femmes. Elle allait faire demi-tour après s'en être rendu compte quand un éclat blanc dans le coin de son œil attira son attention. Accrochée à un porte-manteau, flottant au-dessus du vide comme un étendard couvert de poussière, se trouvait la blouse de la scientifique. Alicia resta un moment sans esquisser le moindre mouvement devant cette balise qu'elle ne supportait plus. Son esprit échelonnait une à une les conjectures les plus folles sur le devenir de ce vêtement qui avait été laissé sans défense, lui offrant une infinité de vengeances mesquines potentielles.
La militaire tendit le bras vers l'objet avant de se figer. Ce n'était pas bien, elle valait mieux que ça. Elle plongea rageusement ses doigts au fond de sa poche, en colère contre elle-même. Rapidement, elle se força à tourner le dos à cette bannière aux couleurs de sa rivale et quitta les vestiaires aussi discrètement qu'elle y était entrée, fermant la porte sur toutes les potentialités qui se présentaient à elle.
Elle se mêla à la foule qui bourdonnait si bruyamment qu'on devinait aisément que l'affrontement se terminerait bientôt. Les deux adversaires se tenaient chacun à un endroit de l'arène improvisée, se fixant en haletant alors que la sueur perlait sur leurs fronts. Ce serait probablement le dernier assaut après de longues minutes à lutter.
Lubin amorça un mouvement qui fut intercepté par la jeune femme. Le coude du capitaine pivota sous l'impulsion que la poigne de la scientifique appliqua sur lui. Dans l'empressement de finir victorieusement ce duel, le côté roublard de la scientifique s'imposa et elle effectua une prise qu'elle n'utilisait normalement pas dans un combat à la loyal. Le jeune homme se sentit chuter alors que la jambe de Brune crochetait sa cheville et son dos vint violemment percuter le sol, vidant l'air de ses poumons. Il n'eut pas le temps de reprendre ses esprits que la brune coinçait son bras de façon à exercer une force qui pourrait le lui casser si elle le désirait.
Lubin serra les mâchoires alors que son opposante appuyait un peu plus sur ses articulations, jouant avec leur résistance, mettant à l'épreuve le seuil de douleur que l'hybride pouvait supporter. Il tapa sur le sol plusieurs fois, reconnaissant ainsi qu'il avait perdu. Brune libéra son bras qu'il récupéra rageusement. Les deux combattants se relevèrent. Devant le sourire espiègle qu'avait la scientifique qui venait de l'emporter, Lubin ne put que souffler un rire en secouant doucement la tête malgré ses sourcils froncés. Ils se saluèrent de nouveau. Ils auraient d'autres chances de se mesurer l'un à l'autre.
*
Dans le dortoir d'Alicia, les pas crispés de la jeune femme résonnaient dans une mélodie agitée qui dénonçait son état d'esprit. Elle repassait sans cesse devant l'objet de son délit : comme une preuve accablante étendue sur son lit, se trouvait la blouse blanche de Brune. Pourquoi était-elle retournée récupérer le morceau de science -qui n'était plus aussi éclatant que ce qu'il devait être ? Elle l'ignorait. Ce qu'elle allait en faire ? Une idée folle commençait doucement à germer dans son esprit et cela ne lui plaisait pas.
Alicia stoppa sa marche empressée et saisit le tissu qu'elle fit glisser entre ses doigts. Oserait-elle ? Elle se mordit la lèvre. Non ! Elle envoya le pan de la blouse sur ses draps dans un mouvement brusque. La jeune femme reprit ses cent pas avant de se figer et de fixer de nouveau le vêtement. Elle s'avança, posa ses mains de part et d'autre de l'habit. Oui ? Elle soupira. Son esprit fourmillait de possibilités.
Machinalement, Alicia enfila une manche, puis l'autre, jusqu'à ce qu'elle soit enveloppée de blanc. Elle jeta un œil à l'unique miroir de la pièce. Son exosquelette donnait une forme un peu étrange à la chute de l'étoffe qui était un peu petite pour elle. Alicia se sentait à la fois vulnérable et toute puissante. Elle sentait son esprit bourdonner et son cœur palpiter bruyamment dans sa poitrine. Oserait-elle ? Oui. Définitivement. Elle avait parfaitement conscience que ce serait peut-être son unique chance de faire chuter les barrières que Lubin construisait entre le monde et lui. C'était une attaque sournoise mais il fallait au moins ça pour pouvoir atteindre le loup, pour pouvoir le perturber au point qu'il se laisse aller.
