Les cieux déchirés de lueurs saignantes. Les silhouettes agitées, découpées par les flammes. Les reflets tranchants de l'acier. L'odeur du sang et de la mort, épaisse, écœurante. Les cris. Les pleurs. La peur.

La terreur.

Ses tripes se serrèrent au point qu'il en eut la nausée. L'acidité lui brûla la gorge. Ce bouillon de sensations, ce torrent d'émotions et d'horreur firent écho à d'anciens souvenirs. La mémoire enfouie de Dahod... Dahod... plus personne ne m'appelle ainsi... s'exhuma d'un passé longtemps refoulé. Un passé qu'il aurait préféré oublier. Un passé qu'il croyait avoir oublié, ou presque. Un spectre insidieux jailli d'une tombe ensevelie depuis des temps reculés, retirés au-delà d'une brume floue. Bien au-delà. Mieux valait mourir que se souvenir de cette nuit-là.

Mais la mort ne saurait tarder.

La pensée était presque réconfortante. Le coup de grâce longtemps attendu. La vie cueillie par une lame de Ferfroy. Ce sera rapide. Sa chair, comparée au métal traité à l'essence, était si faible. Ou peut-être suis-je déjà mort ? Et condamné à revivre éternellement mon pire moment, ma plus grande honte... Cette idée le glaça. Les Dieux Graves sont cruels, après tout.

Une voix murmura. « Promets-moi. » Une voix paternelle. Une voix réconfortante. Une voix capable de dissiper le moindre doute, la moindre crainte. Le moindre cauchemar. « Promets-moi de veiller sur eux. » La voix lénifiante, pourtant, cette fois, ne parvenait pas à le rassurer. Son pouvoir talismanique n'agissait plus. On y percevait la douleur. L'agonie.

Agonie. Une lame, mince, tranchante, mortelle, l'éblouit d'un éclat bleuté.

La voix puisait dans ses ultimes ressources. « Elle est à toi, maintenant. Elle t'appartient. » Elle paraissait peser si lourd. Sa main était si jeune, si menue. « Tu es le chef, à présent. » Il avait envie de pleurer. Il ne pouvait pas. Il n'en avait pas le droit. Mais la voix ne l'avait jamais autant effrayé. Même après les pires bêtises, même pendant les colères et les disputes. « Elle est à toi. Ainsi que les responsabilités. Promets-moi de veiller sur eux. » C'était une voix réconfortante. D'habitude.

Promis.

Puis le crépuscule, les flammes, les silhouettes, les cris, le sang s'imposèrent à nouveau. Ses sens en furent saturés. Les plaintes aiguës de l'acier, les hurlements désespérés, le ronflement du brasier. Sa tête résonna douloureusement. Les taches de lumière et d'ombres pourpres dansèrent devant ses yeux, d'abord floues, puis de plus en plus précises. Une profonde goulée d'air fit jouer sa cage thoracique et lança un éclair de douleur dans son dos.

Il respirait. Il avait mal. Il était vivant.

Surpris, il tourna la tête. Nouvel élancement, de la nuque jusqu'à son poignet engourdi. Puis il vit à peu près clair. Le Cauchemar ne le dominait plus de toute sa hauteur. Il était aux prises avec un monstre ruisselant de mailles noires, caparaçonné d'acier et de cuir à gros clous, hérissé de cornes et de pointes d'acier. Parmi les rugissements bestiaux, le langage guerrier, il percevait le choc d'un marteau et d'un hachoir et la stridence bleue du Ferfroy.

Lui-même était affalé sur un lit de rochers, en bordure du cercle. L'espace s'était encore élargi autour des deux colosses. À proximité, les combats avaient pour ainsi dire cessé. Les deux seigneurs accaparaient toute l'attention.