Je suis assise à la place du mort dans une très belle berline, Angela est au volant et négocie avec adresse les tournants serrés et enneigés de cette route de montagne qui nous mène à notre mystérieux rendez-vous. La nuit est tombée très vite, seuls les phares éclairent le sol et les lignes blanches. Je jette un regard sur le côté, heureuse de ne pas arriver à distinguer le vide en contrebas. Nous n’avons même pas mis la radio en route, ni l’une ni l’autre n’avons envie d’écouter des musiques de Noël en cet instant. L’ambiance est morose et pensive.

Je suis tellement inquiète pour Anton que je ne surveille même pas le chemin que l’on prend. Je reviens à la réalité quand la voiture est agitée de soubresauts. Nous venons de nous engager dans un chemin de terre parsemé de nid-de-poule.

— Aïe ! Mais ! Va moins vite, nom de nom ! je m’exclame, les dents serrées de peur de me mordre la langue.

— Ne fais pas ta chochotte, me réplique ma conductrice en me jetant un regard moqueur.

— Suis loin d’être une petite nature, tu sais. Je n’ai pas eu la vie facile.

— Comme nous toutes, complète-t-elle distraitement en observant la casse où doit se dérouler notre rencontre.

Les ombres cachent mille endroits où une âme malveillante peut se tenir en embuscade. Ça sent le piège à des kilomètres ! Les carcasses de voitures encombrent les allées mal rangées. Des roues s'empilent à notre droite, un petit élévateur Clark dort les fourches en l’air, un container est à moitié ouvert et me donne froid dans le dos. Il y a bien trop d’ombres où se cacher en embuscade.

— Je n’aime pas cet endroit ! J’ai de mauvais souvenirs de lieux emplis de container. J’ai un mauvais pressentiment.

— On va juste attendre ici dans la voiture, on ne sortira pas tant qu’il n’y a personne.

— Une planque ! C’est la meilleure, je ris de ce retour en arrière. La vie est comme un cercle, on revient toujours à la case départ. Ça doit être le karma !

— De quoi parles-tu ?

— Si je te dis que j’ai bossé pour le FBI et que ce n’est pas la première fois que je piste Anton, le surveille, tu me croirais ?

— Si je te dis d’où je viens, tu te demanderais comment j’en suis venue à épouser le chef des Alario.
On se regarde une seconde puis on éclate de rire.

— Nous formons une belle paire de femmes de mafieux ! se moque Angela en essuyant les larmes qui perlent aux coins de ses yeux.

— Et pleines de ressources en plus, je réplique en me retournant vers les sacs remplis sur le siège passager.

— Hey ! Cette farine est la plus fine et la plus chère de toute l’Italie, mon mari tient absolument que je lui pâtisse ses macarons avec la meilleure qualité de produits. Celui qui se la procurera en aura pour son argent.

—Il aime son petit confort, je vois et c’est un gourmet, j’ironise.

La petite maline ! Les quelques paquets récupérés n’étant pas suffisants à notre avis, j’ai eu l’idée de nous servir dans sa réserve. À ma grande surprise, j’ai découvert qu’il existait un nombre effarant de différentes sortes, de qualités, de couleurs et même d’origines de cet ingrédient basique. Heureusement que la pâtissière connaît son job et n’a pas hésité dans le choix. Nous avons transvasé cette poudre blanche dans des sacs en plastique d’un kilo, puis les avons disposés dans le véhicule garé à l’arrière de sa boutique. Un vrai scénario de gangster en herbe.

— Plus sérieusement, tu es prête à récupérer ton homme ?

— Totalement, me répond-elle le visage grave et le regard brillant.

— Parce que ce ne sera pas joli, il pourrait y avoir de la violence. Je suis armée et je compte tout faire pour passer les fêtes avec mon Russe.

Je tapote le côté de ma veste où est logé mon flingue. Il est chargé et je sais m’en servir.

— Je n’aime pas les armes, mais je ne suis plus innocente, malgré moi. J’ai du sang sur les mains. Quand il s’agit de protéger ceux que j’aime, je suis capable du pire.

Je perçois la sincérité dans ses paroles et son attitude. Cette blonde qui respire la joie et la bonté n’est pas qu’une jolie poupée gâtée. Elle a vécu elle aussi de terribles épreuves. Je lui serre la main en signe de compréhension et ouvre la bouche pour lui assurer mon soutien et peut-être même mon amitié quand soudain des phares s’allument face à nous et nous éblouit.

— Merde ! je m’exclame en sursautant. Nous ne sommes pas si douées que ça finalement. Je ne les ai pas vus ni entendus arriver.