XXIV La chute d'un colosse (3)
Haletant, sur le flanc, il ressemblait à présent à une énorme baleine échouée. Il tenta de se redresser, grogna, sa masse jouait contre lui, mais Sertoro était sur lui et le renvoya au sol d'un coup de pied. Il gémit en s'effondrant. « Je crois que c'est la fin, souffla-t-il.
-Malheureusement, rien ne dure en ce monde, répondit le Cauchemar avec sincérité. C'est dommage, tu aurais pu marcher à mon côté, seigneur du Foyer. Quels trous tu aurais fait dans les rangs bien alignés du Cercle !
-Je n'aurais pas marché aux côtés d'un monstre.
-Un monstre ? Tu me semble bien placé pour savoir qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Les monstres, ce sont ces arcanistes qui chuchotent dans l'entourage du roi du Himmland. Ce sont ces fous qui ont abattu la malédiction sur notre monde. »
Belius cracha un jet rosé. « Vas-y, accomplis ta besogne, Cauchemar. »
Le crâne squelettique hocha la tête. Les deux mains de Sertoro agrippèrent la poignée de l'épée, lame vers le bas. Les bras s'élevèrent au-dessus de sa tête et un instant, l'éclat des flammes, de moins en moins vivaces, ruissela le long du fil délicat et mortel.
Le temps parut alors se suspendre. C'était là, sous le regard des deux armées, que se jouait l'avenir de Corbeau, l'avenir du Foyer, l'avenir de tous ces hommes, de toutes ces femmes. Là, juste à la pointe de cette épée.
Lorsque le mouvement du Cauchemar fut à son apogée, Belius se jeta en avant. Il ne s'agissait pas d'un geste impulsif, d'un réflexe instinctif, c'était un mouvement précis et calculé, amorcé juste au moment opportun, d'une vitesse surprenante, inattendue, à l'instar de ses charges furieuses. Il n'eut pas même à se redresser sur ses jambes. Son bras se détendit, ses doigts crochèrent la nuque de Sertoro, ensuite il retomba, non, il se rejeta en arrière, de toute sa vigueur ajoutée à son poids, à celui de son armure, à celui de sa haine.
Surpris, le Cauchemar manqua lâcher son arme. Peut-être aurait-il mieux fait, d'ailleurs. Il accompagna le Double-Poitrail dans sa chute, incapable d'échapper à sa poigne. Au moment de l'impact avec le sol, le sire du Foyer bomba son épaulière hérissée de piquants et y ficha le masque osseux. Les dards d'acier s'enfoncèrent dans les orbites, se fichèrent dans le crâne animal, qu'ils firent voler en éclats. Une peau cloquée apparut dessous, bientôt noyée de sang.
Le Cauchemar ne cria pas. La scène avait un caractère surréaliste. Son corps était secoué de spasmes. Mais il tenait toujours son épée, la poignée serrée entre les doigts et aucun son ne quittait sa gorge. Éclaboussé de sang, Belius roula et repoussa le corps agité de son adversaire, dont le visage, le vrai, n'était plus qu'un amas de charpie. À tâtons, il chercha son marteau. Il finit par mettre la main dessus. Puis il se jucha, à genoux, sur Sertoro. Les rôles s'étaient soudain inversés, avec une ironie digne des Dieux Graves. Le marteau s'éleva et s'abattit dans un bruit écœurant de purée gluante.
Avec toutes les peines du monde, le Double-Poitrail se remit debout. Il brandit ses poings en signe de victoire et hurla à la nuit murmurante, aux faces stupéfaites qui l'environnaient. Son cri imposa un silence plus épais encore. « C'est terminé ! rugit-il. Sertoro est mort et le Foyer est victorieux ! » Il reprit son souffle et scruta la foule amassée autour de lui. Puis il se pencha vers le sol, récupéra son hachoir et le ficha à plusieurs reprises dans le cadavre à ses pieds. « Jetez vos armes ! Fuyez ! Si vous ne voulez pas encourir la colère du Foyer et subir le sort de votre chef ! »
Enfin, il jeta son arme et ramassa la tête du Cauchemar, ou ce qu'il en restait, pour l'élever à la vue de tous.
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