Droit comme un I, Patrick était rangé dans la boîte de spaghettis. Il était serré comme une sardine et ne pouvait faire aucun mouvement. Le jeune grimaça : il avait le nez plongé dans les aisselles de son voisin. Derrière lui, il senti quelqu'un gigoter dans tous les sens.
-J'ai envie de pisser, s'exclama cette pâte.

Patrick soupira. Il n'aimait pas du tout être dans cette situation, et il savait que cet avis était partagé par les siens. Mais ils n'avaient pas le choix.
Il y avait des humains dans la pièce.
Alors, la discrétion était le maître mot. Depuis la nuit des temps, aucune pâte n'avait été imprudente. Aucune ne s'était fait repérée.
Depuis la nuit des temps, ces stupides humains vivaient en colocation avec des pâtes vivantes sans qu'ils ne se doutent de rien. Et c'était très bien comme ça.
Au fil du temps, les pâtes ont compris que les humains étaient des êtres cruels, horribles et complètement idiots.
« Dire qu'ils sont bêtes comme leur pieds reviendrait à insulter les pieds », avait un jour dit quelqu'un à Patrick.
Alors il n'était pas question pour elles de se faire repérer. Qui sait la réaction qu'aurait un humain s'il venait à découvrir que les pâtes étaient vivantes ?

Patrick était à côté d'un spaghetti qu'il ne connaissait pas. Il était grand, maigre et avait le teint légèrement jaune.

-Tu savais que nous avons des origines asiatiques ? demanda cet inconnu alors que Patrick le regardait fixement.
-Hein, heu non je savais pas... Comment ça ?
-En fait, nous sommes chinoises.
-Chinoises ? Raconte pas de bêtise, tout le monde sait que les pâtes sont italiennes !

Patrick regarda l'inconnu d'un mauvais œil. Il avait l'air étrange.

- C'est en effet ce que la plupart des gens pensent. Mais c'est faux.

Son ton était très calme, ce qui intriguait Patrick. Peut-être que l'inconnu avait raison après tout. Il semblait savoir ce qu'il disait.

-Alors, nous avons des origines asiatiques ?
-Oui. Tu connais Marco Polo ?

Patrick réfléchit un instant. Cela lui disait quelque chose.

-C'est pas une marque de vêtements ?

L'inconnu rigola un instant.

-Non, tu confonds avec Marc O'Polo, la marque de mode germano-suédoise ! Moi je te parle de Marco Polo, l'homme !

-Ah, alors non, je ne connais pas...

Patrick se senti rougir. Il se jugea idiot à côté de lui. Ce n'était pourtant pas le moins instruit de la boîte, loin de là. Mais la pâte qu'il avait en face de lui semblait vraiment intelligente. Comment se fait-il qu'ils ne se soient jamais rencontrés auparavant ?

-Pour faire simple, Marco Polo était un marchand italien qui a vécu pendant la deuxième moitié du XIIIe siècle. Une légende raconte qu'il a un jour fait un voyage en Chine et que c'est là qu'il a découvert les pâtes, qu'il a ensuite ramené en Italie. L'aliment s'est ensuite rapidement fait connaître dans toute l'Europe. Apparemment, les chinois mangent des pâtes depuis environ l'an -2000. C'est donc vraiment très vieux !
-Ah oui, tant que ça ? demanda Patrick, qui avait du mal à s'en rendre compte.
-A titre de comparaison, notre ville, Rome, capitale des pâtes et de l'Italie, a été fondée en l'an -723. C'est déjà très vieux mais c'est rien à côté de notre création !
-Pourtant Rome est une ville qui a une grande histoire...
-Exactement ! Pendant l'Empire Romain elle a dominé le monde, et ce pendant très longtemps ! Mais cette époque n'est finalement pas si vieille.
-Eh bah, je savais pas tout ça !

L'érudit inconnu lança un clin d'œil à Patrick.
- C'est pour ça que toutes les pâtes ont un teint jaunâtre. Parce que nous avons des origines asiatiques !
- Tout s'explique !
- Tu veux une autre info ?
- Je t'écoute ?
- Alors ça n'a rien à voir, mais je voulais te donner une info rigolote. Depuis 2009, l'Association Nationale des Pâtes et L'Organisation Internationale des Pâtes ont lancé une journée mondiale des pâtes. Elle a lieu chaque année le 25 octobre.
-Ah. Sympa.
-Ils ont quand même attendu longtemps avant de nous offrir une journée mondiale !
-C'est vrai...
-Bon, j'étais ravi de discuter avec toi mais on devrait se taire maintenant. Faudrait pas que les humains nous entendent.

Patrick et son nouvel ami échangèrent un sourire, puis le silence réapparu. Il prit le temps de réfléchir à tout qu'il venait d'apprendre. Il trouvait toutes ces informations très intéressantes et était ravi d'en savoir plus sur ses origines. Cependant, il ne comprenait pas comment cet inconnu savait tout cela.

Il regarda ce que faisait l'humain qui était dans la pièce. Celui-ci se passa les mains sous l'eau puis commença à couper quelques légumes.

« Il ne s'est pas lavé les mains au savon... » pensa Patrick.

Après avoir découpé des tomates et charcuté un poivron, l'humain, un homme d'environ 45 ans, qui possédait des lunettes et la calvitie, s'approcha du placard où étaient disposées toutes les boîtes des pâtes.

La pression s'installait chez Patrick et ses semblables. Allaient-ils finir à la casserole ?