Sans qu'elle ne sache vraiment quand, Alicia avait parcouru discrètement les couloirs presque vides de la base, évitant habilement les chemins que devaient suivre les patrouilles, tendant l'oreille au cas où un des scientifiques aurait eu la bonne idée de sortir prendre l'air en plein milieu de la nuit. Elle avala la distance pour se retrouver devant la porte du capitaine. Elle avait aperçu leur lieutenant, qui partageait sa chambre avec Lubin, en train de jouer aux cartes avec d'autres officiers dans une pièce un peu reculée. L'hybride serait donc seul s'il était présent. Il devait sans doute déjà savoir qu'elle était devant sa chambre, attendant par politesse qu'elle toque.
En effet, allongé sur sa couchette, un livre aux bords cornés par le temps entre les mains, le jeune homme avait distraitement suivit l'avancée d'Alicia jusqu'au morceau de métal qui séparait la pièce du couloir. Il avait reconnu le pas un peu lourd de sa subordonnée, et s'il avait eu un léger doute sur son identité à cause de la timidité inhabituelle qui transparaissait dans ses foulées, le discret frottement métallique des articulations de son exosquelette lui confirma que son ouïe ne l'avait pas trompé.
Il attendit les coups qui indiqueraient que la militaire demandait l'autorisation de rentrer mais rien de vint. Posant son livre sur son torse en fronçant les sourcils d'incompréhension, Lubin fixa un moment l'entrée avant de se redresser, laissant l'ouvrage choir sur les draps, et de se diriger vers Alicia qui tergiversait.
La jeune femme avait levé le bras sans oser toucher la porte. Que faisait-elle ? Qu'allait-elle faire ? Elle avait agi sur le coup de l'impulsion mais... et si rien ne marchait ? Pire, et si son capitaine se mettait en colère, s'il lui en tenait compte ? Elle se mordit la lèvre une fois de plus, trop nerveuse pour réfléchir correctement. Indécise, elle hésitait encore entre prendre son courage à deux mains et toquer, ou retourner dans son dortoir se débarrasser de cette blouse et oublier toute cette histoire.
Elle n'eut pas le temps de se décider ; le sas de métal s'ouvrit sur l'hybride dont la question qu'elle se posait depuis son arrivé transparaissait sur les traits : que faisait-elle là ? Cependant, son expression fut très vite remplacée par la surprise. Lubin se fiait énormément à ses sens -il l'avait toujours fait- mais cette fois-ci, si ses yeux et ses oreilles lui clamaient que c'était Alicia qui se tenait devant lui, son odorat lui murmurait insidieusement qu'il s'agissait d'une brune terriblement têtue aux cheveux bouclés.
Alicia vit l'immobilité du jeune homme qui lui laissait l'ouverture qu'il lui fallait pour agir avant qu'il ne reprenne ses moyens. Elle aurait très certainement abandonné ses projets si elle n'avait pas remarqué un petit détail qui fit toute la différence dans son cœur : derrière un air troublé, les yeux jaunes de Lubin s'étaient dilatés à l'instant même où il avait senti l'odeur de Brune sur elle.
Dans un élan désespéré, Alicia crocheta la nuque de son capitaine et l'embrassa. Aussitôt, les mains avides et possessives de Lubin vinrent se crisper sur la taille de sa subalterne, et il l'attira dans sa chambre. Dans son esprit, les images confuses d'Alicia et de Brune se superposaient l'une à l'autre, et alors que sa conscience tentait de le raisonner, son être tout entier ne demandait plus qu'à faire un avec la personne qui se pressait contre lui.
Cela faisait des mois que Brune et son attitude revêche le rendaient à la fois fou de rage et de désir, qu'elle exacerbait ses sens, que son odeur le troublait. Il s'était déjà égaré à rêver d'elle, et quand il se réveillait en plein milieu de la nuit, couvert de sueur, il ne se sentait qu'un peu plus perdu. Il savait que Franck avait fini par remarquer l'attirance incontrôlable qui l'entraînait vers la scientifique, mais seul une observation assidue aurait pu le dénoncer. Une observation comme une femme amoureuse pouvait avoir...
