⚡️ Frankenstein [A-]
Génèse
En 1816, dite « l'année sans été », la pluie ne s'interrompt pas. Un groupe d'amis écrivains se retrouve cloîtré dans le manoir de lord Byron. Ce dernier propose le défi d'écrire une histoire d'épouvante pour passer le temps.
Byron rédige un début de scénario, que Polidori complète en quelques jours pour aboutir au roman court Le Vampire, donnant naissance à tout un genre qui inspirera Dracula.
De son côté, Mary Godwin (plus tard épousera Shelley, lui aussi dans ce même groupe d'amis) a du mal à se lancer. Mais elle s'inspire de son vécu et des paysages sublimes et gothiques alentours pour écrire, à 19 ans, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Son roman deviendra le roman gothique par excellence et le précurseur du genre de la science-fiction.
⚠️ Attention, cet avis va divulguer beaucoup d'éléments importants de l'intrigue. ⚠️
Auteur : Mary Shelley, née Wollstonecraft Godwin 🇬🇧
Date : 1818
Temps de lecture : 7h (vraiment rapide à lire)
Résumé
Victor Frankenstein crée un monstre doté d'une intelligence humaine.
Ça tourne mal.
Résumé détaillé (100% spoil)
Robert Walton, capitaine d'un navire, dirige une expédition pour explorer le Pôle Nord. Le récit consiste en ses lettres adressées à sa sœur dans lesquelles il donne de ses nouvelles.
En pleine mer, son équipage aperçoit un homme gigantesque foncer sur la glace. Quelques jours plus tard, ils trouvent un autre homme et le font embarquer. Il dit être à la poursuite du premier, et raconte son histoire.
Cet homme, c'est Victor Frankenstein. Adolescent, il est obnubilé par les secrets alchimiques de l'immortalité et la toute puissance que promettent les sciences occultes.
Il perd sa mère, le laissant avec son père, sa cousine (sœur adoptive) Élizabeth, et ses deux petits frères Ernest et William. Ne changeant toutefois pas ses plans, il quitte Genève pour étudier en Allemagne.
Ses professeurs lui font remarquer qu'il n'a lu que des théories scientifiques obsolètes ou ésotériques. Victor finit par les délaisser, et progresse très vite dans les sciences modernes.
Il se demande s'il est capable de créer la vie. C'est le début d'une longue descente aux enfers. Victor s'enferme dans son laboratoire et mène ses expériences, pour lesquelles il torture des animaux et profane des tombes pour récupérer des cadavres frais. Après de nombreuses tentatives, il finit par y arriver. La créature, monstrueusement laide, s'anime. Horrifié, Victor s'enfuit de chez lui.
Henry, un ami de la famille, rend visite à Victor, dont les nerfs craquent. Henry s'occupe de lui au point de délaisser ses propres études. Quand il finit par aller mieux, Henry l'enjoint à écrire à sa famille pour la rassurer, ce qu'il n'a pas fait depuis deux ans malgré ses promesses.
Par une lettre de son père, Victor apprend que son jeune frère William a été tué pour un vol de médaillon. Victor fait le chemin jusqu'en Suisse. Il aperçoit dans les montagnes la créature et comprend que c'est elle qui a tué William.
Arrivé chez sa famille, il découvre que tout le monde accuse Justine, une jeune domestique élevée comme faisant partie de la famille et réputée d'une bonté exemplaire. Le médaillon a été retrouvé dans ses affaires. Malgré son innocence, Justine est condamnée à mort.
Victor part randonner pour être seul avec ses pensées. La créature vient à lui. Victor l'insulte, la menace, veut la tuer. Elle tente de lui expliquer son point de vue, et elle lui raconte alors son histoire.
Lorsqu'elle a fui l'appartement de Victor, elle a survécu quelques temps dans la forêt avoisinante et changeait de lieu quand la nourriture manquait. À chaque fois qu'elle cherche la compagnie des humains, ceux-ci la rejettent et la tabassent à cause de son apparence monstrueuse. Elle trouve refuge dans une petite hutte abandonnée, non loin d'un chalet. Une famille française en exil l'habite, avec un père aveugle et ses deux enfants Felix et Agatha. Ils sont rejoints par Safie, une Turque qui a fui son père pour rester libre en Europe et qui souhaite se marier avec Felix.
En les observant, notamment les cours que Felix donne à Safie, la créature apprend à parler, à lire, et à comprendre la société humaine occidentale. Elle découvre aussi la tendresse, l'altruisme, les liens d'amitié et d'amour, et compatit pour leur histoire.
