XIX Une rencontre secrète (2)
Tout à coup, un bruit attira l'attention du Brümien du côté de la route. Il se redressa, les sens en alerte.
Le son de fers à cheval sur le chemin résonna et s'arrêta à quelque distance. « Jetez vos armes et rendez-vous sans résister ! ordonna une voix chevrotante. Vous êtes faits comme des rats. »
Aussitôt, un petit rire grinçant succéda à la semonce. Le chevalier ricana et s'approcha. « Galléa, enfin vous voici. »
Une charrette tirée par deux chevaux fit son apparition. « Pardonnez-moi, Corbeau, j'ai été ralentie. Les rues étaient exceptionnellement remplies.
-Et on ne vous a pas fait d'histoires à la porte ?
-Pas trop. J'ai prétexté devoir venir chercher de l'essence. On s'est vaguement étonné que je sois seule et on m'a très généreusement proposé de me faire accompagner. » Elle émit un nouveau petit rire. « Mais j'ai répondu, un peu vexée, que je n'avais pas besoin de grandes quantités et que j'étais plus forte que j'en avais l'air.
-J'avais oublié à quel point vous étiez cachottière, et à quel point vous pouviez vous montrer convaincante. » Il échangea avec elle un regard entendu. Puis il jeta un œil à l'arrière et découvrit une bâche. « Et je suis un idiot. Si j'avais su, nous serions tous sortis ensemble, comme vous l'avez fait, avec Gunthar là-dessous. J'ai craint d'attirer l'attention à la porte et qu'on s'intéresse d'un peu trop près au Gamorien. »
Mais soudain la bâche se mit à remuer et une forme humaine en émergea. Une jolie silhouette moulée dans des habits de voyage, une peau mate, de grands yeux sombres. « Je savais que tu allais tenter quelque chose d'insensé, déclara Soraya. Tu as demandé de l'aide à Galléa ? Pourquoi pas à moi ?
-Je... Sous quel motif aurais-tu quitté le Foyer ?
-Oh arrête. Qui aurait désobéi au chevalier protecteur ? Surtout en de telles circonstances. J'espère simplement que ce n'est pas un manque de confiance.
-Non, pas du tout. Mais tu devrais retourner là-bas, tu sais. Nous allons à la rencontre du Cauchemar. C'est dangereux. »
Elle haussa les épaules, exaspérée. « C'est dangereux pour toi aussi. » Son regard et sa voix s'adoucirent quelque peu. « Alors tu ne fuis pas.
-Je ne veux pas fuir. Et puis je t'ai promis de partir avec toi. »
La mystique eut un rire bref. « Ha ! Je savais qu'il y avait quelque chose entre vous.
-Pas grâce à vos runes, en tout cas », rétorqua le chevalier.
Des rides d'amusement apparurent autour des yeux de Galléa. « Il y a bien d'autres moyens de lire le monde, jeune homme. Mais laissez-moi vous dire que vous jouez à plusieurs jeux dangereux en même temps.
-Je sais. Et c'est pour ça que Soraya devrait retourner au Foyer immédiatement. La corde doit toujours être attachée au rempart. »
La Keelyane se pencha pour ramasser quelque chose dans les replis de la toile cirée. Elle se redressa avec à la main une longue lame bleutée. « Nous ne sommes pas obligés de courir tous ces risques. Nous pouvons partir, quitter ces parages dès maintenant.
-Mon épée... » Son cœur fit un bond. Tout à coup, il réalisa à quel point il était éloigné des événements qui se jouaient, à quel point le sort du Foyer devrait lui être indifférent. Quelques semaines plus tôt, il serait peut-être parti sans se retourner. « Je ne peux pas.
-Ils te l'ont volée. La voici. Plus rien ne te retient.
-Une promesse. J'ai promis de me débarrasser de la menace du Cauchemar. »
La lèvre de Soraya trembla. « Voyons, Corbeau, c'est une promesse que tu ne peux tenir. Maintenant que l'on connaît la vérité... Tu as fait tout ce que tu as pu. Tu as même offert une victoire inattendue à Belius. Tu ne dois plus rien à personne.
-Et tu voudrais que j'abandonne ces gens à leur sort ?
-C'est ça, ou tu partages leur sort. En vain. »
Elle lui tendit l'épée. Il crevait d'envie d'accepter la proposition, de tourner le dos à tous ces problèmes et de partir, avec elle, vers d'autres horizons. Mais ses yeux parcoururent le fil irisé de la lame et une bouffée de honte et de remords l'assaillit. « Ne me tente pas, Soraya. De grâce, ne me tente pas. Je ne peux pas accepter.
-Mais pourquoi ? Ces gens, qu'ont-ils fait pour toi ? »
Il secoua la tête. « Je ne peux pas, c'est tout. Ils sont innocents, ils ne méritent pas le sort qui s'apprête à leur tomber dessus. J'ai déjà abandonné des innocents une fois. Et puis j'ai eu envie de mourir. » Il prit l'épée, éprouva le contact de la garde entre ses doigts. « Je ne veux pas revivre ça.
-Bon. Je ne suis pas vraiment surprise. Dans ce cas, allons-y.
-Non, tu ne peux pas. C'est trop dangereux. » Il lui tendit l'épée. « Reprends-la, sinon tu seras suspectée.
-Tu préfères que j'attende bien sagement la mort avec les autres ? » Elle le toisa depuis la charrette, les poings sur les hanches, dans une attitude de défi. « De toute façon, je ne peux retourner au Foyer dans ces conditions. Même avec l'épée. Si on me surprend avec cette lame... et je n'ai aucun moyen de la dissimuler. »
Le Brümien l'observa, fière et obstinée. Sa petite moue contrariée et sa témérité lui donnaient beaucoup de charme. Il craignait pour elle mais, secrètement, il appréciait de l'avoir à ses côtés.
Gunthar s'approcha. « Ne devrions-nous pas y aller ? Le temps presse, il me semble.
-Tu as raison. Mais... il y a encore une chose. » Il désigna l'entrée de la mine. « Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Galléa plissa les yeux. « Les lances de Volk ? Ça sert à donner à l'essence une consistance fluide pour la récolter.
-Non, dans les tonneaux. C'est du fluide ?
-Absolument. Comme le commerce avec le Himmland s'est interrompu, nous avons commencé à l'entreposer là, puis nous avons carrément cessé d'en extraire. »
Les sourcils du chevalier s'arquèrent. « Bon sang, il y en a pour une fortune. »
Les autres étaient nerveux. Ils auraient déjà dû partir depuis un moment. Mais Corbeau hésitait. Il y avait peut-être un atout à exploiter.
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