Lubin répondit aux lèvres empressées de la jeune femme avec une ardeur qu'il ne se connaissait pas, tandis que celle-ci refermait la porte du pied. Son audace l'entraînait plus loin que ce qu'elle avait prévu mais elle n'en avait cure, trop concentrée sur les muscles qui roulaient sous ses doigts alors qu'elle tentait de débarrasser Lubin de son T-shirt. Quand ses mains froides effleurèrent la peau du trentenaire, une étincelle de lucidité surgit dans son esprit, et il attrapa brusquement les poignets d'Alicia. Il les abaissa, les enserrant si fort qu'il la fit grimacer de douleur, et colla son front au sien, s'empêchant ainsi de l'embrasser de nouveau, se forçant à reprendre le contrôle sur lui-même.
Quand il ouvrit les yeux, un éclair de colère pure brillait au fond de ses pupilles jaunes. Ses sourcils froncés avec fureur et le grondement sourd qui montait dans sa poitrine alors qu'il fixait Alicia de son regard de prédateur forcèrent cette dernière à reculer en déglutissant. Les mâchoires de Lubin se contractèrent alors qu'il serrait les dents avec rage et il lâcha la jeune femme que la peur avait saisit devant cette violence contenue. Il rouvrit la porte avec des gestes raides et avant que son invité indésirée ne quitte la pièce, il tendit une main autoritaire vers la militaire.
— Donne-moi ça, souffla-t-il.
Alicia n'eut pas besoin qu'il en dise plus pour comprendre qu'il parlait de l'objet qu'elle avait dérobée. Sans dire un mot, elle se dévêtit et lui remit la blouse avant de quitter les lieux en silence, piteuse. Lubin la suivit du regard, referma derrière elle, donna un tour de clef, et s'appuya contre le mur, se laissant doucement glisser contre la paroi. Il avait fallu qu'il rassemble toute sa volonté pour résister à ses instincts. Tremblant, il soupira. Il s'en voulait plus à lui-même pour avoir cédé aussi facilement à la tentation qu'à son équipière qui avait eu le cran de venir le voir bien qu'elle ait franchit plusieurs limites interdites. Il devrait la réprimander le lendemain -en plus de rendre le vêtement à la brune- mais pour ce soir il estimait qu'elle avait été suffisamment effrayée.
Il fit glisser la blouse entre ses doigts, effleurant les traces de brûlures, s'arrêtant sur les accrocs qu'il y sentait, souriant en imaginant toutes les aventures que le vêtement avait vécu pour être dans cet état-là. Il se perdit à penser à la jeune femme à qui la blouse appartenait. Mécaniquement, il plongea le nez dans le tissu qu'il tenait entre ses mains et inspira le bouquet d'odeur qui en exhalait. Son esprit s'embrouillait et les senteurs de Brune envahissaient peu à peu ses sens jusqu'à ce qu'il oubli presque sa propre existence. Il l'avait définitivement dans la peau.
_________________________
Mot de l'auteur :
Salut les petits loups !
Vous venez de lire le plus long texte du recueil (à ce jour du moins) et en prime vous venez de découvrir un autre de mes Univers avec un de mes petits chouchous : Lubin !
Pour ce qui est du thème du mois, je l'ai inclus plusieurs fois dans ce texte, entre le vol d'Alicia, Brune qui s'oppose sans cesse à l'autorité, la relation Alicia-Lubin qui n'est ni désirée par Lubin, ni vraiment recommandable dans le sens où les relations supérieur/subalterne ne sont pas forcément top, et enfin avec les envies de Lubin par rapport à la scientifique. Vous êtes servis !
Pour ce qui est du titre, il y a plein de petites références :
→ Si Lubin est un loup, Alicia et Brune sont clairement l'équivalent de chiens sauvages.
→ Cette expression fait référence à l'heure bleue, quand on se trouve entre le jour et la nuit, et que le ciel prend cette teinte bleutée, et justement, l'histoire se passe globalement en soirée.
→ Enfin, toujours par rapport à l'expression consacrée, on dit qu'à cette heure on est entre chien et loup car on ne peut reconnaître l'un de l'autre, tout comme Lubin est incapable au premier abord de faire la différence entre Brune et Alicia :)
J'espère que le texte vous aura plus, et n'hésitez pas à me laisser un petit avis dessus ! :D
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