⚗️ L'Œuvre au Noir [B]
Dans les traités d'alchimie du XVIème siècle, la pierre philosophale est un catalyseur de la transmutation des métaux vers l'état final idéal, l'or. Elle apporte aussi guérison et immortalité.
Pour l'obtenir, il faut réaliser les trois phases du Magnus Opus, le Grand Œuvre : l'œuvre au noir (calcination), au blanc (lessivage), et au rouge (incandescence).
Selon l'auteure, ces trois phases peuvent tout aussi bien représenter « symboliquement des épreuves de l'esprit se libérant des routines et des préjugés ». Ce serait alors les prémisses d'une méthode scientifique, avec d'abord l'éradication de ses idées préconçues, la purification de ses connaissances, menant à des découvertes. La première phase, l'œuvre au noir, étant la plus difficile. Le titre du roman présage d'ailleurs de manière subtile de la fin.
Titre : L'Œuvre au noir
Auteure : Marguerite Yourcenar 🇫🇷🇺🇸 (pseudonyme de Marguerite Cleenewerck de Crayencour)
Date : 1968
Couverture
Quatrième de couverture
En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l'auteur de Mémoires d'Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d'un homme extraordinaire. C'est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcee et brutale réalité ; un monde contrasté où s'affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison même finira par le broyer. L'Œuvre au Noir a obtenu en 1968 le prix Femina à l'unanimité. Ce livre a été traduit dans quinze langues.
Résumé
Zénon Ligre, fils illégitime d'une grande famille flamande du XVIème siècle, se fascine très tôt pour les vérités cachées du monde. Ses semblables, qu'il méprise, se contentent de leurs superstitions religieuses, qu'elles soient catholiques ou protestantes.
Au cours de ses lointains voyages, il apprend en connaissances et en méthode scientifique, et il s'assagit. Devenu alchimiste, médecin et philosophe, il est contraint de vivre en taisant ses découvertes. Mais Zénon n'est pas homme à renier ses valeurs cardinales de vérité et de questionnement, à une époque où les dogmes et la foi font autorité, sous peine de bûcher.
« Les explications analogiques [reposant sur des analogies] qui m'avaient jadis paru élucider les secrets de l'univers me semblaient pulluler à leur tour de nouvelles possibilités d'erreur en ce qu'elles tendent à prêter à cette obscure Nature ce plan préétabli que d'autres prêtent à Dieu. » p149
« On n'est pas libre tant qu'on désire, qu'on veut, qu'on craint, peut-être tant qu'on vit. Médecin, alchimiste, artificier, astrologue, il avait porté bon gré mal gré la livrée de son temps ; il avait laissé le siècle imposer à son intellect certaines courbes. Par haine du faux, mais aussi par l'effet d'une fâcheuse âcreté d'humeur, il s'était engagé dans des querelles d'opinions où à un Oui inane répond un Non imbécile. » p223
« Ils se hâtent avant que les routes soient bloquées par l'hiver, dit l'homme qui jadis s'était enfui d'Innsbruck par des chemins de montagne. » p267 (J'aime beaucoup cet effet de style pour désigner un personnage et référer à son vécu.)
Un de mes thèmes de prédilection est au cœur de ce roman : la science vue comme une forme de magie savante.
Au cours de son apprentissage perpétuel, Zénon étudie les éléments de la matière tels que l'eau, le feu ou le métal. Il cherche à percer les mystères du fonctionnement du corps, notamment cette frontière invisible qui sépare la vie de la mort. Dans le domaine de l'esprit, il s'intéresse aux différents types de volonté des êtres vivants : instinct de survie, envie charnelle, existence ou non du libre arbitre, question du déterminisme avec ou sans l'hypothèse d'un Dieu.
Ces sujets passionnants soulèvent tant de mystère que même les moyens modernes n'ont pas encore clos nombre d'entre eux. Il y a dans ce roman matière à réfléchir sur la science et sa méthode permettant de produire du vrai. Les réflexions de Zénon abordent plusieurs notions fondamentales d'épistémologie (philosophie des sciences).
Pendant toute la première partie, le narrateur marque une grande distance avec le personnage principal, que l'on ne suit qu'au travers de résumés et de rumeurs. Cela ajouté à son tempérament difficile, il est difficile de s'identifier à lui. Par exemple, assez tôt dans le récit, Zénon s'émerveille des mécanismes de métiers à tisser qui révolutionnent l'industrie, et il fustige les ouvriers ainsi remplacés de ne pas se réjouir de cette avancée technologique. On voit déjà que le savoir importe plus pour lui que les « basses préoccupations humaines ».
Heureusement, il s'humanise en vieillissant. Et à partir du moment où il parle ce qui l'anime, la recherche de la compréhension du monde, le récit devient passionnant.
Il faut aussi reconnaître l'impressionnante maîtrise de la langue. Le style est remarquable avec ses métaphores et ses périphrases qui donnent des détails et des ambiances en peu de mots.
Ce n'est cependant pas une lecture aisée. Il y a de nombreux mots inusités et d'époque, des tournures de phrases alambiquées, ainsi que pas mal de longueurs et de digressions. Il y a de nombreux passages de sexe (non explicites) dont je ne comprends pas l'intérêt.
Note : B
Le thème est passionnant et plutôt bien développé. J'aurais aimé entrer encore davantage en profondeur dans les connaissances alchimiques et les représentations du monde qu'elles engendrent. Cela reste malgré tout un très bon livre pour son cadre historique, son style recherché et ses réflexions philosophiques.
Lecture : 17-21 juillet 2022
Avis : 24 juillet 2022
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