Elle décide alors de se présenter à eux, puisqu'ils sont les humains les plus ouverts et gentils qu'elle ait rencontré. Elle profite d'un moment où le père, aveugle, est seul à la maison pour l'approcher. Mais les autres reviennent trop vite. Ils sont effrayés par son apparence, et Felix la roue de coups de bâton. Malgré sa force surhumaine, elle ne réplique pas et s'enfuit dans la forêt. Elle espère pouvoir réapprocher le père, qui lui seul ne l'a pas rejeté, mais la famille quitte précipitamment la maison.
« Devais-je éprouver de la bonté envers mes ennemis ? Non ! À partir de ce moment-là, je déclarai la guerre au genre humain et, par-dessus tout, à celui qui m'avait façonné et qui avait provoqué chez-moi cette détresse intolérable. »
De rage, la créature commet son premier acte criminel en incendiant le chalet vide. Elle se rend à Genève, car elle se rappelle que c'est la ville natale de son créateur.
Sur le chemin, elle croise une fillette en train de se noyer. Elle la sauve, mais son père lui tire dessus quand il la voit. Cela la blesse physiquement. Et moralement, c'est un point de non retour.
Arrivée à Genève, elle rencontre un enfant à qui elle fait involontairement peur. Elle lui demande pourquoi il hurle alors qu'elle n'a aucune mauvaise intention. L'enfant dit qu'il va le dire à son père, Monsieur Frankenstein (le père de Victor).
La créature, dans le but de faire souffrir son créateur autant qu'elle a souffert, le tue et vole son médaillon. Puis elle trouve une grange où s'est endormie Justine, et glisse le médaillon dans sa poche.
« Grâce aux leçons de Felix sur les lois sanguinaires des hommes, j'avais appris à présent comment faire le mal. »
Elle reste plusieurs jours dans les montagnes alentours, jusqu'à croiser son créateur. Elle lui demande de créer une compagne pour qu'elle n'ait plus à vivre dans la solitude. La créature lui promet qu'ensuite elles iront en Amérique du Sud loin de toute société humaine.
« Pour plaire à une seule créature, je ferais la paix avec l'humanité tout entière. Mais je ne veux pas non plus me laisser aller à des rêves de bonheur qui ne peuvent pas s'accomplir. Ce que je te demande est raisonnable et commode — une créature du sexe opposé aussi affreuse que moi. »
Victor accepte à contre-cœur, pour éviter que la créature ne se venge. Retardant son mariage avec Élizabeth, il part pour l'Angleterre afin de pouvoir faire ses expériences loin de sa famille. Mais son père s'arrange pour que son ami Henry l'accompagne.
En secret, Victor crée un second spécimen pour respecter sa promesse. Un jour, alors qu'il l'a presque achevé, la créature l'observe par la fenêtre. Victor est horrifié par sa vue. Se rendant compte de l'atrocité de ce qu'il fait, il détruit tout. La créature hurle de désespoir et lui jure qu'ils se reverront à sa nuit de noces.
Victor fait un tour en bateau pour se calmer. Le courant le fait dériver jusqu'aux côtes irlandaises. Il est accueilli par des villageois furieux. Ils ont retrouvé le corps assassiné d'un homme, et tout accuse Victor. On lui montre le corps, c'est celui d'Henry. Victor s'effondre, avoue sa culpabilité sans pouvoir expliquer les détails. Il est mis en prison en attente de son procès. Son père lui rend visite malgré son âge très avancé. Victor est acquitté et ils rentrent ensemble à Genève.
Victor et Élizabeth se marient. Le soir, ayant à l'esprit la menace, il met Élizabeth à l'abri et part à la recherche de la créature pour la combattre, croyant à tord que la créature souhaite le tuer, lui. Il retrouve Elizabeth morte. L'apprenant, le père de Victor meurt quelques jours plus tard.
Tous les proches de Victor sont morts : sa mère, William, Justine, Henry, Élizabeth, son père. Seul, car personne ne croit à son histoire, il part en quête de vengeance à la poursuite de la créature. Sur le chemin, elle laisse exprès des traces à suivre, de la nourriture, et des messages ironiques. Elle marche jusqu'en Russie, puis vers le Pôle Nord en passant par la glace. C'est dans ces conditions que Robert Walton découvre Victor sur un iceberg à la dérive.
L'expédition de Walton a pour but de découvrir des terres inexplorées, mais le navire se retrouve encerclé de glace. Poursuivre vers le nord devient trop dangereux. À la demande de son équipage, Walton rebrousse chemin vers l'Angleterre.
Victor meurt de froid et d'épuisement peu de temps après. Walton aperçoit la créature au chevet du mort. Elle promet qu'elle n'aura plus aucun contact avec les humains, et ne leur fera plus jamais de mal.
Le monstre Frankenstein
Pendant tout le début du récit du point de vue de Victor, j'ai véritablement détesté ce roman.
Victor est insupportable au dernier degré, je n'ai eu aucune sympathie pour lui.
