🧶 Tisser [A-]
De la mythologie malgache !
Mais pas seulement.
Titre : Tisser
Auteur : Raharimanana 🇲🇬
Date : 2021
Quatrième de couverture
Récit de l'auteur malgache Raharimanana qui entremêle légendes, mythes fondateurs et réalités contemporaines. Soucieux de restituer la mémoire trop souvent trahie par les récits, l'auteur revisite les luttes de libération, les formes de résistance et d'utopie. Il met en place une cosmogonie où tout se tisse dans une diversité de voix, de perspectives poétiques et politiques, rassemblant des formes singulières d'écriture et de transmission de la parole.
Un enfant mort-né raconte la genèse du monde. Il fait appel aux mythes pour dire les dérives totalitaires et la quête de liberté. Fable contemporaine qui rétablit la relation entre les temps, passé et présent, les ancêtres et le monde contemporain, l'Esprit et le réel, le récit se donne à lire comme fibres à tisser l'humanité.
Véritable expérience de lecture. Il y a de ces livres dont on a l'impression de ne jamais avoir rien lu de semblable ailleurs.
Assez irracontable et développant des réflexions puissantes, cette plongée dans l'inconnu vallait le coup.
Le principe est que le narrateur, esprit d'enfant mort-né, vit des fragments de vies des vivants. Chaque courte partie développe alors un mythe, une bribe d'histoire personnelle ou un concept philosophique qui s'entremêlent et se répondent.
La mythologie malgache telle que la dépeint Raharimanana est toute en dualité. Tout y est question d'équilibre et de lien.
Pour l'auteur, le mythe est ce qui lie au passé et aux autres. Nous avons toutes et tous des histoires qui au delà de fonder des groupes humains par un mythe fondateur commun, leur donnent du sens. Ainsi, toute amitié a son vécu, toute nation a son roman national, toute vérité a son histoire des sciences...
Le narrateur parle aussi du déchirement que représente l'arrachement à ses racines lorsque l'on perd ses mythes et de son Histoire. Car en effet, certains peuples n'ont pas ou plus de vestiges prouvant les civilisations d'où ils viennent. Vestiges qui d'ailleurs pas ne limitent pas aux constructions physiques, mais aussi à la culture immatérielle, la philosophie, la science ou la médecine.
Naturellement, il est donc beaucoup question de colonisation. Selon l'auteur, une idée continue d'être profondément ancrée dans les mœurs : le capitalisme, se considérant lui-même comme l'apogée, est perçu comme ce vers quoi les pays en voie de développement devraient se diriger.
La critique est faite au capitalisme d'asservir les peuples, allant même jusqu'à les tuer. La mère du narrateur par exemple, ouvrière dans une usine d'une multinationale, a dû avorter pour éviter de perdre son emploi. Cela m'évoque malheureusement de nombreuses images choquantes du monde réel (l'usine Camaïeu au Bangladesh construite au rabais pour économiser qui s'est effondrée sur les employées, ou plus récemment l'entreprise sud-coréenne SPC Group qui n'a pas fermé son usine alors qu'une ouvrière était tombée dans une broyeuse...).
Le narrateur s'excuse de dire « nous », car ce mot a évolué dans un sens qui exclue un « vous ». Il précise que ce « nous » concerne tous les humains, il raconte leur histoire telle qu'il l'a vécue lui-même à travers ses périgrinations de corps en corps. Mais à un moment, il souhaite parler de l'Afrique en particulier et ce « nous » devient spécifique, et donc au malheur du narrateur aussi excluant. J'ai trouvé le développement de cette idée très fort.
À travers l'exposé de ces idées philosophiques sur le rapport au passé, la politique et la place des femmes, le fil rouge reste « tisser ». Il s'agit sans doute de l'un des livres qui porte le mieux son titre. En effet, cette nasse de fils entremêlés forment un tout cohérent. Et ce n'est pas le « tissage » ou le « tissu », mais bien l'action « tisser » qui importe. Et l'auteur de filer cette métaphore.
Tisser est un savoir-faire qui se transmet, il est lié aux vêtements, aux apparences que l'on se donne (vêtements, langage, culture, sagesse, philosophie). Quand l'humain se dénude, enlève le tissu, il fait face à sa propre fragilité, qu'il ne doit pas oublier.
Les mythes tissent des liens entre humains. Mais tisser n'est pas spécifiquement humain, car l'araignée tisse pour se nourrir et le papillon pour se transformer.
Tisser c'est aussi devenu une industrie, qui en forçant des populations à s'habiller uniformément à l'occidentale, heurte leur identité. Cela affecte aussi à l'équilibre de la planète avec le désordre écologique auquel elle participe.
Si un fil manque, la toile risque de s'effilocher, mais aucun fil n'est plus important qu'un autre. Et lorsqu'il y a une déchirure dans un tissage, il faut d'abord l'identifier pour la réparer.
« Tisser, c'est se connaître comme fibre, et accepter de se lier à d'autres pour une existence plus vaste. Tisser les mémoires. Tisser les vies. Tisser l'utopie. »
« Mais toujours d'autres innocents mangent des innocents en refusant de comprendre qu'ils sont les soldats sans armes du capitalisme, avec des balles infiniment plus efficaces et mortelles : l'argent ! Des soldats sans armes qui consomment. Des soldats enrôlés dans une armée sans caserne. Des soldats qui ne réalisent pas ou refusent de croire qu'ils occupent le front et que leur manière de vivre décime des peuples tout en portant atteinte à la planète entière. Des soldats innocents sur le champ de bataille du consumérisme. » (p.61)
« La solidarité, l'entraide, les choses comme ça, deviennent des utopies, des idées d'extrême-gauche. [...] C'est cela l'extrême de l'humain : ignorer la loi du plus fort ? » (p.62)
Note : A-
Ce livre ne pourra pas plaire à tout le monde.
Personnellement, j'ai énormément apprécié découvrir cette forme de narration tissée de mythes, de philosophie, de poésie même parfois, de bribes de fictions et de sentiments vrais.
Cette lecture m'a enrichie de visions du monde provenant d'un autre vécu, d'une autre Histoire. Et même si je ne sais pas encore si j'adhère à toutes, cela a soulevé nombre de questionnements sur l'impact encore actuel que peut avoir le colonialisme sur les esprits. Sujet vaste, complexe, passionnant, et surtout important.
🇲🇬
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