Il est d'une arrogance incroyable, possessif envers sa cousine / sœur adoptive / « possession » (selon son propre mot).
Il insiste lourdement sur le fait qu'il est brillant et admiré par tous, il dénigre le professeur qui l'a contredit et couvre d'éloges un autre qui n'a pas entièrement rejeté ses lectures ésotériques inutiles.
Il ignore complètement sa famille endeuillée, trop occupé qu'il est à poursuivre ses rêves égoïstes de grandeur, sans prendre de recul un seul instant...
« J'allais donner la vie à des multiples créatures bonnes et généreuses, et nul père n'allait plus que moi mériter la gratitude de ses enfants. »
Spoiler : Nope.
De plus, il passe son temps à se plaindre, en ponctuant son récit d'énormément de phrases telles que « La destinée était trop puissante et ses lois immuables avaient décrété ma terrible et totale destruction. »
Ce n'est jamais de sa faute s'il commet des choses atroces, c'est toujours le Destin ou « l'Ange fatal de la destruction » ! Il ne se remet jamais en question tant qu'il n'est pas devant les conséquences terribles de ses actes (et même là encore, il met un certain temps...).
Alors même qu'une innocente se fait condamner à mort à cause de lui, la réaction de Victor est encore de se lamenter et de minimiser le mal causé à la victime : « Les tortures de l'accusée n'égalaient pas les miennes. »
Bref, complètement irresponsable et égocentré ce Victor Frankenstein.
Puis...
C'est là que j'ai compris le génie du roman.
J'ai arrêté d'essayer d'entrer en empathie avec Victor. Et l'histoire s'en est retrouvée fondamentalement changée.
D'habitude, en tant que lecteur, on s'attend à être au moins en partie en accord avec le personnage principal / narrateur, ou au moins trouver des points d'accroche en commun pour se sentir connecté.
Mais ici, tous les autres personnages — y compris la créature avant de se faire briser — débordent d'humanité, de bonté et d'ouverture aux autres... Par contraste, Victor paraît encore plus monstrueux. Le message du roman est précisément celui-ci : ne suivons pas l'exemple de Victor Frankenstein.
« Un être humain qui veut se perfectionner doit toujours rester lucide et serein, sans donner l'occasion à une passion ou à un désir momentané de troubler sa quiétude. Je ne pense pas que la poursuite du savoir constitue une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle vous vous appliquez a tendance à mettre en péril vos sentiments et votre goût des plaisirs simples, c'est que cette étude est certainement méprisable, c'est-à-dire impropre à la nature humaine. »
Pour moi, le véritable monstre de l'histoire est Frankenstein. Il faut juste se rappeler qu'il s'agit du nom de Victor, et non celui de la créature (qui n'est jamais nommée).
Walton et nous
Il est facile de blâmer Victor, mais il faut ensuite prendre soi-même du recul sur ses actions (quelles qu'elles soient), assumer les conséquences et se remettre en question.
Le récit commence et se termine avec Walton, spectateur tout comme nous du récit de Victor.
Ce qui est flagrant, c'est le parallèle entre lui et Victor concernant leur envie brûlante de découvrir des secrets inexplorés. En le rencontrant, Walton admire énormément Victor et dit de lui-même qu'ils se ressemblent beaucoup.
La différence est que Walton a su rebrousser chemin face à son ambition démesurée, pour ne pas risquer la vie de son équipage. Et ce n'est à aucun moment un choix facile pour lui.
Victor au contraire — qui décidément aime bien donner des leçons de vie aux autres mais pas les appliquer à lui-même — traite les marins de « couards » et les exhorte de continuer l'expédition vers le nord, avec pour seul but d'assouvir sa vengeance personnelle.
Quelques citations commentées relatives à la Science
« Dans un tel état d'esprit, je me tournai vers les mathématiques et les branches annexes, lesquelles me semblaient érigées sur des bases solides et qui à ce titre méritaient ma considération. »
Mais oui Victor, les autres sciences ne te méritent pas.
« Je méprisais les concepts de l'actuelle philosophie naturelle qui se désintéressait des secrets de l'immortalité et de la puissance. Quelques points de vue, bien que futiles, paraissaient sublimes mais à présent les choses avaient changé. L'ambition des chercheurs semblait se limiter à annihiler ces visions sur lesquelles reposait au premier chef mon intérêt pour la science. Et l'on me demandait d'échanger des chimères d'une infinie grandeur contre des réalités de petite valeur ! »
Et plus tard, dans un cours de chimie :
« Les anciens maîtres de cette science, dit-il, promettaient des choses impossibles et n'accomplissaient rien. Les maîtres modernes, eux, ne promettent rien: ils savent que les métaux ne peuvent pas se transmuter et que l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes dont les mains ne semblent faites que pour remuer la boue et dont les yeux ne servent qu'à observer à travers un microscope ou un creuset ont néanmoins accompli des miracles. Ils dévoilent les secrets de la nature et en montrent tous les détails. Ils ont accédé au firmament. Ils ont découvert la circulation sanguine et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirs, nouveaux et presque illimités, ils ont dompté la foudre, imité les séismes et bravé les ombres du monde invisible.
Telles furent les paroles du professeur — ou plutôt laissez-moi dire, telles furent les paroles du Destin, prononcées pour me détruire. »
(Oublions ce tout dernier paragraphe, c'est juste qu'il me fait rire.)
Ces deux citations font pour moi écho à certaines manières d'appréhender la Science encore présentes aujourd'hui, qu'on retrouve dans de nombreuses pseudo-sciences à la mode.
Victor dit chercher la vérité et la compréhension du monde, mais ce n'est pas tout à fait exact. Il est davantage en recherche d'une vision du monde agréable qui lui promettrait ce qu'il a envie d'entendre (gloire et puissance dans son cas).
Il aime l'idée de science mais en rejette dans un premier temps les méthodes, trop rigoureuses et l'empêchant de prendre ses illusions pour la réalité.
Évidemment, la Science « moderne » fait moins rêver. Elle brise nos idées reçues confortables et est une perpétuelle remise en question. Pourtant, c'est bien elle qui permet de mettre en évidence les forces de la Nature et de créer des choses fantastiques dans le vrai monde.
La créature
« Partout je vois le bonheur et moi, moi seul, j'en suis irrévocablement exclu. J'étais généreux et bon, c'est le malheur qui a fait de moi un monstre. »
À chaque fois que la créature fait preuve de bonté ou de générosité, elle se fait rejeter et en souffre terriblement.
On retrouve ce thème plusieurs fois dans le roman : la famille de Felix et Agatha se fait exiler et perd toutes ses richesses à cause d'une bonne action, à savoir sauver un innocent jeté en prison à cause de sa religion différente. De même, Caroline, la mère de Victor, meurt de s'être occupée d'Élizabeth qui avait attrapé la scarlatine.
Ils partagent leurs malheurs et leurs sentiments, et cela les rapproche et renforce leurs liens.
La créature n'a pas cette possibilité. La solitude forcée devient une souffrance, dont naît la rancune, la haine, le mal, puis les remords.
Les représentations de la créature au cinéma me semblent bien en deça de la monstruosité décrite dans le livre. Son apparence provoque de l'effroi, de l'horreur, ses traits affichent malgré elle des expressions que les humains interprètent comme agressives, viles, sournoises, démoniaques...
Il n'est juste pas possible pour un humain non aveugle de voir au delà de son apparence.
Walton est le seul à avoir éprouvé de la compassion sincère pour la créature. Ce qui le distingue de tous les autres, c'est qu'il a connu la créature avant de voir sa monstruosité. Son réflexe de fermer les yeux est paradoxalement ce qui lui permet de voir plus clairement.
Ce que je ne vais pas développer
Il y aurait encore tant à dire sur :
— la structure imbriquée de l'histoire
— la manière dont les narrateurs se disputent la place pour exposer leurs points de vue
— l'intrigue en miroir : création / destruction, poursuivi / poursuiveur, subir le mal / accomplir le mal...
— les réflexions féministes ancrées dans l'époque, très différente de la vision commune au XXIème siècle
— le symbolisme des pays où se passent les actions
— les éléments inspirés du vécu de Mary Shelley
— le topos de la création se retournant contre son créateur, inspirant jusqu'à Asimov
— la reprise du mythe de l'humain se prenant pour un dieu
— le fait que le livre s'inscrit dans un genre considéré à l'époque comme de la sous-culture, mais est aujourd'hui un classique et pour beaucoup un chef-d'œuvre
— sans doute de nombreuses autres grilles de lecture qui m'ont échappées.
Note : A-
Jusqu'à la page 60 j'ai détesté, puis j'ai adoré jusqu'à la fin.
Cette note reflète juste cette expérience de lecture-ci. Si je relis ce livre, j'aurai le bon état d'esprit dès le début pour l'apprécier (en lisant quand même en diagonale toute la partie introductive où Victor raconte sa vie chez sa famille).
À qui je le conseille : À tous les fans de SF, d'horreur, de philo, de science, d'histoire du féminisme, d'imagerie gothique, de beaux paysages et de voyages, ou juste curieux de découvrir cette œuvre phare de la pop culture. Si vous vous êtes reconnus, foncez sans hésiter.
Ce roman est court, se lit bien, et se trouve dans le domaine public, donc vous pouvez obtenir le PDF en quelques clics gratuitement (et légalement) sur internet !
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